01/03/2007 1:50 - 1 - Texte de la 429e conférence de l

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Texte de la 429e conférence de l’Université de tous les savoirs, donnée le 7 juillet 2002
Hervé Le Guyader, "La notion d'évolution"
Pour présenter la notion d'évolution, j'ai choisi d’adopter une démarche historique, en singularisant
différents points autour de périodes clés.
Premièrement, je présenterai quelques éléments importants des XVIIe et XVIIIe siècles qui
permettent d’arriver à la conception d’un individu clé, Lamarck, date clé : 1829, publication de sa
Philosophie zoologique. Le deuxième individu important est Darwin, date clé : 1859, publication de
l'Origine des espèces. La troisième date clé se situe aux alentours de 1940, quand la Théorie
synthétique de l'évolution est développée. Enfin, j’exposerai quelques éléments de l'après guerre,
qui, à mon sens, montrent comment tout ce qui gravite autour des théories de l'évolution se met en
place.
En introduction, j’attire votre attention sur cette citation d'Ernst Mayr qui compare les biologistes et
les physiciens : « Au lieu de créer et de donner des lois comme le font les physiciens, les biologistes
interprètent leurs données dans un cadre conceptuel »
Ce cadre conceptuel, c’est la notion d'évolution, qui se construit pas à pas, à force de discussions,
controverses, voire même d'altercations, de progrès conceptuels ou expérimentaux.
Actuellement, ce cadre conceptuel devient extrêmement compliqué. Néanmoins, il s'en dégage
quelques idées directrices.
I. L’apparition du transformisme
Je vous présente tout d'abord comment l'idée, non pas d'évolution, mais de transformisme, est
apparue.
En premier lieu, je tiens à insister sur un point. En histoire, on montre souvent l'apparition de
concepts « nouveaux » - sous entendu : avant, il n'existait rien. De plus, on attache souvent
l'apparition d'un concept à un individu clé, considéré comme un génie. En réalité, ce génie, cet
individu clé, ne représente la plupart du temps que le courant de l'époque, et ne fait « que »
cristalliser une idée, qui existe néanmoins chez ses contemporains.
Pour que l'idée du transformisme apparaisse, deux mouvements se sont produits en même temps. La
première avancée concerne la réfutation d'idées erronées. Ces idées, tant qu'elles n'étaient pas
réfutées, empêchaient l'émergence de la notion de transformisme. Concomitamment, de nouveaux
concepts apparaissent.
A. Les obstacles au transformisme
1. La métamorphose
Parmi les concepts erronés, celui de métamorphose est l’un des plus importants. Une planche
extraite d'un livre d'Ulisse Aldrovandi (1522 – 1605) (fig.1), édité en 1606, illustre cette idée. Elle
représente des crustacés, qui appartiennent à la classe des cirripèdes : des anatifes, crustacés fixés
par un pédoncule, et dont le corps est contenu dans une sorte de coquille formée de plaques
calcaires.
Cette planche montre comment on concevait le devenir de ces coquillages : selon Aldrovandi, les
anatifes peuvent se transformer en canards ! Les cirres devenaient les plumes, le pédoncule, le cou,
et la tête du canard correspond à l'endroit de fixation. J'aurais pu vous citer bien d'autres exemples
de la sorte... D'ailleurs, ceux qui ont fait du latin reconnaîtront peut-être dans le terme actuel pour
désigner une de ces espèces, Lepas anatifera, le terme anatifera qui signifie « qui porte des
canards ».
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Ainsi, dans les esprits d'alors, les animaux pouvaient se transformer les uns en les autres, un
crustacé en canard, parmi une foultitude d'exemples. On concevait également des passages du
monde végétal au monde animal... Tout était imaginable !
Dans ces conditions, il était impossible que l'idée d'un processus historique puisse apparaître. Ces
exemples de métamorphose sont rencontrés jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Puis chacun des
exemples de métamorphose est tour à tour réfuté. La notion-même devient progressivement la
notion biologique actuelle - la métamorphose par mues des insectes et le passage têtard–adulte des
batraciens.
