“ S Disease, illness, sickness 3 sens pour “maladie” ?

198 | La Lettre du Pneumologue Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014
ÉDITORIAL
Disease, illness, sickness:
3senspour“maladie”?
Disease, illness, sickness: 3meanings for “maladie”?
Son discours sur l’universalité de la langue française (1), couronné par le prix
del’Académie de Berlin*, valut à Rivarol (1753-1801) sa renommée.
Ilyaffi rmaitnotamment que, si la langue française dispose de la clarté
parexcellence, l’anglaisest obscur, a une syntaxe bizarre et des formes serviles
Force est pourtant de constater que, là où la langue française ne dispose
queduterme “maladie”, l’anglais a 3termes distincts: disease, illness, sickness,
àvraidireindispensables.
Indispensables parce que, au-delà des mots, ils décrivent des dimensions
etdesconcepts de la “maladie” qui appartiennent respectivement au médecin,
aumalade, etàla société dans laquelle vit ce dernier (2).
Disease désigne un ensemble d’anomalies objectives des structures,
desfonctionsdes organes, et des systèmes de l’organisme (3) que le médecin
apourtâchedediagnostiquer. La disease peut être asymptomatique: élévation isolée
delaglycémiedudiabète, ou carcinome bronchique asymptomatique, mis en évidence
parunexamen systématique de dépistage, par exemple. La disease s’exprime aussi
pardes symptômes, rapportés spontanément par le patient (malade qui consulte
unmédecin) ou recueillis par le médecin (anamnèse). Il appartient au médecin,
àpartir delasymptomatologie et d’examens cliniques et paracliniques, de conduire
lediagnosticet, fi nalement, de nommer la disease selon la nomenclature actuelle.
Letraitementprescrit achèvera souvent de sceller la défi nition de la disease.
Illness désigne ce que ressent subjectivement le malade (par exemple, une douleur,
un essouffl ement), ainsi que les éventuels symptômes qu’il observe lui-même
(parexemple, une toux) et qu’il perçoit comme un problème de santé, ce qui l’incite
àconsulter le médecin.
On a pu dire que le malade ressent l’illness quand il se rend chez le médecin pour
une consultation et qu’il en ressort avec une disease (4), et que les malades souff rent
d’illness alors que les médecins diagnostiquent et traitent des diseases (3).
L’illness appartient au seul malade et elle ne peut être niée par quiconque, pas même
lemédecin. Elle conduit le plus souvent à des investigations (cliniques, biologiques,
d’imagerie) que mène le médecin et à l’issue desquelles ce dernier portera un
diagnostic (dont l’absence de maladie somatique fait partie, ce qui conduit alors
souvent à undiagnostic de “troubles fonctionnels”). Donner un nom à une illness
peutparfois créerune disease (cest le cas, par exemple, de la fi bromyalgie) [5].
L’illness, façonnée par lesfacteurs culturels et les croyances, varie selon
lescivilisations et lesidées populaires surla médecine (folk medicine) [6].
En négliger ces composantes estdenature à amputer laqualité de la relation
entrelemalade et son médecin.
* Le sujet proposé au concours
par l’Académie en 1783 était le
suivant : “Qu’est-ce qui a rendu
la langue française universelle ?
Pourquoi mérite-t-elle cette pré-
rogative ? Est-il à présumer qu’elle
la conserve ?”
Pr Jean-François
Cordier
Centre de référence pour les maladies
pulmonaires rares, hôpital cardio-
vasculaire et pneumologique Louis-
Pradel, CHU de Lyon.
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La Lettre du Pneumologue Vol. XVII - n° 6 - novembre-décembre 2014 | 199
Il peut arriver que disease et illness soient réunies dans l’expérience individuelle:
JohnFloyer, médecin anglais (1649-1734), écrivait ainsi, il y a 3siècles, dans son
Traité delasthme (7): “J’ai souff ert sous la tyrannie de l’asthme pendant au moins
30ans”, etendéduisait ceci : “De ce fait, je suis pleinement informé de l’histoire
decettemaladie” (disease), ce dont on peut douter, l’expérience individuelle de
l’illness neconférant évidemment pas la connaissance de la disease dans la diversité
desesmanifestations
Sickness est le mode de manifestation extérieur et public d’un problème de santé,
etceen quoi la société peut le reconnaître et soutenir la personne atteinte, selon qu’il
s’agit, parexemple, desmaladies chroniques ou psychiatriques (2). La considération
parla société dela sickness n’est pas toujours la même pour une maladie psychiatrique
ou une maladie chirurgicale, oupour une maladie du sujet jeune ou de la personne âgée.
