VHB et résistance à la lamivudine : implications cliniques et thérapeutiques D

DOSSIER PHARMACOLOGIQUE ADÉFOVIR
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VII - janvier-février 2004 51
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
VHB et résistance à la lamivudine :
implications cliniques et thérapeutiques
V. Ratziu*
L
e traitement de l’hépatite chronique B a été transformé
par l’introduction de la lamivudine dans un arsenal thé-
rapeutique jusque-là très restreint, limité essentielle-
ment au seul interféron. Sa parfaite tolérance a rendu possible
des traitements prolongés, qui ont abouti à une profonde inhibi-
tion virale. Cela a permis de sauver des vies (1) et, chez bon
nombre de malades, d’améliorer considérablement les lésions
histologiques (2), parfois même au stade de cirrhose (3). Cepen-
dant, cela est survenu au prix d’échappements thérapeutiques dus
à l’apparition de mutants résistants.
ÉPIDÉMIOLOGIE CLINIQUE ET MOLÉCULAIRE
L’incidence de ces mutants est proportionnelle à la durée du traite-
ment : 17 % à 32 % des patients après un an de traitement, 38 % après
deux ans, 49 % après trois ans et 66 % après quatre ans (4-6).
Chez les patients présentant une hépatite chronique sans AgHBe
(infectés par des mutants précore), il a été rapporté, sur un faible
nombre de cas, une incidence encore plus élevée, pouvant
atteindre 56 % après deux ans de traitement (7). Les mutants
résistants apparaissent au plus tôt entre le 4eet le 7emois du trai-
tement par la lamivudine (7). Des cas survenant encore plus pré-
cocement (dès la 12esemaine de traitement) ont été rapportés (8),
mais il est vraisemblable que, dans ces cas, les souches virales
mutées préexistaient au traitement par la lamivudine (9). Récem-
ment, la présence de ces souches mutées a pu être mise en évi-
dence chez des patients hémodialysés infectés par le VHC, en
l’absence même de l’AgHBs (10). Elles pourraient ainsi être res-
ponsables d’un certain nombre de cas d’hépatite B “occulte”.
Chez ces patients, il est peu probable que les virus mutés aient
été sélectionnés spontanément, en l’absence de la pression de
sélection induite par un traitement antiviral. Plus vraisemblable-
ment, ils ont été transmis par des sujets infectés par le VHB pré-
sentant un échappement viral sous lamivudine (11). Les impli-
cations de ces données, en particulier pour la résistance primaire
à la lamivudine, restent à établir.
La probabilité de survenue de ces mutations est augmentée en
cas de forte réplication virale et en présence d’un taux élevé
d’ALAT avant traitement (12, 13) ainsi que d’une inhibition
incomplète de la réplication virale en cours de traitement (13, 14).
Ainsi, il a été montré que la persistance d’une réplication virale
résiduelle de plus de 1 000 copies/ml après six mois de traitement
par la lamivudine entraîne la sélection de mutants résistants dans
62 % des cas alors que cette proportion n’est que de 13 % si la
réplication est en dessous de ce seuil (13). Ces facteurs non seu-
lement augmentent la probabilité de survenue des mutants, mais
également raccourcissent leur délai de survenue (12, 13). Un traite-
ment préalable par le famciclovir favorise et écourte le délai d’appa-
rition des mutants résistants (15, 16).
Les mutations induites par la lamivudine surviennent dans le
domaine de la polymérase/transcriptase inverse du gène de la
polymérase du VHB. La plus fréquente de ces mutations se pro-
duit dans le motif YMDD, qui fait partie du site catalytique de la
polymérase : il s’agit de la mutation M552V/I résultant du rem-
placement d’une méthionine par une valine ou par une isoleu-
cine. Cette mutation entraîne une réduction de la sensibilité de
la souche mutée à la lamivudine (17) tout en ayant une capacité
réplicative moindre que la souche sauvage (18). Cela explique
pourquoi la charge virale des patients ayant développé un mutant
YMDD est plus faible que celle avant traitement. Souvent, cette
mutation M552V/I survient en association avec une autre muta-
tion, la L528M (19), située au niveau d’un domaine adjacent qui
fait également partie du site catalytique de la polymérase du VHB.
