L’ Thérapies ciblées anti-EGFR : traitement à la carte ? DOSSIER THÉMATIQUE

240 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n°6 - juin 2008
DOSSIER THÉMATIQUE
Journée de la FFCD
Thérapies ciblées anti-EGFR :
traitement à la carte ?
Anti-EGFR targeted therapy: a tailored treatment?
F. Di Fiore*
* Unité d’oncologie uro-digestive,
pôle viscéral, hôpital Charles-Nicolle,
Rouen.
L’
émergence des thérapies ciblées a radicale-
ment modifié la prise en charge des patients
atteints de cancer, et le ciblage thérapeu-
tique de ces nouvelles molécules représente actuelle-
ment un défi majeur en oncologie. Si la connaissance
des principaux critères cliniques, radiologiques et
anatomopathologiques reste incontournable, le trai-
tement à la carte des patients ne sera possible que si
les principales altérations moléculaires des cellules
tumorales sont identifiées et prises en compte dans
la classification des tumeurs. Les voies biologiques
du cancer ne sont pas encore totalement élucidées,
mais il est admis qu’un nombre limité d’altérations
génétiques concourt au phénotype tumoral, parmi
lesquelles on retrouve les voies de transduction,
et en particulier celle de l’epidermal growth factor
(EGF) [1-4]. Il existe actuellement deux classes de
molécules visant à inhiber les voies de transduc-
tion : les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs
pharmacologiques. Les anticorps monoclonaux agis-
sent au niveau du ligand ou du site de fixation extra-
cellulaire du récepteur tyrosine kinase. Les inhibiteurs
pharmacologiques agissent en inhibant la fixation
de l’adénosine triphosphate (ATP) sur le domaine
effecteur intracellulaire du récepteur tyrosine kinase.
Le rationnel des molécules ciblées est d’interférer
sur la transduction de signaux impliqués dans la
prolifération, la différenciation, la néo-angiogenèse
et le potentiel métastatique des cellules tumorales.
Ces signaux naissent de l’interaction spécifique entre
un ligand (hormones, cytokines ou facteurs de crois-
sance) et un récepteur tyrosine kinase cellulaire.
La transduction de ces signaux vers le noyau est
ensuite transmise par une cascade de protéines
intracellulaires impliquant principalement la voie
MAP kinase-RAS/RAF et Pi3 kinase (5).
L’objectif du ciblage thérapeutique est donc de
déterminer quelles sont les altérations qui, situées
sur ces voies sont susceptibles d’interférer avec la
sensibilité de la molécule ciblée.
Thérapies ciblées anti-EGFR
et résultats cliniques
L’EGFR, ou HER1, glycoprotéine transmembranaire
de la famille ErbB, est composé d’un domaine
extracellulaire assurant la fixation avec le ligand
EGF, d’un domaine transmembranaire et d’un
domaine effecteur tyrosine kinase intracellulaire.
Les 3 autres récepteurs de la famille HER sont HER2
ou C-erbB2, HER3 et HER4. Schématiquement, la
fixation du ligand (EGF, TGFα principalement) sur
l’EGFR entraîne, après homo- et/ou hétérodimé-
risation du récepteur avec d’autres membres de
la famille ErbB tels que ErbB2R, l’activation par
phosphorylation du domaine intracellulaire, et du
même coup celle des effecteurs cytoplasmiques des
voies MAP kinase-RAS/RAF et Pi3 kinase impliqués
dans la prolifération, la migration, l’adhésion et
la différenciation cellulaire ainsi que dans l’apop-
tose (5). Le cétuximab et le panitumumab sont des
anticorps monoclonaux, l’un chimérique et l’autre
totalement humanisé, dont la cible est le domaine
extracellulaire de l’EGFR. En se fixant sur l’EGFR
par inhibition compétitive avec son ligand EGF,
l’anticorps a pour objectif d’inhiber les voies de la
prolifération tumorale induites par EGFR.