Lanthropologie médicale s’intéresse notamment à la relation entre la culture et la
sickness, au processus deguérison, et à la relation entre médecin et malade (4, 8, 9).
Elleaccorde la place nécessaire àune prise en compte par le médecin de la construction
culturelle, sociale, etpsychologique del’illness mise en place par le malade et son
entourage. Mais, plus trivialement, sicknessveut aussi dire “mal”, de mer (seasickness),
des montagnes aigu ou chronique (acutemountain sickness, chronic mountain sickness),
des transports (motion sickness) ou“maladie”, du sommeil (sleeping sickness), par
exemple. Sickness absence signifi e absence pour maladie, congé de maladie...
La frustration de manquer de connaissances éprouvée par certains malades
peutexacerber leur désir de mieux connaître leur propre disease: “Plus je posais
dequestions, moins j’avais deréponses […]. La seule façon de bien vivre avec
unemaladie [illness] chronique estd’endevenir un expert” (10).
Le terme de “patient expert” a pris, depuis quelques années, des sens divers.
Ila d’abord désigné un patient qui a acquis des connaissances théoriques
surladisease dont il est atteint et sur le traitement qu’elle requiert (éducation
thérapeutique). Il s’agit, en fait, dans ce cas, d’un patient “instruit” dans la fi nalité
d’une prise en charge personnelle, capable d’adapter lui-même son propre
traitement et de reconnaître les situations oucomplications qui vont nécessiter
lerecours au médecin. Lasthme en est un bon exemple. Maislevéritable patient
expert nous semble relever aujourd’hui d’une autre défi nition: patient instruit,
iladéveloppé et structuré ses connaissances théoriques etses connaissances
expérientielles” (connaissances personnelles, enrichies desconnaissances
partagées avec d’autres patients) [11]. Seul authentique expert del’illness
(enparticulier dans le domaine des maladies rares), il joue un rôle quidoitêtre
accru etreconnu, notamment dans la formation des personnels de santé,
aupremier rang desquels les médecins. Nous avons besoin de ces nouveaux
patients experts, pourtransmettre notamment des connaissances expérientielles
relevant del’illness, pourparticiper à l’enseignement médical et à celui
del’ensemble desprofessions desanté, etpour susciter une écoute enfi n
plusattentive delapart desdécideurs danslesdomaines de la santé.
1. Rivarol A. De l’universalité
de la langue française. Paris : Bailly,
Dessenne, 1784.
2. Marinker M. Why make
people patients? J Med Ethics
1975;1(2):81-4.
3. Eisenberg L. Disease and illness.
Distinctions between professional
and popular ideas of sickness. Cult
Med Psychiatry 1977;1(1):9-23.
4. Helman CG. Disease versus
illness in general practice. J R Coll
Gen Pract 1981;31(230):548-52.
5. Dover C. Spurious syndromes: we
create disease by giving every illness
a name. BMJ 2014;348:g1828.
6. Saunders L, Hewes GW. Folk
medicine and medical practice.
J Med Educ 1953;28(9):43-6.
7. Floyer J. A treatise of the asthma.
London: Richard Wilkin, 1698.
8. Parry KK. Concepts from medical
anthropology for clinicians. Phys
Ther 1984;64(6):929-33.
9. Kleinman A, Eisenberg L, Good
B. Culture, illness, and care: clinical
lessons from anthropologic and
cross-cultural research. Ann Intern
Med 1978;88(2):251-8.
10. Brookes T. Catching my breath:
an asthmatic explores his illness.
New York : Random House, 1994.
11. Cordier JF. The expert patient:
towards a novel definition.
Eur Respir J 2014;44(4):853-7.
L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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