D O S S I E R Précision pronostique du cancer du col utérin grâce à l’étude du ganglion sentinelle Observation of the sentinel lymph node for a more accurate prognosis of cervix uteri cancers ! P. Drouin*, P. Gauthier*, J. Dubuc-Lissoir*, C. Lussier**, L. Laflamme***, D.M. Provencher* RÉSUMÉ. Entre 1999 et 2002 a été étudiée la technique du ganglion sentinelle chez 68 patientes présentant un cancer du col uté- rin aux stades IA2 à IB1. Par technique combinée colorimétrique et gamme détection ; 124 sites ganglionnaires ont été analysés représentant 134 ganglions. Aucun faux négatif n’a été observé ; des voies de drainages inhabituelles ont été notées. Cette technique pourrait à l’avenir être utilisée dans la prise en charge du col utérin. Des études prospectives multicentriques restent toutefois nécessaires. Mots-clés : Cancer du col utérin - Ganglion sentinelle. A u cours du dernier siècle, il y a eu une évolution progressive et importante dans le traitement du cancer du col utérin. Dans les années 1900, Schauta et Wertheim ont mis au point la technique de l’hystérectomie radicale, vaginale et abdominale. En 1930, Taussig rapportait l’importance des ganglions métastatiques dans le pronostic de la survie. Dans les années 1940, Wertheim et Meigs décrivaient la technique de la lymphadénectomie pelvienne. Au début des années 1990, la chirurgie radicale par laparoscopie fit son apparition dans le traitement du cancer du col utérin, et Dargent est l’un des principaux leaders dans ce domaine. En l’an 2000, on en est à l’évaluation de la technique du ganglion sentinelle dans le traitement de ce cancer. La technique du ganglion sentinelle a été validée et acceptée dans l’exercice d’un plan thérapeutique pour le mélanome et le cancer du sein. Depuis les années 1990, la faisabilité de cette technique dans le cancer de la vulve a été démontrée ; elle fait présentement l’objet de deux études prospectives, l’une aux États-Unis et l’autre en Europe. L’hôpital Notre-Dame du CHUM (Centre hospitalier de l’université de Montréal) participe actuellement au bras européen de l’étude. La fréquence d’un ganglion métastatique positif chez les patientes ayant un cancer du col utérin de stade IA2 et IB1 est de 10 à 15 %. Cela signifie que, dans 85 à 90 % des cas, on pourrait éviter une lymphadénectomie radicale et certains inconvénients, dont un temps opératoire plus long, des pertes *Service de gynécologie oncologique, **département de pathologie, *** département de médecine nucléaire, CHUM université de Montréal, 1560 Sherbrooke Est, Montréal (Québec), Canada H2L 4M1. (pierre.drouin. chum@ ssss.gouv.qc.ca). La Lettre du Gynécologue - n° 282 - mai 2003 sanguines, le risque de formation d’un lymphocèle ou lymphœdème, ou, encore, des complications accidentelles urologiques ou vasculaires. Dans le cancer du col utérin, le ganglion sentinelle trouve à s’appliquer en raison de la dissémination centrifuge du système lymphatique vers des sites spécifiques (ou bassins ganglionnaires lymphatiques) de la paroi latérale ou postérieure du pelvis. Une telle procédure augmente la précision de la détermination de la métastase ganglionnaire, et peut diminuer la morbidité reliée à une chirurgie radicale telle que la lymphadénectomie pelvienne et périaortique basse. Le cancer du col utérin est un bon candidat pour la technique du ganglion sentinelle, et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette technique pourrait éviter la lymphadénectomie dans la grande majorité des cas, comme mentionné plus haut. En second lieu, le ganglion métastatique ganglionnaire ne peut être localisé en se basant sur le type ou la localisation de la tumeur. Enfin, un diagnostic de l’état ganglionnaire par cette technique peut permettre soit une chirurgie moins agressive, soit un traitement de radiothérapie. Notre étude vise à évaluer l’utilité d’une telle technique et à découvrir les sites de drainage fréquents ou inusités du ganglion sentinelle dans le cancer du col utérin de stade IA2 ou IB1. MÉTHODES D’après les travaux publiés, le ganglion sentinelle peut être déterminé dans plus de 95 % des cas avec la combinaison des deux techniques suivantes : soit le colorant isosulfan bleu (lymphazurin), soit le produit radioactif, le technétium 99. Notre expérience avec les deux techniques est résumée ci-après. 