2. La génération spontanée
La deuxième idée, la notion de génération spontanée, n'est pas caractéristique des XVIIe et XVIIIe
siècles. Il faudra attendre Louis Pasteur (1822 – 1895) pour qu'elle soit complètement anéantie. En
termes actuels, la notion de génération spontanée consiste en ce que de la « matière inanimée »
puisse s'animer et produire des êtres vivants. L'abbé Lazzaro Spallanzani (1729-1799) est un
homme clé parmi ceux qui ont démontré que la génération spontanée n'existe pas, du moins au
niveau des organismes de grandes tailles : souris, insectes... etc. Cependant, il faudra attendre la
controverse de 1862 entre Pasteur et Pouchet pour que cette notion disparaisse également au niveau
des microorganismes. Retenons qu'au XVIIIe siècle cette notion ne persistera qu'à l'égard des
« animalcules », les petits organismes.
3. L’Echelle des Êtres
La notion d'Echelle des Êtres existe déjà chez Aristote. Cette notion traverse tout le Moyen- Age,
puis est remise en valeur par Gottfried Leibniz (1646–1716) et reprise par le biologiste Charles
Bonnet (1720–1793).
La planche (fig 2) figure cette conception du monde : au bas de l'échelle, se situent les quatre
éléments : feu, air, terre, eau. Des terres, on monte vers les cristaux et les métaux. Ensuite, on
progresse vers le corail, les polypes, les champignons, jusqu’aux végétaux, insectes et coquillages.
Certaines hiérarchies peuvent paraître étranges : les serpents d'abord, les poissons ensuite. Plus haut
encore, les poissons, dominés par les poissons volants, qui conduisent aux oiseaux (!) ; puis des
oiseaux, on parvient aux quadrupèdes et, qui se situe au sommet de l'échelle ? Bien naturellement :
l'homme.
Ce concept était très ancré avant la Révolution. Un extrait d'un poème d'Ecouchard le Brun (1760)
illustre comment les lettrés concevaient les relations entre êtres vivants :
« Tous les corps sont liés dans la chaîne de l’Être.
La nature partout se précède et se suit.
[…]
Dans un ordre constant ses pas développés
Ne s’emportant jamais à des bonds escarpés.
De l’homme aux animaux rapprochant la distance,
Voyez l’homme du Bois lier leur existence.
Du corail incertain, ni plante, ni minéral,
Revenez au Polype, insecte végétal. »
Tout était mêlé, avec une notion de progrès. Cette échelle des Êtres vivants est un concept qu'il a
fallu discuter longuement, avant qu'il ne soit réfuté.
Cette notion d'Echelle des Êtres, il faut le souligner, est une notion quasi intuitive que tout individu
développe. Il ne faut pas se focaliser sur son aspect historique ou archaïque. Chacun, de façon
« naturelle », s’imagine être au sommet d’une Echelle des Êtres et conçoit une hiérarchie qui le lie à
des subordonnés.
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4. L’échelle de temps
Dernière conception à réfuter, la notion de temps. Avant la Révolution, l'échelle des temps reste une
échelle biblique. Différents théologiens anglicans ont longuement calculé le temps qui les séparait
de la création du monde, à partir des généalogies bibliques. Ils n'étaient pas tous d'accord, à une
centaine d'années près, mais s'accordaient autour de 6 000 ans. Comment une idée d'évolution
aurait-elle pu germer dans les esprits avec une marge de temps aussi courte ?
L'un de ceux qui réfutent cette idée, c'est Georges Buffon (1707–1788). Il propose une dizaine de
milliers d'années, puis une centaine de milliers d'années. Enfin, dans sa correspondance, il émet
l'idée que, peut être, la vie serait apparue il y a plusieurs millions d'années. C’est donc à cette
époque que naît l'idée d'un temps long, en lien avec le développement de la géologie de l'époque.
B. Les nouvelles idées
A présent, quelles sont les nouvelles propositions ? Trois notions sont essentielles pour que les
concepts de transformisme et d'évolution puissent apparaître.
1. L'unicité de la classification naturelle
Depuis Aristote au moins, les hommes ont voulu classer les organismes. Initialement, cette
classification a principalement occupé les botanistes.
