“ C La qualité des soins : mythe et réalité

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ÉDITORIAL
La qualité des soins : mythe et réalité
Quality of care: myth and reality
“
C
André Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris
© Images en Dermatologie,
2015;3:84-5.
omment améliorer la qualité des soins ? Le “manageur”
et le “consommateur éclairé” répondent en cœur :
“d’abord en la mesurant, puis en la payant”. Et l’économiste libéral
ajoute : “en optimisant le rapport qualité/coût grâce à la libre concurrence”.
Hélas, il n’est pas facile de transformer la qualité en quantité (“de faire
d’un tout un tas”, comme dirait Régis Debray) dès lors qu’il ne s’agit
pas d’appliquer simplement des procédures mais d’individualiser les
traitements en prenant en compte l’extrême variabilité des êtres humains
sur le plan biomédical et plus encore psychosocial. Si les “indices de
qualité” portent sur les résultats, ils incitent à sélectionner les patients ;
s’ils portent sur les procédures, ils entraînent des biais de comportements
opportunistes et ratent l’objectif. Verser de la solution hydroalcoolique
dans le lavabo améliore l’indice de lutte contre les infections nosocomiales
ICALIN ! L’expérience anglaise du Pay for Performance (P4P)
a montré que, pour remplacer la motivation intrinsèque des médecins
par une motivation financière extrinsèque, il fallait y mettre le prix !
Plus récemment, la Cour des comptes a estimé que la carotte au doux nom
de ROSP (Revenu sur objectif de santé publique) était trop sucrée et qu’il
serait judicieux d’y associer le bâton ! Et, surtout, on a vu que les médecins
avaient alors tendance à soigner les indices plutôt que les patients.
D’où, en retour, une certaine méfiance des patients : “Il m’a prescrit
un générique pour toucher la prime !”
Il est une autre voie qui ne repose pas sur la récompense financière
individuelle des acteurs mais qui s’appuie sur la motivation intrinsèque
des professionnels et sur la culture de l’évaluation pour l’amélioration
et non pour la sanction. Le premier critère est évidemment une activité
suffisante. Comme le sportif ou le musicien, le professionnel de santé
doit avoir un grand entraînement. Une grande expérience. Trentecinq heures par semaine avec repos compensateur, c’est un peu court
pour être au top, quand on sait que “ce qui est difficile en médecine,
ce sont les 80 premières années” ! Certes, la spécialisation accroît
l’expérience, mais elle en rétrécit le champ. D’où le deuxième critère
de qualité : l’indispensable travail en équipe avec des professionnels
médicaux et paramédicaux, en nombre suffisant, formés, reconnus
et respectés, habitués à travailler ensemble et à débattre collectivement
des difficultés rencontrées et des changements à apporter. C’est-à-dire
l’inverse du modèle “hôpital entreprise” mis en œuvre par la loi HPST,
réduisant le soin au respect de procédures, le soignant à des tâches
interchangeables et l’équipe à une chaîne de production. Corollaire :
lorsque le personnel soignant est en souffrance, l’absentéisme élevé
et la rotation des agents importante, on ne peut pas penser que cela est
sans effet sur la qualité des soins. Pour faciliter la cohésion de l’équipe,
il vaut mieux partager des objectifs, avoir une culture commune et un
mode de rémunération cohérent. Un chirurgien en secteur 2 avec de
gros dépassements d’honoraires et un anesthésiste salarié doivent avoir
quelque vertu pour travailler ensemble ! Le troisième critère de qualité
228 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 5 - septembre-octobre 2015
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ÉDITORIAL
est ­l’engagement de l’équipe dans l’évaluation et ses diverses facettes :
auto­é valuation, évaluation comparative entre équipes d’activités
comparables sur des critères décidés en commun, évaluation par
les usagers, par les patients, les collègues, les étudiants, les médecins
correspondants… Les médias ont le mérite de fournir des coups de
projecteur épisodiques en excitant la curiosité ; ils ont l’inconvénient
de déformer la réalité. Les effets de la publication de ces palmarès
semblent d’ailleurs concerner moins l’amélioration de la qualité
des soins que l’augmentation du nombre de journaux vendus.
Ce qui témoigne néanmoins d’une demande.
Reste la question du VIP réduit à juger de la qualité sur le montant
des dépassements d’honoraires payés par son assurance privée et du
rationaliste féru de statistiques qui rêve d’un classement des hôpitaux
et des services similaire à celui des hôtels et des restaurants : pour
les chirurgiens comme pour les grands chefs. Tous réclament un guide
officiel attribuant des étoiles. “Cela permettrait de réduire la pire
des inégalités, celle de l’information”, ajoute l’économiste. “Mais que
fait l’État ?” Interpellation légitime mais confuse ! L’État doit garantir
la sécurité de base en fermant les établissements et en interdisant
d’exercice les médecins dangereux pour la vie des patients, tout en
répartissant les moyens sur l’ensemble du territoire. Il doit interpeller
les professionnels sur leur programme d’actions pour améliorer la
qualité des soins et leur demander des explications sur la diversité
de leurs pratiques. Il ne peut pas et il ne doit pas classer les médecins
en distinguant les excellents, les très bons, les bons, les en progrès, etc.
C’est le rôle de chaque médecin traitant de premier recours de conseiller
son patient et de le piloter au mieux dans le système de soins.
Tout médecin de premier recours doit tisser des liens structurels
avec les spécialistes du deuxième recours. C’est même un des critères
de qualité du premier recours. Et c’est pourquoi la relation ­médecin/­
patient – et en l’­occurrence médecin traitant/patient – doit d’abord
reposer sur la confiance. En l’absence de confiance, il est vivement
conseillé au patient de changer de médecin. Hélas, en médecine
comme dans la vie, il n’y a pas de confiance sans risque de déception.
Mais la défiance de principe a toute chance de dégrader la qualité des soins.
Et lorsqu’il s’agit d’une urgence vitale, mieux vaut faire confiance.
On n’a d’ailleurs pas le choix !
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”
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