Chez les patients atteints d’un cancer colorectal
métastatique (CCRM), le cétuximab est considéré
comme une possibilité thérapeutique en première
ligne et après progression sous irinotécan. Létude de
La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n°6 - juin 2008 |241
Mots-clés
Cancer du côlon
Récepteur tyrosine
kinase
EGFR
Facteur prédictif
D. Cunningham et al. a inclus 329 malades présen-
tant un CCRM, ayant progressé sous irinotécan et
avec une expression positive de l’EGFR en immuno-
histochimie (IHC) [6]. Au total, 218 patients ont été
randomisés dans le bras comportant un traitement
par irinotécan plus cétuximab, et 111 patients dans
le bras cétuximab seul. Lobjectif principal de l’étude
était l’évaluation radiologique de la réponse tumo-
rale toutes les 6 semaines pendant 6 mois, puis
tous les 3 mois. En intention de traiter, une réponse
tumorale objective (réponse partielle + stabilité)
était observée chez 55% des patients ayant reçu le
traitement combiné irinotécan-cétuximab, versus
32,4% des patients traités par cétuximab seul
(p < 0,001). Le temps médian jusqu’à progression
était de 4,1 mois pour le traitement combiné versus
1,5 mois pour la monothérapie (hazard-ratio [HR] :
0,54 ; IC95 : 0,42-0,71 ; p < 0,001). La survie globale
n’était pas différente. Il nexistait pas de corrélation
entre le degré d’expression de la protéine EGFR
en IHC et la réponse tumorale. Par ailleurs, dans
le groupe ayant reçu le traitement combiné irino-
técan-cétuximab, la réponse au traitement était
plus fréquente chez les patients présentant une
toxicité cutanée au cétuximab de type acné ou
éruption maculo-papuleuse du visage et du torse
(25,8 % versus 6,3 %, p = 0,005).
Les résultats de l’essai de phase III testant l’asso-
ciation FOLFIRI-cétuximab par rapport au FOLFIRI
en première ligne ont été communiqués à l’ASCO
en 2007 (7). Un total de 599 patients étaient inclus
dans chaque bras de traitement, et l’objectif principal
était la survie sans progression. Une réponse tumo-
rale objective était observée chez 46,9 % des patients
ayant reçu FOLFIRI-cétuximab, versus 38,7% des
malades traités par FOLFIRI (p= 0,005). Le temps
médian jusqu’à progression était de 8,9 mois pour
les patients traités par FOLFIRI-cétuximab, contre
8 mois pour ceux traités par FOLFIRI (HR: 0,851 ;
IC
95
: 0,72-0,99; p=0,0479). Les résultats de survie
globale sont en attente.
Une étude randomisée a évalué le bénéfice du
panitumumab chez des patients atteints de CCRM
progressant sous chimiothérapie (8). Un total de
231 patients étaient traités par panitumumab et
soins de support versus 232 traités par soins de
support seuls. À 1 an, le taux de réponse était de
10 % dans le groupe panitumumab versus 0% dans
le groupe soins de support seuls (p < 0,0001). La
survie sans progression était de 8 semaines dans
le groupe panitumumab, versus 7,3 semaines (HR:
0,54 ; IC
95
: 0,44-0,66 ; p < 0,0001). La survie globale
n’était pas différente.
Thérapies ciblées anti-EGFR
et facteurs prédictifs
L’expression du récepteur EGF en IHC, l’amplification
du gène EGFR et les mutations du gène KRAS ont
été les marqueurs les plus souvent étudiés, mais
des études récentes ont ouvert de nouvelles pistes
potentielles très intéressantes.
L’étude de l’expression de l’EGFR en IHC et celle de
l’amplification du gène EGFR par fluorescence par
hybridation in situ (FISH) reposaient sur le même
rationnel, celui d’une meilleure sensibilité au traite-
ment en cas de surexpression du récepteur EGFR ou
d’amplification du gène EGFR. Des études portant
sur l’IHC EGFR et menées chez des patients traités
par cétuximab pour un CCRM ont particulièrement
illustré le manque de performance de l’IHC dans le
ciblage thérapeutique (9, 10), mettant en évidence
chez certains patients une réponse au traitement
malgré l’absence d’expression en IHC de la protéine
EGFR au sein de la tumeur. En 2005, M. Moroni et
al. ont étudié la réponse aux anti-EGFR en fonction
de l’amplification du gène EGFR et des mutations
des gènes KRAS, BRAF et Pi3 kinase sur une série de
31 patients atteints de CCRM (11). Dans cette étude,
la réponse au traitement n’était pas liée aux muta-
tions des gènes étudiés, alors que l’amplification de
l’EGFR était un marqueur prédictif de la réponse
aux anti-EGFR. Toutefois, les résultats des autres
études sur le sujet suggèrent que le rôle prédictif de
l’amplification du gène EGFR reste débattu (12-18).
