Bisphosphonates et métastases osseuses du cancer du sein : intérêt des formes injectables Bisphosphonates and breast cancer bone metastases role of intravenous forms # G. Romieu* L ’incidence du cancer du sein en France, en 2002, est d’environ 42 000 cas (1). Le nombre de cancers métastatiques chez la femme ménopausée est compris entre 14 845 et 16 625 dont 70 % à 80 % sont des formes hormonosensibles (2). Compte tenu de la durée de survie allongée des patientes atteintes d’un cancer avancé du sein (médiane de survie estimée : 20 à 30 mois ; médiane de survie en cas de localisation limitée au squelette : 2 à 4 ans ; taux de survie à 5 ans – si lésions exclusivement localisées à l’os : 40 %), ce type de maladie peut être considéré comme chronique bien qu’actuellement non curable (3-7). Chez ces patientes, le taux de métastases osseuses varie de 40 à 75 % selon les séries (5). Ces lésions sont le plus souvent localisées au niveau des os riches en moelle osseuse (bassin, côtes, rachis, os longs) [7]. Dans le cancer du sein avancé, les métastases osseuses sont essentiellement de nature ostéolytique bien que 15 à 20 % des patientes présentent des lésions à prédominance ostéoblastique (8). Le nombre d’événements osseux liés à leur présence est de l’ordre de 4 par an hors traitement. Ils se répartissent comme suit (9) : fracture ou tassement pathologique, notamment vertébral : environ 60 % ; hypercalcémie : 20 % ; compression médullaire : 10 % (3). Ils peuvent entraîner des douleurs sévères imposant d’emblée le recours à un opioïde fort ou rendant nécessaire l’immobilisation (10, 11). Enfin, plus le nombre de lésions s’accroît, plus la médiane de survie diminue (1 lésion : 53 mois ; 2 lésions : 38 mois ; ≥ 3 lésions : 22 mois ; p < 0,0001 et pour les groupes “1 lésion” et “2 lésions” versus p < 0,005 pour le groupe “≥ 3 lésions”) [12]. Le traitement préventif des complications osseuses fait appel aux bisphosphonates (BP) combinés ou non avec l’irradiation à visée palliative et à la chirurgie osseuse (13). BISPHOSPHONATES ET MÉTASTASES OSSEUSES DU CANCER DU SEIN Les bisphosphonates sont des agents pharmacologiques dotés notamment de propriétés antirésorptives (14). * CRLC Val d’Aurelle, Montpellier. La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006 Mise au point M ise au point La structure de la chaîne latérale R2 (absence ou présence de groupement amine ou imine) conditionne leur activité antiostéoclastique (14) : les BP dépourvus de ce groupement (chef de file : clodronate) agissent en stimulant l’apoptose ostéoclastique. Ils sont administrés par voie orale. En revanche, les amino-BP (zolédronate, pamidronate, ibandronate) sont administrés par voie i.v. (14). Ils interfèrent avec la voie du mévalonate et donc avec les mécanismes de signalisation intracellulaire, ce qui inhibe l’activité de résorption des ostéoclastes (15). Le zolédronate inhibe aussi la prolifération ostéoblastique in vitro (14). Le clodronate appartient à la première génération des BP et le pamidronate à la deuxième (16). Quant au zolédronate, il est le chef de file de la nouvelle génération et est rapporté comme étant le plus puissant BP selon les modèles précliniques de résorption osseuse (16). Ainsi, la puissance relative des différents BP par rapport à l’étidronate sur l’inhibition de l’activité de résorption ostéoclastique est de 10 pour le clodronate, de 100 pour le pamidronate, de 5 000 pour l’ibandronate et de 10 000 pour le zolédronate (17). Par ailleurs, la biodisponibilité des BP varie considérablement selon le mode d’administration : de moins de 5 % pour les formes orales (clodronate) à 100 % pour les formes injectables (18-20). Cette faible biodisponibilité est à rapprocher d’une moindre efficacité clinique des formes orales (20). EFFICACITÉ CLINIQUE La Cochrane Library a publié en 2005 une très importante métaanalyse évaluant l’efficacité clinique des BP, notamment chez des patientes atteintes d’un cancer du sein et présentant une maladie métastatique osseuse (9, 21). Parmi les 21 études randomisées contrôlées initialement retenues, 17 menées versus placebo et incluant 5 187 patientes, ont été incluses dans la méta-analyse. Le critère principal de ces études était le nombre d’événements osseux défini comme suit : nouvelles métastases osseuses, fractures pathologiques, compression médullaire, irradiation ou chirurgie