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SENAT - SEANCE DU 16 NOVEMBRE 1987
Dans tous les cas, mes chers collègues, l'illusion sur
laquelle ont vécu l'ensemble des économies occidentales
depuis six ans, celle d'une croissance à crédit, est déchirée.
De deux choses l'une, en effet : ou bien les Etats-Unis par-
viennent à résorber leur déficit, seul moyen d'enrayer la
hausse des taux d'intérêt, mais c'est l'expansion mondiale
qu'ils entraînaient qui fléchira, ou bien ces mêmes Etats-Unis
s'inclinent devant la sanction du marché et consentent à une
nouvelle baisse du dollar, mais celle-ci relancera l'inflation et
pourrait mettre le système monétaire européen à rude
épreuve. Or sa cohérence est le garant de la résistance que la
Communauté pourra opposer aux nouveaux chocs qui surgi-
raient demain, car le sort d'une monnaie est d'abord l'expres-
sion et la sanction d'une politique économique.
A cet égard, mes chers collègues, l'exemple des Etats-Unis
mérite d'être médité. La tempête boursière qui a secoué ce
pays n'a pas, comme certains feignent de le croire ou en tout
cas le disent, condamné l'expérience libérale engagée voilà
cinq ans par ce pays.
M. Gérard Delfau.
Elle l'a encouragée !
M. Maurice Blin,
rapporteur général.
Celle-ci a, en effet
- l'aurions-nous déjà oublié ? - assuré l'expansion de notre
économie et vaincu le chômage.
En revanche, cette tempête a sanctionné le laxisme des
pouvoirs publics qui, en diminuant l'impôt, n'ont pas voulu,
n'ont pas su ou n'ont pu diminuer en même temps la
dépense publique, d'où les gouffres des déficits du budget et
de la balance commerciale, le retour de l'inflation, la fuite
devant le dollar, la tension sur les taux d'intérêt, la menace
sur les parités monétaires.
Par la brèche ainsi créée, la spéculation s'est engouffrée.
Or, dès que la liberté économique s'emploie à spéculer plus
qu'à produire elle se condamne elle-même.
M. Marc Lauriol.
Très bien !
M. Maurice Blin,
rapporteur général.
Ainsi, des événe-
ments d'octobre, une leçon se dégage. Le sens des responsa-
bilités ne se partage pas. L'Etat qui le demande aux agents
économiques doit aussi en faire preuve. Il doit rester le
garant des grands équilibres, le gardien des règles du jeu.
Pour l'avoir oublié, les Etats-Unis le paient aujourd'hui et,
hélas ! nous avec eux.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai.
M. Maurice Blin,
rapporteur général.
Fort heureusement, la
cure de vérité dans laquelle vous avez engagé la France,
monsieur le ministre d'Etat, présente une nature bien diffé-
rente. Vous l'avez d'abord imposée à l'Etat. C'est pourquoi
elle nous paraît saine. Elle libère l'économie de ses entraves
mais elle n'abolit pas les règles qui lui servent de cadre. Elle
contribue, en outre, au renforcement de la cohésion euro-
péenne comme en témoigne le resserrement récent, mais qu'il
faut espérer durable, de la coopération économique et finan-
cière entre la France et la République fédérale d'Allemagne.
Cela dit, une question nous habite tous. la crise que tra-
verse le système économique mondial est-elle de nature à
remettre en cause les prévisions à partir desquelles a été
conçu le budget' de 1988 ? En vérité, mes chers collègues, les
indicateurs retenus relèvent de deux catégories bien diffé-
rentes.
Les premiers traduisent une continuité évidente entre le
budget de 1987 et celui de 1988 : une hausse des prix de
2,5 p. 100, un taux d'investissement de 3,7 p. 100, une crois-
sance modeste de la consommation de 1,5 p. 100, ces chiffres
paraissent raisonnables. Ils s'inscrivent, en effet, dans le pro-
longement des résultats obtenus cette année.
Deux autres, en revanche, paraissent plus aléatoires dans la
mesure où ils dépendent étroitement des relations de notre
économie avec un environnement international plus incertain
aujourd'hui qu'hier, en tout cas plus incertain aujourd'hui où
nous examinons le budget qu'hier où il fut conçu.
Le premier de ces indicateurs concerne le taux de crois-
sance du P.I.B., qui est prévu à 2,2 p. 100. Les événements
qui se sont produits cette année même conduisent à la pru-
dence. Initialement évalué à 2,8 p. 100, le PJ.B. ne croîtra
pas de plus de 1,5 p. 100 en raison do tassement de la prois-
sance mondiale survenu en cours d'année. Çette déconvenue
ne saurait certes vous être imputable, monsieur le ministre
d'Etat. Elle traduit simplement l'extrême dépendance où se
trouve un pays comme le nôtre, qui échange aujourd'hui plus
du quart de sa production avec le reste du monde, et vit
nécessairement à son rythme. Elle pourrait néanmoins se
reproduire cette année.