Il semble en effet que l’une des principales limites
actuelles réside dans les modalités d’interprétation
de la FISH, qui restent hétérogènes au regard tant
du nombre de noyaux tumoraux analysés que des
méthodes d’analyse (polysomie, amplification du
gène EGFR, etc.).
Le proto-oncogène KRAS est muté dans environ 40 %
des cancers colorectaux. Les mutations sont situées
dans plus de 90 % des cas sur les codons 12 et 13 de
l’exon 2, et entraînent une activation continue de la
protéine vis-à-vis de ces effecteurs situés en aval. À
ce jour, le rôle prédictif des mutations du gène KRAS
dans la non-réponse aux anti-EGFR fait l’objet de
9 études rétrospectives et d’une étude randomisée,
la majorité des patients ayant reçu au minimum
une ligne de chimiothérapie avant de recevoir le
traitement anti-EGFR (11-13, 19-24). Toutes ces
études, excepté une, ont clairement mis en évidence
une association significative entre la présence d’une
mutation du gène KRAS dans la tumeur et une non-
réponse au traitement par anti-EGFR. Le lien entre
les mutations du gène KRAS et la non-réponse aux
Keywords
Colon cancer
Tyrosine kinase receptor
EGFR
Predictive factor
242 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n°6 - juin 2008
Thérapies ciblées anti-EGFR :
traitement à la carte ?
DOSSIER THÉMATIQUE
Journée de la FFCD
anti-EGFR est donc actuellement clairement établi
chez les patients traités en deuxième ligne ou plus
du CCRM, les données relatives au traitement de
première ligne (étude CRYSTAL) n’étant pas encore
disponibles. La recherche de la mutation chez ces
patients représente donc une avancée majeure
dans la prise en charge thérapeutique “à la carte”
et doit rapidement être généralisée. Elle peut être
réalisée sur ADN extrait de blocs fixés en paraffine ou
congelés, et est actuellement réalisée en routine dans
certains CHU (hôpital européen Georges-Pompidou,
CHU de Rouen, etc.).
D’autres études ont récemment fait état de résultats
intéressants sur de nouvelles pistes dans le ciblage
de la voie EGF. Les altérations du gène suppresseur
de tumeur PTEN, impliqué dans la régulation de la
voie PI3K/Akt, ont été identifiées comme étant un
marqueur de résistance aux anti-EGFR, dans une
étude portant sur une petite série de 27 patients
(13). Il semble par ailleurs que le taux d’expression
des ligands de la voie EGF puisse être directement
corrélé à l’importance de la voie dans le processus
tumoral et, par conséquent, à l’effet du traitement
anti-EGFR (24). Enfin, une étude de pharmacogé-
nomique a suggéré que l’intensité de la réponse
immunitaire antibody-dependent cell-mediated cyto-
toxicity (ADCC) induite par la présence d’anticorps
anti-EGFR pouvait être modulée par la présence de
polymorphismes constitutionnels modifiant l’affi-
nité des fragments FC des récepteurs des cellules
immunes (25). De nouvelles études sont donc néces-
saires, d’une part, pour confirmer la pertinence de
ces nouvelles hypothèses et, d’autre part pour déter-
miner clairement l’impact de ces altérations selon
le statut KRAS des patients traités par anti-EGFR
pour un CCRM. O
1. Hanahan D, Weinberg RA. The hallmarks of cancer. Cell
2000;100:57-70.
2. Vogelstein B, Kinzler KW. Cancer genes and the pathways
they control. Nat Med 2004;10:789-99.
3. Sjöblom T, Jones S, Wood LD et al. The consensus coding
sequences of human breast and colorectal cancers. Science
2006;314:268-74.
4. Wood LD, Parsons DW, Jones S et al. The genomic lands-
capes of human breast and colorectal cancers. Science 2007;
318:1108-13.
5. Cohen SJ, Cohen RB, Meropol NJ. Targeting signal trans-
duction pathways in colorectal cancer – more than skin
deep. J Clin Oncol 2005;23:5374-85.
6. Cunningham D, Humblet Y, Siena S et al. Cetuximab
monotherapy and cetuximab plus irinotecan in irinotecan-
refractory metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2004;
351:337-45.
7. Van Cutsem E, Nowacki M, Lang I et al. Randomized
phase III study of irinotecan and 5-FU/FA with or without
cetuximab in the first-line treatment of patients with metas-
tatic colorectal cancer (mCRC): the CRYSTAL trial. J Clin
Oncol 2007;25(Suppl. 18): abstract 4000.