Aux XVe et XVIe siècles, on se retrouve avec une multitude de systèmes et de méthodes de
classification. La bibliothèque du Muséum d'Histoire Naturelle en conserve une centaine dans ses
vieux livres. S'il en reste tant actuellement, il en existait au minimum 500 à 600 en Europe, à cette
époque.
Carl von Linné (1707–1778), comme les savants de cette époque, est un grand lecteur : il connaît
toutes les tentatives réalisées par ses contemporains. Brusquement, il lui apparaît quelque chose
d'assez extraordinaire. En effet, lorsque le travail de classification est mené correctement, en bonne
logique, d’après de bons caractères, à chaque fois les grandes familles de la botanique ressortent :
liliacées, orchidacées, rosacées... etc. Linné remarque que ces multiples tentatives conduisent à une
même classification, un même ordonnancement. Tout se passe comme s'il existait une unité qui
représente un ordre de la Nature. L’objectif est désormais de décrire cet ordre par une classification
naturelle. Cette classification est nécessairement unique, car il n'y a qu'un ordre dans la Nature.
Dans le contexte judéo-chrétien de l'époque, Linné imaginait que cette classification naturelle
représentait l'ordre de la création.
Cette unicité de la classification est une idée extrêmement forte, comme on le verra avec Darwin.
Elle change le sens de la classification - non plus seulement ranger les organismes, mais trouver une
unité au monde du vivant.
2. Le concept d’homologie
Le concept d'homologie est mis au point par Etienne Geoffroy St Hilaire (1772–1844). Il utilise des
travaux de botanique et bâtit un concept repris par Cuvier quasi en même temps : le concept de plan
d'organisation. Cette idée de plan d'organisation, bien antérieure à Geoffroy St Hilaire, est
fondamentale. Elle met en évidence que certains êtres vivants sont organisés de la même façon.
Cuvier présente quatre plans d'organisation différents pour l'ensemble du règne animal – par
exemple, le plan d’organisation des vertébrés.
A partir de ces plans d'organisation, Geoffroy St Hilaire construit un outil très performant pour
l'anatomie comparée. Il crée, bien que ce ne soit pas le terme qu'il emploie, le concept d'homologie.
Il affirme la nécessité, si on souhaite comparer les organismes, de savoir quels sont les "bons"
organes que l'on compare : comment savoir si on compare les « mêmes » organes chez deux
organismes différents ? Geoffroy Saint-Hilaire essaie, tout simplement, de trouver des organes qui
occupent la même situation dans un plan d'organisation. Par exemple, en observant les membres
antérieurs de vertébrés quadrupèdes (fig 3), on remarque qu'à chaque fois, le cubitus, entre autres,
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se trouve au même endroit dans le membre, même si la forme, la fonction de ce membre changent
entre ces animaux.
Ce concept d'homologie permet de comparer de façon pertinente les organismes, ce qui est la
condition pour proposer une bonne systématique.
3. La mort des espèces
En plus du concept d’homologie, George Cuvier (1769–1832) apporte une autre notion, qui a un
impact considérable. Il démontre, par la paléontologie, que les espèces meurent. Grâce à des fossiles
de vertébrés, en particulier ceux du gypse de Montmartre, il prouve qu'il existait des animaux qui
n'existent plus actuellement dans le monde, c'est-à-dire que les espèces disparaissent.
Ce concept de mort des espèces a été une révolution extrêmement importante à l'époque, au tout
début du XVIIIesiècle. Cet extrait de La peau de chagrin, de Balzac, illustre la portée de ce concept
dans le monde des lettres :
« Cuvier n'est-il pas le plus grand poète de notre siècle. Notre immortel naturaliste a
reconstruit des mondes avec des os blanchis. Il fouille une parcelle de gypse, y perçoit une
empreinte et vous crie : « Voyez ! ». Soudain, les marbres s’animalisent, la mort se vivifie, le monde
se déroule »
Brusquement, l’idée apparaît que des mondes, qui n’existent plus, existaient; le monde « se
déroule » ; on verra qu’il « évolue ».
