Éditorial É ditorial Le narguilé et la guerre, vus et corrigés par le pneumologue Nargile and war seen and corrected by the pneumologist D # G. Khayat*, M. Waked** e la fumée de narguilé, dont il est question dans le numéro que vous avez entre les mains, à la fumée des bombardements aériens que nous avons subis durant le mois de juillet au Liban, il y a un pas qui semble énorme mais qui rétrécit au fil de la réflexion. Autour du narguilé se rassemblent des personnes venues partager le plaisir de tirer sur le tuyau et de voir s’envoler autour d’elles, dans la fumée exhalée qui s’estompe en volutes grises, les soucis de la vie quotidienne. Les destructions massives de nombreux édifices et les incendies provoqués par certaines des bombes employées sont autant de causes de majoration de la pollution atmosphérique. Les fumées et les poussières dégagées dans l’atmosphère irritent la muqueuse des bronches supérieures et inférieures malgré le blocus aérien empêchant tout transport par cette voie ! L’amiante dégagé par les immeubles réduits à des tas de poussière sera probablement inducteur de pathologies du système respiratoire. Ce plaisir cependant est porteur de problèmes de santé, notamment respiratoires. En effet, les répercussions pulmonaires secondaires à la consommation du narguilé sont de plus en plus certaines (1), particulièrement en ce qui concerne les pathologies bronchiques obstructives, mais aussi pour ce qui est des infections respiratoires à répétition et du cancer du poumon (2). La convivialité du narguilé et le barbotement de la fumée dans l’eau confortent les fumeurs dans l’idée que cet instrument de plaisir et de réunion ne peut être nocif ! Et pourtant… D’un autre côté, les bombardements poussent les membres d’une même famille, les habitants d’un même immeuble, les déplacés originaires d’une même région, à se réunir dans des lieux dits plus sûrs pour partager l’angoisse de l’incertitude. N’est-ce pas là un effet rassembleur ? De sorte que l’on entend souvent des phrases du type : “Il a fallu la guerre pour que nous nous rencontrions”, ou encore : “Faisons contre mauvaise fortune bon cœur et profitons du fait que nous soyons ensemble” ; ce qui pourrait laisser croire à un effet bénéfique de la guerre ! Et pourtant… N’allez pas croire pour autant que les malades font la queue aux portes de nos cabinets ou aux urgences de nos hôpitaux. Hormis les blessures de guerre, rien ne semble ébranler le fatalisme oriental de la population libanaise. Le sens des priorités a bien changé depuis ce fameux 12 juillet 2006. Alors que nous avions atteint un niveau de luxe et de fignolage, même dans la science, nous voilà en train de faire, de nouveau, nos premiers pas dans la vie normale. Au problème des carburants, qui impose aux hôpitaux de prendre des mesures drastiques pour fonctionner au quotidien, s’ajoute celui des malades vivotant le temps que la guerre se termine. Le patient asthmatique attendra l’état de mal asthmatique pour consulter. Les avis médicaux seront donnés au téléphone grâce à la résistance de la téléphonie mobile. Les échéances de toute pathologie reculeront… jusqu’à ce qu’on voie se presser à l’hôpital les complications qu’on aurait pu éviter si on avait vu les patients plus tôt. Quant aux personnes du troisième et du quatrième âge, elles attendront probablement la fin, dans une sagesse conceptuelle nouvelle. Alors il sera facile de déduire que les fumeurs désespérés de narguilé ne viendront nous voir que bien plus tard, lorsque l’éveil sera rude et la chute encore plus pénible. Oubliée alors, avec tout ça, la sentence : “faire contre mauvaise fortune bon cœur”. La fortune est trop mauvaise pour que le bon cœur suffise…N Par-delà le danger vital et les perturbations profondes de la vie quotidienne – dans toutes ses composantes – qui en résultent, et que nous n’aborderons pas ici, ces retrouvailles forcées sont surtout porteuses de problèmes de santé, notamment respiratoires. Le temps passé à consumer une cigarette après l’autre potentialise les effets néfastes du tabagisme actif aussi bien que ceux du tabagisme passif. * Pneumologue, chef de service de pneumologie, Hôtel-Dieu-de-France, Beyrouth, Liban. ** Pneumologue, présidente de la Société libanaise de pneumologie, Beyrouth, Liban. 176 LPN 5/2006.indd 176 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Knishkowy B, Amitai V. Water-pipe smoking may pose a significant health risk. Pediatrics 2005;116:113-9. 2. Chaouachi K. Shisha, hookah, le narguilé au XXIe siècle. Bref état des connaissances scientifiques. Le Courrier des Addictions 2004;(4):150-2. La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 8/11/06 10:19:33