8. Van Cutsem E, Peeters M, Siena S et al. Open-label
phase III trial of panitumumab plus best supportive care
compared with best supportive care alone in patients with
chemotherapy-refractory metastatic colorectal cancer.
J Clin Oncol 2007;25:1658-64.
9. Chung KY, Shia J, Kemeny NE et al. Cetuximab shows
activity in colorectal cancer patients with tumors that
do not express the epidermal growth factor receptor
by immunohistochemistry. J Clin Oncol 2005;23:
1803-10.
10. Hebbar M, Wacrenier A, Desauw C et al. Lack of useful-
ness of epidermal growth factor receptor expression deter-
mination for cetuximab therapy in patients with colorectal
cancer. Anticancer Drugs 2006;17:855-7.
11. Moroni M, Veronese S, Benvenuti S et al. Gene copy
number for epidermal growth factor receptor (EGFR) and
clinical response to antiEGFR treatment in colorectal cancer:
a cohort study. Lancet Oncol 2005;6:279-86.
12. Lievre A, Bachet JB, Le Corre D et al. KRAS mutation
status is predictive of response to cetuximab therapy in
colorectal cancer. Cancer Res 2006;66:3992-5.
13. Frattini M, Saletti P, Romagnani E et al. PTEN loss of
expression predicts cetuximab efficacy in metastatic colo-
rectal cancer patients. Br J Cancer 2007;97:1139-45.
14. Sartore-Bianchi A, Moroni M, Veronese S et al. Epidermal
growth factor receptor gene copy number and clinical
outcome of metastatic colorectal cancer treated with
panitumumab. J Clin Oncol 2007;25:3238-45.
15. Di Fiore F, Le Pessot F, Blanchard F et al. A predictive
markers of cetuximab (Erbitux) response in patients with a
metastatic colorectal cancer: Final Results of the Normandy
French Study. Gut 2007;56(Suppl.III):A45.
16. Italiano A, Follana P, Caroli FX et al. Cetuximab shows
activity in colorectal cancer patients with tumors for which
fish analysis does not detect an increase in egfr gene copy
number. Ann Surg Oncol 2007; [Epub ahead of print].
17. Cappuzzo F, Finocchiaro G, Rossi E et al. EGFR FISH assay
predicts for response to cetuximab in chemotherapy refrac-
tory colorectal cancer patients. Ann Oncol 2007; [Epub
ahead of print].
18. Personeni N, De Hertogh G, Störkel S et al. Outcome
prediction to cetuximab in advanced colorectal cancer:
analysis of EGFR and HER2 gene copy number by fluores-
cence in situ hybridization. J Clin Oncol 2007;25(Suppl.
18): abstract 10569.
19. Benvenuti S, Sartore-Bianchi A, Di Nicolantonio F et al.
Oncogenic activation of the RAS/RAF signaling pathway
impairs the response of metastatic colorectal cancers to
anti-epidermal growth factor receptor antibody therapies.
Cancer Res 2007;67:2643-8.
20. Di Fiore F, Blanchard F, Charbonnier F et al. Clinical
relevance of KRAS mutation detection in metastatic colo-
rectal cancer treated by cetuximab plus chemotherapy .
Br J Cancer 2007;96:1166-9.
21. De Roock W, Piessevaux H, De Schutter J et al. KRAS
wild-type state predicts survival and is associated to early
radiological response in metastatic colorectal cancer treated
with cetuximab. Ann Oncol 2007; [Epub ahead of print].
22. Lievre A, Bachet JB, Boige V et al. KRAS mutations as an
independent prognostic factor in patients with advanced
colorectal cancer treated with cetuximab. J Clin Oncol
2008;26:374-9.
23. Amado RG, Wolf M, Freeman D et al. Analysis of KRAS
mutations in patients with metastatic colorectal cancer
receiving panitumumab monotherapy. Eur J Cancer 2007;
5(Suppl. 6): abstract 7LB#.
24. Khambata-Ford S, Garrett CR, Meropol NJ et al. Expres-
sion of epiregulin and amphiregulin and K-ras mutation
status predict disease control in metastatic colorectal
cancer patients treated with cetuximab. J Clin Oncol
2007;25:3230-7.
25. Zang W, Gordon M, Schultheis AM et al. FCGR2A and
FCGR3A polymorphisms associated with clinical outcome
of epidermal growth factor receptor expressing metas-
tatic colorectal cancer patients treated with single-agent
cetuximab. J Clin Oncol 2007;25:3712-8.
Références bibliographiques
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !