ENDOCRINOLOGIE L’HYPOGONADISME HYPOGONADOTROPE CONGÉNITAL CHEZ L’ADOLESCENTE Un diagnostic facile ? La connaissance des gènes en cause pour les hypogonadismes hypogonadotropes est en pleine progression depuis une dizaine d’années. Ces identifications permettent d’améliorer le conseil génétique et la prise en charge précoce des patients, y compris dans les formes difficiles. Exemple avec un cas clinique. CAS CLINIQUE Armelle consulte à l’âge de 15 ans pour un retard statural à - 2,5 DS et un retard pubertaire (visible sur sa courbe de croissance). Ses parents mesurent 159 et 165 cm. Les paramètres de naissance sont normaux (TN 49 cm). Armelle est A1P2S1R0. Elle mesure 148 cm et pèse 41 kg, elle est scolarisée en seconde. Son examen clinique est sans particularité en dehors de l’impubérisme et elle a un odorat normal. L’analyse de la courbe de croissance montre un infléchissement de la vitesse de croissance dès l’âge de 11 ans. Un bilan général, hypophysaire et osseux, est prescrit. La NFS est normale (Hb 13 g/dl), la VS est mesurée à 21 mm. La T4L est à 19 pmol/l, l’ACTH à 48 pg/ml, le cortisol à 500 nmol/l et l’IGF1 à 380 ng/ml. La FSH est mesurée à 1,09 UI/l et la LH à 0,2 UI/l. Le dosage du cortisol libre urinaire sur 24 heures est à 32 µg/24 h. L’âge osseux est à 12 ans. Une IRM cérébrale et hypophysaire est prescrite rapidement, elle est normale, les bulbes olfactifs sont vus. En raison du syndrome inflammatoire, vu l’âge de la patiente et malgré son IMC à 22 et l’absence totale de signes fonctionnels abdominaux, une coloscopie est réalisée avec des biopsies : une maladie inflammatoire du tube digestif est éliminée. La VS sera recontrôlée secondairement à 13 mm. 8 À l’âge de 15 ans et demi, un traitement par 17 bêta-estradiol puis œstroprogestatifs est débuté. Il permet un développement pubertaire complet et la survenue de règles. La taille finale est 155 cm (taille cible). En l’absence de diagnostic étiologique, l’ADN de la patiente a été testé sur un panel de gènes d’hypogonadisme hypogonadotrope. Elle est porteuse d’une mutation hétérozygote pathogène connue de FGFR1. Armelle est donc atteinte d’un syndrome de Kallmann par mutation de FGFR1. L’HYPOGONADISME D’ORIGINE HYPOTHALAMOHYPOPHYSAIRE L’hypogonadisme d’origine hypothalamo-hypophysaire, ou hypogonadisme hypogonadotrope (HH), est défini par une production ou une action insuffisante de la GnRH et/ou des gonadotrophines. Le déficit est isolé ou combiné lorsqu’il est associé à un autre déficit hypophysaire (somatotrope, thyréotrope ou corticotrope). Un hypogonadisme hypogonadotrope isolé ou combiné est syndromique lorsqu’il est associé à des signes cliniques non endocriniens. Les formes congénitales d’HH sont classées de façon historique en deux groupes, avec (syndrome de Kallmann de Morsier) et sans anosmie. Mais cette classification est probablement très Dr Claire Bouvattier Endocrinologie pédiatrique, hôpital Bicêtre, Centre de référence des maladies du développement génital, Faculté de médecine Paris Sud artificielle. Les HH congénitaux restent des pathologies très rares : leur prévalence chez la femme est estimée à 0,01 %. D’abord, tout hypogonadisme hypogonadotrope doit faire évoquer un processus expansif hypothalamo-hypophysaire (craniopharyngiomes…) ou inflammatoire (sarcoïdose, histiocytose, hypophysites lymphocytaires). En pratique, les causes d’infiltration de la tige s’intègrent le plus souvent dans une pathologie globale hypophysaire, avec un diabète insipide. Elles sont exceptionnellement responsables d’un retard pubertaire isolé. Dans tous les cas, avant d’évoquer le diagnostic d’HH congénital, il est indispensable d’éliminer une pathologie hypothalamo-hypophysaire organique. Une fois ce diagnostic éliminé, il est difficile, devant l’absence de développement pubertaire ou une puberté peu évolutive chez une adolescente, de distinguer un retard pubertaire simple, même s’il est plus rare chez les filles, d’un HH. Le déficit gonadotrope isolé ne donne pas de signe clinique chez les nouveaunés de sexe féminin, contrairement aux garçons (micropénis, cryptorchidie) et un HH sera donc évoqué devant l’absence de développement ou un développement incomplet mammaire, une ADOLESCENCE & Médecine • Juin 2016 • numéro 11 ENDOCRINOLOGIE aménorrhée primaire, plus rarement une spanioménorrhée. L’interrogatoire familial questionnera l’âge de la puberté chez la mère et les sœurs. La courbe de la croissance sera reconstituée : dans les retards pubertaires simples, il existe habituellement un ralentissement de la vitesse de croissance. Les explorations biologiques confirmeront l’HH : une concentration d’estradiol basse, associée à des concentrations basses ou paradoxalement normales de FSH et LH. La prolactine est normale. Plus de 25 gènes responsables d’HH congénitaux avec ou sans anosmie sont connus à ce jour et un diagnostic génétique est posé chez près de la moitié des patients. LE SYNDROME DE KALLMANN Le syndrome de Kallmann atteint 1/10 000 garçons et est 5 à 7 fois moins fréquent chez les filles. L’HH est secondaire à un défaut de migration des neurones à GnRH et le déficit olfactif est imagé par une hypoplasie ou une absence des bulbes olfactifs à l’IRM. La plupart des cas sont diagnostiqués devant l’absence de puberté spontanée, associée à l’atteinte de l’odorat, mais d’autres signes peuvent être associés : agénésie rénale, syncinésies d’imitation, troubles de l’oculomotricité, ptosis, syndrome cérébelleux, surdité, pieds creux, fente labiale et/ou palatine... Trois modes de transmission ont été décrits dans les syndromes de Kallmann : - une forme liée à l’X, - une forme autosomique dominante, - une forme autosomique récessive. La forme de la maladie liée à l’X ne s’exprime que chez le garçon. Le gène FGFR1 (fibroblast growth factor receptor 1) code pour le récepteur d’un facteur de croissance qui agirait en étroite liaison avec l’anosmine, dans la mise en place de l’axe gonadotrope. Les mutations identifiées chez les patients atteints d’un syndrome de Kallmann avec une 10 Figure 1 - Courbe de croissance du cas clinique. transmission autosomique dominante sont des mutations “perte de fonction” qui expliqueraient 10 % des syndromes de Kallmann. Récemment, de nouveaux gènes ont été identifiés dans des syndromes de Kallmann de transmission dominante : FGF8, HS6ST1, SOX10, SEMA3A, WDR11 et IL17RD. Le syndrome CHARGE (Coloboma, Heart disease, Choanal atresia, Retarded growth and developpement, Genital hypoplasia, Ear abnormalities) est un syndrome polymalformatif dont l’incidence est estimée autour de 1 pour 10 000 naissances. Le tableau clinique comprend un hypogonadisme hypogonadotrope avec une anosmie et des anomalies des bulbes olfactifs à l’IRM. Un des gènes mis en cause dans le syndrome CHARGE est le gène CHD7 qui code pour une protéine impliquée dans la structure de la chromatine. Dans les HH avec anosmie, les mutations de ProK2 sont retrouvées à l’état hétérozygote, celles de ProKR2 à l’état homozygote ou hétérozygote. L’expressivité phénotypique de ces mutations est très variable. Des mutations hétérozygotes (transmission autosomique dominante) du gène NELF (Nasal Embryonic LHRH Factor) ont également été observées chez de rares patients. ADOLESCENCE & Médecine • Juin 2016 • numéro 11 L’hypogonadisme hypogonadotrope congénital chez l’adolescente LES HYPOGONADISMES HYPOGONADOTROPES ISOLÉS SANS ANOSMIE des surrénales avec une insuffisance surrénale néonatale, puis un déficit gonadotrope. Cette maladie est liée à l’X. Les premières mutations “perte de fonction” du récepteur de la GnRH ont été décrites en 1997 chez un homme de 22 ans et sa sœur qui présentaient un hypogonadisme hypogonadotrope partiel. Cliniquement, le jeune homme avait eu une puberté tardive et incomplète, et se plaignait de troubles de la libido. Sa sœur aînée, âgée de 37 ans présentait une aménorrhée primaire et une infertilité. Le séquençage du gène du récepteur de la GnRH a permis de démontrer que ces deux patients étaient hétérozygotes composites. À ce jour, un seul cas de femme homozygote DAX1, par duplication du gène, avec une insuffisance gonadotrope, a été rapporté. Cette patiente