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Mise au point
Cet article fait partie d’un programme d’information d’Organon et de Riom Laboratoires-CERM,
édité par Help Medical.
Approche pharmacologique des échecs
aux traitements antidépresseurs
Patrick Rogue*
L
a dépression, une maladie
chronique qui représente l’une
des principales causes d’incapacité dans le monde, va engendrer
des besoins croissants en termes
de santé publique dans les
années à venir. De nombreux
antidépresseurs sont aujourd’hui
disponibles. Pourtant, ces molécules présentent des limites et de
réels inconvénients. Ainsi, les
attentes des cliniciens par rapport à de nouveaux produits efficaces et bien tolérés sont vives.
Comment satisfaire cette espérance et être innovant aujourd’hui dans ce domaine ? Une
stratégie originale très prometteuse pour développer de nouveaux antidépresseurs plus efficaces et mieux tolérés consiste à
antagoniser à la fois les récepteurs α2-noradrénergiques et les
récepteurs
sérotoninergiques
5HT2 et 5HT3, sans bloquer les
récepteurs sérotoninergiques 5HT1A.
Les techniques actuelles de la
recherche pharmacologique permettent le développement de
telles molécules.
D
epression, a chronic disease
and a leading cause of
disability worldwide, will generate increasing needs in terms of
public health in the coming
years.Many antidepressants are
now available. However, these
molecules present real limitations
and disadvantages. Thus there
are great expectations on the
part of the clinician for more efficient drugs that are better tolerated. How can we satisfy such
hopes and innovate in this
domain today? One original and
most promising strategy for developing new antidepressants that
are more efficient and better tolerated involves antagonizing both
α2-noradrenergic and 5HT2 and
5HT3 serotonergic receptors ,
without blocking 5HT1A serotonergic receptors. The technology
now available in pharmacological research allows the development of such molecules.
Les troubles dépressifs :
une pathologie chronique
◆
* Centre de Neurochimie, CNRS, Strasbourg.
Rappelons tout d’abord quelques
chiffres afin de mieux souligner l’ampleur du problème. Les états dépressifs, qui peuvent survenir à tout âge,
sont l’une des formes les plus fréquentes de maladie mentale. Les différentes études épidémiologiques
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 215, décembre 1998
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donnent une prévalence dans la population générale qui, sur la vie entière,
oscille autour de 16 % (1). Les
dépressions affectent plus souvent les
femmes que les hommes, avec un rapport homme/femme qui est de 1/2
(exception faite des formes bipolaires). On observe une augmentation
séculaire dans la prévalence des
dépressions, qui sont beaucoup plus
fréquentes parmi les sujets nés après
la dernière Guerre mondiale qu’avant.
Les causes profondes de cette tendance ne sont pas connues (effet de période, de cohorte,…). Les dépressions
sont à l’origine de la majorité des suicides (15 % des déprimés meurent
ainsi) et représentent la 8e cause de
décès dans la population générale.
Elles sont aussi associées à une morbidité et à une mortalité accrues par
différentes affections somatiques (2).
Elles sont l’une des principales causes
d’incapacité dans le monde. Bref, il
s’agit là d’un problème majeur de
santé publique, et l’extrapolation des
chiffres pour l’an 2020 montre que les
dépressions vont engendrer des
besoins croissants en termes de santé
publique.
◆
Bien que la plupart des travaux
soient focalisés sur l’épisode dépressif
majeur, l’épidémiologie a mis en évidence non seulement la forte prévalence des dépressions, mais aussi leur
nature chronique et résistante au traitement. Ainsi, les derniers résultats de la
Collaborative
Study
of
the
Psychobiology of Depression (CDS)
attestent de cette forte propension à la
récidive. Le pourcentage cumulé de
récidives est élevé parmi les malades
en phase de rémission, 15 % et 22 %
après respectivement 6 mois et 1 an
d’évolution asymptomatique. Dix ans
après la rémission, 75 % de ceux qui
ont récupéré rechutent (1). Deux facteurs sont associés à cette tendance de
manière très significative. La comorbidité joue un rôle important : compa-
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rées aux dépressions primaires, les
rechutes lors de dépressions secondaires à une autre affection psychiatrique sont encore plus fréquentes
(35 % et 67 % respectivement). Le
nombre d’épisodes antérieurs est surtout déterminant : plus il est élevé,
plus la probabilité de rechute est grande (73 % chez les patients avec 3 ou
plus épisodes antérieurs) et plus la
durée des intervalles libres diminue.
