ÉDITORIAL Quelle place pour l’utilisation en routine des nouveaux outils microbiologiques dans la tuberculose ? When should we use molecular methods for rapid detection of tuberculosis and drug-resistant tuberculosis? “ C Y. Yazdanpanah Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Bichat-Claude-Bernard, APHP et université Paris-Diderot, Paris. 1. World Health Organization. Recommandations 2011. Rapid implementation of the Xpert® MTB/RIF diagnostic test: technical and operational “How-to”; practical considerations. 2. Boehme CC, Nabeta P, Hillemann D et al. Rapid molecular detection of tuberculosis and rifampin resistance. N Engl J Med 2010;363:1005-15. 3. Lawn SD, Brooks SV, Kranzer K et al. Screening for HIV-associated tuberculosis and rifampicin resistance before antiretroviral therapy using the Xpert® MTB/RIF assay: a prospective study. PLoS Med 2011;8:e1001067. omme cela est souligné par Valérie Lalande dans ce numéro de La Lettre de l’Infectiologue, le diagnostic bactériologique de la tuberculose a connu ces dernières années des progrès technologiques importants : identification et détection plus rapides des Mycobacterium tuberculosis par amplification génique ; identification rapide de la résistance aux antituberculeux – notamment la rifampicine et l’isoniazide – par des tests génotypiques. L’Organisation mondiale de la santé a récemment émis des recommandations sur la stratégie d’utilisation en première intention de ces tests, surtout dans les pays à forte prévalence de tuberculose ; le test Xpert® MTB/RIF, notamment, permet la détection simultanée du complexe tuberculosis et de la résistance à la rifampicine (1). Mais y a-t-il une place pour l’utilisation en routine de ces tests dans des pays comme la France, où la prévalence de la tuberculose et de la résistance aux antituberculeux est faible, et où la mise en culture et la réalisation d’un antibiogramme ne posent pas de problème en pratique ? Dans des pays à faible prévalence de tuberculose, la détection plus rapide de M. tuberculosis par amplification génique peut avoir un intérêt chez des patients à examen microscopique positif, s’ils sont immunodéprimés (par exemple, les patients vivant avec le VIH) ou s’ils souffrent de pathologies respiratoires chroniques, ce afin de distinguer le M. tuberculosis des Mycobacterium non tuberculosis ; ce cas de figure concerne toutefois une très faible proportion de patients. Chez les patients à examen microscopique négatif, ces tests ont un intérêt plus faible. La sensibilité des tests comme Xpert® MTB/RIF est en effet faible chez eux : 72,5 % au premier échantillon, pour atteindre 90,2 % pour 3 échantillons testés dans l’étude citée par V. Lalande (2) ; 43 % au premier échantillon et 62 % pour 2 échantillons testés dans une autre étude récente (3). En considérant que, dans la population testée, la sensibilité du test est de 70 % pour une spécificité estimée à 99 %, et que la prévalence prétest de la maladie est de 1 %, la probabilité d’avoir une tuberculose en cas de test positif (valeur prédictive positive [VPP]) n’est que de 41 % ; en d’autres termes, 6 patients sur 10 seront traités à tort pour une tuberculose. L’utilisation de manière incontrôlée de ces tests peut donc avoir des effets négatifs sur la prise en charge des patients. Avec une prévalence prétest de la maladie de 10 %, cette probabilité atteint 88 %. Dans les pays à faible prévalence de tuberculose, l’identification plus rapide de M. tuberculosis par amplification génique ne doit être réservée qu’aux patients ayant une probabilité prétest élevée de tuberculose. Cette probabilité sera déterminée par leurs caractéristiques socio-démographiques, leur présentation clinique et radiologique, et l’élimination au préalable d’autres pathologies plus fréquemment rencontrées. Qu’en est-il du dépistage de la résistance aux antituberculeux et de l’utilisation des tests génotypiques qui permettent la détection rapide de la résistance à la rifampicine et à l’isoniazide ? Y a-t-il un intérêt à les utiliser en routine dans des pays à faible prévalence ? Comme cela est rappelé par Aurélie Fillion dans ce numéro, le Centre 6 | La Lettre de l’Infectiologue ̐ Tome XXVII - n° 1 - janvier-février 2012 ÉDITORIAL national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) recense chaque année en France environ 50 cas de tuberculose multirésistante, soit 1 % du total des souches isolées tous les ans. Chez les patients ayant déjà reçu un traitement antituberculeux, les laboratoires du réseau CNR-MyRMA estimaient en 2004 