L’ Errare humanum est, perseverare diabolicum TRIBUNE

TRIBUNE
8 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire n° 441 - janvier 2011
Errare humanum est, perseverare diabolicum1
É. Caumes*
© La Lettre de l’Infectiologue 2010;6:204-7.
* Rédacteur en chef deLa Lettre de l’Infectiologue, professeur à la faculté de médecine de 
la Pitié-Salpêtrière, université Pierre-et-Marie-Curie, service des maladies infectieuses et 
tropicales.
L
erreur est humaine, malheureusement. Mais quand
l’erreur est médicale, les malades en sont victimes.
Pourquoi ? Comment ? Que faire ? Il n’y a pas beau-
coup d’éléments de réflexion dans la littérature. Pour essayer
d’avancer, je vais partager quelques expériences personnelles
(parfois douloureuses, toujours instructives), vécues au cours
des trente dernières années, au gré de différentes époques,
comme responsable d’erreurs médicales mais aussi comme
victime, témoin ou expert auprès des tribunaux.
Lerreur médicale : un sujet tabou
On n’en parle pas ou si peu. On ne connaît pas son impor-
tance, sa fréquence, ses conséquences. Lerreur dicale n’est
souvent pas enseignée à la faculté, ou alors à une place négli-
geable par rapport à d’autres “maladies” beaucoup moins
fréquentes. Et aucune revue, à ma connaissance, ne comporte
de rubrique dévolue à l’erreur médicale. La hiérarchie est quant
à elle mal à l’aise. En général, l’administration, quand elle est
informée, prend acte sans aller au-delà. Entre collègues, nous
avons aussi du mal à trouver notre voie entre nos propres
erreurs, difficilement assumées, et celles des autres, trop
facilement couvertes par la déontologie médicale.
Pourtant, nous apprenons probablement plus de nos erreurs
que de nos succès. Il est aussi essentiel de reconnaître nos
erreurs, pour qu’elles ne se reproduisent pas. En effet, en
dehors de rares circonstances, nos malades sont heureuse-
ment solides et peuvent se remettre d’une erreur médicale si
celle-ci est bien réparée. Mais ils se remettront difficilement
d’un enchaînement d’erreurs médicales, ou de la correction
d’une erreur par une autre erreur, ou de l’entêtement d’un
médecin à ne pas reconnaître son erreur.
Et il y a malheureusement aussi des erreurs qui ne pardonnent
pas, notamment dans une discipline comme les maladies
infectieuses : tout retard de traitement adapté, dans le cas
d’une infection sévère, se paie en séquelles (neurologiques,
perte de fonction ostéoarticulaire, amputation, etc.) voire
en vies humaines.
Lerreur médicale envisagée de quatre points
de vue différents
Responsable 
Je vais commencer par le plus difficile, “mes” erreurs. Comme
la plupart d’entre nous (certains n’en font jamais…), j’ai fait
de graves erreurs médicales (je ne parlerai pas ici des petites,
sans conséquence sérieuse pour le malade). J’ai le souvenir
précis de deux d’entre elles.
La première, au début de mon externat, dans un service
(pas très réputé) de gastroentérologie. C’était ma première
semaine en tant qu’externe. On m’a demandé de faire une
ponction d’ascite à un vieux cirrhotique. Ignorant la tech-
nique et non encadré, j’ai fait la ponction dans l’hypochondre
droit (c’est-à-dire dans le foie hypertrophié) au lieu de la faire
dans l’hypochondre gauche. En voyant l’aiguille battre au
rythme du pouls et du sang en sortir à chaque pulsation, j’ai
rapidement compris l’erreur qui aura “accéléré la fin” de ce
pauvre patient, également atteint d’un cancer du foie en phase
terminale. C’étaient les paroles de consolation de mon interne,
irresponsable, adressées à un apprenti médecin effondré.
La deuxième a eu lieu au cours de mon premier semestre d’in-
ternat, aux urgences d’un grand” hôpital parisien, un samedi
matin j’étais bien seul, encore non encadré. Je suis arrivé
à 9 heures pour prendre mes fonctions. Dans le couloir, sur
un brancard, gisait Albert ou Alfred, un “SDF bien connu” de
ce service qui, selon la responsable, cuvait sa cuite”. Il était
arrivé dans la nuit, n’avait pas été vu par l’interne de garde
que l’on n’avait pas dérangé “pour ça” et devait dégriser tran-
quillement, comme d’habitude. La matinée a été tellement
chargée que je n’ai pas eu le temps de men occuper, d’autant
que j’étais tout seul, les malades s’enchaînant les uns à la
suite des autres. Et puis à 13 heures, au moment de partir,
l’infirmière est entrée affolée dans le sas de consultation.
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Monsieur A. était mort sur son brancard en plein milieu des
urgences, probablement d’une hémorragie digestive. Il n’a
pas été autopsié.
Et je ne suis toujours pas à l’abri d’une erreur médicale ; je n’y
serai qu’une fois que je nexercerai plus.
Victime
Malheureusement, le fait d’être médecin ne nous épargne
pas le fait d’être malade. Et comme dit l’adage, ce sont les
cordonniers les plus mal chaussés, même si, avec l’expé-
rience du temps, je pense que ce proverbe ne s’applique
pas forcément à notre métier. Au contraire, j’ai tendance
à croire que nous sommes mieux traités et pris en charge
que le reste de la population. Mais il est vrai que nous
sommes peuttre plus négligents par rapport à notre
santé. J’ai eu la malchance de souffrir d’une maladie très
rare (1 cas par an et par million d’habitants), le genre de
maladies dites “orphelines” qui doivent être prises en charge
par des spécialistes dans des centres de référence. Dès le
départ, l’affaire a été mal engagée du fait d’une erreur de
diagnostic radiologique. Cette erreur initiale de diagnostic
a été corrie dès la premre intervention chirurgicale
par l’évidence macroscopique, facilement confirmée par
l’histologie. Mais elle a été suivie par des erreurs de prise
en charge, peuttre chirurgicales (je n’ai pas la compé-
tence pour juger) mais certainement médicales par l’ad-
ministration de médicaments aujourd’hui délaissés tant
ils faisaient plus de mal que de bien. Cela a duré jusqu’à
ce que je sois adressé, après plusieurs années d’errance
thérapeutique, à la seule personne/équipe qui connaissait
cette maladie à Paris. Depuis quelque temps, je suis donc
bien pris en charge.
Le seul reproche que je fais finalement à ces médecins et
chirurgiens est d’avoir attendu tout ce temps avant de prendre
cette décision intelligente, celle qu’ils auraient dû prendre
dès le début s’ils avaient été conscients des limites de leur
compétence.
Témoin
Malheureusement, je suis toujours témoin d’erreurs médicales,
des petites le plus souvent, parfois des grosses. Peut-être ai-je
une sensibilité exacerbée à ce sujet. Ou alors est-ce le fait
de se retrouver en haut d’un système pyramidal ou dans un
service très spécialisé qui fait que vous cupérez les malades
ayant erré de médecins en médecins avec des pathologies
difficiles ou rares. Mais je suis loin d’en être certain. J’ai bien
l’impression que c’est fréquent. C’est en tout cas à évaluer
précisément par des études rigoureuses.
Les circonstances de l’erreur médicale sont souvent les
mêmes : le malade a été vu par un médecin, non compétent
ou débordé, isolé, sans encadrement polyvalent et de qualité.
C’est toujours l’occasion de dire tout le bien (pour combien
de temps encore ? à la lumière des réformes actuelles) de
notre système médical (hospitalier universitaire), système
pyramidal qui permet la correction des erreurs par le junior
ou par le senior, qui encourage l’échange entre médecins
d’expériences différentes et qui multiplie les occasions de
rectifier nos erreurs. Mais je reste stupéfait, parfois, des coûts
engendrés par l’incompétence médicale, non seulement pour
le malade mais aussi pour la société. Car la Sécurité sociale
rembourse des examens complémentaires superflus, des trai-
tements inefficaces, des chirurgies inutiles (appendicectomie
de circonstance par exemple…). Cela continue de m’inter-
peller. D’autant que, parfois, il suffit d’en avoir vu un cas dans
sa vie pour savoir tout de suite ce dont il s’agit. Et de régler le
problème avec un seul examen complémentaire (approprié)
et un seul traitement (adapté). Pour prendre un exemple très
classique, dans ma spécialité, combien de giardiases vues au
retour de voyage et ayant “bénéficiéde diverses endoscopies
(hautes et basses) et examens biologiques sanguins (aussi
nombreux qu’inutiles et remboursés) avant d’envisager un
simple examen parasitologique des selles.
Expert
De temps à autre, au gré de ma disponibiliet de mon intérêt
pour le sujet, je suis sollicité pour des expertises médicales,
expériences passionnantes mais chronophages. Les deux
dernières expertises ont abouti à des décisions discutables
qui illustrent bien la complexité du sujet.
