Essais (et erreurs)
C
e mot cache son jeu. Aujourd’hui, il
nous parle d’une action destinée à
produire un résultat – ce n’est pas
un jeu ou une fantaisie – et dont on n’est
pas certain, quant au résultat.
L’essai porte en lui la réussite et l’échec,
une vérité ou une erreur. Quant au mot,
il continue discrètement un dérivé tardif,
exigium, du verbe plus ancien exigere.
Même en latin, on avait à peu près oublié
que ce verbe était en fait ex-agere, c’est-à-
dire “agir ou plutôt conduire en dehors, vers
l’extérieur”. En effet, lorsqu’on agit, on
conduit les choses et soi-même vers un
objectif, ou au moins on tente de le faire.
Cette activité vers le dehors amène à
confronter une impression ou un résultat ;
une des modalités de cette manière de faire,
c’est l’exigium latin, qui est une pesée et
plus généralement un essai, ce qui s’appelle
en anglais un test.
L’essai est donc bel et bien, à l’origine, une
manière d’expérience, ce qui le préparait
pour l’activité scientifique. Du fait que l’essai, quand il n’est pas probant, doit être
recommencé, on en parle beaucoup au pluriel : les essais.
Avant d’envahir la technique, avec les essais d’une machine, d’un matériel, d’un
prototype, ce mot décidément très commode s’est appliqué à la littérature. Il est
difficile, si l’on aime tant soit peu les bons livres et la pensée en liberté, d’oublier
les Essais de Michel de Montaigne, titre qui souligne la modestie d’un propos
pourtant génial, mais qui ne prétend pas résoudre les questions qu’il pose.
L’idée d’essai étant universelle, il était normal que le mot français servît à traduire
des équivalents étrangers, comme l’anglais try et trial. Ce qui fait que nous par-
lons de transformer un essai pour pouvoir l’emporter sur l’adversaire, d’après les
règles du jeu de ballon inventé à Rugby, ville universitaire anglaise.
Du côté de la méthode scientifique, technique, c’est en traduisant la locution
anglaise by trial and error, “par essai et erreur”, qu’on décrit assez bien la nature
de l’essai. Mais si on l’entoure de précautions et qu’on corrige les erreurs
anciennes, on retrouve sans le vouloir le verbe latin exigere, dont tout découle.
Que l’essai et l’exigence soient les deux facettes, l’une populaire et orale, avec
force déformations, l’autre savante et écrite, de la même origine latine, c’est
une assez belle leçon de méthode pour tous les chercheurs et “essayeurs” du
monde.
A. Rey, directeur de rédaction du Robert, Paris
Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n
o
2 - avril-mai-juin 2006
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