ENSM-SE, 2° A : axe transverse P N 24/10/13
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Prologue
Un trop bref historique
Une remarque s’impose : la géologie et sa sœur
jumelle au combien plus âgée, l’astronomie, se distinguent
considérablement des autres sciences car l’expérience
qu’elles étudient est unique, et contient ses
expérimentateurs. Ni l’astronome ni le géologue ne peuvent
agir sur le milieu qu’ils étudient, pour des raisons d’échelle
de temps ou d’espace, et ils doivent donc se contenter de
l’observer ponctuellement de l’intérieur, à la rigueur le tester
en petit, au mieux le modéliser, à partir de données éparses ;
le risque de se tromper est donc grand ! Aussi, la collection
des informations sur des temps qui dépassent souvent la
durée de vie des observateurs a-t-elle joué et joue-t-elle
encore un rôle essentiel dans le progrès de ces sciences. La
bibliothèque d’Assurbanipal contenait au ∼VII° siècle des
tablettes astronomiques dont les plus anciennes remontent
sans doute au ∼
8
XX
°
siècle. Ces tablettes évoquent la marche
en zigzag des planètes par rapport aux constellations, et
contiennent des tables des éclipses passées, qui servaient à
prédire celles à venir. On comprend bien ici comment le
développement de ces sciences passe largement par le
stockage et l’analyse d’observations fiables, et donc
parallèlement par l’accroissement des performances des
instruments de l’observation. Toutefois, nous en arrivons
vite à un tel degré d’accumulation de résultats, de
multiplicité des méthodes d’études, que le nombre des
paramètres mesurés devient trop important pour que nous
puissions les appréhender dans leur ensemble. Cela nous
force souvent à recourir à l’image (e.g. les cartes), dont
« l’immanence » parle mieux à notre cerveau que de longues
colonnes de nombres. Néanmoins, pour bien comprendre les
systèmes naturels complexes, il devient urgent d’apprendre
à combiner l’ensemble des informations, en se dépouillant
de l’inutile par la sélection des observations, et en
confrontant l’information à la théorie éphémère, dans un
aller-retour ouvert et fécond sans hiérarchie de valeurs.
Porte ouverte ? Il n’est que de regarder par exemple nos
débats modernes qui rassemblent souvent Grands
Scientifiques et Politiques pour constater que l’argumentaire
idéologique est encore largement présent, et pas toujours
seulement chez le Politique !…
La représentation du monde dans nos civilisations
ouest-européennes est marquée très tôt par une double
démarche. D’un côté, comme l’écrit J.C. Ameisen en 2008 à
propos du vivant dans « Dans la lumière et les ombres »,
« la Genèse fige, une fois pour toute la diversité des espèces
vivantes. Et sépare radicalement la création de l’être
humain de la création de toutes les autres espèces… Tels
qu’ils sont, et demeureront, depuis l’origine ». Ainsi, le récit
fondamental des 3 grandes religions monothéistes, très
largement répandu maintenant, interprète-t-il notre univers à
8
~ = avant Jésus Christ ; AD = Anno Domini pour après
Jésus Christ.
partir d’une intention divine unique et définitive. Le
2°courant de pensée, hérité des Perses, développe, chez les
Grecs, la vision d’un monde habité par les hommes mais
aussi par les dieux et qui ne doit rien à ces derniers. Au ~V°
siècle, pour Anaxagore de Clazomènes, « rien ne se perd,
rien ne se crée, tout se transforme (maxime célèbre que lui
empruntera Lavoisier). Les êtres et la matière ne se
produisent ni ne se créent, mais se transforment. Pour lui,
tout est matière et chaque chose se compose des mêmes
éléments, qu’il aurait nommés atomes, mais en des
proportions différentes. Cette idée préfigure celles de
Démocrite, père de la théorie atomiste. Et le philosophe
généralise sa pensée, écartant un éventuel « intelligent
design » dans la nature : « ce n’est certes pas par réflexion
ni sous l’emprise d’une pensée intelligente que les atomes
ont su occuper leur place ; ils n’ont pas concerté entre eux
leurs mouvements. Mais comme ils sont innombrables […]
et qu’ils s’abordent et s’unissent de toutes les manières
possibles […] il est arrivé qu’après avoir tenté unions et
mouvements à l’infini, ils ont abouti enfin aux soudaines
formations massives d’où tirèrent leur origine ces grands
aspects de la vie : la Terre, le ciel, les espèces vivantes »
Ibid. Dès cette époque, entre ~VII° et ~IV° siècle, pendant
que la bible hébraïque prend la forme que nous lui
connaissons, se met en place en Grèce chez les
présocratiques une démarche scientifique pour laquelle tout
est toujours en train de naître = nature. Les philosophes
mettent l’observation au premier plan de leurs disciplines.
Elle conduira à des déductions très précoces qui auraient pu
nous protéger du géocentrisme…
La question de la forme de la Terre apparaît très tôt
dans l’esprit humain. A l’articulation des ~VII° et ~VI°
siècles avant JC, Thalès de Milet (vers ~625-547) se
préoccupait déjà d’une représentation de l’univers. Dans
celle-ci, la Terre était un disque flottant comme du bois sur
l’eau, dans un espace rempli d’eau, la « matière
primordiale ». On reconnaît souvent dans cette façon de
voir de Thalès l’influence des mythologies anciennes pour
lesquelles l’eau est un élément essentiel, tel le Nil des
égyptiens ou les deux océans inférieur et supérieur à
Babylone. C’est avec l’école de Milet que naît la rationalité ;
elle est la première à distinguer le naturel du surnaturel, et
pour Thalès, la description du monde n’est plus seulement
métaphysique (l’histoire d’une création) mais aussi une
connaissance physique. La recherche de causes naturelles
pour expliquer les phénomènes commence. Parallèlement, la
discussion logique des arguments devient une nécessité.
Anaximandre de Milet (~610-546), élève de Thalès,
est considéré comme le père de l’idée de « nature », c'est-à-
dire de naissance perpétuelle du monde. Pour lui l’origine
du monde n’est plus un point singulier dans le temps, mais
une perpétuelle naissance dont découle ce qui est ou sera. Il
vise à sortir les 4 éléments, l’air, la terre, l’eau et le feu de