◆ La CDS confirme aussi la tendance à
l’évolution chronique de la dépression
unipolaire. Ainsi, seulement 54 %,
70 %, 81 %, 88 % et 93 % des déprimés parviennent à une rémission après
respectivement 6 mois, 1 an, 2 ans, 5
ans et 10 ans d’évolution (1). Deux ans
après le début de l’épisode dépressif,
19 % des patients restent donc déprimés, et plus d’un patient sur 10 restera
dans cet état pendant plus de 5 ans.
Parmi les facteurs de risque, c’est la
durée de l’épisode dépressif qui est le
meilleur indice du temps nécessaire
pour obtenir la rémission. Le DSM-IV (3)
distingue en fait 2 types de dépressions
chroniques : la dépression majeure
chronique (≥ 2 ans de durée) et la
dépression double (épisode dépressif
majeur survenu au décours d’une période de dysthymie ayant persisté au minimum 2 ans). En tout, ces troubles
concernent environ un tiers des déprimés. Les déprimés chroniques sont des
patients très handicapés, avec des difficultés dans toutes les sphères (famille,
relations socioprofessionnelles, sexualité, loisirs et qualité de vie en général).
Ces difficultés peuvent persister jusqu’à 2 ans après la fin du dernier épisode
dépressif (4). Ces patients apparaissent plus handicapés que les hypertendus ou les diabétiques par exemple. La
dépression doit donc être considérée
comme une maladie chronique, au
même titre que les affections somatiques prolongées.
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Avant la résistance, l’observance
◆
L’idée que les dépressions chroniques
seraient par essence résistantes au traitement s’est avérée fausse. Différentes
études cliniques ont montré en effet que
les antidépresseurs peuvent être efficaces
dans les dépressions majeures chroniques
ou récidivantes. Cette notion a eu bien sûr
des conséquences significatives sur la
conduite du traitement et sur la prophylaxie. Les attitudes dans ce domaine ont
beaucoup évolué ces dernières années.
Jusqu’au milieu des années 1980, il
paraissait souhaitable de maintenir les
patients sous antidépresseurs 4 à 6 mois
seulement, avant d’arrêter progressivement le traitement. Aujourd’hui, dans le
cas des dépressions majeures unipolaires
récidivantes, un traitement d’entretien de
3 à 5 ans est préconisé (voire prolongé à
vie selon certains auteurs). C’est là un élément supplémentaire qui milite en faveur
de l’introduction de nouveaux antidépresseurs plus efficaces et mieux tolérés que
ceux actuellement disponibles.
◆ Malgré la souffrance qu’elles occasionnent, malgré leur impact économique
considérable, et le fait qu’elles réagissent
au traitement par antidépresseurs, les
dépressions chroniques restent sous-diagnostiquées et sous-traitées (5). Par
exemple, 60 % des patients qui présentent
un épisode dépressif majeur persistant de
manière chronique depuis plus d’un an ne
reçoivent pas ou peu de traitement. Il en
est de même pour 50 % des patients dont
la dépression dure au moins 2 ans (1). Si
la dernière décennie a vu une augmentation considérable des connaissances dans
le domaine de la dépression, nous
sommes encore loin d’une prise en charge
satisfaisante du problème. Il y a différentes raisons à cela, dont certaines
concernent le praticien (diagnostic insuffisant, relations médecin-malade compliquées, prescription de traitements non
pharmacologiques seuls, sous-dosage lié à
la crainte des effets secondaires). Le
patient peut aussi contribuer, malgré lui, à
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son propre malheur. En effet, il est surprenant de constater que de nombreux
patients déprimés préfèrent endurer leur
calvaire en silence plutôt que de consulter.
