MISE AU POINT Troubles de l’oculomotricité au cours des principales maladies neurodégénératives Oculomotor disturbances during major neurodegenerative diseases D. Biotti*, A. Vighetto* L’ oculomotricité permet d’assurer le déplacement ou le maintien stable des 2 yeux sur une cible, de la suivre, ou de la quitter pour une autre. Cette capacité est assurée par l’intrication de grandes fonctions oculomotrices telles que les saccades (déplacement rapide des yeux d’une cible à une autre), la poursuite, les réflexes oculovestibulaires et optocinétiques, la convergence et la fixation oculaire. L’ensemble de ces fonctions dépend de multiples aires corticales et réseaux sous-corticaux impliqués dans les afférences visuelles, l’intégration corticale des éléments vus, jusqu’à la mise en place d’une réponse oculomotrice adaptée et à sa réalisation. L’étendue des aires et réseaux impliqués (cortex, tronc cérébral, cervelet, ganglions de la base, colliculus supérieur, voies et centres vestibulaires) explique pourquoi des symptômes oculomoteurs divers sont observés au cours de nombreuses maladies neurodégénératives. L’identification de ces troubles, parfois subtils, pourrait aider le clinicien dans le diagnostic précoce de ces pathologies si des patterns oculomoteurs spécifiques étaient mis en évidence. Actuellement, dans la pratique clinique, ces explorations (enregistrements oculomoteurs) constituent parfois déjà une aide précoce, par exemple dans le cadre des syndromes parkinsoniens. Nous ne parlerons pas dans cet article des atrophies spinocérébelleuses, de la sclérose latérale amyotrophique ni de la maladie de Wilson. * Services de neurologie et de neuroophtalmologie, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, Lyon, et université Lyon-1. Quelques notions concernant l’examen oculomoteur (hors pathologies périphériques) Au lit du patient, un examen oculomoteur bien conduit peut déjà apporter bon nombre d’éléments 46 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 d’orientation. La motricité oculaire doit d’abord être évaluée par l’appréciation des saccades oculaires (c’est-à-dire de mouvements rapides des yeux entre 2 cibles, et non d’une poursuite oculaire du doigt de l’examinateur comme on l’observe souvent !) : ➤➤ saccades “volontaires”, lorsque le patient déplace volontairement les yeux dans une direction donnée, sur des consignes verbales : “Regardez à droite, à gauche” ; ➤➤ saccades “volontaires cognitives”, réalisées volontairement mais en réponse à une consigne particulière. Il s’agit, par exemple, des antisaccades : “Lorsque la cible apparaîtra, vous devrez regarder dans la direction opposée” ; de saccades mémorisées lorsqu’elles ont lieu vers une cible après la disparition de celle-ci ; de saccades anticipées lorsqu’une série de cibles successives de disposition non aléatoire apparaît et que le patient se prépare à diriger son regard vers la prochaine cible attendue ; ➤➤ saccades “réactives”, lorsque la saccade se fait vers une cible visuelle présentée soudainement. Schématiquement, les aires oculomotrices frontales sont mises en jeu dans le contrôle des saccades volontaires et cognitives (à la fois déclenchement et inhibition), alors que les aires du champ oculomoteur pariétal interviennent pour les saccades réactives. Les saccades horizontales et verticales peuvent être appréciées en termes de latence (durée entre l’apparition du stimulus et le déclenchement de la saccade), d’amplitude (limitation ?), de vitesse (une saccade normale ne peut théoriquement pas être suivie par le regard de l’examinateur), de précision (hypermétrie, hypométrie), de conjugaison (ophtalmoplégie inter­ nucléaire). Les antisaccades sont évaluées sur le nombre d’erreurs, et le nombre d’erreurs corrigées. En cas de limitation de l’amplitude des saccades, Mots-clés Points forts »» Les pathologies neurodégénératives sont nombreuses ; leur reconnaissance et leur prise en charge constituent un enjeu de santé publique (maladies d’Alzheimer, de Parkinson, etc.). »» Les troubles oculomoteurs sont fréquents dans ces affections, et peuvent facilement être analysés au moyen d’enregistrements oculomoteurs non invasifs et reproductibles. »» Certains patterns (analyse des saccades, antisaccades, mouvements anormaux, exploration visuelle, etc.) pourraient permettre une orientation clinique précoce vers