La première concernait une infection nosocomiale ostéo-
articulaire précoce à S.aureus. Le diagnostic n’avait pas été fait,
ni me évoqué initialement, tant par le service des urgences
de l’hôpital local que par le chirurgien qui avait opéré. Le
retard diagnostique aggrapar une antibiothérapie inadaptée
et d’autres péripéties ont fini par aboutir à une arthrodèse. Le
patient a finalement été condamné à payer les frais de justice !
Dans un autre cas, il s’agissait d’une septicémie à streptocoque
avec toxic strep syndrome, compliquant une endométrite
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du post-partum, la fameuse fièvre puerpérale, autrefois si
fréquente dans les suites de couches avant l’arrivée de l’eau de
Javel. Il est bon ici de rappeler l’histoire d’Ignace Semmelweis
(1818-1865), chirurgien et obstétricien hongrois, considéré
comme le père de l’hygiène hospitalière et le précurseur de
l’antisepsie des mains. L’utilisation de l’eau de Javel, pour
désinfecter les mains des chirurgiens avant les accouche-
ments, à partir de mai 1847, a fait chuter dans son hôpital le
taux de mortalité par fièvre puerpérale des mères en post-
partum de 12 % à 2,4 % puis à 1,3 %. Un grand classique des
maladies infectieuses, donc. Mais c’est l’“expert”, soutenant
que le streptocoque, responsable de cette infection, avait
plutôt été transmis par son mari lors de relations sexuelles
orogénitales avant l’accouchement, qui a été écouté. Et
la patiente a été déboutée de sa demande de conciliation
amiable.
Gérer l’erreur médicale
Les solutions à ce mal qu’est l’erreur médicale peuvent être
duites des histoires racontées. Au-delà des facteurs humains
(sur lesquels nous reviendrons), il existe aussi des facteurs
d’erreurs médicales qui sont propres à notre système de soins.
Et on peut craindre, à la lumière de la réforme actuelle, qu’ils
se multiplient. Ils feront alors le bonheur des experts judicaires
comme des avocats qui gagneront bien mieux leur vie que
les médecins, comme aux États-Unis, modèle pour certains !
Individuellement
La première étape est de reconnaître l’erreur et de comprendre
les mécanismes qui y ont conduit. Ce n’est pas toujours
évident. On observe deux attitudes possibles. Les uns accep-
tent. Les autres réfutent, parfois point par point, avec une
mauvaise foi abracadabrantesque. Lerreur doit ensuite être
corrigée. Le patient doit si nécessaire en être informé, sous
peine d’une perte de confiance. Enfin, il faut être encore plus
attentif au risque d’une autre erreur.
Collectivement
Les erreurs doivent faire l’objet de réunions avec l’équipe
soignante pour partager, trouver les dysfonctionnements de
la chaîne décisionnelle et y remédier. Elles résultent souvent
de divers facteurs : un isolement médical, un défaut d’enca-
drement, un manque de dialogue, un grain de sable dans la
chaîne cisionnelle, une insuffisance (parfois de la suffisance)
médicale, une incohérence fonctionnelle, une absence de
direction.
Les erreurs ont souvent lieu le week-end ou pendant les
vacances, le pire étant les week-ends pendant les vacances.
Et ce nest pas un hasard. Il y a un manque d’encadrement
patent pendant ces périodes. Notre système médical est
excellent pour la formation dans le sens qu’il met à l’épreuve
des malades les médecins assez tôt dans leur cursus. Mais
ils doivent être encadrés par des juniors et des seniors qui
doivent donc être disponibles pour cela.
Prévenir l’erreur médicale
Connaître les erreurs classiques
Certaines erreurs classiques doivent être connues et ensei-
gnées : “un train peut en cacher un autre”, “avoir la syphilis et
le bureau de tabac” ou, autrement dit, une maladie peut être
associée à (ou en cacher) une autre. Parfois, il peut s’agir d’une
maladie rarissime, d’une complication évolutive inhabituelle,
d’une interaction médicamenteuse inattendue, d’un effet
indésirable mal connu. Il ne faut pas non plus attribuer au
“psychosomatique” des symptômes relevant d’une maladie
organique, tout en sachant que c’est parfois un art bien diffi-
cile de différencier les choses, et que cela nécessite souvent
une débauche d’examens complémentaires inutiles. Un autre
piège classique, chez de tels patients, est de savoir reconnaître
l’événement médical au sein de la cohorte des symptômes
fonctionnels habituels de ce malade.
Modestie, Disponibilité, compétence
Les erreurs médicales résultent aussi de certains défauts
propres à chacun d’entre nous. Le médecin se doit donc d’avoir
certaines qualités.