La crainte de la stigmatisation qui reste
attachée à la maladie mentale explique en
partie cette attitude. Cependant, il semble
que le facteur déterminant soit le sentiment que les traitements disponibles présentent trop d’inconvénients.
◆ Des arguments analogues expliquent
les arrêts spontanés du traitement antidépresseur par les malades et la nonobservance. L’observance du traitement est une conduite dont le déterminisme est multifactoriel. Interviennent
ici les facteurs d’ordre sociologique (la
dépression reste stigmatisée), ou bien
dépendant du praticien et de la manière
dont il gère l’interruption spontanée
(l’attitude de certains confrères est parfois défensive ; ils ressentent l’arrêt
comme une disqualification qui les
empêche d’adopter une contre-attitude
efficace) ou encore liés à la maladie
(absence fréquente de rechute immédiatement après l’arrêt de l’antidépresseur, influence de la personnalité,
comorbidité autre, rôle de la chronicité). Les facteurs liés au traitement
jouent aussi un rôle important. Ils sont
eux-mêmes complexes. Des études ont
montré que les arrêts prématurés, qui
surviennent précocement après l’instauration d’un traitement antidépresseur, sont souvent en relation avec la
survenue d’effets secondaires significatifs. En revanche, les interruptions plus
tardives le seraient moins et seraient
plutôt liées à l’intensité de l’épisode qui
a motivé la mise en route du traitement.
Bref, l’observance est un objectif
essentiel à toutes les phases du traitement, et il est clair que de nouveaux
antidépresseurs sont nécessaires; ils
devront être au moins aussi efficaces
que les molécules déjà disponibles et
mieux tolérés, de telle sorte que les
patients seront moins enclins à les
interrompre.
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La résistance au traitement :
un phénomène complexe
◆ Il apparaît pourtant que la santé de
nombreux patients déprimés ne s’améliore pas dans les délais prévus, même
après prescription d’un traitement antidépresseur réputé efficace. En effet, si
classiquement les troubles affectifs sont
réputés de pronostic relativement favorable, seulement 60 à 70 % des
malades pourront tolérer et seront
améliorés par l’antidépresseur prescrit en première intention. De nombreux déprimés (30 % environ, mais
jusqu’à 50 % selon certaines études)
présentent soit une intolérance au traitement, soit un échec partiel ou total à
l’essai médicamenteux initial (6). Près
de 10 % d’entre eux resteront déprimés
malgré de multiples interventions. Les
patients qui nécessitent plusieurs tentatives sont appelés résistants ou réfractaires au traitement.
◆ Le concept de dépression résistante
est d’apparition relativement récente (7).
Il existe un certain flottement sémantique dans ce domaine. Habituellement,
le terme est réservé aux dépressions évoluant depuis moins de deux ans, la formule appropriée au-delà de cette durée
étant non plus celle de “dépression résistante” mais de “dépression chronique”.
Un patient déprimé peut donc être résistant au traitement sans souffrir de
dépression chronique.
Quoi qu’il en soit, dans l’idée de résistance, la notion essentielle est que le
patient appelé réfractaire ait pu bénéficier d’un traitement adéquat. Cela suppose donc que soit défini le concept de
traitement adéquat auquel la dépression
résiste. Il s’agit là bien entendu d’une
préoccupation ancienne ; dès 1974,
l’OMS avait distingué résistance relative
(non-réponse à un traitement inadéquat) et résistance absolue (résistance
malgré un traitement approprié). Par la
suite, de nombreuses autres définitions
ont été proposées, dans lesquelles l’importance de la dose prescrite est généralement soulignée. La durée du traitement doit aussi être suffisante. En pratique, la notion de résistance absolue
implique l’absence d’amélioration chez
un patient qui recevrait la dose maximale non toxique de manière prolongée, par exemple 300 mg/jour* d’imipramine ou 200 mg/jour de sertraline
durant 8 semaines (6). Plus récemment,
certains auteurs ont préconisé l’adoption d’une définition consensuelle qui
prendrait en compte différents paramètres : diagnostic (critères d’inclusion
et d’exclusion) ; évaluation de la réponse (échelles) ; posologie ; durée (problème des répondeurs lents) ; nombre
d’essais adéquats nécessaire avant
d’évoquer la non-réponse ; compliance.
