Cas clinique Un hypogonadisme congénital à bascule A tipping congenital hypogonadism Jean-Marc Kuhn* * Service d’endocrinologie, CHU de Rouen. M onsieur M. est âgé de 39 ans. Né 1 mois avant terme (2,5 kg et 47 cm), son histoire médicale commence dès sa naissance, au moment de laquelle est mis en évidence un syndrome malformatif avec dysplasie ectodermique et anhidrose. S’y adjoint une cryptorchidie bilatérale. Figure 1. Courbe de croissance staturale (tracé supérieur) et pondérale (tracé inférieur) de monsieur M. objectivant un retard de croissance prédominant sur le plan pondéral. 34 0034_MET 34 Lors d’une évaluation effectuée à l’âge de 3 ans et 4 mois, il mesure 95 cm et pèse 13 kg. Son développement psychique apparaît normal. La recherche d’un substratum génétique expliquant le tableau clinique fait réaliser un caryotype et une étude du gène WRN. Le caryotype se révèle normal (46XY), ainsi que l’étude du gène du syndrome de Werner. À l’âge de 4 ans est réalisée, en 2 temps, une cure chirurgicale de la cryptorchidie. À l’âge de 13 ans, le retard de croissance (figure 1) et de développement pubertaire fait réévaluer la situation. À cette date, sont notés de nombreux nævi, un micropénis et 2 testicules intrascrotaux de petite taille. Aucun signe d’amorce du développement pubertaire n’est constaté. Fait de forte valeur, monsieur M. est anosmique. Le bilan endocrinien qui est réalisé permet d’écarter l’existence d’un déficit somatotrope : au cours de 2 épreuves de stimulation (glucagon-propranolol, d’une part, et GHRH, d’autre part), les taux de GH s’élèvent au-dessus du seuil des 30 mU/l. Le taux de sulfate de déhydroépiandrostérone (SDHA) est mesuré à 1,1 mg/l (N : 0,7 à 3,8) et celui de testostérone à 0,33 ng/ml. Le taux de LH est inférieur à 0,5 U/l. Enfin, les résultats de la mesure de la TSH (0,9 mU/l ; N : 0,1 à 4,5) et de la T4L (14 pmol/l ; N : 12 à 21) confirment l’absence d’anomalie de la fonction thyroïdienne. Il est choisi de maintenir une surveillance médicale attentive de monsieur M., qui n’a aucune difficulté à suivre une scolarité normale. À 15,5 ans, sa taille atteint 158 cm. Le pénis mesure 3,5 cm, et aucun signe de développement pubertaire n’est noté. Le taux de testostérone est de 0,2 ng/ml et, de façon surprenante, FSH et LH plasmatiques sont respectivement mesurées à 67 et 22 U/l. L’hypogonadisme hypogonadotrope avec anosmie s’est transformé en hypogonadisme primaire ! À 18,5 ans, monsieur M mesure 170 cm et pèse 47 kg. Il entre en Maths Spé. L’endocrinologue qui prend le relais du suivi pédiatrique retrouve, en sus du syndrome malformatif initialement constaté, une hyperlaxité ligamentaire, une calvitie, l’absence de développement pilaire. L’examen ophtalmologique précise l’existence d’un glaucome. Un traitement de substitution par Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 1 - janvier 2016 09/02/2016 14:54:00 Un hypogonadisme congénital à bascule androgènes est initié, et la surveillance endocrinienne poursuivie. Le dernier bilan en date, réalisé à l’âge de 38 ans, confirme l’anosmie, avec une atrophie des bulbes olfactifs bien identifiée par l’examen IRM de l’encéphale (figure 2). L’ostéodensitométrie objective une ostéoporose (T-score lombaire à −3,2). LH et FSH sont respectivement à 30 et 68 U/l, et la testostéronémie, mesurée à distance du traitement androgénique substitutif, est de 0,29 ng/ml (N : 4 à 9). Les résultats de l’exploration biologique des fonctions thyroïdienne, surrénalienne