L’association de ces deux mutations a pour effet de diminuer encore
plus la sensibilité à la lamivudine avec, cette fois-ci, une aug-
mentation considérable de la capacité réplicative du virus muté,
qui atteint un niveau comparable à celui du virus sauvage. Les
variants YMDD pourraient ne pas être les seules souches virales
résistantes ayant une pertinence clinique. Une grande hétérogé-
néité de souches virales mutées qui résistent à la lamivudine a été
rapportée, correspondant à de nombreuses autres mutations mino-
ritaires et pouvant expliquer des résistances croisées entre diffé-
rents antiviraux (16). L’apparition séquentielle de ces différentes
souches virales mutées et résistant à la lamivudine peut s’accom-
pagner de poussées répétées de cytolyse qui perpétuent l’hépa-
tite chronique malgré la poursuite de la lamivudine (20).
Le mécanisme de la résistance à la lamivudine semble être un
encombrement stérique, empêchant son accès au site catalytique.
Cet encombrement stérique est le résultat du changement de la
structure tridimensionnelle entraîné par la substitution des acides
aminés. Le même mécanisme est également responsable de la résis-
tance croisée aux autres antiviraux de la classe des L-nucléosides,
comme la telbivudine (L-dT), l’entécavir, l’emtricitabine ou la
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clévudine. La seule molécule gardant une activité antivirale à la
fois sur la mutation M552V/I et sur la double mutation M552V/I :
L528M est l’adéfovir dipivoxil : la flexibilité de sa structure tri-
dimensionnelle lui permet de s’adapter à la conformation de la
protéine mutée.
PROFIL ÉVOLUTIF ET IMPLICATIONS CLINIQUES
L’apparition de souches virales mutées (résistance génotypique)
est, la plupart du temps, suivie d’une ascension des taux de VHB-
ADN définissant l’échappement viral (résistance phénotypique).
Le délai entre ces deux événements est de un à quatre mois, en
moyenne trois mois (13, 21). L’échappement viral survient typi-
quement après une période plus ou moins prolongée d’inhibition
profonde, voire de négativation de la réplication virale. Mais il
peut également avoir lieu après une baisse initiale incomplète de
la réplication virale et, bien entendu, dans ce cas, le problème de
l’observance thérapeutique se pose avec acuité. L’apparition des
mutants peut se faire malgré la séroconversion anti-HBe. L’arrêt
de la lamivudine entraîne la disparition de la souche mutée avec
réapparition majoritaire de la souche sauvage (21), parfois au prix
d’une poussée d’hépatite clinique sévère. La réintroduction de la
lamivudine s’accompagne alors d’une réapparition encore plus
rapide de la souche résistante (22).
L’impact clinique des mutants a été débattu et les résultats sou-
vent discordants peuvent s’expliquer par la courte durée de suivi
des observations initiales et par l’absence de gravité de l’hépato-
pathie sous-jacente des patients inclus dans les phases d’exten-
sion des essais pivotaux. Plusieurs arguments ont initialement
plaidé contre l’absence de gravité des mutants YMDD. Le pre-
mier était le caractère asymptomatique et transitoire de ces
mutants. En effet, les observations initiales faisaient état d’un
échappement viral sans élévation des transaminases, avec une
réascension de la charge virale à un niveau moindre qu’avant trai-
tement (23). Dans une minorité de cas, l’émergence de ces
mutants n’était que transitoire (24), puisqu’elle était suivie d’une
cessation de la réplication virale (7), surtout pour ceux chez qui
elle avait entraîné une poussée clinique (exacerbation) d’hépa-
tite (23). En réalité, avec des durées de suivi plus longues, tous
les patients ayant eu un échappement viral semblent développer
une élévation des transaminases, même si celle-ci peut parfois
être retardée de un an, voire de deux, d’où la nécessité d’une sur-
veillance prolongée (25).