Mon Maître (en certains domaines), Marc Gentilini, avait pour
habitude, quand il accueillait les internes, de leur demander
quelle était, à leurs yeux, la qualité fondamentale d’un
médecin. Cela marchait bien. Les internes se faisaient avoir
à chaque fois. “La compétence, Monsieur !” Et lui de leur
répondre : “Non, la Modestie, avec un grand M.” Effective-
ment, une des qualités fondamentales d’un médecin est d’être
conscient des limites de ses compétences. “Savoir ce que l’on
sait, savoir ce que l’on ne sait pas, c’est savoir véritablement”
(Confucius, 551-479 av. J.-C).
Et la deuxième qualité d’un médecin ? “La compétence,
Monsieur !” Non (toujours pas), et il répondait : “la Disponi-
bilité, avec un grand D.” Quand il y avait, parmi ces nouveaux
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internes, un major de l’internat, non conscient qu’il devait
aussi sa place à la chance, il commençait à se demander
dans quel service il allait débarquer. Pourtant, la disponibi-
lité est aussi d’une importance majeure dans notre métier
pour écouter, examiner, discuter, expliquer, reconsidérer un
jugement, redresser une erreur.
Lécoute est aussi fondamentale. Il faut savoir entendre le
malade qui bien souvent apporte le diagnostic. Fred Siguier
(1909-1972), le père de la médecine interne en France, disait :
Je suis spécialisé en interrogatoire (des malades).” Ceci
rejoint la formule de William Osler (1849-1919), médecin
canadien et père de l’apprentissage clinique au lit du malade :
“Si vous écoutez attentivement le patient, il vous donnera
le diagnostic.” Et dans notre pratique quotidienne, cela reste
encore souvent vrai, surtout à l’époque d’Internet. Nous
devons toujours écouter attentivement nos patients : ils nous
donnent souvent le diagnostic.
La disponibilité nous permet aussi de garder le respect des
malades et des familles, en cas de problème. Une erreur médi-
cale sera d’autant mieux acceptée par le patient et sa famille
qu’ils sentiront que le médecin référent est resté disponible
et à l’écoute. Cela permettra aussi au médecin, responsable
de ses actes, de mieux l’assumer.
Mais il est à craindre que cette disponibilité soit de plus en
plus réduite. Car ce nest, à l’heure de la T2A, pas “rentable”
d’être disponible, pour écouter, examiner, expliquer. Il est
beaucoup plus “rentable” (apparemment pour la société, pas
pour le malade) de multiplier les examens complémentaires
inutiles et remboursés par la Sécurité sociale.
Et la troisième qualité d’un médecin ? Timidement, certains
des nouveaux internes (ils n’étaient plus très nombreux à
encore oser) essayaient encore la “compétence”. Et alors, il
leur répondait avec un grand sourire : “Oui, la compétence,
mais avec un petit c.” C’était son côté provocateur. Car il est
quandme nécessaire d’être compétent dans notre métier,
et il vaut mieux l’être avec un grand C.
Une formation à enrichir
Il nous faut donc aussi nous interroger sur la qualité des
médecins que nous formons, comme sur les compétences
pédagogiques des enseignants. Une formation seulement
fondée sur les sciences est-elle la plus adaptée pour sélec-
tionner les hommes modestes, disponibles et compétents
qui nous soigneront demain ? La sélection par la biophysique
et les mathématiques formerait-elle de meilleurs médecins
que la philosophie ou les sciences sociales, voire l’histoire ou
la psychologie ? Il y a certainement des choses à revoir. Et
certains doyens y réfléchissent d’ailleurs. L’histoire de la méde-
cine (celle d’Ignace Semmelweis, par exemple), la psychologie,
la philosophie, l’éthique devraient être (ré) introduites dans
l’enseignement, histoire de sélectionner, de nouveau, des
médecins philosophes autant que des médecins scientifiques.
La contribution à l’impact factor serait certes plus modeste,
mais la qualité humaine des médecins en serait certainement
meilleure (il nous faut encore croire que la médecine reste
un art, même si elle se sert de la science et de la technique
[formule volée à Iradj Gandjbakhch]).
Une fonction à revoir
Enfin, on nous demande actuellement beaucoup trop de
choses : consulter, encadrer, enseigner, administrer, lire, cher-
cher, publier et, maintenant, financer. Il est temps de recon-
naître que faire tout ceci en même temps n’est pas possible.
Il est temps d’adapter en conséquence notre système médical
et éducatif si nous ne voulons pas, à notre tour, être victime
un jour d’erreurs médicales.
1 Citation latine attribuée à Sénèque (4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.) mais formulée antérieure-
ment par Tite-Live et Cicéron puis reprise plus tard par Augustin d’Hippone.  
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