Arbre de la vie, sélection et adaptation 150 ans après Darwin.
Philippe Huneman
Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques
(CNRS/Université Paris I Sorbonne)
En 1859, dans L’origine des espèces, Charles Darwin proposait deux idées qui
définissent depuis lors le cadre des sciences biologiques : l’ensemble des vivants
constitue une unique famille qui s’ordonne en un grand Arbre de la vie, lequel
part des premières cellules vivantes et se ramifie jusqu’aux espèces les plus
complexes ; la cause de l’évolution des espèces est principalement la « sélection
naturelle », qui explique l’adaptation des organismes à leurs environnements. Si,
aujourd’hui, les biologistes ne remettent plus en cause ni la dimension
phylogénétique, c’est-à-dire l’historicité des phénomènes vivants, ni la réalité du
processus de sélection naturelle, néanmoins la vision de l’arbre de la vie, de la
nature de la sélection naturelle et de sa portée, a évolué et s’est diversifiée:
nourrie des avancées successives de la génétique, de la biologie moléculaire, de
la génomique, de la paléontologie et de l’écologie, la biologie évolutive
contemporaine a approfondi ces deux thèses darwiniennes majeures dans
plusieurs directions qui se retrouvent parfois en tension.
En effet, si la théorie classique reposait sur une synthèse de la génétique
mendélienne et de la pensée darwinienne opérée dans les années 1930-1950,
nommée « théorie synthétique de l’évolution », ces dernières années ont de fait
vu naître de nombreux essais de « nouvelle synthèse », par exemple ceux du
paléontologue S.J.Gould, des théoriciens du développement (Evo-Devo), ou
d’écologues spécialistes de biodiversité.
La conférence tentera de reconstruire les alternatives majeures qui s’offrent
aujourd’hui à nous en ce qui concerne la forme de la phylogénèse et le rôle de la
sélection naturelle. Nous commencerons par esquisser la position originelle de
Darwin sur ces questions, en soulignant son engagement en faveur du pluralisme
dans l’explication biologique. Nous exposerons ensuite les changements récents
dans la perception de l’arbre de la vie, et les schémas phylogénétiques les plus
plausibles qui tendent à s’y substituer : réseaux, buissons etc. Nous aborderons
enfin le rôle de la sélection naturelle, en schématisant les positions théoriques
générales qui proposent une explication de l’adaptation des organismes comme
de la diversité des espèces (et de l’unité sous-tendant cette diversité), et en les
situant par rapport à ce qu’aurait été la position darwinienne telle qu’elle
apparaît au chapitre 6 de l’Origine.