Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 2 - mars-avril 2009
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Cas clinique
Observation
Madame M., 50 ans, est adressée à la consultation des
urgences par son médecin traitant pour une dyspnée
d’aggravation progressive. Elle a comme antécédent
remontant à une dizaine d’années, une thyroïdecto-
mie totale pour goitre multinodulaire substituée par
Levothyrox® 150 µg/j (lévothyroxine) qu’elle prend
régulièrement. Elle n’a pas d’antécédent cardiorespi-
ratoire notable.
L’examen initial retrouve une dyspnée de stade IV NYHA
sans douleur thoracique. La pression artérielle est de
100/60 mmHg, le pouls à 90 bpm, la température de
37,2 °C et la saturation en oxygène à 96 % sous 4 l/mn
d’oxygène. L’auscultation pulmonaire retrouve un mur-
mure vésiculaire diminué à gauche et des crépitants
aux bases. Il existe des signes manifestes d’insuffisance
ventriculaire droite : œdèmes des membres inférieurs,
turgescence des jugulaires et hépatalgies provoquées
par la palpation de l’hypocondre droit.
Les explorations paracliniques confirment une insuf-
fisance cardiaque globale. L’ECG montre un rythme
sinusal sans trouble de la repolarisation, avec un allon-
gement de l’intervalle QT (figure 1). La radiographie
pulmonaire montre un épanchement pleural gauche.
L’échographie transthoracique objective une cardio-
pathie dilatée sans hypertrophie ventriculaire gauche
(figure 2). La fraction d’éjection du ventricule gauche
est effondrée (22 %) et on note une hypokinésie globale
sévère, une insuffisance mitrale fonctionnelle à 2/4 et
une hypertension artérielle pulmonaire modérée. Les
enzymes cardiaques sont normales, et l’angiographie
n’objective pas de sténose sur les troncs coronaires.
En l’absence d’étiologie évidente pour expliquer une
cardiomyopathie dilatée sévère chez cette patiente
d’âge moyen sans antécédent médical notable, on réa-
lise des explorations plus poussées pour en déterminer
la cause : le holter ECG n’identifie aucune dysrythmie.
On a la surprise de retrouver une hypocalcémie majeure
(1,1 mmol/l, N : 2,10-2,50, taux corrigé en fonction de l’al-
buminémie) associée à une hypomagnésémie modérée
(0,62 mmol/l, N : 0,75-0,9). L’origine parathyroïdienne est
affirmée par la mesure de la PTH intacte (1-84), qui est
indosable. Il existe également une hypovitaminose D
sévère (6,5 µg/l ; N : 20-60) pour expliquer la déplétion
calcique. Lorsque l’on interroge la patiente à propos de
la prise en charge de la thyroïdectomie en 1998, elle
se souvient avoir pris un traitement par vitamine D et
calcium, interrompu après quelques semaines par son
médecin. De manière surprenante, elle ne rapporte à
aucun moment depuis l’intervention les signes cliniques
classiques de la tétanie. Par ailleurs, le bilan étiologique
de cette cardiomyopathie se révèle négatif (biopsie
myocardique, recherche d’ADN de HSV1, HSV2, CMV,
VZV, EBV, HHV6 sur la biopsie myocardique, taux sérique
de vitamine B1).
Le traitement non spécifique de l’insuffisance cardiaque
par les drogues inotropes, vasodilatatrices et diurétiques
est associé à une substitution du déficit calcique : en
traitement d’attaque, gluconate de calcium 10 ampoules
par 24 heures en IVSE, sulfate de magnésium 10 ampou-
les par 24 heures et supplémentation en vitamine D3
calcitriol (4 mg par 24 heures), remplacés après quel-
ques semaines par Eucalcic® (calcium carbonate) 1,2 g/j,
Rocaltrol® (calcitriol) 0,5 µg/j, Cardensiel® (bisoprold
hémifumarate) 1,25 mg x 2/j, Lasilix® (furosémide)
20 mg/j et Triatec® (ramipril) 1,25 mg/j. Après trois mois,
l’amélioration clinique est spectaculaire : la patiente n’est
plus dyspnéique, la fraction d’éjection du ventricule
gauche, régulièrement mesurée par échographie, est
normalisée (55 % à 3 mois, 59 % à 2 ans), avec un ventri-
cule gauche et une cinétique ventriculaire normaux.
Madame M. poursuit au long cours la supplémentation
vitaminocalcique par Eucalcic® et Rocaltrol® ; le traite-
ment diurétique a pu être interrompu en conservant
Triatec® et Cardensiel®.
Discussion
Alors que l’hypocalcémie aiguë a une expression clini-
que bruyante, avec les signes classiques de la tétanie,
l’œdème papillaire et les risques de convulsions, l’hypo-
calcémie chronique d’installation progressive peut être
asymptomatique et longtemps méconnue. C’est parfois
la découverte d’une insuffisance cardiaque inexpliquée,
comme chez notre patiente, qui va révéler le désordre
métabolique calcique. En effet, le déficit chronique en
calcium entraîne une baisse des performances myo-
cardiques pouvant conduire à l’insuffisance cardiaque
congestive. Ces manifestations cardio-vasculaires ont
été décrites chez des patients souffrant d’une patholo-
gie cardiaque préexistante (1), mais aussi sur cœur sain,
comme chez notre patiente (2, 3). L’hypocalcémie per se
Le calcium au cœur du problème !
Charlotte Guilmineau*, Yves Reznik*
* Service d’endocrinologie
et maladies métaboliques,
CHU Côte de Nacre, Caen.