◆ Les causes de la résistance aux traitements antidépresseurs sont multiples.
Différents facteurs ont été identifiés qui
contribuent au problème de la résistance
aux antidépresseurs : facteurs d’ordre
socio-démographique (pauvreté, âge,
genre, car la résistance aux antidépresseurs serait relativement plus fréquente
chez les femmes) ; rôle de la pérennisation
des facteurs de stress ; type de dépression
et sa sévérité (par exemple, il n’y a toujours pas de traitement consensuel pour
les dépressions brèves récurrentes). La
personnalité du déprimé influence aussi la
réponse aux antidépresseurs (8, 9), bien
que la manière dont s’exerce cet effet soit
très difficile à préciser. Le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs est essentiel. Il
apparaît aussi que les facteurs liés au traitement jouent un très grand rôle (6).
Les causes pharmacologiques de la
résistance : le problème de l’efficacité
Aucune molécule connue n’est efficace
chez tous les patients.
◆ En ce qui concerne les IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase), les
inconvénients bien connus (hyperten-
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sion artérielle induite par la tyramine
notamment) des molécules de la première génération (non sélectifs et irréversibles) ont sérieusement restreint
leur utilisation. Et, si une nouvelle
génération est apparue (IMAO réversibles ou RIMA, tels que la brofaromine ou le moclobémide) qui n’a pas ces
inconvénients, leurs avantages au plan
de l’efficacité sont discutés. Les antidépresseurs tricycliques ont longtemps représenté le traitement de base
de l’épisode dépressif. Notons toutefois
que le problème des doses optimales
pour ces molécules n’est pas entièrement résolu.
◆ Qu’en est-il des ISRS (inhibiteurs
sélectifs de la recapture de la sérotonine) ?
Le développement de cette classe d’antidépresseurs a été inspiré par la théorie
monoaminergique des dépressions. Les
cliniciens et les chercheurs souhaitaient
essentiellement obtenir des composés
plus spécifiques et ainsi mieux tolérés.
Pour ce faire, ils ont parié sur la sérotonine, car le système sérotoninergique
était supposé être plus directement
impliqué dans la régulation de l’humeur que la noradrénaline. Le premier
ISRS commercialisé fut la zimelidine
en 1981, qui a été retirée par la suite en
raison d’effets secondaires (syndrome
de Guillain-Barré). D’autres ISRS (fluvoxamine, fluoxétine, paroxétine, citalopram et sertraline) ont été commercialisés depuis. Pourtant, plusieurs
investigateurs, lors d’études contrôlées
multicentriques, ont obtenu des résultats qui indiquent que les ISRS sont
moins efficaces que les tricycliques
(10, 11).
◆ Dans les dépressions d’intensité
modérée, l’efficacité des différents
antidépresseurs semble comparable ; et
c’est dans le contexte de la dépression
sévère que le problème de l’efficacité
revêt toute sa signification. Certaines
* La posologie maximale recommandée par
l’AMM dans la dépression est de 150 mg/jour.
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molécules sont réputées plus efficaces
que d’autres. En particulier, il est admis
par de nombreux praticiens que les tricycliques sont les molécules les plus
efficaces pour traiter les dépressions
sévères. Il y a moins d’unanimité
concernant l’utilisation des ISRS chez
ce type de patients. Ainsi, une stratégie
courante dans ce genre de situation est
d’utiliser un tricyclique et d’augmenter
les doses pour favoriser l’amélioration
clinique. Ce type d’approche suppose
implicitement l’existence d’une relation dose-effet démontrée, qui autoriserait l’ajustement des posologies afin
d’optimiser la réponse thérapeutique.