19 D O S S I E R Avec l’emploi du colorant isosulfan bleu, les problèmes suivants sont à surveiller : " Le lymphazurin est un colorant bleu qui colore non seulement la peau, mais aussi l’urine. Cet effet de coloration de la peau donne une fausse lecture de l’oxymètre et peut ainsi induire en erreur sur l’état de la patiente l’anesthésiste non averti. " Il peut y avoir une réaction allergique sévère. Ce fut le cas lors de la chirurgie pratiquée sur une de nos patientes, ce qui a nécessité un séjour d’une durée de deux jours dans le service des soins intensifs, heureusement sans séquelles pour la patiente. Lorsque nous utilisons le technétium 99, le produit radioactif sulfuré est chauffé et filtré le matin même de la procédure avec une µspore d’une grosseur de 0,1 µm. Cela permet d’injecter le produit une à trois heures avant la procédure. La migration du produit radioactif vers les parois latérales du bassin est alors rapide et rend plus évidents les sites probables de ganglion(s) sentinelle(s) à la lymphoscintigraphie. Une fois le ganglion prélevé, on procède à la technique d’ultra-staging en pathologie. Notre pathologiste maîtrise bien cette technique, basée sur les protocoles américains et européens. Selon notre expérience, des micrométastases peuvent être détectées dans 10 à 30 % des cas. PROCÉDURES À l’hôpital Notre-Dame, notre expérience avec la détection du ganglion sentinelle dans le cancer de la vulve remonte à fin 1998. Un des auteurs (P. Drouin) avait fait un stage d’entraînement de deux mois à la technique pour le cancer du sein à l’institut Sloan Ketering Medical Cancer Centre (New York). Depuis lors, plus de 80 cas de cancers de la vulve ont été évalués par la technique du ganglion sentinelle. Les étapes de la procédure pour les cancers du col de stade IA2 et IB1 sont les suivantes : " lymphoscintigraphie : technétium 99 filtré (1-3 heures en préopératoire) ; " en préopératoire immédiat (10 minutes avant la chirurgie) : injection de Lymphazurin aux points 2, 4, 8, 10 heures sur le col utérin, autour de la tumeur ; " lors de la chirurgie : repérage visuel (bleu), gamma-détec- tion, exérèse, ratio (1/10, lit /ganglion sentinelle, lecture du radiotraceur) ; " en pathologie : examen extemporané et étude immunohistochimique. Depuis 1999, nous avons documenté cette technique du ganglion sentinelle chez 68 patientes consécutives du stade IAI et IB1 ayant un cancer du col utérin. Il faut souligner que dans notre centre, la plupart des patientes ont une investigation d’imagerie avant la chirurgie radicale soit, une tomographie axiale ou une résonance magnétique. Si une adénopathie est dépistée, une biopsie percutanée du ganglion suspect est effectuée. Si le résultat de la biopsie de ce ganglion est positif et démontre une ou des métastases, la patiente sera alors traitée par radiothérapie avec une chimiothérapie de sensibilisation. RÉSULTATS Depuis 1999, nous avons détecté 124 sites ganglionnaires (bassins) représentant 134 ganglions chez 68 patientes consécutives ayant un cancer du col utérin de stade IA2 et IB1 (tableau I). Périaortique 5 Présacré Iliaque commun Droit Iliaque commun 5 1 1 2 2 4 Gauche 1 Interiliaque 11 Iliaque externe 1 18 1 Iliaque externe 11 8 33 " 68 patientes consécutives " 134 ganglions " 124 sites 22 1 1 1 2 3 Obturateur Obturateur Urétéral Ganglion négatif (121) Ganglion positif (10) + immunohistochimie (3) Figure 1. Localisation des ganglions sentinelles. Tableau I. Identification des ganglions sentinelles (GS). Tumeur Medl Verheijen Patients Sites 3 10 6 20 Méthodes Iso Pbd Tc Iso Iso Iso 99 Tc Iso 99 Tc Pbd (9) 99 Tc (21) Comb. (20) Pbd 99 Echt O’Boyle Coleman 13 20 25 24 40 50 Provencher Drouin Malur 68 124 (134 n) 100 Dargent 20 50 52 103 GS identifiés Patientes Sites 3 4 8 2 12 25 6 12 2 17 44 49 61 5 16 18 -- GS positifs Patientes Sites GS négatifs Patientes Sites Faux négatifs Patientes Sites 3 1 4 1 0 0 0 0 0 1 2 3 5 2 3 8 0 0 0 0 0 0 0 1 0 1 3 0 101 117 9 13 0 0 0 0 39 5 - - - 