à 14,3 % la résistance à l’isoniazide et à 8 % la résistance à la rifampicine (4). Dans cette population, que l’on peut qualifier de population à forte prévalence de tuberculose MDR (Multi-Drug Resistant), les tests génotypiques comme Xpert® MTB/RIF, qui détecte uniquement la résistance à la rifampicine, ou GenoType® MTBDRplus, qui détecte la résistance à la rifampicine et à l’isoniazide, peuvent être intéressants. L’OMS recommande fortement l’utilisation de Xpert® MTB/RIF chez ces patients. Avec une probabilité de résistance à la rifampicine de 8 %, la valeur prédictive négative (VPN) du test Xpert® MTB/RIF est de 99 % : chez un patient testé négatif, un traitement antituberculeux de première ligne peut être prescrit (1). Dans cette population, la VPP du test serait d’environ 80 % : un patient testé positif doit être traité comme un patient porteur de tuberculose MDR, mais les résultats doivent être confirmés par la culture, et le traitement, réajusté (1). Qu’en est-il chez les patients n’ayant jamais reçu de traitement antituberculeux ? Dans cette population, les laboratoires du réseau CNR-MyRMA estimaient en 2004 la résistance primaire à l’isoniazide et celle à la rifampicine respectivement à 5,2 % et 1,2 % (4). Il s’agit donc de patients à faible prévalence de tuberculose MDR, chez qui la détection de la résistance à la rifampicine par Xpert® MTB/RIF a probablement peu d’intérêt. En revanche, le GenoType® MTBDRplus, qui détecte une absence de résistance à l’isoniazide, semble intéressant, au vu des recommandations thérapeutiques actuelles. 4. Robert J, Veziris N, TruffotPernot C, Grigorescu C, Jarlier V. Surveillance de la résistance aux antituberculeux en France : données récentes. BEH n° 11, 20 mars 2007, disponible sur : http://www.invs.sante.fr/ beh/2007/11/index.htm#2 5. Prévention et prise en charge de la tuberculose en France. Synthèse et recommandations du groupe de travail du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (2002-2003). Rev Mal Respir 2003;20:7S1057S106. Dans la population des patients tuberculeux n’ayant jamais reçu de traitement, sur la base des estimations des souches d’emblée résistantes à l’isoniazide, les recommandations françaises sur le traitement de la tuberculose sont d’“initier une quadrithérapie associant isoniazide, rifampicine, pyrazinamide, éthambutol (HRZE) en attendant les résultats de l’antibiogramme de la souche et la confirmation de la sensibilité à l’isoniazide” (5). L’éthambutol joue alors un rôle très important en évitant la sélection de mutants résistants à la rifampicine en cas de tuberculose à souche d’emblée résistante à l’isoniazide, beaucoup plus fréquemment rencontrée (5 fois plus que les souches résistantes à la rifampicine). Avant la mise à disposition des tests génotypiques et l’utilisation de cultures sur milieux liquides, les résultats des tests de sensibilité étaient disponibles en général 5 à 7 semaines après le prélèvement ; la durée de la phase initiale du traitement comprenant l’éthambutol étant de 2 mois, le retentissement pratique des résultats de l’antibiogramme sur l’arrêt de l’éthambutol s’avérait limité. Avec la disponibilité des tests génotypiques et le GenoType® MTBDRplus, seul test à ce jour capable de détecter rapidement des résistances à l’isoniazide, l’algorithme proposé pour le traitement de la tuberculose pourrait être le suivant : ➤ en l’absence de résistance à l’isoniazide, prescrire une trithérapie HRZ ; ➤ en présence d’une résistance à l’isoniazide, continuer à prescrire une quadrithérapie HRZE en attendant la confirmation de ces résultats par la culture. L’utilisation des antibiogrammes sur milieu liquide permettrait de réduire à 1 mois l’exposition à l’éthambutol, à condition que le traitement soit adapté dès son résultat, ce qui est malheureusement rarement fait. Le passage d’une quadrithérapie à une trithérapie et la non-prescription de l’éthambutol peuvent avoir un réel effet : ➤ sur l’adhérence au traitement, compte tenu de la diminution du nombre de comprimés et de la possibilité d’utiliser des formes galéniques englobant aussi bien l’isoniazide que la rifampicine ou le pyrazinamide ; ➤ sur la diminution de la fréquence des toxicités, notamment la toxicité ophtalmologique liée à l’éthambutol ; La Lettre de l’Infectiologue ̐ Tome XXVII - n° 1 - janvier-février 2012 | 7 ÉDITORIAL ➤ sur le coût de la prise en charge de la maladie, grâce à une prescription plus courte d’éthambutol et à une fréquence moins élevée des examens ophtalmologiques ou des consultations supplémentaires