C. Lamarck et le transformisme
1. Logique et transformisme
Pour résumer, si vous réfutez les métamorphoses, si vous abandonnez le concept de génération
spontanée, si vous allongez l'échelle de temps, si vous relativisez l'Echelle des Êtres, si vous
imaginez une unité de classification, si vous concevez les concepts d'homologie et de plan
d'organisation et si vous acceptez l'idée de mort des espèces, vous ne pouvez que suivre JeanBaptiste Lamarck (1744-1829), puis proposer de conserver avec lui la notion de transformisme.
Pourquoi ? Très brièvement, si on suit un raisonnement logique, il ne reste que deux possibilités
pour réunir ces idées. Soit on reste créationniste : il faut alors nécessairement imaginer des créations
multiples. Or, cela ne figure pas dans la Bible, qui ne mentionne qu’une seule création. Soit, on opte
pour une seconde possibilité : les espèces se transforment les unes en les autres. Une troisième
possibilité a été retenue par quelques théologiens : le stock des espèces allait en s'amenuisant - ce
qui, d'après eux, n'était pas important, puisque seul l'homme a une valeur. Cette dernière théorie a
eu très peu d'impact.
2. La théorie de Lamarck
Lamarck présente une classification. Il a l’idée remarquable, même si elle a été réfutée plus tard, de
séparer vertébrés et invertébrés. Au niveau des animaux, il construit ce qui reste une échelle des
Êtres. Il classe les animaux en trois catégories : les animaux apathiques, les animaux sensibles, les
animaux intelligents. Cette vision demeure hiérarchisée.
Il imagine une transformation des organismes les uns en les autres (fig 4). Un premier point est
fondamental, novateur : Lamarck présente des bifurcations, c’est-à-dire qu’il construit un arbre, une
arborescence. A ma connaissance, c'est la première représentation qui rompt ainsi la linéarité de
l'échelle des Êtres. Deuxième innovation, les espèces sont reliées par des points (actuellement ce
serait symbolisé par des flèches), qui désignent les transformations possibles : les vers en insectes,
les poissons en reptiles ou en amphibiens. La limite de la vision de Lamarck se situe à la base de ce
réseau de transformations : la génération spontanée alimente le stock des organismes les plus
simples - les vers -. Pour expliquer ce schéma, on a utilisé l'image de l'escalier roulant, qui, avec ses
arrêts, ses paliers, paraît particulièrement pertinente : elle montre que Lamarck n'a pas une vision
historique. Par exemple, au niveau des oiseaux, certains viennent de prendre l'escalier roulant - ils
viennent de se transformer -, tandis que d’autres sont là depuis longtemps. Cela signifie que les
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animaux semblables ne résultent pas d’une même transformation, qui serait survenue à une même
date dans le cours de l'histoire.
Il faut retenir, dans la pensée de Lamarck, cette notion de transformation, d'arbre, nourri
continuellement par la génération spontanée.
II. Darwin
Sans entrer dans les détails de la vie de Charles Darwin (1809-1882), un élément important pour le
développement de sa vision scientifique et pour l'élaboration de l'Origine des espèces (1859) réside
dans un tour du monde de presque cinq ans, effectué entre 1831 et 1836. Non seulement Darwin est
un très bon naturaliste et un très bon géologue, mais il possède également des notions d'anatomie et
d'embryologie comparées.
A. La théorie de L’Origine des Espèces
Pour illustrer la difficulté de recevabilité que rencontra le livre de Darwin à sa publication, voilà le
sous- titre donné dans la traduction française. Le titre original anglais est "Origin of species - by
means of natural selection" , qui se traduit par : « L'origine des espèces - par les moyens de la
sélection naturelle ». Or, dans l'édition française de 1862, ce titre est « traduit » de manière erronée
en : « De l'origine des espèces ou des lois du progrès chez les êtres organisés ». Ce sous-titre
montre combien la notion de progrès - et d"échelle des espèces" implicite - était profondément
ancrée.
La meilleure solution pour exprimer l'idée clé de L'Origine des espèces, c'est d'examiner un extrait
qui traduit de manière essentielle le sens que donne Darwin à la notion de classification :
« Le système naturel, c'est-à-dire la classification naturelle, est fondé sur le concept de
descendance avec modification... »
Ce concept de «descendance avec modification » est essentiel pour comprendre la pensée de
Darwin. Pourtant, si on interroge quelqu'un sur ce qu'a apporté Darwin, il répondra sans doute « la
sélection naturelle "». En réalité, il a proposé ces deux idées, liées : sélection naturelle et
descendance avec modification. A mon sens, c'est cette dernière idée qui est la plus importante.
