La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
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Quels sont les textes qui définissent
le secret professionnel ?
Depuis 1810, le code pénal sanctionne la violation du secret pro-
fessionnel. Lors de la refonte du code pénal en 1994 l’article 378
a été remplacé par l’article 226-13 : “La révélation d’une infor-
mation à caractère secret par une personne qui en est dépositaire
soit par son état ou sa profession, soit en raison d’une fonction
ou d’une mission temporaire est punie d’un an d’emprisonne-
ment et de 100 000 F d’amende”. C’est là le seul texte qui défi-
nisse le secret professionnel. Cette définition, on peut le consta-
ter, est suffisamment large pour engendrer toutes sortes
d’interrogations.
À première lecture, trois remarques s’imposent.
–L’élément central est la révélation d’une information à carac-
tère secret. C’est au regard de cette notion de secret confié que
doit se construire tout raisonnement.
Le texte n’évoque pas le secret médical, mais le secret profes-
sionnel, et ne définit pas les professions concernées. Le même
texte doit être adapté aux médecins, aux banquiers, aux avocats,
et c’est en fonction de la nature de l’information confiée que l’on
apprécie si elle relève ou non du régime du secret professionnel.
Le secret est défini par la loi, et encore par la loi pénale. C’est
dire la solennité de la règle. Raisonner sur le secret renvoie tou-
jours à cette référence fondamentale : les intérêts en cause sont
tels qu’ils légitiment l’intervention de loi pénale, dont la mission
est de défendre les valeurs fondamentales, fondatrices de la vie
sociale.
Que dit le code de déontologie
médicale ?
Un non-juriste pourrait être tenté de faire le parallèle entre deux
codes, un code pénal et un code de déontologie. Ce parallèle n’a
pas grand sens. Le code de déontologie n’est certes pas un texte
secondaire, mais il ne saurait être comparé à une loi pénale. C’est
un décret, en l’occurrence le décret 95-1000 du 6 septembre 1995,
et un décret doit respecter le cadre de la loi. Le décret qu’est le
code de déontologie précise la notion de secret au regard des don-
nées de l’exercice médical, mais il ne saurait contrevenir aux dis-
positions législatives. L’article 4 du code souligne cette subordi-
nation à la loi :
“Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’im-
pose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du méde-
cin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement
ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu, ou
compris”.
Deux autres dispositions du code évoquent le secret :
!Article 72 al 1 : “Le médecin doit veiller à ce que les personnes
qui l’assistent dans son exercice soient instruites de leurs obli-
gations en matière de secret professionnel et s’y conforment”.
!Article 73 al 1 : “Le médecin doit protéger contre toute indis-
crétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il
a soignées, examinées, quels que soient les contenus et les sup-
ports de ces documents”.
Si le juge doit d’abord statuer par référence à la loi, il ne saurait
méconnaître les dispositions déontologiques. Pendant longtemps,
on a considéré que le code de déontologie n’était applicable qu’en
matière professionnelle ou disciplinaire. Cette lecture restrictive
n’a plus cours. Les dispositions du code de déontologie sont une
référence générale, et notamment pour le juge pénal amené à sta-
tuer sur une affaire de secret médical. Mais la première référence
reste la loi pénale, et plus particulièrement la jurisprudence abon-
dante qui s’est élaborée à partir du texte pénal.
VIE PROFESSIONNELLE
Dix questions sur le secret professionnel
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Référence sociale majeure, condition de la confiance dans la relation de
soins, le secret professionnel, alors même qu’il relève d’un régime légal,
est d’une analyse très délicate. Le secret professionnel est une indis-
cutable nécessité et il doit être compris comme un élément d’ordre public de pro-
tection de l’intimité. Mais d’autres intérêts, liés à la cohérence de la vie sociale, justifient des
limitations du secret. Le secret se comprend dans cette opposition entre intérêt privé et inté-
rêt public.