certaines de ces affections. L’enregistrement oculomoteur représente ainsi un nouveau marqueur clinique. »» Aujourd’hui, si des résultats prometteurs se dégagent, et que ces explorations de l’oculomotricité commencent à être plus largement utilisées (par exemple, dans les syndromes parkinsoniens), beaucoup de travail reste à accomplir, afin d’en préciser et d’en valider les indications. l’examinateur évaluera l’effet sur celle-ci des réflexes oculocéphaliques (ROC) : une limitation qui disparaît grâce aux ROC oriente vers une origine supranucléaire du trouble ; il s’agit d’une approche clinique simple et fiable des réflexes oculovestibulaires (ROV) testables lors d’épreuves caloriques, par exemple. La poursuite peut être appréciée dans un second temps en gardant à l’esprit qu’une poursuite anormale, notamment saccadée, n’est pas localisatrice, mais qu’une poursuite parfaite traduit l’intégrité globale des systèmes oculomoteurs de poursuite, de stabilisation de l’image ainsi que des voies cérébelleuses. La fixation en position primaire du regard (droit devant) d’une cible proche ou lointaine, normalement stable, peut révéler l’existence d’intrusions de saccades, notamment d’ondes carrées. La fixation excentrée peut permettre de révéler l’existence d’un nystagmus, dont le type doit alors être précisé. La convergence peut être appréciée. Enfin, l’examen du jeu pupillaire et des paupières (ouverture, fermeture, rétraction) ne doit pas être oublié. L’ensemble de ces éléments peut être étudié de manière reproductible et quantifiable au moyen d’enregistrements oculomoteurs (eye-tracker, vidéonystagmographie). Ce type d’examens, initialement réservé aux laboratoires de recherche, est désormais devenu accessible en clinique grâce à la commercialisation d’appareils dédiés. Les saccades, notamment, pourront alors être décrites en fonction de leur latence de déclenchement, de leur vitesse de réalisation, de leur précision, de leur amplitude, de leur gain, traduisant l’atteinte de réseaux de neurones corticaux ou sous-corticaux et renseignant donc sur les structures et réseaux qui sont lésés, au-delà de l’étiologie. Maladie de Parkinson et syndromes parkinsoniens “plus” Maladie de Parkinson Il s’agit de la première cause de syndrome parkinsonien, avec une prévalence avoisinant 1 à 2 % de la population de plus de 65 ans. La maladie de Parkinson fait partie des alpha-synucléinopathies. En France, on estime le nombre de malades à environ 150 000. L’atteinte dégénérative des neurones dopaminergiques explique une grande partie de la symptomatologie clinique, notamment motrice. Par extension, l’oculomotricité a fait l’objet d’études particulières ayant pour objectif de déterminer l’existence d’une atteinte précoce pouvant aider au diagnostic positif ou différentiel (1), mais aussi à évaluer l’impact des traitements (2). L’examen des saccades réactives révèle essentiellement une tendance aux saccades modérément hypométriques, mais aussi une augmentation des latences, en particulier en verticalité (1-3). Les saccades sur cibles, mémorisées ou anticipées (le patient s’attend à ce que la cible apparaisse à un endroit donné) semblent plus clairement affectées (2-3). Cette dissociation entre saccades réactives relativement préservées et saccades mémorisées plus altérées suggère que les réseaux oculomoteurs impliqués sont différents faisant notamment relais dans les ganglions de la base (2, 4). Il existe une latéralisation des déficits corrélée à la latéralisation du reste du syndrome parkinsonien (2). Les antisaccades sont relativement préservées, mais les données de la littérature sont parfois contradictoires (3). La convergence est souvent altérée, de même que la poursuite oculaire, qui apparaît saccadée, ou que la fixation prolongée, qui peut révéler l’intrusion d’ondes carrées (2-3). La question de la dopasensibilité des troubles oculomoteurs est attendue, mais le nombre de travaux sur ce sujet reste modeste. Certaines études montrent effectivement une amélioration de la plupart des anomalies des saccades lors de la mise sous traitement, notamment l’amélioration des saccades mémorisées (2). Curieusement, l’hypométrie, notamment celle des saccades mémorisées, ne se trouve pas significativement améliorée par les traitements (2). Des analyses portant sur les latences des saccades ont montré que celles-ci pouvaient