« … sur le concept de descendance avec modification, c'est-à-dire que les caractères que les
naturalistes décrivent comme montrant de réelles affinités entre deux ou plusieurs espèces sont
ceux qui ont été hérités d'un parent commun. »
Ces caractères auxquels Darwin fait référence, ce sont les caractères homologues de
Geoffroy St Hilaire. Ce que propose Darwin, c'est une réponse à la question : pourquoi ces
caractères sont-ils homologues ? Parce qu'ils ont été hérités d'un parent commun. Darwin interprète
la notion de ressemblance, très prégnante depuis Geoffroy St Hilaire, comme une notion d'héritage
de caractères. Il ne remet pas en cause le travail de ces prédécesseurs : il lui donne « seulement » un
autre sens.
« Et par conséquent, toute vraie classification est généalogique... »
Enfin, Darwin plonge ce travail dans un continuum temporel. Cette notion de généalogie
bouleverse le sens des classifications : désormais, on recherche des relations de parenté :
« ... c'est-à-dire que la communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont
cherché inconsciemment et non quelque plan inconnu de création. »
A l'époque, cette dernière phrase a représenté une provocation extraordinaire !
Pour éclairer le propos de Darwin, voilà la seule illustration présente dans L'Origine des Espèces
(fig 5). Premièrement, cette planche dévoile une vision historique : les lignes horizontales
représentent des horizons temporels. Cette figure comprend trois concepts importants :
1) des espèces disparaissent - l'idée de Cuvier ;
2) au cours du temps, les espèces peuvent se transformer – l’idée de Lamarck ;
3) des espèces peuvent donner naissance à plusieurs autres espèces.
Si on considère deux espèces après un embranchement, Darwin considère qu'il faut les
rapprocher parce qu'elles partagent un ancêtre commun. Or les espèces partagent toujours un
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ancêtre commun. La différence réside dans la plus ou moins grande proximité de ces ancêtres. Pour
Darwin, les organismes se ressemblent beaucoup car ils partagent un ancêtre commun récent. Les
organismes très différents partagent un ancêtre commun lointain, à partir duquel il y a eu
énormément de temps pour diverger.
B. La première « généalogie » des organismes
Ces concepts proposés par Darwin sont immédiatement repris par un biologiste allemand, Ernst
Haeckel (1834 - 1919). Haeckel poursuit ces idées, en les exagérant même un peu.
Il utilise un arbre pour représenter sa classification. Il propose trois règnes : aux deux règnes animal
et végétal classiques, il ajoute les protistes (organismes unicellulaires). Son apport fondamental se
situe à la base de l'arbre. Pour chacun des règnes, il situe un ancêtre commun hypothétique, et
surtout, il met en place un tronc avec une seule racine commune à l'ensemble des êtres vivants–un
ancêtre commun à l’ensemble des organismes.
Cette proposition, en 1866, est le premier arbre dit « phylogénétique »- terme créé par Haeckel.
Bien que discutée à ses débuts, l'idée essentielle d'origine commune est conservée - elle contient
également l'idée d'origine de la vie sur terre -. Le mouvement est lancé : depuis Haeckel, les
chercheurs vont « se contenter » de corriger cet arbre. Seules les logiques pour inférer les relations
de parenté sont modifiées et améliorées.
C. Les difficultés de Darwin
Il manque des éléments à Darwin pour expliquer les mécanismes soutenant ce double concept de
descendance avec modification. Elle contient premièrement l’idée de descendance entre espèces.
Darwin n'utilise pas d'échelle des temps. Entre les lignes horizontales de son schéma, il ne s'agit pas
d'années, ni de millions d'années : il s'agit de nombres de générations. Selon Darwin, ce qui rythme
la vie des organismes, c'est la reproduction sexuée, à l'origine du concept de descendance.
Deuxièmement, Darwin suppose que les caractères héréditaires, transmis via la reproduction
sexuée, se « transforment »- mais il ignore comment.