présentait un HH isolé sans insuffisance surrénale. Si l’hypogonadisme s’intègre dans un tableau d’obésité, plusieurs étiologies doivent être évoquées : le syndrome de Prader-Willi, le syndrome de BardetBiedl et les très rares mutations du gène de la leptine et de son récepteur ou, de manière encore plus exceptionnelle, des mutations de la proconvertase de type 1. Depuis, d’autres mutations du récepteur de la GnRH ont été décrites, qui altèrent la liaison de la GnRH à son récepteur et/ ou la transduction du signal. Leur transmission est autosomique récessive avec des phénotypes variés. Les familles porteuses d’une mutation “perte de fonction” du gène codant pour KISS1R ou son ligand KISS1 présentent une absence de puberté liée à un déficit de sécrétion des gonadotrophines d’origine hypothalamique. Les mutations de TAC3 et TACR3 sont elles aussi responsables d’HH congénital à odorat normal. Les mutations du gène LHb, induisant un hypogonadisme sont très rares. Par contre, plusieurs cas de mutation de FSHβ ont été décrits chez des femmes avec aménorrhée primaire, estradiol bas et une dissociation entre une FSH indétectable et une LH élevée. Ces femmes ont une adrénarche normale, mais une absence de thélarche et de ménarche. Leur fertilité peut être rétablie après administration de FSH exogène. LES HYPOGONADISMES HYPOGONADOTROPES SYNDROMIQUES SANS ANOSMIE Les hypogonadismes hypogonadotropes syndromiques sans anosmie sont rares. Les mutations de DAX1 sont responsables d’une hypoplasie congénitale LES HYPOGONADISMES HYPOGONADOTROPES FONCTIONNELS Les hypogonadismes hypogonadotropes fonctionnels sont fréquents. Si l’anorexie mentale est une cause classique d’hypogonadisme, les états de dénutrition moins sévères, en particulier les déficits de la masse grasse, surtout dans le cadre d’activités sportives intenses, sont souvent accompagnés de déficit gonadotrope. Les enfants atteints de maladie cœliaque, de maladie de Crohn ou d’insuffisance rénale chronique peuvent présenter un impubérisme. L’utilisation prolongée de glucocorticoïdes, tout comme l’excès endogène (syndrome de Cushing) est responsable d’un retard de puberté par l’effet antigonadotrope du cortisol sur la GnRH. Même si ce déficit est réversible à l’arrêt de la corticothérapie ou lors de la guérison du Cushing, il doit être pris en compte comme facteur potentiellement aggravant de l’ostéoporose cortisonique. L’utilisation des panels de gènes va permettre l’amélioration du diagnostic étiologique. L’identification des gènes impliqués dans les HH permet d’établir un conseil génétique et une prise en charge précoce de la pathologie. Dans les formes partielles, difficiles à diagnostiquer, de GnRHR ou du FGFR1, il faudra envisager systématiquement la possibilité que le déficit gonadotrope soit réversible en faisant une fenêtre thérapeutique. Les raisons de cette réversibilité sont pour l’instant inconnues. Cette observation appelle plusieurs commentaires : a) l’IRM hypophysaire est indispensable devant un impubérisme à gonadotrophines basses, b) un infléchissement statural évoquant un retard pubertaire simple n’élimine pas un hypogonadisme hypogonadotrope congénital, c) la classification des HH en fonction de la présence ou non d’une anosmie n’est pas parfaite ! ✖✖L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. MOTS-CLÉS Hypogonadisme hypogonadotrope congénital, Hypogonadisme hypogonadotrope fonctionnel, Hypogonadisme hypogonadotrope isolé, Syndrome de Kallmann RÉFÉRENCES • Boehm U, Bouloux PM, Dattani MT et al. European consensus statement on congenital hypogonadotropic hypogonadism : pathogenesis, diagnosis and treatment. Nat Rev Endocrinol 2015 ; CONCLUSION Les causes génétiques d’hypogonadismes hypogonadotropes ont beaucoup progressé depuis dix ans, même si les mutations connues n’expliquent encore que la moitié des HH. 11 : 547-64. • Bry-Gauillard H, Trabado S, Boulignad J et al. Congenital hypogonadotropic hypogonadism in females: clinical spectrum, evaluation and genetics. Ann Endocrinol 2010 ; 71 : 158-62. ADOLESCENCE & Médecine • Juin 2016 • numéro 1111