augmenter sous L-dopa ce qui serait expliqué par l’effet du traitement sur le niveau seuil nécessaire au déclenchement effectif d’une réponse motrice (5). La stimulation des noyaux sous-thalamiques a montré, chez quelques patients, une réduction des latences et de l’hypométrie, y compris pour les saccades mémorisées (2, 6). À noter que la stimulation elle-même peut être à l’origine de manifestations Troubles oculomoteurs Mouvements oculaires Maladies neurodégénératives Démences Syndromes parkinsoniens Highlights »» Neurodegenerative disorders are numerous; their correct identification and management constitutes a real public health challenge (Alzheimer and Parkinson diseases, etc.). »» Oculomotor abnormalities are common among such patients, and can easily be analyzed by oculomotor noninvasive and reproducible recordings. »» Some patterns (analysis of saccades, antisaccades, abnormal movements, visual exploration, etc.) could allow an early clinical orientation towards some of these diseases. The analysis of eye movements represents a new clinical marker. »» Today, while promising findings are emerging and these oculomotor recordings are more widely used (for instance, in Parkinsonian syndromes), much work remains to be done in order to clarify and validate their indications. Keywords Ocular motility disorders Eye movements Neurodegenerative disorders Dementia Parkinsonian disorders La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 | 47 MISE AU POINT Troubles de l’oculomotricité au cours des principales maladies neurodégénératives oculomotrices parfois gênantes, en fonction du site de stimulation (7). La présence d’anomalies oculomotrices est fréquente dans la maladie de Parkinson mais reste cliniquement discrète. Leur présence marquée, notamment en ce qui concerne la vitesse des saccades ou leur amplitude, doit être, surtout en début de maladie, interprétée comme un drapeau rouge, et faire envisager la possibilité d’un autre syndrome parkinsonien (paralysie supranucléaire progressive) [1-2]. Atrophie multisystématisée L’atrophie multisystématisée (MSA) est une alphasynucléinopathie se présentant, selon sa forme, par un syndrome parkinsonien peu sensible à la L-dopa (MSA-p), des symptômes de la sphère cérébelleuse (MSA-c) ou pyramidale et des manifestations dysauto­nomiques. Les manifestations oculomotrices sont proches de celles observées dans la maladie de Parkinson, mais quelques particularités en sont plus spécifiques, comme une tendance aux saccades plus nettement hypométriques, l’intrusion plus fréquente d’ondes carrées ainsi que l’altération de la capacité d’inhibition des ROV (en pratique clinique, faites fixer au patient un élément qui va se déplacer conjointement avec l’axe des yeux et de la tête du sujet ; la position des yeux doit, chez le sujet sain, rester parfaitement alignée avec la cible, s’opposant parfaitement au ROV induit par le mouvement de la tête) [1, 8]. Dans la MSA-c, l’existence du syndrome cérébelleux clinique enrichit la sémiologie de manifestations oculomotrices cérébelleuses, en particulier avec la présence d’une dysmétrie saccadique, d’une dégradation prononcée de la qualité de la poursuite oculaire, d’un nystagmus des regards excentrés et/ou d’un nystagmus battant vers le bas (1, 8). Ce dernier peut cependant être retrouvé en l’absence d’autres manifestations cérébelleuses dans près de 30 % des cas de MSA (1, 8). Il n’y a pas de ralentissement franc des saccades dans la MSA ; l’observation de ce phénomène remet en question ce diagnostic (2, 8). Enfin, certains patients présentent une limitation supranucléaire verticale du regard (1-2). Dégénérescence corticobasale La dégénérescence corticobasale (DCB) fait partie du groupe des syndromes parkinsoniens “plus”, se manifestant le plus généralement après 60 ans par un 48 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 tableau extrapyramidal asymétrique peu sensible à la L-dopa, des symptômes dystoniques et apraxiques, un syndrome de la main étrangère, une atteinte cognitive secondaire. Il s’agit d’une tauopathie. Les troubles oculomoteurs sont fréquents (> 90 % dans les 5 premières années) et donc rapidement repérés dans l’évolution clinique des patients (2). Une apraxie oculomotrice est parfois présente. La poursuite se détériore rapidement. Des intrusions saccadiques sont fréquentes (2). L’examen des saccades réactives montre surtout une augmentation des latences avec des vitesses peu diminuées, en particulier dans les saccades dirigées vers l’hémicorps le plus apraxique (1-3). Une hypométrie avec une atteinte de la verticalité au premier plan est parfois retrouvée, mais celle-ci est généralement moins marquée que dans la paralysie supranucléaire progressive (PSP). Un taux d’erreur important aux antisaccades avec peu d’autocorrections est possible et traduit un dysfonctionnement frontal associé (1, 3). Une apraxie de l’ouverture des paupières peut être notée (2). La convergence est souvent anormale (2-3). Paralysie supranucléaire progressive La PSP est une tauopathie évoquée lors de la survenue, généralement après 40 ans, d’un trouble postural d’origine extrapyramidale avec des chutes précoces, accompagné d’une paralysie oculo­ motrice supranucléaire verticale (initialement un simple ralentissement des saccades verticales vers le bas). Dans cette pathologie, le trouble oculomoteur clinique joue donc un rôle diagnostique central. Dans de rares cas, l’atteinte oculomotrice est absente ou très retardée (1, 2). L’analyse des saccades réactives montre essentiellement le ralentissement des saccades verticales, vers le bas puis vers le haut, moins marqué en horizontalité et avec une augmentation des latences. Ces anomalies sont corrélées au volume du mésencéphale (9). Dans les formes les plus avancées, les saccades deviennent franchement hypométriques, jusqu’à pouvoir constituer une ophtalmoplégie complète (1, 3). Les réflexes oculovestibulaires/céphaliques sont longtemps préservés, définissant l’atteinte supranucléaire ; mais l’évolution de la maladie et l’atteinte des noyaux des nerfs oculomoteurs peut conduire à leur perte (2). Les tests d’antisaccades montrent un taux d’erreur important avec peu d’autocorrection (2, 10). La poursuite est altérée, et la fixation révèle l’intrusion d’ondes carrées dans environ 60 % des cas (3). Enfin, le clignement palpébral est plus MISE AU POINT Tableau. Récapitulatif des principales anomalies oculomotrices. Saccades Antisaccades Intrusions Amplitude Vitesse Latence Erreurs Correction MP – – – – Ondes carrées occasionnelles AMS – – – – Ondes carrées, nystagmus des regards excentrés, nystagmus battant vers le bas DCB Nà Nà + Non PSP (vertical bas) N ou ++ MA + Non Ondes carrées Non DCL – + – DLFT-AP – – N ou + Oui DLFT-DFT – – N ou + Oui DLFT-DS – – N ou – – MCJ – – – – Nystagmus cérébelleux, nystagmus alternant périodique Maladie de Huntington Nà 0 – Ondes carrées AMS : atrophie multisystématisée ; AP : aphasie progressive non fluente ; DCB : dégénérescence corticobasale ; DCL : démence à corps de Lewy ; DFT : démences frontotemporales ; DLFT : dégénérescences lobaires frontotemporales ; DS : démences sémantiques ; MA : maladie d’Alzheimer ; MCJ : maladie de Creutzfeldt-Jakob ; MP : maladie de Parkinson ; N : normal ; PSP : paralysie supranucléaire progressive. sévèrement diminué que dans les autres syndromes parkinsoniens, et une apraxie de l’ouverture ou de la fermeture des paupières est plus fréquemment retrouvée (1, 3). Maladie d’Alzheimer et autres démences dégénératives Maladie d’Alzheimer Elle constitue la première cause de démence neurodégénérative, affectant près de 880 000 personnes en France. Elle touche près de 5 % de la population de plus de 65 ans. Son incidence double tous les 5 ans environ (2), ce qui en fait un enjeu majeur de santé publique. Son diagnostic, qui doit être posé le plus tôt possible (idéalement, lors de la période infraclinique), à un stade où les moyens thérapeutiques sont les plus rentables, représente donc un challenge d’importance. Un certain nombre d’études concernant les paramètres oculomoteurs et visuo-attentionnels ont été réalisées au cours des 30 dernières années et ont mis en évidence diverses anomalies oculomotrices (1-3). L’analyse des saccades montre un aspect souvent hypométrique, une vitesse diminuée et un temps de latence augmenté (12, 13), plus particulièrement pour les saccades volontaires que réactives (1), possiblement corrélés à la sévérité de la maladie (13). La fréquence des erreurs (et des erreurs non corrigées) aux tests d’antisaccades serait d’autant plus élevée que la maladie est avancée (1, 10, 14). L’exploration oculomotrice est plus fréquemment anarchique et désorganisée, mais