Les deux disciplines qui lui manquent sont d'une part la génétique, et d'autre part, l'embryologie.
III. La Théorie synthétique de l’évolution
A. Les bases de la théorie
Un événement scientifique se produit au début du XXe siècle : la redécouverte des lois de Gregor
Mendel (1822 - 1884), indépendamment par trois chercheurs : le hollandais Hugo De Vries (1848 –
1935), l’allemand Carl Correns (1864 – 1933), et l’autrichien Erich von Tschermak (1871 – 1962).
Redécouverte, certes, mais enrichie d’un nouveau concept essentiel, celui de mutation. Cette idée de
mutation permet de concevoir comment les caractères sont à la fois héréditaires et changeants.
A partir de 1905 jusqu'à 1930, se produit un difficile rapprochement entre deux disciplines : la
génétique dite « des populations » (l'étude du devenir des fréquences de gènes dans les populations
au cours du temps), se rapproche du darwinisme, par l'intermédiaire de la sélection naturelle. Ce
rapprochement conduit à la Théorie synthétique de l'évolution. Signalons que cette traduction mot à
mot de l'anglais introduit une connotation étrange en français - c'est plutôt une théorie qui fait une
synthèse -.
Cinq biologistes de renom participent à cette nouvelle vision de l'évolution. Le premier individu clé
est Theodosius Dobzhansky (1900 – 1975), d'origine russe, immigré aux États-Unis. Comme quasi
tous les autres protagonistes de cette théorie, il appartient à l'Université de Columbia, à New York.
Dobzhansky publie en 1937 un ouvrage intitulé : Genetics and Origin of Species. Cette référence
explicite à Darwin traduit bien sa volonté de démontrer, par la génétique, que Darwin avait raison.
Les autres chercheurs impliqués dans cette vision nouvelle sont :
- Julian S. Huxley (1887–1975), généticien ;
- Ernst Mayr, zoologiste, ornithologue, théoricien de la spéciation ;
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- George G. Simpson (1902–1984), géologue et paléontologue ;
- Ledyard G. Stebbins, qui travaille sur la spéciation en biologie végétale.
J'ai repris à partir d'un article récent d'Ernst Mayr les principes de base de cette théorie :
Premier principe : l'hérédité est particulaire et d'origine exclusivement génétique. Cela
signifie que l'hérédité est portée par des particules-les gènes-qui ne se mélangent pas. En insistant
sur l'origine exclusivement génétique, ce principe nie l'idée d'hérédité des caractères acquis, une
forme de lamarckisme en vogue à l'époque.
Second principe : il existe une énorme variabilité dans les populations naturelles. Les
organismes présentent une grande variabilité des différents gènes, des différents caractères. Cette
variabilité intraspécifique permet l’apparition de nouvelles espèces à partir d'une espèce donnée.
Troisième principe : l'évolution se déroule dans des populations distribuées
géographiquement. Un des moteurs les plus importants de la spéciation est l'isolement
reproducteur. Les populations peuvent se retrouver séparées par des barrières géographiques, de
comportement… etc. A partir du moment où une barrière de reproduction apparaît, des populations
isolées peuvent donner naissance à des espèces distinctes.
Quatrième principe : l'évolution procède par modification graduelle des populations.
L'évolution se fait pas à pas suivant un gradualisme quasi linéaire en fonction du temps. Autrement
dit, le taux d'évolution est toujours considéré comme à peu près constant par unité de temps.
Cinquième principe : les changements dans les populations sont le résultat de la
sélection naturelle. Les changements de fréquence des gènes et de caractères dans les populations
sont provoqués par la sélection naturelle. Cette idée sera remise en question plus tard : la sélection
naturelle existe, certes, mais d'autres moteurs de changement seront avancés.
Dernier principe : la macro-évolution n'est que le prolongement dans le temps de ces
processus. La macro-évolution désigne les changements importants, les grands bouleversements, en
particulier au niveau des animaux - changements de plans d'organisation, etc. Cette macro-évolution
n'est considérée ici que comme le prolongement de la micro-évolution - les changements graduels.
La macro-évolution n'est que le résultat de petits changements accumulés pendant des dizaines ou
des centaines de millions d'années.