Le deuxième argument était qu’en dépit de l’apparition de mutants
résistants, d’une part une séroconversion anti-HBe pouvait sur-
venir (6) et, d’autre part, il n’y avait pas d’aggravation histologique
par rapport au début du traitement (26). Cependant, un suivi plus
long, d’au moins un an après la détection de la souche mutée, a
démontré une aggravation histologique avec augmentation du
score total de Knodell et perte de l’amélioration histologique obte-
nue pendant la première année de traitement (6). De plus, des tra-
vaux ultérieurs ont retrouvé un taux négligeable de séroconver-
sions anti-HBe après apparition des souches mutées (12, 13).
Incontestablement, l’émergence des mutants résistant à la lami-
vudine peut entraîner une insuffisance hépatique sévère. Des cas
d’insuffisance hépatique (12, 23), parfois fatale (27), ont ainsi été
rapportés. Ils peuvent survenir chez les patients atteints d’hépatite
chronique avec ou sans AgHBe (28). Certains arguments plaident
même en faveur d’une virulence plus élevée des virus résistant à
la lamivudine qui ont la mutation précore (7, 29). D’autres ont
décrit des cas de décompensation sévère chez les patients immu-
nodéprimés (30-32). La présence d’une cirrhose, même compen-
sée, expose le patient au risque de réactivation sévère, entraînant
parfois une insuffisance hépatique menant au décès en dépit du
contrôle de la réplication virale (33). L’ensemble de ces données
montre que, même si l’émergence des mutants résistant à la lami-
vudine n’a pas toujours de traduction clinique et peut rarement
entraîner une inhibition prolongée de la réplication virale, elle
s’accompagne la plupart du temps d’une aggravation histologique
et elle est susceptible d’être responsable de poussées aiguës
d’hépatite sévère.
STRATÉGIES DE PRISE EN CHARGE
Indications thérapeutiques
Celles-ci sont à adapter à l’hépatopathie sous-jacente, c’est-à-dire
essentiellement au stade de fibrose, et à la fonction hépatocellu-
laire. La situation le plus à risque est l’existence d’une cirrhose,
surtout si une insuffisance hépatocellulaire était présente au
moment de l’initiation du traitement par la lamivudine. En effet,
il y a alors un risque majeur de décompensation rapide de la cir-
rhose à l’occasion de la poussée d’hépatite induite par l’émer-
gence du mutant résistant. Un retard à l’initiation d’une nouvelle
thérapeutique antivirale visant à contrôler la réplication de la
souche mutée est susceptible d’avoir des conséquences fatales :
l’insuffisance hépatique, une fois constituée, peut évoluer vers le
décès, indépendamment du contrôle de la réplication virale (33).
Le traitement par la lamivudine des patients ayant une cirrhose
doit donc être surveillé à intervalles très rapprochés (tous les
3 mois) par une PCR quantitative à haute sensibilité (200 à
400 copies). La réapparition d’une réplication virale, supérieure
à log3(1 000 copies/ml) doit entraîner l’initiation rapide d’un
traitement antiviral efficace sur les souches résistant à la lami-
vudine.
Il est des cas moins à risque d’hépatite chronique, avec peu de fibrose
et d’activité ainsi qu’une fonction hépatocellulaire normale avant
le début du traitement par lamivudine. La conduite à tenir n’est pas
standardisée dans ces cas, mais elle pourrait reposer sur l’inten-
sité de la réplication virale avant le début du traitement. En cas de
réplication virale marquée (arbitrairement log5), on peut craindre
que son arrêt entraîne une poussée d’hépatite due au retour de la
souche sauvage et une aggravation des lésions histologiques.
Dans ces cas, il paraît prudent de relayer la lamivudine par un
autre antiviral actif sur les souches résistantes. S’il y a une répli-
cation virale faible (arbitrairement log4), l’arrêt de la lamivudine
pourrait être envisagé, avec une surveillance des taux de VHB-
ADN. La reprise d’un traitement antiviral ne sera étudiée qu’en
cas de rebond de la réplication virale à des taux supérieurs aux
taux préthérapeutiques. L’utilisation d’un antiviral actif sur les
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souches résistant à la lamivudine est alors nécessaire car le retrai-
tement par la lamivudine entraîne habituellement la réapparition
plus rapide des résistances.
