Puberté différée ou hypogonadisme ? Retarded puberty or hypogonadism? J.M. Kuhn* Cas clinique Cas clinique L e jeune D.P., adolescent de 16 ans, est accompagné en consultation par ses parents, qui s’inquiètent d’un retard statural. Le jeune homme mesure en effet 149 cm, ce qui le situe à – 3,5 DS de la moyenne pour l’âge. Il n’a aucun antécédent médical ou chirurgical et ne suit aucun traitement. Il est en première S après avoir suivi un cursus scolaire normal. Son père, sa mère et son jeune frère de 12,5 ans, tous en parfaite santé, mesurent respectivement 176, 164 et 150 cm. Lors de la consultation initiale, D.P. pèse 44 kg. La courbe de croissance établie à partir des données recueillies dans le carnet de santé s’inscrit dans la moyenne jusqu’à l’âge de 12 ans, puis s’en écarte progressivement. D.P. ne présente aucun signe de développement pubertaire. Il n’a ni gynécomastie ni développement pilaire (celui-ci est coté A1-P1). L’examen des organes génitaux externes ne révèle aucune ambiguïté périnéale. Il n’y a pas de micropénis, mais deux testicules intrascrotaux de 3 ml. L’odorat est normal. D.P. est en euthyroïdie et en eucortisolisme cliniques. Sa pression artérielle est mesurée à 115/60 mmHg. Le reste de l’examen clinique ne révèle aucune anomalie. La LH et la FSH, mesurées à l’issue de la consultation, sont respectivement à 2,5 et 3 mU/ml. Le taux de testostérone plasmatique est à 0,5 ng/ml et l’estradiolémie est inférieure à 10 pg/ml. La TSH plasmatique est à 3,66 mU/l (N : 0,1-4,5) et l’IGF-1, mesurée à 121 ng/ml, s’inscrit dans la norme des enfants prépubères. Les données de l’examen clinique jointes aux premiers résultats biologiques amènent à réaliser, en hôpital de jour, un bilan plus complet. Après administration i.v. de 100 µg de GnRH, la LH et la FSH atteignent respectivement 7 et 5 mU/ml. La testostéronémie matinale est à 0,55 ng/ml. En réponse au chlorhydrate d’ornithine, le taux plasmatique d’hormone de croissance s’élève de 4 à 39 ng/ml (N > 10). Le taux de prolactine plasmatique est à 8 ng/ml. L’âge osseux, en retard par rapport à l’âge chronologique, est en adéquation avec l’âge statural. L’olfactométrie, le champ visuel et l’examen par IRM de la région hypophysaire (figure 1) se révèlent normaux. * Service d’endocrinologie et maladies métaboliques, CHU de Rouen. Figure 1. Examen par IRM de la région hypothalamo-hypophysaire ne révélant aucune anomalie morphologique. À ce stade, les résultats du bilan sont compatibles soit avec un hypogonadisme hypogonadotrope, dont l’étiologie serait alors à préciser, soit avec un retard pubertaire simple. L’harmonieux développement jusqu’à 12 ans, l’absence d’obésité, d’hypotonie et la normalité du cursus scolaire suffisent à écarter l’hypothèse d’un hypogonadisme s’inscrivant dans le cadre d’un syndrome de Willi-Prader. La perception adéquate des odeurs permet d’écarter un syndrome de Kallmann-de Morsier lié à l’X. La présence de deux testicules intrascrotaux et les résultats de l’IRM, sans être des arguments de certitude, ne sont pas en faveur des autres causes de déficit congénital en GnRH, qu’ils soient sous-tendus par une mutation du gène du récepteur de type 1 du FGF ou du GPR54. Une anomalie du récepteur de la GnRH demeure plausible, mais la faible ascension des gonadotrophines après injection i.v. de GnRH peut s’observer aussi bien dans ce cadre que dans celui du retard pubertaire simple. C’est donc à la bonne vieille méthode du test à l’hCG que la suite de l’enquête étiologique a recours. Soixantedouze heures après injection de 5 000 unités d’hCG par voie i.m., la testostéronémie atteint le chiffre de Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 1, janvier/février 2006 35 Cas clinique Cas clinique 3,2 ng/ml (figure 2). Le seuil de 2,5 ng/ml étant dépassé (ce qui témoigne d’un démarrage du processus pubertaire), le diagnostic retenu est celui de retard pubertaire simple, même s’il n’y a aucun antécédent identifiable de ce type dans la famille. Élément confirmatif supplémentaire, la recherche d’une mutation inactivatrice du gène codant le récepteur de la GnRH se révèle négative. L’évolution ultérieure confirme l’hypothèse de retard pubertaire simple, puisque, à 18,5 ans, le taux de testostérone plasmatique de D.P. est, en dehors de tout traite- Testostérone ng/ml 15 hCG 5 000 U 10 Témoins DP 5 0 Base 24 48 72 (heures) Figure 2. Évolution du taux de testostérone après injection i.m. de 5 000 unités de hCG. 36 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 1, janvier/février 2006 ment, de 4,9 ng/ml et s’accompagne d’une augmentation notable du volume testiculaire. Néanmoins, à l’issue du bilan réalisé initialement, une substitution androgénique est instaurée à l’âge de 16 ans 3 mois pour accélérer le développement pubertaire, pour atténuer le retentissement psychologique du retard staturopondéral et pubertaire et pour préserver le capital osseux. Si les deux premiers objectifs sont atteints, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’os. Alors qu’il est traité par une injection de 100 mg d’heptylate de testostérone toutes les trois semaines depuis plus d’un an, D.P., âgé de 17,5 ans, chute de sa hauteur et se brise le col fémoral droit. L’ostéodensitométrie révèlera un risque ostéoporotique élevé pour la tranche d’âge. L’androgénothérapie est intensifiée, puis, une fois démontrée, à 18,5 ans, la normalisation de la sécrétion endogène de testostérone, le relais est pris par une supplémentation en calcium et en vitamine D. Cette observation, qui illustre les nuances sémiologiques séparant un authentique hypogonadisme hypogonadotrope congénital d’un retard pubertaire simple, permet de souligner les répercussions squelettiques précoces d’une imprégnation différée en androgènes au cours de la puberté masculine. Il est donc important d’identifier celle-ci afin d’adopter une attitude préventive, qui, dans un tel contexte, devrait reposer sur un apport transitoire ■ en androgènes dès l’âge de 16 ans.