Pourtant, il existe peu de données qui
permettraient d’étayer le bien-fondé de
cette démarche. Si l’existence d’une
relation dose-effet est effectivement
démontrée pour plusieurs antidépresseurs tricycliques, l’augmentation de la
dose se heurte ici au problème de la
tolérance et des effets secondaires et
toxiques, qui souvent empêche l’expression de la relation dose-effet. D’un
autre côté, les ISRS ont tendance à
induire moins d’effets secondaires ;
mais, notamment dans le cas de la
fluoxétine, de la paroxétine et de la sertraline, la courbe dose-effet est relativement plate. Cela est probablement lié
au fait que l’effet inhibiteur sur la
recapture de la sérotonine est d’emblée
maximal (12, 13).
◆ Une autre question, tout aussi importante, a trait au délai d’action. L’effet
thérapeutique des antidépresseurs, y
compris dans le cas des ISRS, est retardé. L’une des principales hypothèses
avancée pour expliquer ce délai d’action prolongé implique les autorécepteurs 5HT1A somatodendritiques. Les
ISRS, par exemple, augmentent la disponibilité synaptique de la sérotonine dont
la conséquence est l’activation de plusieurs récepteurs sérotoninergiques.
Cette augmentation de la concentration
locale de sérotonine est aussi observée
au niveau des corps cellulaires des neurones des noyaux du raphé, où la séro-
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tonine stimule les autorécepteurs sérotoninergiques 5HT1A inhibiteurs
somatodendritiques qui régulent les
décharges neuronales. Par conséquent,
l’activité des cellules sérotoninergiques
est freinée, du moins en début de traitement. L’apparition de l’effet bénéfique
sur l’humeur après deux semaines de
traitement serait contemporaine de la
désensibilisation de ces autorécepteurs
5HT1A (14).
Plusieurs stratégies ont été proposées
pour accélérer la réponse aux antidépresseurs. Par exemple, les effets de
l’agrypnie sont immédiats, et la photothérapie agit dans des délais beaucoup
plus courts que les antidépresseurs. En
ce qui concerne les approches pharmacologiques, certains auteurs ont préconisé l’association pindolol-ISRS.
L’utilisation du pindolol pour potentialiser l’action des ISRS serait justifiée par
le fait qu’il s’agit d’un antagoniste mixte
5HT1A-sérotoninergique/ß-noradrénergique. L’utilisation d’un antidépresseur à
action sélective mixte sérotoninergique
et noradrénergique semble représenter
ici une alternative intéressante.
Les atouts de l’action duelle
◆ Au plan neurobiologique, il est devenu clair qu’il n’est plus possible d’envisager séparément les systèmes noradrénergique et sérotoninergique. Ils interagissent de manière intime, et cette
interaction semble fondamentale pour
la dépression. L’interaction entre les
systèmes noradrénerqique et sérotoninergique représente une cible privilégiée pour les traitements antidépresseurs.
◆ De nombreux résultats obtenus chez
les malades confirment la notion que
l’efficacité des antidépresseurs est
accrue par une “double action”, à la
fois sur le système sérotoninergique
et le système noradrénergique (15,
16). Par exemple, l’administration d’α-
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méthyl-paratyrosine, qui interrompt la
synthèse de la noradrénaline, entraîne
des rechutes chez les déprimés.
Plusieurs études ont montré que les
inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
noradrénaline ont aussi un potentiel antidépresseur. L’association des effets sélectifs sur chacun des deux systèmes paraît
donc clairement avantageuse. Néanmoins,
l’inhibition à la fois de la recapture de la
sérotonine et de la recapture de la
noradrénaline ne représente pas nécessairement la solution optimale pour parvenir à cette double action. D’autres
approches semblent intéressantes (blocage
sélectif de la recapture de la sérotonine
associé à l’antagonisme des récepteurs
α2-noradrénegiques présynaptiques,
dont la stimulation bloque la libération
de certains neurotransmetteurs).