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VIE PROFESSIONNELLE
Le secret est-il institué dans l’intérêt
général ou dans l’intérêt des patients ?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas clos. Le secret est issu
du code pénal, ce qui signifie qu’il est institué pour des motifs
d’intérêt général. Or, le code de déontologie médicale précise que
le secret est institué dans l’intérêt des malades. Entre le code
pénal, c’est-à-dire la loi, et le code de déontologie, c’est-à-dire
le décret, le match est inégal. Le code de déontologie enrichit la
loi mais ne peut la redéfinir. La référence est l’intérêt général. La
loi pénale protège le secret professionnel et pas seulement le secret
médical. La valeur en cause est la confiance, et non pas le patient.
Le secret est institué dans l’intérêt des patients... mais des patients
entendus collectivement. Le secret est protégé en tant que valeur
collective. Le médecin, quoi qu’il arrive, est tenu au secret pro-
fessionnel, non parce qu’il aurait conclu un accord avec le patient,
mais parce que globalement l’exercice médical ne peut exister
sans la garantie du secret. La conséquence est l’indisponibilité
du secret : le médecin ne peut se libérer du secret même si le
patient lui demande. Il faut sur ce plan savoir résister aux modes
et aux tentations éphémères.
Trois points s’imposent :
Le secret n’est pas opposable au patient qui est en droit de tout
savoir sur son état de santé, la seule limite étant que le médecin
doit différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave
quand cette annonce serait contraire à l’intérêt du patient.
Le patient lui-même n’est pas tenu par le secret et peut révéler
ce que lui a dit ou écrit le médecin.
Le médecin ne peut s’impliquer dans une violation du secret,
ni la cautionner, car la règle est pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le secret, c’est parce que
l’acte de soin suppose l’intimité et que la loi a choisi de faire pré-
valoir la santé, et en définitive la vie, sur d’autres objectifs.
Lorsque le patient s’adresse à un médecin, il doit savoir que celui-
ci lui dira tout, mais que, quelles que soient les circonstances, il
ne dira rien à autrui. L’interprétation du code pénal est éclairée
par le code civil et notamment la disposition fondamentale de
l’article 9 : “Chacun a droit au respect de sa vie privée”.
Qui est tenu
au secret ?
La lecture de l’article 226-13 conduit à plus d’interrogations que
de certitudes : état, profession, fonction ou mission temporaire...
L’essentiel est ailleurs : c’est la notion de dépositaire. On revient
à l’idée de secret confié. Toutes les professions de santé sont
concernées. Les textes le prévoient explicitement pour les méde-
cins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes,
les infirmières... mais l’analyse doit être étendue aux aides-soi-
gnants ou aux auxiliaires-puéricultrices, qui du fait de leur proxi-
mité avec les patients se trouvent au cœur de nombre de secrets.
Chaque professionnel se trouve dépositaire d’un certain nombre
de secrets du fait de sa fonction.
Qu’entend-on
par secret partagé ?
La prise en charge thérapeutique suppose un travail en équipe et
un partage de l’information. Il n’y a pas de violation du secret
professionnel entre les membres d’une équipe. Ceux-ci doivent
partager les informations qui leur ont été confiées par le patient,
c’est-à-dire, pour reprendre la formule du code de déontologie,
non seulement ce qui leur a été dit, mais encore ce qu’ils ont vu,
entendu ou compris.
Mais cette notion de secret partagé est restrictive : elle est limi-
tée à ce qui est strictement nécessaire et ne peut déborder le cadre
de l’équipe soignante. Un praticien n’a pas la capacité de consul-
ter un autre praticien non-membre de l’équipe sans l’accord du
patient. Il commettrait alors une violation du secret. Il ne s’agit
pas de raisonner pour éviter la sanction mais pour intégrer le sens
de la règle. Chacun doit comprendre combien il est insupportable
pour un patient de découvrir que son cas a été discuté à son insu.
À l’inverse, un patient acceptera volontiers que son médecin
confronte ses analyses ou cherche des éclairages complémen-
taires auprès d’autres praticiens,... dès lors qu’on aura sollicité
son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de véritables difficultés en
psychiatrie de secteur car la prise en charge suppose le travail en
commun de professionnels tenus à des secrets professionnels dis-
tincts. Les secrets professionnels du médecin et du travailleur
social se chevauchent mais ne se recoupent pas. Aucun texte ne
résout cette difficulté et la règle doit être la prudence et le souci
de défendre l’intimité. Seules les informations, strictement indis-
pensables à la prise en charge, peuvent être partagées. La trans-
parence n’est pas une valeur, à l’inverse de la confiance.
