VO CABULAIR E >> ESSAIS (ET ERREURS)* Vocabu laire C Par Alain Rey, directeur de la rédaction du Robert, Paris e mot cache son jeu. Aujourd’hui, il nous parle d’une action destinée à produire un résultat – ce n’est pas un jeu ou une fantaisie – et dont on n’est pas certain, quant au résultat. L’ essai porte en lui la réussite et l’échec, une vérité ou une erreur. Quant au mot, ­il ­continue discrètement un dérivé tardif, type, ce mot décidément très commode s’est appliqué à la littérature. Il est difficile, si l’on aime tant soit peu les bons livres et la pensée en liberté, d’ oublier les Essais de Michel de Montaigne, titre qui souligne la modestie d’un propos pourtant génial, mais qui ne prétend pas résoudre les questions qu’il pose. L’idée d’essai étant universelle, il était nor- exigium, du verbe plus ancien exigere. Même en latin, on avait à peu près oublié que ce verbe était en fait ex-agere, c’est-à-dire “agir ou plutôt conduire en dehors, vers l’extérieur”. En effet, lorsqu’on agit, on conduit les choses et soi-même vers un objectif, ou au moins on tente de le faire. Cette activité vers le dehors amène à confronter une impression ou un résultat ; une des modalités de cette manière de faire, c’est l’exigium latin, qui est une pesée et plus généralement un essai, ce qui s’appelle en anglais un test. L’essai est donc bel et bien, à l’origine, une manière d’expérience, ce qui le préparait pour l’activité scientifique. Du fait que l’essai, quand il n’est pas probant, doit être recommencé, on en parle beaucoup au pluriel : les essais. Avant d’envahir la technique, avec les essais d’une machine, d’un matériel, d’un proto- mal que le mot français servît à traduire des équivalents étrangers, comme l’anglais try et trial. Ce qui fait que nous parlons de transformer un essai pour pouvoir l’emporter sur l’adversaire, d’après les règles du jeu de ballon inventé à Rugby, ville universitaire anglaise. Du côté de la méthode scientifique, technique, c’est en traduisant la locution anglaise by trial and error, “par essai et erreur’’, qu’on décrit assez bien la nature de l’essai. Mais si on l’entoure de précautions et qu’on corrige les erreurs anciennes, on retrouve sans le vouloir le verbe latin exigere, dont tout découle. Que l’essai et l’exigence soient les deux facettes, l’ une populaire et orale, avec force déformations, l’autre savante et écrite, de la même origine latine, c’est une assez belle leçon de méthode pour tous les chercheurs et “essayeurs” du monde. * © Le Courrier de la Transplantation 2006;2:82. 146 Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012