Les causes pharmacologiques de la
résistance : le problème des effets
indésirables
◆
Les antidépresseurs tricycliques
posent avant tout le problème de l’importance des effets indésirables qu’ils
peuvent entraîner. Les arrêts de traitement prématurés sont une cause majeure
d’échec avec ces dérivés. Les effets
secondaires anticholinergiques sont
bien connus. La cardiotoxicité des tricycliques et les effets hypotenseurs le
sont aussi.
◆ La nouvelle génération d’ISRS se
caractérise surtout par des progrès
importants en termes de tolérance et de
sécurité : ils n’induisent pas d’effets
anticholinergique, cardiotoxique ou
hypotenseur. Cependant, ils ne sont pas
dénués d’inconvénients. Les effets
indésirables les plus courants sont les
troubles gastro-intestinaux (nausées,
vomissements, diarrhées). Ces effets
seraient plus fréquents avec certains
ISRS que d’autres, mais en fait ils les
concernent tous. Il en est de même pour
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l’irritabilité et la tendance à l’insomnie,
autres types d’effets indésirables souvent observés avec les ISRS. A noter
que la majorité des antidépresseurs ont
tendance à inhiber le sommeil paradoxal (REM) (17), alors que les antagonistes 5HT2 ont l’effet inverse.
Les dysfonctionnements sexuels,
notamment la baisse de la libido, sont
habituels lors de la dépression. La plupart des antidépresseurs disponibles
induisent des dysfonctionnements
sexuels (ou aggravent les dysfonctionnements existants) chez bon nombre de
patients. Il s’agit d’un effet secondaire
particulièrement gênant, qui peut
conduire à l’arrêt prématuré du traitement. On mesure là les conséquences
délétères de ce genre d’effet indésirable. Il est évident qu’un antidépresseur “idéal” ne doit pas présenter ce
type d’inconvénient.
◆ La sérotonine exerce ses multiples
actions par le biais de plusieurs types
de récepteurs sérotoninergiques postsynaptiques, et les effets secondaires sont
la conséquence de la stimulation excessive par la sérotonine de tous les récepteurs sérotoninergiques. Ainsi, c’est la
stimulation des récepteurs 5HT2 et
5HT3 qui est associée aux effets
secondaires de type anxiété/agitation,
insomnie, dysfonctionnement sexuel et
troubles gastro-instestinaux. En effet,
chez l’animal, la stimulation des récepteurs 5HT2 et 5HT3 est associée à des
phénomènes de ce type. Cela explique
leur apparition avec les ISRS.
D’autres inconvénients ont été signalés
avec les ISRS. Par ailleurs, des accidents ont été décrits lorsque les ISRS
sont associés aux IMAO, avec décès
rapide par hyperthermie (18). Une
période de sevrage doit donc impérativement être respectée si l’on souhaite
changer un traitement par un ISRS en le
relayant par un IMAO. Cette phase
dépend de la demi-vie de l’ISRS en
question (pour la fluoxétine, cette
période de “washout” doit atteindre
cinq semaines).
La question des interactions
médicamenteuses
◆ Une autre question que se posent les
cliniciens dans leur pratique quotidienne en prescrivant des antidépresseurs
concerne les interactions pharmacocinétiques avec d’autres médicaments.
Les interactions médicamenteuses sont
soit de type pharmacodynamique (liées
à des actions au niveau des mêmes
cibles), soit de type pharmacocinétique
(un médicament interfère avec l’absorption, le transport, la distribution ou
le métabolisme d’un autre médicament). Ces dernières sont les plus
importantes, en particulier les interactions pharmacocinétiques au niveau du
métabolisme hépatique. La plupart des
psychotropes sont en effet éliminés de
l’organisme au moyen de transformations (oxydations et déméthylations)
catalysées par le système du cytochrome P450 du foie (réactions de phase I).