osseuse, apparition ou progression d’une douleur osseuse. Cette méta-analyse montre que le zolédronate 4 mg i.v. réduit le risque d’apparition d’un événement osseux de 41 % (RR : 0,59, IC95 : 0,42-0,82), versus 23 % pour le pamidronate 90 mg i.v. (RR : 0,77, IC95 : 0,69-0,87) versus 18 % pour l’ibandronate 6 mg i.v. (RR : 0,82, IC95 : 0,67-1,00) versus 16 % pour le clodro307 Mise au point M ise au point nate 1 600 mg per os (RR : 0,84, IC95 : 0,72-0,98) et versus 14 % pour l’ibandronate 50 mg per os (RR : 0,86, IC95 : 0,73-1,02) [tableau]. Tableau. Réduction d’un risque d’apparition d’un événement osseux sous bisphosphonate versus placebo (9, 21). Réduction du risque relatif Zolédronate 4 mg – 41 % Pamidronate 90 mg – 23 % Ibandronate 6 mg i.v. – 18 % Clodronate 1 600 mg p.o. – 16 % Ibandronate 50 mg p.o. – 14 % Par ailleurs, une étude de phase III, multicentrique, randomisée et en double aveugle, menée chez des patientes atteintes d’un myélome multiple ou d’un cancer du sein métastatique a comparé l’efficacité et la tolérance du zolédronate 4 mg à celle du pamidronate 90 mg administrés toutes les 3 à 4 semaines pendant 25 mois (22). La durée de suivi était de 25 mois. Le critère principal est la proportion de patientes présentant un événement osseux excluant l’hypercalcémie (HCM). Parmi les patientes retenues dans l’analyse finale, 561 patientes, dont 201 traitées par hormonothérapie, ont reçu du zolédronate 4 mg et 555 patientes, dont 210 traitées par hormonothérapie, ont reçu du pamidronate 90 mg. Le zolédronate se révèle au moins aussi efficace que le pamidronate sur la prévention des événements osseux et réduit significativement le recours à la radiothérapie (patientes ayant eu recours à la radiothérapie : pamidronate : 24 % ; zolédronate : 19 % ; p = 0,037). Dans le cancer du sein traité par hormonothérapie, le zolédronate allonge significativement le délai médian jusqu’au premier événement osseux par rapport au pamidronate (415 jours versus 370 jours ; p = 0,047). La réduction du risque de complication osseuse avec ou sans HCM sous zolédronate par rapport au pamidronate est respectivement de 31 % et 29 % (p = 0,009 ; p = 0,015). En termes de tolérance, il n’existe pas de différence significative entre les deux groupes. Les effets indésirables les plus fréquemment rencontrés ont été les douleurs osseuses, les nausées et la fatigue. Dans ce contexte, il est à noter qu’en 2003 l’American Society of Clinical Oncology avait mis à jour ses recommandations sur l’utilisation des BP dans la maladie métastatique osseuse du cancer du sein en recommandant les bisphosphonates i.v. (zolédronate 4 mg/15 mn ou pamidronate 90 mg/2 h toutes les 3 ou 4 semaines) chez les patientes ayant des lésions osseuses mises en évidence sur les radiographies standard, la scintigraphie, le scanner ou l’IRM (16, 23). 308 TOLÉRANCE, COMPLIANCE ET ASPECTS PRATIQUES Administrés toutes les 3 à 4 semaines, les BP i.v. ont fait la preuve de leur efficacité dans la prévention des complications osseuses métastatiques (21, 22). Ils sont mieux tolérés sur le plan digestif que les formes orales (16) ; ces dernières pouvant entraîner des troubles digestifs de type œsophagite, dyspepsie ou diarrhée (20). Pour les BP i.v., une surveillance de la fonction rénale et du ionogramme est recommandée*. Par ailleurs, il doit aussi être signalé que des cas peu fréquents d’ostéonécrose des maxillaires (ONM) ont été rapportés chez des patients traités par aminobisphosphonates. Dans l’attente de recommandations codifiant la prise en charge de cet effet indésirable, un examen dentaire avec des soins dentaires appropriés devra être pris en considération avant l’instauration d’un aminobisphosphonate chez des patients présentant des facteurs de risque associés (par exemple, une chimiothérapie, des corticoïdes ou une mauvaise hygiène buccale) selon qu’il existe ou non une hypercalcémie associée. Une étude rétrospective a été menée à partir d’une base de données incluant 4 019 patients traités par BP i.v. ; 60 % des patients souffraient d’une maladie métastatique osseuse, 25 % d’hypercalcémie, 14 % de myélome multiple et 7 % d’ostéoporose (24). Trente-quatre cas d’ONM, définie comme une non-cicatrisation osseuse persistant depuis au moins 3 mois, ont été identifiés. Seize cas sur 1 338 (1,2 %) ont été mis en évidence chez des patientes atteintes de cancer du sein