13 1 0 0 0 4 95 1 0 0 0 0 0 La Lettre du Gynécologue - n° 282 - mai 2003 D O S S I E R Sites inusités et immunohistochimie positive Périaortique 5 Présacré Iliaque commun Droit Iliaque commun 5 Latéral 1 1 2 Gauche 1 Interiliaque 1 1 Iliaque externe Iliaque externe 8 11 1 2 3 1 1 Obturateur " 68 patientes consécutives " 134 ganglions " 124 sites Obturateur Urétéral Ganglion négatif (121) Ganglion positif (10) + immunohistochimie (3) Figure 2. Localisation des ganglions sentinelles. L’emploi de l’isosulfan bleu a démontré la présence de 101 ganglions sentinelles chez 49 patientes, alors qu’avec le technétium 99, 117 ont été identifiés chez 61 patientes ; aucun faux négatif n’a été détecté (figure 1). La combinaison des deux techniques a permis d’identifier 100 % des ganglions sentinelles. Chez les patientes non traitées par radiothérapie et qui ont subi une lymphadénectomie complète après le dépistage de ganglion(s) sentinelle(s) négatif(s) lors de la congélation, aucune métastase ganglionnaire n’a été trouvée à l’examen histopathologique final. Ont été identifiés à la pathologie finale 134 ganglions pour 124 sites, soit 1,08 ganglion par site sentinelle (figure 2). Les ganglions sentinelles les plus fréquents se situent dans les bassins suivants : interiliaque (60), obturateur (33) et iliaque externe (19). Les sites les moins fréquents sont dans la région urétérique (3), périaortique basse (5) et présacrée ou iliaque commune (8). Treize ganglions comportaient une métastase, soit 10 à la congélation et 3 à l’examen immunohistochimique (figure 2). DISCUSSION Certes, il y a une courbe d’apprentissage dans la détermination du ganglion sentinelle, quel que soit le type de pathologie. Notre expérience avec le cancer de la vulve nous a permis d’approfondir cette technique combinant le colorant bleu et le technétium 99. Ainsi, la courbe d’apprentissage a été plus courte, et le chirurgien est plus averti des différentes difficultés de la technique. Il est souhaitable que le chirurgien révise la lymphoscintigraphie avant la chirurgie afin de voir s’il y a des ganglions sentinelles dans des sites inusités, en particulier dans les régions du présacré, périutérine, latérales au vaisseau iliaque commun ou périaortiques basses. Récemment, un site inusité, au niveau du ligament rond, a été documenté et publié. Nous croyons que l’exploration des espaces rétropéritonéaux et l’identification des espaces paravésicaux ou pararectaux doit être faite, afin de bien identifier les vaisseaux lymphatiques La Lettre du Gynécologue - n° 282 - mai 2003 colorés et de déterminer avec le radiotraceur le ganglion sentinelle chaud, que ce soit par laparoscopie ou par laparotomie. Nos échecs avec le radiotraceur chez quatre patientes sont respectivement dus à la défectuosité de l’appareil, à une batterie à plat, à une obésité trop importante ou à un délai de plus de 12 heures entre l’injection du technétium 99 et la chirurgie. Par ailleurs, même si la lymphoscintigraphie ne démontrait pas de ganglion sentinelle en phase préopératoire, le radiotraceur a permis de dépister des sites chauds lors de la chirurgie dans cinq cas. En ce qui concerne l’isosulfan bleu, il y a eu deux cas d’injection par inadvertance dans la cavité intrapéritonéale, chez des patientes qui avaient eu une conisation extensive du col utérin. L’immunohistochimie s’avère utile, puisqu’elle nous a permis d’identifier trois ganglions sentinelles qui s’étaient révélés négatifs tant à la laparotomie exploratrice que lors de la congélation. Selon notre expérience, la combinaison de l’emploi du lymphazurin et du technétium 99 nous a permis d’identifier tous les ganglions sentinelles, sans cas de faux négatif. Pour que la technique soit adéquate, il faut également se rappeler que la lecture avec le radiotraceur in vivo du lit du ganglion sentinelle doit être dix fois moindre que pour le ganglion lui-même. Nous estimons en outre que la palpation de l’état des ganglions est importante, car, autrement, on risque de manquer un ganglion sentinelle de premier niveau dans le cas où il est totalement remplacé par la tumeur, ce qui amène à dépister un ganglion