La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 3 - mars 2011 | 75
ÉDITORIAL
trite du post-partum, la fameuse fièvre puerpérale, autrefois
si fréquente dans les suites de couches avant l’arrivée de
l’eau de Javel. Il est bon ici de rappeler l’histoire d’Ignace
Semmelweis (1818-1865), chirurgien et obstétricien hongrois,
considéré comme le père de l’hygiène hospitalière et le
précurseur de l’antisepsie des mains. L’utilisation de l’eau
de Javel, pour désinfecter les mains des chirurgiens avant
les accouchements, à partir de mai 1847, a fait chuter dans
son hôpital le taux de mortalité par fièvre puerpérale des
mères en postpartum de 12 % à 2,4 % puis à 1,3 %. Un
grand classique des maladies infectieuses, donc. Mais c’est
l’“expert”, soutenant que le streptocoque, responsable de
cette infection, avait plutôt été transmis par son mari lors de
relations sexuelles orogénitales avant l’accouchement, qui a
été écouté. Et la patiente a été déboutée de sa demande de
conciliation amiable.
Gérer l’erreur médicale
Les solutions à ce mal qu’est l’erreur médicale peuvent être
déduites des histoires racontées. Au-delà des facteurs humains
(sur lesquels nous reviendrons), il existe aussi des facteurs
d’erreurs médicales qui sont propres à notre système de soins.
Et on peut craindre, à la lumière de la réforme actuelle, qu’ils
se multiplient. Ils feront alors le bonheur des experts judicaires
comme des avocats qui gagneront bien mieux leur vie que
les médecins, comme aux États-Unis, modèle pour certains !
Individuellement
La première étape est de reconnaître l’erreur et de comprendre
les mécanismes qui y ont conduit. Ce n’est pas toujours
évident. On observe deux attitudes possibles. Les uns
acceptent. Les autres réfutent, parfois point par point, avec
une mauvaise foi abracadabrantesque. L’erreur doit ensuite
être corrigée. Le patient doit si nécessaire en être informé,
sous peine d’une perte de confiance. Enfin, il faut être encore
plus attentif au risque d’une autre erreur.
Collectivement
Les erreurs doivent faire l’objet de réunions avec l’équipe
soignante pour partager, trouver les dysfonctionnements de
la chaîne décisionnelle et y remédier. Elles résultent souvent
de divers facteurs : un isolement médical, un défaut d’enca-
drement, un manque de dialogue, un grain de sable dans la
chaîne décisionnelle, une insuffisance (parfois de la suffisance)
médicale, une incohérence fonctionnelle, une absence de
direction.
Les erreurs ont souvent lieu le week-end ou pendant les
vacances, le pire étant les week-ends pendant les vacances.
Et ce n’est pas un hasard. Il y a un manque d’encadrement
patent pendant ces périodes. Notre système médical est
excellent pour la formation dans le sens qu’il met à l’épreuve
des malades les médecins assez tôt dans leur cursus. Mais ils
doivent être encadrés par des juniors et des seniors qui doivent
donc être disponibles pour cela.
Prévenir l’erreur médicale
Connaître les erreurs classiques
Certaines erreurs classiques doivent être connues et ensei-
gnées : “un train peut en cacher un autre”, “avoir la syphilis et
le bureau de tabac” ou, autrement dit, une maladie peut être
associée à (ou en cacher) une autre. Parfois, il peut s’agir d’une
maladie rarissime, d’une complication évolutive inhabituelle,
d’une interaction médicamenteuse inattendue, d’un effet
indésirable mal connu. Il ne faut pas non plus attribuer au
“psychosomatique” des symptômes relevant d’une maladie
organique, tout en sachant que c’est parfois un art bien difficile
de différencier les choses, et que cela nécessite souvent une
débauche d’examens complémentaires inutiles. Un autre
piège classique, chez de tels patients, est de savoir reconnaître
l’événement médical au sein de la cohorte des symptômes
fonctionnels habituels de ce malade.
Modestie, disponibilité, compétence
Les erreurs médicales résultent aussi de certains défauts
propres à chacun d’entre nous. Le médecin se doit donc d’avoir
certaines qualités.
Mon Maître (en certains domaines), Marc Gentilini, avait
pour habitude, quand il accueillait les internes, de leur
demander quelle était, à leurs yeux, la qualité fondamentale
d’un médecin. Cela marchait bien. Les internes se faisaient
avoir à chaque fois. “La compétence, Monsieur !” Et lui de
leur répondre : “Non, la Modestie, avec un grand M.” Effec-
tivement, une des qualités fondamentales d’un médecin est
d’être conscient des limites de ses compétences. “Savoir ce
que l’on sait, savoir ce que l’on ne sait pas, c’est savoir vérita-
blement” (Confucius, 551-479 av. J.-C.).
Et la deuxième qualité d’un médecin ? “La compétence,
Monsieur !” Non (toujours pas), et il répondait : “la Disponi-
bilité, avec un grand D.” Quand il y avait, parmi ces nouveaux
internes, un major de l’internat, non conscient qu’il devait