Quelles sont les dérogations
légales ?
Le législateur est à la recherche de l’équilibre entre la préserva-
tion de l’intimité de la relation soignante et le partage d’infor-
mation nécessaire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont associés pour déclarer les nais-
sances et les décès. Cette mission incombe en premier lieu à la
famille et à défaut aux professions de santé (code civil, article
56). La loi, par contre, laisse à la femme la possibilité d’accou-
cher sous X et la volonté de la femme s’impose alors à l’équipe
médicale, à l’état civil... et à l’enfant. Un projet législatif est
actuellement discuté, qui mettrait en place un organisme tiers qui
pourrait permettre à l’enfant de reconstituer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique, la loi a institué certaines
déclarations obligatoires bien connues :
!Loi du 30 octobre 1946 : maladies professionnelles.
!Loi du 15 avril 1954 : alcooliques dangereux.
!Loi du 3 janvier 1968 : certificats médicaux en vue de l’adop-
tion d’un régime de protection d’un incapable majeur.
De même, le code de la santé publique impose la déclaration des
cas de maladie vénérienne en période contagieuse, la déclaration
restant anonyme. Le décret du 19 septembre 1996 a rendu obli-
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VIE PROFESSIONNELLE
gatoire la déclaration de la suspicion de la maladie de Creutz-
feldt-Jakob ou d’autres encéphalites subaiguës spongiformes
transmissibles à l’homme, sous forme nominative.
S’agissant du VIH, la règle est le secret, malgré les tentatives de
remise en cause. L’option retenue est celle de la responsabilisa-
tion des patients, ce qui peut placer le médecin dans une situation
particulièrement inconfortable, quand le patient refuse que sa séro-
positivité soit révélée alors même qu’il est marié ou concubin. Le
médecin est renvoyé à sa force de conviction et à son sens des res-
ponsabilités. Cette incertitude est une condition de la qualité.
Le carnet de santé est-il
compatible avec le secret ?
La loi a institué des limites au secret, et ces limites légales doi-
vent être respectées. Selon le code de la Sécurité sociale, le car-
net de santé doit être présenté à chaque médecin appelé à donner
des soins. En outre, d’autres professions de santé, chirurgiens-
dentistes, sages-femmes, pharmaciens, auxiliaires médicaux et
directeurs de laboratoire d’analyses et de biologie médicale, sont
autorisées à prendre connaissance des informations qui présen-
tent un intérêt pour le malade et qui sont de leur compétence.
L’article L 162-1-4 du code de la Sécurité sociale ajoute :
“Les praticiens amenés à donner des soins à une personne peu-
vent, avec son autorisation, porter des informations pertinentes
sur son carnet de santé afin de faciliter son suivi médical. D’autre
part, ils peuvent être renseignés dans leur domaine de compé-
tence en tant que de besoin par les autres professionnels de
santé”.
Ces dispositions législatives cherchent à concilier des nécessités
contraires. Le secret est institué par la loi et en principe seule la
loi peut en définir les limites. Mais la loi, dont la mission est l’har-
monisation du rapport social, ne peut se satisfaire de la coexis-
tence d’une multiplicité de secrets individuels. Elle doit fixer des
limites permettant de concilier le but d’intérêt général qu’est la
protection de la santé et la prise en charge du patient par des
équipes pluridisciplinaires. Le principe législatif est alors rudoyé
et l’on peut à proprement parler de violation légale du secret médi-
cal. Cela ne signifie pas que ces violations légales soient illégi-
times, mais les praticiens doivent percevoir que l’on se situe ici
dans une atteinte au principe, justifiant une démarche de grande
prudence.
Le secret est-il remis en cause
par les contrats d’assurances ?
Deux situations doivent être distinguées :
Lorsqu’une personne souscrit un contrat auprès d’une compa-
gnie d’assurance, celle-ci peut prendre en compte un certain
nombre d’éléments médicaux, car il n’y a pas de contrat sans une
juste appréciation du risque. Le souscripteur doit remplir un ques-
tionnaire de santé, qui sera analysé par le médecin de la compa-
gnie d’assurance et celui-ci donnera un avis. Il n’y a pas de vio-
lation du secret car l’assureur n’a pas de connaissance directe de
la déclaration, et l’assuré a donné son accord à l’examen de son
dossier par un médecin de la compagnie. Le contrat peut égale-
ment prévoir des examens réguliers à la demande de la compa-
gnie d’assurance. Ces examens rentrent dans la logique contrac-
tuelle, et ont donc été acceptés par l’assuré : le secret est préservé.