La théorie synthétique de l'évolution contredit la notion fondamentale de finalité : elle affirme que
l’évolution ne poursuit aucun but. Tout se passe pas à pas, dans un affrontement continuel, au
présent, des organismes avec leur environnement, et les uns par rapport aux autres, et non en
fonction d’un but précis.
B. La rupture de la cladistique
Cette théorie synthétique de l'évolution a été un nouveau point de départ. Dans les années 1950,
plusieurs aspects sont discutés pour parvenir à la vision actuelle.
Premier point clé : cette nouvelle vision modifie la manière de traiter les fossiles en particulier, et
l'histoire de la vie sur Terre, en général. Deux éléments illustrent cette notion. Le premier est révélé
par un schéma de Simpson, qui, représente par une arborescence les différentes classes de vertébrés,
les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Malgré Darwin, cet arbre traduit, non pas
une recherche de parenté, mais de descendance, de généalogie. Par exemple, l'Ichthyostega est placé
de telle sorte qu'on puisse penser qu'il est l’ancêtre de l'ensemble des organismes qui le suivent.
Cette représentation illustre un problème clé : comment retracer les relations de parenté ? Comment
se servir des fossiles ? A ces questions, le zoologiste allemand Willy Hennig (1913-1976) propose
une nouvelle méthode : la cladistique.
Hennig pense qu'il faut rechercher, non pas des relations de descendance, mais de parenté-les
relations de cousinage, en quelque sorte-, et positionner des ancêtres hypothétiques. Pour mettre à
jour ces relations de parenté, il faut, parmi les caractères homologues (hérités d'un ancêtre
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commun), considérer ceux qui correspondent à des innovations. Ces caractères novateurs
permettent de rassembler les organismes.
En considérant ces organismes (fig 6), des oiseaux et des reptiles (tortues, lézards et crocodiles),
une des innovations héritées d'un ancêtre commun hypothétique est la plume, partagée par
l'ensemble des oiseaux. La plume résulte de la transformation de l'écaille épidermique existant chez
les organismes reptiliens, à la suite d’un processus évolutif particulier.
Cette démarche, fondée non pas sur un mais plusieurs caractères, permet de construire des arbres
phylogénétiques. La méthode consiste à définir des groupes monophylétiques, pas à pas, à partir
d'ancêtres hypothétiques communs. Un groupe monophylétique est un groupe qui rassemble un
ancêtre et l'ensemble de ses descendants. A l'opposé, un groupe paraphylétique correspond à un
ancêtre et une partie de ses descendants.
Pour éclairer ces concepts, considérons cet arbre, relativement juste - relativement car encore sujet
de controverse. Cet arbre met évidence un groupe monophylétique, les sauropsides, groupant les
oiseaux, les crocodiles, les lézards, les serpents et les tortues. Or, dans la classification
"traditionnelle", les reptiles (serpents, lézards, tortues) figurent d'un côté, les oiseaux de l'autre. Cela
revient à présenter un groupe monophylétique (les oiseaux) et un groupe paraphylétique (les
serpents, les oiseaux et les tortues). Cette dichotomie se fonde sur un ensemble de particularités des
oiseaux qui les mettaient, intuitivement, "à part" : la capacité de voler, le plumage… Dans ce cas-là,
on occulte la relation de parenté extrêmement importante entre les crocodiles et les oiseaux. Dans le
cas contraire, on explicite un groupe monophylétique clé : les archosauriens (crocodiles et oiseaux),
ce qui modifie la conception évolutive intuitive.
On aurait "naturellement" tendance à penser que les crocodiles ressemblent plus aux varans ou aux
lézards qu'aux oiseaux. Cette méthode met en pièce le concept de ressemblance - en trouvant des
caractères (moléculaires ou morpho-anatomiques) qui permettent de positionner des ancêtres
hypothétiques communs qui ont apporté des innovations. Dans ce cas particulier, l'innovation est la
présence d'un gésier. Ce gésier, connu chez les oiseaux, moins chez les crocodiles, n'est pas présent
chez les autres reptiles.
