La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
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VIE PROFESSIONNELLE
Le secret est-il institué dans l’intérêt
général ou dans l’intérêt des patients ?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas clos. Le secret est issu
du code pénal, ce qui signifie qu’il est institué pour des motifs
d’intérêt général. Or, le code de déontologie médicale précise que
le secret est institué dans l’intérêt des malades. Entre le code
pénal, c’est-à-dire la loi, et le code de déontologie, c’est-à-dire
le décret, le match est inégal. Le code de déontologie enrichit la
loi mais ne peut la redéfinir. La référence est l’intérêt général. La
loi pénale protège le secret professionnel et pas seulement le secret
médical. La valeur en cause est la confiance, et non pas le patient.
Le secret est institué dans l’intérêt des patients... mais des patients
entendus collectivement. Le secret est protégé en tant que valeur
collective. Le médecin, quoi qu’il arrive, est tenu au secret pro-
fessionnel, non parce qu’il aurait conclu un accord avec le patient,
mais parce que globalement l’exercice médical ne peut exister
sans la garantie du secret. La conséquence est l’indisponibilité
du secret : le médecin ne peut se libérer du secret même si le
patient lui demande. Il faut sur ce plan savoir résister aux modes
et aux tentations éphémères.
Trois points s’imposent :
–Le secret n’est pas opposable au patient qui est en droit de tout
savoir sur son état de santé, la seule limite étant que le médecin
doit différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave
quand cette annonce serait contraire à l’intérêt du patient.
–Le patient lui-même n’est pas tenu par le secret et peut révéler
ce que lui a dit ou écrit le médecin.
–Le médecin ne peut s’impliquer dans une violation du secret,
ni la cautionner, car la règle est pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le secret, c’est parce que
l’acte de soin suppose l’intimité et que la loi a choisi de faire pré-
valoir la santé, et en définitive la vie, sur d’autres objectifs.
Lorsque le patient s’adresse à un médecin, il doit savoir que celui-
ci lui dira tout, mais que, quelles que soient les circonstances, il
ne dira rien à autrui. L’interprétation du code pénal est éclairée
par le code civil et notamment la disposition fondamentale de
l’article 9 : “Chacun a droit au respect de sa vie privée”.
Qui est tenu
au secret ?
La lecture de l’article 226-13 conduit à plus d’interrogations que
de certitudes : état, profession, fonction ou mission temporaire...
L’essentiel est ailleurs : c’est la notion de dépositaire. On revient
à l’idée de secret confié. Toutes les professions de santé sont
concernées. Les textes le prévoient explicitement pour les méde-
cins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes,
les infirmières... mais l’analyse doit être étendue aux aides-soi-
gnants ou aux auxiliaires-puéricultrices, qui du fait de leur proxi-
mité avec les patients se trouvent au cœur de nombre de secrets.
Chaque professionnel se trouve dépositaire d’un certain nombre
de secrets du fait de sa fonction.
Qu’entend-on
par secret partagé ?
La prise en charge thérapeutique suppose un travail en équipe et
un partage de l’information. Il n’y a pas de violation du secret
professionnel entre les membres d’une équipe. Ceux-ci doivent
partager les informations qui leur ont été confiées par le patient,
c’est-à-dire, pour reprendre la formule du code de déontologie,
non seulement ce qui leur a été dit, mais encore ce qu’ils ont vu,
entendu ou compris.
Mais cette notion de secret partagé est restrictive : elle est limi-
tée à ce qui est strictement nécessaire et ne peut déborder le cadre
de l’équipe soignante. Un praticien n’a pas la capacité de consul-
ter un autre praticien non-membre de l’équipe sans l’accord du
patient. Il commettrait alors une violation du secret. Il ne s’agit
pas de raisonner pour éviter la sanction mais pour intégrer le sens
de la règle. Chacun doit comprendre combien il est insupportable
pour un patient de découvrir que son cas a été discuté à son insu.
À l’inverse, un patient acceptera volontiers que son médecin
confronte ses analyses ou cherche des éclairages complémen-
taires auprès d’autres praticiens,... dès lors qu’on aura sollicité
son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de véritables difficultés en
psychiatrie de secteur car la prise en charge suppose le travail en
commun de professionnels tenus à des secrets professionnels dis-
tincts. Les secrets professionnels du médecin et du travailleur
social se chevauchent mais ne se recoupent pas. Aucun texte ne
résout cette difficulté et la règle doit être la prudence et le souci
de défendre l’intimité. Seules les informations, strictement indis-
pensables à la prise en charge, peuvent être partagées. La trans-
parence n’est pas une valeur, à l’inverse de la confiance.
Quelles sont les dérogations
légales ?
Le législateur est à la recherche de l’équilibre entre la préserva-
tion de l’intimité de la relation soignante et le partage d’infor-
mation nécessaire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont associés pour déclarer les nais-
sances et les décès. Cette mission incombe en premier lieu à la
famille et à défaut aux professions de santé (code civil, article
56). La loi, par contre, laisse à la femme la possibilité d’accou-
cher sous X et la volonté de la femme s’impose alors à l’équipe
médicale, à l’état civil... et à l’enfant. Un projet législatif est
actuellement discuté, qui mettrait en place un organisme tiers qui
pourrait permettre à l’enfant de reconstituer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique, la loi a institué certaines
déclarations obligatoires bien connues :
!Loi du 30 octobre 1946 : maladies professionnelles.
!Loi du 15 avril 1954 : alcooliques dangereux.
!Loi du 3 janvier 1968 : certificats médicaux en vue de l’adop-
tion d’un régime de protection d’un incapable majeur.
De même, le code de la santé publique impose la déclaration des
cas de maladie vénérienne en période contagieuse, la déclaration
restant anonyme. Le décret du 19 septembre 1996 a rendu obli-
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