Antiviraux efficaces sur les mutants
résistant à la lamivudine
L’adéfovir dipivoxil inhibe la réplication virale des souches résis-
tant à la lamivudine avec la même efficacité que les souches sau-
vages (30, 34, 35). Par exemple, chez les patients co-infectés par
le VIH, l’adéfovir dipivoxil entraîne une inhibition durable et
progressive de la réplication virale, d’au moins 4 log à un an (35)
et de 5,5 log à trois ans (36), sans échappement viral pour le VHB
ni mutations de la transcriptase inverse pour le VIH (36). Après
un an de traitement, cette inhibition peut s’accompagner, dans
11 % des cas, d’une séroconversion anti-HBe (37) chez les patients
infectés par le seul VHB.
La question de l’arrêt de la lamivudine, après institution du trai-
tement par l’adéfovir, n’est pas résolue. L’association des deux
antiviraux n’entraîne pas une inhibition de la réplication virale
plus profonde ou plus rapide que celle obtenue par l’adéfovir
seul. En effet, une étude randomisée récente a montré qu’après
un an de traitement, la baisse médiane du VHB-ADN était de 3,6 log
chez les 20 patients traités par la bithérapie adéfovir-lamivudine
et de 4 log chez les 19 patients traités par adéfovir en monothé-
rapie (37). Il n’y a pas de différence non plus pour ce qui est de
la proportion des patients normalisant le taux de transaminases
(53 % versus 47 %, respectivement) (37). Une attitude répandue,
bien que non validée spécifiquement, consiste à conserver la lami-
vudine pendant les trois premiers mois du traitement par l’adé-
fovir ou jusqu’à l’obtention d’une baisse significative de la charge
virale.
Mis à part l’adéfovir, d’autres molécules pourraient avoir une
action antivirale sur les mutants résistant à la lamivudine. L’effi-
cacité antivirale du ténofovir disoproxil fumarate (un analogue
nucléotidique ayant une forte activité antivirale contre le VIH (38))
semble être équivalente à celle de l’adéfovir (39) et des résultats
préliminaires ont confirmé une baisse de la virémie VHB de
3,8 log après six mois de traitement chez des patients co-infectés
VIH-VHB (40). Le famciclovir n’est pas une substance de choix,
en raison de son efficacité antivirale inconstante sur les souches
résistant à la lamivudine (12) et des résistances croisées possibles.
Dans quelques cas, l’interféron administré quotidiennement a eu
une efficacité antivirale sur les souches résistantes (12), mais cela
n’a pas été confirmé chez les patients asiatiques (41) et les effets
secondaires rendent son utilisation complètement inadaptée aux
cas sévères.
Prévention de l’émergence des mutants résistants
La gravité potentielle des mutants résistant à la lamivudine et la
description récente de mutants résistant à l’adéfovir rendent
nécessaire une réflexion sur la meilleure stratégie à adopter : trai-
tement successif par des antiviraux actifs sur les souches mutées
au fur et à mesure de leur apparition ou prévention de l’émer-
gence des mutants à l’instar des stratégies pharmacologiques dans
l’infection par le VIH ? Certes, l’incidence des mutants résistant
à l’adéfovir est faible (42, 43) et leur apparition tardive, mais ils
peuvent entraîner une hépatite symptomatique et, surtout, ils sont
sensibles à la lamivudine (44) ainsi qu’à d’autres antiviraux bientôt
disponibles, comme l’entécavir et l’emtricitabine (45). D’où le
regain d’intérêt pour des associations d’antiviraux visant à prévenir
ou minimiser l’émergence de mutants résistants. Pour l’instant,
seules deux études suggèrent que l’association séquentielle (46)
ou concomitante (47) de l’interféron et de la lamivudine pourrait
diminuer l’apparition de mutants résistant à la lamivudine. La
réussite de cette stratégie repose en grande partie sur la capacité
des antiviraux à entraîner une inhibition profonde et prolongée
de la réplication virale. L’adéfovir et les nouveaux antiviraux
actuellement en phase d’étude clinique sont donc les molécules
de choix pour ces futures combinaisons thérapeutiques.
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