Ce système est composé de 12 familles
d’isoenzymes. Il existe à ce niveau une
grande variabilité interindividuelle,
variabilité qui repose essentiellement
sur le polymorphisme génétique des
enzymes de la famille des cytochromes
P450. Six isoformes semblent plus
importantes pour le praticien, chacune
étant codée par des gènes distincts
(CYP1A2, CYP2C9, CYP2C19,
CYP2D6, CYP2E1 et CYP3A4) (19).
L’expression de ces gènes peut être
modifiée par des facteurs environnementaux. Ainsi, certains cytochromes
sont inductibles, ce qui s’accompagne
d’une accélération de la biotransformation. Inversement, certains cytochromes
peuvent être inhibés. Le médicament
est donc soit substrat, soit inhibiteur de
l’enzyme. Lorsque plusieurs médica-
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ments empruntent la même voie de biotransformation, il existe donc un risque
d’interactions médicamenteuses avec
possibilité de modification de l’efficacité clinique, voire d’intolérance. Les
interactions médicamenteuses causées
par l’induction ou l’inhibition du cytochrome P450 représentent une partie
très importante des interactions pharmacocinétiques.
◆ Le système du cytochrome P450 du
foie joue un rôle capital dans le métabolisme des ISRS, qui interagissent et
sont métabolisés par différentes isoenzymes. De plus, le système du cytochrome P450 hépatique est à l’origine
de la majorité des interactions médicamenteuses avec les ISRS (19).
Ainsi, la paroxétine et la fluoxétine sont
des inhibiteurs puissants d’une isoforme, le CYP2D6, et la fluvoxamine est
un inhibiteur très puissant du CYP1A2.
Ces ISRS sont donc susceptibles de
proposer des interactions avec les médicaments métabolisés par les isoenzymes dont ils inhibent l’activité en cas
d’association (neuroleptiques, antiarythmiques). Par conséquent, certaines associations avec les ISRS sont à
manier avec prudence, voire contreindiquées, ou imposent le recours à la
surveillance des concentrations plasmatiques.
◆ Par ailleurs, les conséquences de
l’inhibition à long terme du système
des cytochromes P450 ne sont pas
connues. Or des traitements prolongés
sont nécessaires, ce qui impose la prudence dans le maniement à long terme
des ISRS.
◆ Le comportement pharmacocinétique est lui aussi un paramètre important à considérer lors du développement
des antidépresseurs. La biodisponibilité
orale d’un médicament est limitée avant
tout par le métabolisme hépatique. En
effet, tout médicament administré par
voie orale est résorbé au niveau de la
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muqueuse digestive qu’il traverse pour
arriver dans le sang où il se lie aux protéines. De là, il parvient au foie par le
système porte avant de passer dans la
circulation générale. Or, dans le cas des
dérivés tricycliques, par exemple, après
un premier passage hépatique, la plus
grande partie est métabolisée en catabolites actifs et inactifs. Ainsi, la biodisponibilité orale de ces médicaments
dépend non seulement de la posologie,
mais aussi de la voie d’administration.
De nouveaux antidépresseurs :
une nécessité
◆ Si l’on considère le nombre de molécules disponibles pour la même indication, développer d’autres antidépresseurs semble a priori un non-sens. En
réalité, du fait des limites des molécules
existantes évoquées ci-dessus et en raison de l’ampleur du problème que pose
et que continuera à poser la dépression,
il est clair que des antidépresseurs
plus efficaces et mieux tolérés sont
réellement nécessaires.
◆ Le profil idéal paraît aujourd’hui
correspondre à l’action double et
sélective sur les systèmes sérotoninergique et noradrénergique. Il est tout
aussi important que ces dérivés soient
dénués le plus possible d’effets secondaires néfastes, non seulement de type
anticholinergique mais aussi de type
sérotoninergique. Ainsi, le blocage des
récepteurs sérotoninergiques 5HT2
et 5HT3 est souhaitable, tout en respectant les récepteurs sérotoninergiques 5HT1A.
◆ Développer une telle molécule peut
sembler une gageure. Cependant, à
l’ère de la chimie combinatoire et de la
biologie moléculaire, cela devient possible.
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