et somatotrope ainsi que la sécrétion de prolactine sont normaux. Si le traitement à visée endocrinienne de monsieur M., qui comporte une substitution en testostérone et sa surveillance, ne pose guère de questions, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’origine et l’évolution de son hypogonadisme. L’hyperlaxité ligamentaire et les troubles oculaires peuvent faire évoquer un syndrome d’Ehlers-Danlos, au cours duquel d’authentiques hypogonadismes primaires ont été décrits (1). Au demeurant, l’absence d’hématomes et l’hypogonadisme hypogonadotrope initial avec anosmie ne permettent pas de retenir cette hypothèse. Ces 2 dernières caractéristiques, confortées par l’absence de bulbes olfactifs sur l’IRM encéphalique, confortent le diagnostic de syndrome de Kallmann-de Morsier. Celui-ci est en accord à la fois avec les anomalies génitales observées (cryptorchidie, micro-pénis, retard pubertaire) et avec la réversibilité du déficit gonadotrope. Une telle évolution a en effet été montrée chez des patients dont l’hypogonadisme hypogonadotrope congénital associé à un trouble olfactif (anosmie ou hyposmie) était sous-tendu par des mutations des gènes codant notamment FGFR1 (2), PROK2/PROKR2 (3) et CHD7 (4). Cette réversibilité n’est cependant pas exclusive du syndrome de Kallmann-de Morsier, puisqu’elle a été observée chez des patients dont l’hypogonadisme hypogonadotrope congénital était normosmique et sous-tendu par des mutations des gènes codant Kiss1/ KissR1 (5), TAC3/TAC3R (6) et GnRHR (7, 8). Si le diagnostic de syndrome de Kallmann-de Morsier est bien celui qu’il convient de retenir chez monsieur M., il reste à expliquer pourquoi l’hypogonadisme hypo­ gonadotrope initial s’est transformé en hypogonadisme primaire. On peut formuler l’hypothèse qu’en dépit de son abaissement chirurgical à un âge adéquat, le tissu testiculaire cryptorchide n’ait pu répondre correctement au réveil tardif et spontané de la sécrétion hypophysaire de gonadotrophines. Afin de tester cette hypothèse, l’étude des gènes KAL1, FGFR1, FGF8, PROK2 et PROKR2 a été entreprise chez monsieur M. Aucune mutation Figure 2. Résultat de l’examen encéphalique par résonance magnétique nucléaire. A. Coupe sagittale T1 où l’on peut observer la dysmorphie faciale. B. Coupe coronale T2 confirmant l’absence de bulbes olfactifs. n’a été retrouvée sur ces différents gènes. Il n’est donc pas exclu que cet hypogonadisme “à bascule”, à l’évidence congénital, soit lié à la mutation d’un des autres gènes (FGF17, FLRT3, DUSP6, IL17RD, SPRY4, CHD7, SEMA3A, NELF, WDR11, HS6ST1) dont la responsabilité dans un tel phénotype est connue (9) ou d’un autre gène qui s’ajouterait à cette longue liste et resterait à découvrir. Dans ce dernier cadre, on ne peut exclure l’inscription du phénotype de monsieur M. dans celui d’un syndrome de Johnson-McMillin. Cette entité, décrite en 1983, associe alopécie, malformation des oreilles, trouble de la conduction auditive, anosmie ou hyposmie et hypo­gonadisme hypogonadotrope (10). Peuvent s’y associer une hypo- ou une anhidrose (11), des nævi, une asymétrie faciale, un retard de croissance. Le retard mental y est inconstant. L’ensemble du tableau clinique observé chez ce patient, au QI parfaitement normal, pourrait donc s’inscrire dans ce syndrome. Si cette hypothèse était exacte, elle s’ajouterait à la liste des causes d’hypo­gonadisme hypogonadotrope congénital spontanément réversible. L’affirmation de ce diagnostic, ou