sentinelle de deuxième niveau. CONCLUSION Notre expérience démontre que, lorsque le ganglion sentinelle est négatif, aucune métastase ganglionnaire n’est identifiée lors de l’étude finale histopathologique des ganglions de la lymphadénectomie radicale. Le drainage inusité du site du ganglion sentinelle a été documenté au niveau du présacré dans sept cas, au niveau iliaque commun latéral au détroit supérieur dans un cas, dans la région périaortique basse dans 3 cas et dans la région urétérique dans 3 cas. À la suite de ces constats, nous avons modifié notre plan du traitement radiothérapeutique du col utérin lorsque indiqué, en incluant dans le champ de traitement la région du présacré. Lorsqu’il y a une lymphadénectomie complète, l’évaluation de la région du présacré doit être minutieuse et systématique. L’identification d’une métastase sur 3 ganglions sentinelles urétériques observés amène à réévaluer certaines procédures radicales utilisées. Grâce à une meilleure connaissance de cette technique et du drainage lymphatique du cancer du col utérin, nous pourrons demain atténuer le caractère radical de la chirurgie curative pour le cancer du col utérin. En effet, en cas de ganglion sentinelle négatif, on ne procéderait qu’à une trachélectomie ou même à une hystérectomie, mais moins radicale. Dans le cas de ganglion(s) sentinelle(s) positif(s), la radiothérapie deviendrait le traitement de choix. Toutefois, des études prospectives multicentriques seront encore nécessaires avant qu’une telle modalité thérapeutique soit acceptée comme procédure standard dans le traitement du cancer du col utérin de stades IA2 et # IB1. 21 D O S S I E R P O U R E N S A V O I R P L U S . . . – Benedetti-Pacini P, Maeschi F, Scambia G et al. Lymphatic spread of cervical cancer : an anatomical and pathological study based on 225 radical hysterectomies with systematic pelvic and aortic lymphadenectomy. Gynecol Oncol 1996 ; 62 : 19-24. – Dargent D, Martin X, Mathevet P. Laparoscopic assessment of the sentinel lymph nodes in early stage cervical cancer. Gynecol Oncol 2000 ; 79 : 411-5. – De Hullu JA, Doting E, Piers DA et al. Sentinel lymph node identification with Technetium 99m-labelled nanocolloid in squamous cell cancer of the vulva. J Nucl Med 1998 ; 39 : 1381-5. – De Hullu JA, Hollema H, Piers DA et al. Sentinel lymph node procedure is highly accurate in squamous cell carcinoma of the vulva. J Clin Oncol 2000 ; 18 : 2811-6. & O – Levenback C, Burke TW, Gershenson DM, Morris M, Malpica A, Ross MI. Intraoperative lymphatic mapping for vulvar cancer. Obstet Gynecol 1994 ; 84 : 163-7. – Levenback C, Coleman RL, Burke TW et al. Lymphatic mapping and sentinel node identification in patients with cervix cancer undergoing radical hysterectomy and pelvic lymphadenectomy. J Clin Oncol 2002 ; 20 : 688-93. – Malur S, Krause N, Köhler C, Schneider A. Sentinel lymph node detection in patients with cervical cancer. Gynecol Oncol 2001 ; 80 : 254-7. – O’Boyle J, Coleman R, Bernstein S et al. Intraoperative lymphatic mapping in cervix cancer patients undergoing radical hysterectomy : a pilot study. Gynecol Oncol 2000 ; 79 : 238-43. – Verheijen RH, Pijpers R, van Diest PJ et al. Sentinel node detection in cervical cancer. Obstet Gynecol 2000 ; 96 : 135-8. À découper ou à photocopier UI, JE M’ABONNE AU MENSUEL La Lettre du Gynécologue ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE QU’EUROPE) FRANCE/DOM-TOM/EUROPE Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules $ Collectivité ................................................................................. % % % à l’attention de .............................................................................. 90 € collectivités 72 € particuliers 45 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte $ Particulier ou étudiant Prénom .......................................................................................... $ libérale *joindre la photocopie de la carte % ET POUR 10 € DE PLUS ! 10 €, accès illimité aux 26 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) + $ autre ............................ 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