D Le narguilé et la guerre, vus et corrigés par le pneumologue É

La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006
Éditorial
Éditorial
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Le narguilé et la guerre,
vus et corrigés par le pneumologue
Nargile and war seen and corrected by the pneumologist
# G. Khayat*, M. Waked**
De la fumée de narguilé, dont il est question dans le
numéro que vous avez entre les mains, à la fumée
des bombardements aériens que nous avons subis
durant le mois de juillet au Liban, il y a un pas qui semble
énorme mais qui rétrécit au fil de la réflexion.
Autour du narguilé se rassemblent des personnes venues
partager le plaisir de tirer sur le tuyau et de voir s’envoler
autour d’elles, dans la fumée exhalée qui s’estompe en volutes
grises, les soucis de la vie quotidienne.
Ce plaisir cependant est porteur de problèmes de santé,
notamment respiratoires. En effet, les répercussions
pulmonaires secondaires à la consommation du narguilé
sont de plus en plus certaines (1), particulièrement en ce
qui concerne les pathologies bronchiques obstructives, mais
aussi pour ce qui est des infections respiratoires à répétition
et du cancer du poumon (2). La convivialité du narguilé et le
barbotement de la fumée dans l’eau confortent les fumeurs
dans l’idée que cet instrument de plaisir et de réunion ne
peut être nocif ! Et pourtant…
D’un autre côté, les bombardements poussent les membres
d’une même famille, les habitants d’un même immeuble, les
déplacés originaires d’une même région, à se réunir dans des
lieux dits plus sûrs pour partager l’angoisse de l’incertitude.
N’est-ce pas là un effet rassembleur ? De sorte que l’on
entend souvent des phrases du type : “Il a fallu la guerre pour
que nous nous rencontrions”, ou encore : “Faisons contre
mauvaise fortune bon cœur et profitons du fait que nous
soyons ensemble” ; ce qui pourrait laisser croire à un effet
bénéfique de la guerre ! Et pourtant…
Par-delà le danger vital et les perturbations profondes de
la vie quotidienne – dans toutes ses composantes – qui en
résultent, et que nous n’aborderons pas ici, ces retrouvailles
forcées sont surtout porteuses de problèmes de santé,
notamment respiratoires. Le temps passé à consumer une
cigarette après l’autre potentialise les effets néfastes du
tabagisme actif aussi bien que ceux du tabagisme passif.
Les destructions massives de nombreux édifices et les incendies
provoqués par certaines des bombes employées sont autant
de causes de majoration de la pollution atmosphérique. Les
fumées et les poussières dégagées dans l’atmosphère irritent
la muqueuse des bronches supérieures et inférieures malgré
le blocus aérien empêchant tout transport par cette voie !
L’amiante dégagé par les immeubles réduits à des tas de
poussière sera probablement inducteur de pathologies du
système respiratoire.
N’allez pas croire pour autant que les malades font la queue
aux portes de nos cabinets ou aux urgences de nos hôpitaux.
Hormis les blessures de guerre, rien ne semble ébranler le
fatalisme oriental de la population libanaise. Le sens des
priorités a bien changé depuis ce fameux 12 juillet 2006. Alors
que nous avions atteint un niveau de luxe et de fignolage,
même dans la science, nous voilà en train de faire, de
nouveau, nos premiers pas dans la vie normale. Au problème
des carburants, qui impose aux hôpitaux de prendre des
mesures drastiques pour fonctionner au quotidien, s’ajoute
celui des malades vivotant le temps que la guerre se termine.
Le patient asthmatique attendra l’état de mal asthmatique
pour consulter. Les avis médicaux seront donnés au téléphone
grâce à la résistance de la téléphonie mobile. Les échéances
de toute pathologie reculeront… jusqu’à ce qu’on voie se
presser à l’hôpital les complications qu’on aurait pu éviter
si on avait vu les patients plus tôt. Quant aux personnes du
troisième et du quatrième âge, elles attendront probablement
la fin, dans une sagesse conceptuelle nouvelle. Alors il sera
facile de déduire que les fumeurs désespérés de narguilé ne
viendront nous voir que bien plus tard, lorsque l’éveil sera
rude et la chute encore plus pénible. Oubliée alors, avec
tout ça, la sentence : “faire contre mauvaise fortune bon cœur”.
La fortune est trop mauvaise pour que le bon cœur suffise…N
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Knishkowy B, Amitai V. Water-pipe smoking may pose a significant
health risk. Pediatrics 2005;116:113-9.
2. Chaouachi K. Shisha, hookah, le narguilé au XXIesiècle. Bref état des
connaissances scientifiques. Le Courrier des Addictions 2004;(4):150-2.
* Pneumologue, chef de service de pneumologie, Hôtel-Dieu-de-France, Beyrouth, Liban.
** Pneumologue, présidente de la Société libanaise de pneumologie, Beyrouth, Liban.
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