Le second indicateur concerne le pari que vous avez fait
touchant les bases mêmes de cette croissance. Elle devrait
porter non plus principalement sur la consommation comme
hier, mais sur l'investissement et l'exportation. Pari vertueux
que nous souhaitons vous voir gagner, mais, reconnaissons-le,
pari fragile.
Là encore, l'expérience de 1987 laisse perplexe. Nous espé-
rions une croissance de nos exportations de 4,8 p. 100. Elle
ne dépassera pas 1,5 p. 100.
Or, pour 1988, afin d'obtenir une croissance de 2,2 p. 100,
il faudrait que le montant de nos exportations augmente de
4,5 p. 100, alors que le commerce mondial ne devrait s'amé-
liorer que de 3 p. 100.
Certes, nos exportations se redressent depuis quelques
mois. D'ores et déjà, nous recueillons les fruits de la modéra-
tion de nos prix de revient et de la reconstitution des marges
des entreprises. Nos ventes de biens d'équipement, les plus
tragiquement déprimées, ont repris, et ce n'est pas un mince
résultat !
Mais nous ne corrigerons pas en un an la faille qui carac-
térise nos échanges et nous rend plus dépendants que
d'autres de pays du tiers monde, il faut bien le reconnaître,
souvent impécunieux.
C'est ainsi que le coût de la consolidation des dettes com-
merciales des Etats étrangers atteindrait l'an prochain plus de
huit milliards de francs, tandis que l'encours des prêts de la
banque française du commerce extérieur à ce titre augmente
régulièrement puisqu'il est passé de 22,15 milliards de francs
en 1985 à 26,4 milliards de francs pour 1986 et se montait. à
30,6 milliards de
.
francs au mois de juin de cette année. Or,
la hausse des taux d'intérêt, même si elle est partiellement
compensée par la baisse du dollar, ne peut qu'aggraver l'in-
solvabilité de certains de nos clients.
Telles sont, monsieur le ministre d'Etat, les inconnues qui
pèsent sur votre budget. Elles n'enlèvent rien à ses mérites
mais elles risquent d'en rendre l'exécution malaisée.
Effectivement, mes chers collègues, le budget de 1988 fera
date dans l'histoire de la Ve République.
Mme Hélène Luc..
Et de la super-austérité !
M. Maurice Blin,
rapporteur général.
Pour la première fois,
en effet, un Gouvernement s'est efforcé de mener de front
trois opérations tenues, à juste titre, pour difficilement com-
patibles. Il allège l'impôt sur les entreprises et les ménages de
31,8 milliards de francs, poursuivant ainsi la politique
engagée cette année. La réduction sera de 14,5 milliards de
francs pour les premières, dont 7 milliards de francs au titre
du remboursement de la T.V.A. sur le téléphone, et de
10,3 milliards de francs pour les seconds, auxquels s'ajoutent
6,9 milliards de francs au titre d'une baisse significative de la
T.V.A. sur les disques et les automobiles.
Cette dernière mesure vise à rapprocher notre fiscalité indi-
recte de celle des autres pays européens. Elle prend aussi en
compte l'harmonisation fiscale prévue par l'Acte unique
européen, à l'horizon de 1993.
Je ferai cependant une observation à son sujet. Ce nouvel
allégement de l'impôt sur le revenu, succédant aux mesures
qui ont conduit à exonérer, au cours des deux dernières
années, ,deux millions de contribuables supplémentaires,
pourrait soulever plusieurs difficultés.
Dans l'immédiat, nous semble-t-il, il risque d'accélérer la
tendance à la consommation déjà forte, comme en témoigne
le record atteint le mois dernier où le volume des ventes dans
le grand commerce a augnienté de 3,8 p. 100 sur sept ans. Il
peut en résulter une nouvelle poussée des importations qui
pèsera sur l'équilibre de notre balance commerciale.
Ensuite, il réduit encore la base - l'une des plus étroites
des pays d'Europe - de l'impôt sur le revenu, puisqu'aujour-
d'hui un contribuable sur deux, en France, y échappe.
Il accentue l'écart qui nous séparer de nos voisins chez qui
les parts de la fiscalité directe et de la fiscalité indirecte sont
beaucoup plus équilibrées.
Mais c'est surtout son incidence au niveau des choix bud-
gétaires qui peut poser problème. En effet, si l'Etat réduit
son train de vie - ce dont nous nous félicitons - il doit aussi,
plus que jamais, assumer les fonctions essentielles parmi les-