au contraire sa réfutation, ne pourra reposer que sur les résultats de l’étude génétique. Elle devra néanmoins attendre, car le gène responsable du syndrome de Johnson-McMillin, transmis sur un mode autosomique dominant, n’a pas encore été précisément identifié. Il existe cependant des pistes, et le gène codant le récepteur de type A de l’endothéline, qui intervient dans le développement embryonnaire du premier arc branchial, pourrait en être un candidat potentiel (12). En attendant, monsieur M., au prix du maintien d’une substitution en testostérone, mène une vie personnelle et professionnelle tout à fait normale. ■ Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 1 - janvier 2016 0035_MET 35 Références 1. Aslanger AD, Altunoglu U, Aslanger E, Satkın BN, Uyguner ZO, Kayserili H. Newly described clinical features in two siblings with MACS syndrome and a novel mutation in RIN2. Am J Med Genet A 2014;164A(2):484. 2. Pitteloud N, Acierno JS Jr, Meysing AU, Dwyer AA, Hayes FJ, Crowley WF Jr. Reversible Kallmann syndrome, delayed puberty, and isolated anosmia occurring in a single family with a mutation in the fibroblast growth factor receptor 1 gene. J Clin Endocrinol Metab 2005;90(3):1317. 3. Sinisi AA, Asci R, Bellastella G et al. Homozygous mutation in the prokineticin-receptor2 gene (Val274Asp) presenting as reversible Kallmann syndrome and persistent oligo­ zoospermia: case report. Hum Reprod 2008;23(10):2380. 4. Laitinen EM, Tommiska J, Sane T, Vaaralahti K, Toppari J, Raivio T. Reversible congenital hypogonadotropic hypogonadism in patients with CHD7, FGFR1 or GNRHR mutations. PloS One 2012;7(6):e39450. Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr J.M. Kuhn déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 35 09/02/2016 14:54:01 Cas clinique R é f ér en c es (suite) 5. Root AW. Reversible isolated hypogonadotropic hypogonadism due to mutations in the neurokinin B regulation of gonadotropin-releasing hormone release. J Clin Endocrinol Metab 2010;95(6):2625. 6. Gianetti E, Tusset C, Noel SD et al. TAC3/TACR3 mutations reveal preferential activation of gonadotropin-releasing hormone release by neurokinin B in neonatal life followed by reversal in adulthood. J Clin Endocrinol Metab 2010;95(6):2857. 7. Sidhoum VF, Chan YM, Lippincott MF et al. Reversal and relapse of hypogonadotropic hypogonadism: resilience and fragility of the reproductive neuroendocrine system. J Clin Endocrinol Metab 2014;99(3):861. 8. Raivio T, Falardeau J, Dwyer A et al. Reversal of idiopathic hypogonadotropic hypogonadism. N Engl J Med 2007;357(9):863-73. 48 0048_MET 48 9. Valdes-Socin H, Rubio Almanza M, Tomé Fernández-Ladreda M, Debray FG, Bours V, Beckers A. Reproduction, smell, and neurodevelopmental disorders: genetic defects in different hypogonadotropic hypogonadal syndromes. Front Endocrinol (Lausanne) 2014;5:109. 10. Johnson VP, McMillin JM, Aceto T Jr, Bruins G. A newly recognized neuroectodermal syndrome of familial alopecia, anosmia, deafness, and hypogonadism. Am J Med Genet 1983;15(3):497. 11. Johnston K, Golabi M, Hall B, Ito M, Grix A. Alopecia-anosmia-deafness- hypogonadism syndrome revisited: report of a new case. Am J Med Genet 1987;26(4):925. 12. Gordon CT, Weaver KN, Zechi-Ceide RM et al. Mutations in the endo- thelin receptor type A cause mandibulofacial dysostosis with alopecia. Am J Hum Genet 2015;96(4):519-31. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 1 - janvier 2016 09/02/2016 14:54:01