métastatique, et 14 cas sur 448 (3,1 %) chez des patients souffrant de myélome multiple. Parmi ces patients, 6 étaient traités par pamidronate, 10 par zolédronate et 15 par l’association de ces deux molécules. Chez les patientes atteintes de cancer du sein métastatique, la dose cumulée moyenne de zolédronate était de 62 mg (28-110). Les doses totales de BP étaient significativement plus élevées dans le groupe ONM que dans le groupe non-ONM (p < 0,0001). Les patients présentant une ONM étaient atteints de métastases osseuses depuis plus longtemps que ceux ne présentant pas d’ONM (p < 0,0001) [24]. Chez les patientes atteintes de cancer du sein métastatique, les facteurs significativement associés à l’ONM étaient l’existence d’une extraction dentaire, le caractère hormonosensible de la tumeur et le traitement par BP i.v. Cette étude rétrospective montre donc que l’ONM est un effet indésirable sérieux mais rare et qu’il existe des facteurs associés à sa survenue (24). La compliance des patientes au traitement par BP i.v. est susceptible d’optimiser le ratio efficacité/tolérance, notamment quand on sait que : * Pour plus d’information, se reporter au résumé des caractéristiques du zolédronate. La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006 – une mauvaise observance, phénomène fréquemment rencontré dans la prise en charge des maladies chroniques, a été systématiquement reliée à une moins bonne efficacité thérapeutique (25) ; – l’observance n’est pas une évidence en oncologie. Chaque patiente est en effet à risque de non-compliance du fait de la complexité du traitement prescrit, d’une insatisfaction de celle-ci quant aux soins administrés, d’un contrôle insuffisant du personnel soignant, d’une mauvaise communication entre le personnel de santé et elle, et aussi du contexte socioculturel propre à chaque individu (26). L’âge, la multiplication des prises (2 à 4 comprimés/jour pour les BP oraux), la taille des comprimés, le respect de certaines contraintes de prise (prise à distance des repas, au moins 2 heures après le dîner ou au réveil à jeun 1 heure avant le petit déjeuner, sans prise associée de calcium) constituent aussi des facteurs de non-respect de la prescription (20) ou des modalités de prise. Ainsi, une étude menée en situation de pratique courante, incluant 233 patients atteints d’une maladie osseuse métastatique et traités soit par BP i.v. (85,2 %) soit par BP oraux (14,2 %) a montré que les patients du groupe BP i.v. étaient significativement plus compliants que ceux du groupe BP oraux (92 % versus 36,4 %, p = 0,0012) à 6 mois (27). De plus, l’administration par voie i.v. est un gage de compliance maximale, puisque 100 % de la dose nécessaire est administrée, ce d’autant plus que ce geste est effectué par un membre du personnel soignant. Une durée de perfusion courte est un avantage pour les patientes (de 15 minutes pour le zolédronate à 1 heure pour l’ibandronate et de 2 à 4 heures pour le pamidronate) [16]. Ainsi, une perfusion de zolédronate est facilement réalisable en ville par une infirmière libérale. Enfin, la question concernant la durée d’utilisation d’un BP reste actuellement non résolue (21). Il paraît logique de penser que le traitement doit être introduit dès que le diagnostic de métastase osseuse est posé et qu’il doit durer jusqu’à perte du bénéfice (23). Le rapport bénéfice/risque du traitement doit donc être évalué régulièrement. Le zolédronate est le seul BP à avoir démontré son efficacité versus le pamidronate, notamment dans le cancer du sein avec métastases osseuses (22). Il a également démontré une efficacité supérieure au pamidronate dans les hypercalcémies malignes induites par la lyse osseuse (28). Le zolédronate est, par sa simplicité d’utilisation, administrable en hôpital de jour ou au domicile de la patiente. Il est disponible en officine de ville. Enfin, des études sont en cours afin de déterminer l’intérêt du zolédronate dans la prévention primaire des métastases osseuses et dans la lutte contre la perte osseuse induite par les traitements anticancéreux. N Mise au point M ise au point RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Hill C, Doyon F. La fréquence des cancers en France en 2002 et son évolution depuis 1968. Bull Cancer 2006;93(1):7-11. 2. Commission de Transparence. République française. Avis de la Commission du 5 janvier 2005. Acide zolédronique : 1-10. 