pour effets indésirables liés à l’éthambutol ; ➤ sur l’efficacité d’une deuxième ligne de traitement en épargnant l’éthambutol chez les nouveaux cas de tuberculose. Toutefois, les études réalisées à ce jour montrent que la sensibilité des tests génotypiques qui détectent la résistance à l’isoniazide est plus faible que celle des tests qui détectent la résistance à la rifampicine. Dans une étude réalisée au CNR-MyRMA, la sensibilité du test GenoType® MTBDRplus pour identifier les mutations de résistance à l’isoniazide était de 86 % (versus 100 % pour la rifampicine) [6]. D’autre part, la sensibilité de ces tests paraît très variable d’une étude à l’autre (7). Il semble notamment qu’un certain nombre de mutations de résistance ne soit pas détecté, ce qui peut en partie expliquer l’hétérogénéité observée quant à la sensibilité de ces tests (mutations sur les gènes KatG à des positions autres que 315, par exemple) [6]. Même si, compte tenu de la faible résistance à l’isoniazide en France, avec des sensibilités supérieures à 80 %, la VPN du test reste élevée (de 98 à 99 %), il est important de mieux évaluer ces tests en pratique courante (1). 6. Brossier F, Veziris N, Jarlier V, Sougakoff W. Performance of MTBDR plus for detecting high/low levels of Mycobacterium tuberculosis resistance to isoniazid. Int J Tuberc Lung Dis 2009;13:260-5. 7. Ling DI, Zwerling AA, Pai M. GenoType® MTBDR assays for the diagnosis of multidrug-resistant tuberculosis: a meta-analysis. Eur Respir J 2008;32:1165-74. 8. Blumberg HM, Burman WJ, Chaisson RE et al; American Thoracic Society, Centers for Disease Control and Prevention and the Infectious Diseases Society. Treatment of tuberculosis. Am J Respir Crit Care Med 2003;167:603-62. Ensuite, si ces tests étaient utilisés en routine, comme cela a été développé plus haut, il faudrait prescrire, chez les patients tuberculeux n’ayant jamais reçu de traitement, une trithérapie HRZ en l’absence de résistance à l’isoniazide. Or, la trithérapie HRZ a été peu comparée à la quadrithérapie HRZE sur les souches sensibles. Une quadrithérapie pourrait être plus efficace qu’une trithérapie, y compris en l’absence de résistance aux antituberculeux, notamment en présence d’un inoculum plus important (chez les patients avec des cavernes, par exemple). Les recommandations américaines de traitement de la tuberculose envisagent une prolongation de la durée du traitement antituberculeux chez les patients ayant des cavernes, en raison d’un risque plus élevé de rechute, même sous quadrithérapie initiale (8). Il est donc important d’évaluer de manière pragmatique l’utilisation en pratique courante des tests génotypiques de dépistage rapide de la résistance aux antituberculeux, pour voir s’ils constituent un outil d’aide à la décision thérapeutique, en particulier chez les patients tuberculeux n’ayant jamais reçu de traitement, et voir s’ils sont intéressants sur les plans de l’efficience et du rapport coût/efficacité. ” Conflit d’intérêts. Yazdan Yazdanpanah déclare n’avoir aucune participation financière dans le cadre d’une entreprise ; il déclare des activités exercées personnellement (interventions ponctuelles : expertises, activités de conseil, conférences, formation) pour Abbott, BMS, Boehringer Ingelheim, Gilead, Roche, MSD, Tibotec, ViiV Healthcare. Éditorial à lire sur nottre sitte ww w w.. edima a rk.fr Le point de vue du pneumologue Par le Pr Bertrand Dautzenberg (Service de pneumologie, hôpital la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris) « La pneumologie est née après la dernière guerre de la phtisiologie. Des 14 dispensaires antituberculeux qui existaient à Paris au début des années 1970, les 3/4 ont disparu. Parmi ceux encore en activité, la tuberculose ne constitue plus qu’une activité parmi d’autres… » … la suite, déjà en ligne ! 12e édition ialis r du spéc le courrie te éron γ NS POPULATIO S RAD ASPECT OLONES FLUOROQUIN MATIQUE DOSSIER THÉ La tuberculose en 2012 uc Meynard, par le Dr Jean-L ue, Coordonné de l’Infectiolog e t de La Lettre pneumologu chef adjoin os Chouaid, rédacteur en et le Pr Christ Société éditrice CPPAP : 0412 T : EDIMARK SAS 81501 – ISSN : 0296-9009 DE FORMATION PÉRIODIQUE FRANÇAISE EN LANGUE Bimestriel 25 € : Prix du numéro - N° 1 Tome XXVII 2011 Janvier-février 8 | La Lettre de l’Infectiologue ̐ Tome XXVII - n° 1 - janvier-février 2012 2O12 tests interf IC NOST DIOUTIAG LOGIQUES LS MICROBIO TS EN MICUL IÈRES/VIH TRAITEPART IOLOGIQUES NOUVEAUX Toute l’actualité sur de votre spécialité www.edimark.tv .fr dimark www.e