Il en serait différemment si une compagnie d’assurance cher-
chait à obtenir des renseignements ou faisait analyser les infor-
mations en sa possession par un médecin sans l’accord de l’as-
suré. La violation serait manifeste. Il en serait de même si après
un décès on sollicitait l’équipe médicale pour connaître la cause
du décès. Un médecin de compagnie d’assurance n’a pas d’ac-
cès au dossier médical, sauf s’il justifie d’une autorisation écrite
du patient.
C’est au regard de ce schéma général que doivent être analysées
toutes les situations très complexes liées au jeu des contrats d’as-
surance, avec une référence constante : la confiance ne peut être
trahie.
Comment concilie-t-on secret pro-
fessionnel et défense de l’enfant ?
Le médecin est le défenseur naturel de l’enfant, mais il ne doit
pas s’immiscer dans les affaires de famille. Ainsi, il peut consta-
ter qu’un enfant est perturbé, souffre de troubles du sommeil ou
d’autres atteintes, mais il ne peut se permettre d’imputer ces
troubles à l’attitude d’un des parents. Il peut remettre un certifi-
cat établissant les difficultés médicalement constatées au parent
gardien sans violer le secret professionnel, et ce parent pourra
utiliser ce certificat descriptif pour justifier l’organisation d’une
mesure d’expertise.
S’il est confronté à la situation d’un enfant en danger, le méde-
cin doit tout faire pour interrompre le danger, c’est-à-dire mettre
l’enfant à l’abri. La sanction serait la non-assistance à personne
en danger. Mais, parce qu’il est tenu par le secret professionnel,
le médecin n’a pas l’obligation de dénoncer les faits. C’est une
faculté qui lui est ouverte. Souvent, la seule réponse réaliste sera
la dénonciation des faits, mais dans le raisonnement et dans la
pratique, les notions de protection de l’enfant et de dénonciation
des faits doivent être distinguées. La bonne démarche est de pro-
téger l’enfant en le mettant à l’abri, puis de chercher à l’associer
à la dénonciation des faits.
Le secret résiste-t-il
aux enquêtes pénales ?
Le secret, notion d’ordre public, résiste à l’enquête pénale. L’en-
quête est à la recherche de la vérité et les enquêteurs, juges ou
policiers, sont tentés de solliciter des informations protégées par
le secret. Le médecin doit discerner ces dérives et les combattre.
S’il est convoqué ou entendu, le médecin doit répondre à la convo-
cation, donner les informations générales, mais il doit opposer le
secret dès lors que les questions portent sur les soins qu’il a don-
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VIE PROFESSIONNELLE
nés lui-même, et sur ce qu’il a appris lui-même à l’occasion des
soins. Ces informations ne sont pas confidentielles par nature,
mais confidentielles parce qu’elles ont été confiées à ce médecin.
La justice n’est pas pour autant démunie : elle pourra obtenir un
éclairage complet en organisant une expertise, qui comprendra la
saisie du dossier. Le médecin, parce qu’il a été soignant, est tenu
par le secret. En revanche, la violation du secret devient légitime
si elle est, pour le médecin, un moyen de sa défense. La juris-
prudence valide alors la révélation des faits Les informations
médicales qui n’ont pas été acquises à l’occasion de l’intimité de
la relation de soin ne rélèvent pas du secret.
Il est rare qu’une enquête médicale soit engagée dans le cadre
d’une enquête de flagrance, de telle sorte qu’un médecin sait suf-
fisamment à l’avance quand il sera convoqué et entendu. Il est
alors souhaitable qu’il prenne le temps d’un avis auprès du conseil
de l’ordre, d’un confrère ou d’un avocat pour, face à la tourmente
judiciaire, conserver une attitude respectueuse du droit.
Gilles Devers
Avocat au Barreau de Lyon
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