Examinons à présent cet arbre (fig 7), qui représente les archosaures. Deux groupes d'animaux
vivent actuellement : les oiseaux et les crocodiliens (ici l'alligator), aux deux extrémités du graphe.
D’autres branches sont importantes :
- la branche des ptérosauriens - les « dinosaures » volants ;
- le groupe des dinosaures, divisés en deux branches : ornitischiens et saurischiens ;
- les théropodes.
Contrairement à la figure précédente (fig 6), les fossiles ne figurent pas en tant qu'ancêtres. Ils sont
représentés comme apparentés aux autres organismes. Des ancêtres hypothétiques communs sont
positionnés. A leur niveau, on fait apparaître les innovations. De cette manière, l’histoire de ces
innovations est retracée : à partir d'organismes de "type" dinosaure, on voit l’évolution des
différents caractères (tels que la plume, l'évolution des membres, mâchoires...etc.), jusqu'aux
oiseaux actuels.
Parmi ces archosaures, seuls existent encore les crocodiles et les oiseaux. Entre ces deux groupes se
trouvent tous les dinosaures. Les oiseaux partagent des ancêtres hypothétiques avec quantité de ces
dinosaures. On croit que les dinosaures ont disparu. Et bien non ! Quand vous croiserez une volée
de pigeons dans les rues de Paris, vous pourrez dire : "nous sommes envahis par les dinosaures !"
Tous les oiseaux sont des dinosaures : cette méthode change considérablement la vision intuitive
des choses, n'est ce pas ?
Je conclus cet exposé en présentant ce à quoi vous avez échappé :
- Tout d'abord, à la phylogénie moléculaire. Actuellement, tous les organismes de la diversité du
vivant peuvent apparaître sur un même arbre : bactérie, animaux, plantes... Cet arbre commence à
représenter une bonne vision synthétique du monde vivant.
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- Ensuite, à l'évolution du génome. On commence à comprendre comment les innovations,
les mutations surviennent au niveau du génome. Elles se produisent principalement par duplication
des gènes : des motifs de l'ADN se dupliquent et ces gènes dupliqués peuvent acquérir de nouvelles
fonctions. La mise en évidence de ces phénomènes permet de mieux comprendre comment la
descendance avec modification se produit. Ce ne sont pas de petites modifications ponctuelles
comme on le pensait auparavant.
- Troisième point : la sélection n'agit pas exclusivement au niveau des organismes. Elle
opère à tous les niveaux d'organisation. Un exemple très simple est la présence, dans les génomes,
de petites unités appelées transposons. Ces transposons se répliquent, indépendamment, envahissent
le génome, peuvent passer d'un chromosome à l'autre. Ces transposons participent certainement à la
fluidité du génome. Le pourcentage de ces transposons dans le génome est considérable : 40 % du
génome humain est composé de ces séquences - des unités « parasites "» puisqu'elles ne participent
ni à la construction, ni au fonctionnement de notre organisme. Au niveau végétal, ce chiffre est
encore plus important : jusqu'à 75 % du génome de certaines plantes serait envahi de transposons.
- Avant dernier point : l'évolution n'est pas si graduelle, elle se fait souvent par crises. La
vitesse d'évolution change. Des crises se sont produites, extrêmement importantes dans l'histoire
géologique de la Terre. L'une des plus belles crises est celle du Permien, au cours de laquelle 80 %
des espèces auraient disparu. Ces crises d'extinctions ont été suivies de radiations, où des
innovations très importantes se produisent.
- Enfin, dernier point qui m'est cher. La notion de progrès devient complètement relative.
Les innovations se font sur toutes les branches : il n'existe pas d'organisme plus évolué qu'un autre.
Tous les organismes ont parcouru le même temps d'évolution. Seulement, ils n'ont pas évolué dans
les mêmes directions, en raison de contraintes différentes, de milieu et de choix de stratégies
différentes.
Si on prétend dans un style « d'Echelle des Êtres », qu'il existe de « meilleurs » organismes, c'est
qu'on met en exergue un ou plusieurs caractères. Ce n'est pas de la biologie. La biologie considère
tous les caractères au même niveau et que la biodiversité est structurée par cette évolution. Dans ces
conditions, chaque organisme vaut par lui-même.
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