3. Guise T, Chirgwen J. Metastases of bone metastases. In Harris JR et al., eds. Diseases of the breast. LWW, 2004, 3e édition : 1285-96. 4. Muss HB. Breast cancer in the elderly: treatment of metastatic disease. Cancer Control 1995;2:39-42. 5. Wood C, Muss H, Salin L et al. Malignant tumors of the breast. 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CONCLUSION Les BP sont des molécules actuellement incontournables dans la prévention des complications osseuses des patientes atteintes de pathologie maligne à un stade avancé, en complément des traitements spécifiques (14, 16). La méta-analyse de la Cochrane Library montre que les BP i.v., notamment le zolédronate, réduisent significativement et de façon importante le risque d’apparition d’un événement osseux (21). Cela pourrait s’expliquer à la fois par une plus forte puissance pharmacologique et une biodisponibilité maximale des BP i.v (13, 17-19). De plus, leur mode d’administration dispose d’une meilleure tolérance digestive et d’une compliance quasi maximale (16). La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006 11. Manoso MW, Healey J. Metastatic cancer to bone. In: De Vita V et al., eds. Principles and Practice of Oncology. LWW, 2005, 7e édition : 2368-81. 12. Jacobson AF, Shapiro CL, Van Den Abbeele AD et al. 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Les bénéfices observés en termes de survie et de qualité de vie chez les patients ayant reçu le schéma incluant Taxotère® permettent d’envisager une nouvelle approche dans la prise en charge des cancers épidermoïdes localement avancés et inopérables des VADS. Cette nouvelle indication, octroyée dans le cadre d’une procédure européenne centralisée, est fondée sur les résultats de l’étude de phase III ouverte et randomisée TAX 323, incluant 358 patients présentant un carcinome épidermoïde localement avancé et inopérable des VADS. TAX 323 avait pour objectif d’évaluer le bénéfice d’un schéma à base de Taxotère®, cisplatine et 5-fluorouracile (TPF) par 310 rapport au schéma standard cisplatine et 5- fluorouracile (PF). Dans cette étude, le traitement d’induction était la première phase du traitement, préalablement à la radiothérapie. Une chirurgie était autorisée après la chimiothérapie (avant ou après la radiothérapie). La médiane de survie sans progression (critère principal de l’étude) des patients traités par le schéma TPF a été significativement plus longue que celle des patients ayant reçu le traitement standard PF : 11,4 mois versus 8,3 mois respectivement (p = 0,0042), avec un suivi global médian de 33,7 mois. Parmi les patients ayant bénéficié du traitement à base de Taxotère®, la survie globale médiane a également été significativement plus longue que dans le bras PF : 18,6 mois versus 14,5 mois, avec une réduction relative du risque de mortalité de 28 % (p = 0,0128). Ces résultats ont été associés à une détérioration de l’état de santé général significativement moins importante chez les patients du bras TPF que chez ceux du bras PF. De même, les paramètres de bénéfices cliniques de l’échelle d’évaluation de l’état physique PSS-HN, spécifique des cancers des VADS et mesurant l’intelligibilité de la voix ainsi que la capacité à manger en public et à s’alimenter normalement, étaient significativement en faveur du bras TPF. Le temps médian avant détérioration de l’état général (échelle OMS) était significativement plus long dans le bras TPF que dans le bras PF. Le score d’intensité de la douleur était amélioré dans les deux bras, ce qui montre une prise en charge adéquate de la douleur. “De tous temps, les taux de survie des cancers des VADS ont été bas”, explique le Dr Marshall Posner, directeur du Programme cancer de la tête et du cou du DanaFarber Cancer Institute. “Cette étude a montré qu’une thérapie d’induction avec un schéma à base de Taxotère®, cisplatine et 5-fluorouracile (TPF) augmente la survie. Avec cette approbation, j’espère que le TPF deviendra le traitement d’induction standard pour les patients ayant ce type de cancer.” Avec cette nouvelle indication, Taxotère® dispose désormais en France de dix indications dans cinq pathologies cancéreuses : cancer du sein, cancer du poumon non à petites cellules, cancer de la prostate, cancer gastrique, cancer des voies aérodigestives supérieures. N La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006