la coexistence de troubles attentionnels, pouvant faussement biaiser la réalisation des tests, reste un facteur de confusion important à prendre en compte. Ainsi, le nombre de saccades enregistrées permettant d’explorer une scène dépend de la complexité de cette scène, et relève donc plus d’un dysfonctionnement attentionnel qu’oculomoteur (2, 15). De la même manière, les patients présentent souvent une perte de curiosité, et passent moins de temps à examiner les images incongrues. La fixation révèle parfois la présence d’intrusions de saccades, de même que la poursuite oculaire, qui est fréquemment d’aspect saccadé (12, 16). La convergence est elle aussi souvent altérée. La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 | 49 MISE AU POINT Troubles de l’oculomotricité au cours des principales maladies neurodégénératives L’ensemble de ces anomalies reste discret, d’autant plus que l’examen oculomoteur est uniquement clinique. En revanche, les examens oculomoteurs automatisés (eye-tracker) pourraient permettre de distinguer finement ces anomalies et, idéalement, de révéler l’existence de patterns oculomoteurs spécifiques de la maladie, possiblement dès un stade précoce. Ces formes précoces de la maladie ont jusqu’à présent peu été étudiées au niveau oculomoteur (1). Actuellement, en France, un PHRC multicentrique (clinicaltrials.gov : NCT01630525, investigateur et coordinateur : Pr François Tison) est conduit auprès de patients présentant une maladie d’Alzheimer prodromale ou une maladie d’Alzheimer probable légère à modérée et de témoins appariés en âge. Les tests effectués reposent sur l’analyse des saccades et antisaccades et sur des analyses du comportement et de l’attention (décision spatiale, examen de visages ou d’images incongrues). Des troubles neurovisuels sont observés au cours de l’évolution de près de un tiers des cas de maladie d’Alzheimer. Ce mode d’expression peut être inaugural, quasiment isolé et handicapant chez certains patients (3), et constituer le cadre de la maladie de Benson, ou atrophie corticale postérieure (ACP). Cette maladie est représentée dans plus de 80 % des cas par des patients dont l’évolution se fera vers une maladie d’Alzheimer clinique et anatomopathologique typique. La particularité venant de l’expression initiale de la maladie en lien avec une atteinte occipito­pariétale précoce et marquée, affectant les voies visuelles associatives dorsales (17). Cette voie dorsale, du where est impliquée dans la gestion et les transformations des informations afférentes visuelles topographiques et leur transmission vers les aires de la réponse motrice (des yeux ou des membres). Ces patients se présentent alors généralement avec un syndrome de Balint plus ou moins complet (17) associant une simultagnosie (incapacité à percevoir plusieurs éléments présentés simultanément, à percevoir un élément complexe dans son ensemble), une ataxie optique (difficulté, principalement dans le champ visuel périphérique, à effectuer un mouvement du bras précis, visuellement guidé), une apraxie du regard (difficulté lors de l’orientation volontaire et orientée du regard très dépendante de la charge attentionnelle). Un phénomène de revisiting peut être observé, les patients pouvant compter à plusieurs reprises certains éléments (points noirs sur une feuille) pourtant déjà identifiés préalablement (17). Enfin, une héminégligence spatiale, voire une authentique hémianopsie latérale homonyme, sont souvent retrouvées, compliquant l’appréciation clinique. 50 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 Démence à corps de Lewy Il s’agit d’une des causes de démences du sujet âgé les plus fréquentes après la maladie d’Alzheimer, associant démence d’aggravation progressive, fluctuations cognitives, hallucinations essentiellement visuelles, syndrome parkinsonien, hypersensibilité aux neuroleptiques. La démence à corps de Lewy (DCL) fait partie des alpha-synucléinopathies. Peu d’études spécifiques de l’oculomotricité leur ont été spécifiquement dédiées (1-3). Les données disponibles révèlent principalement une augmentation des latences des saccades réactives, une réduction de leur pic de vitesse et de leur précision et un taux d’erreurs plus important dans les tâches d’antisaccades que chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer ou de démence de la maladie de Parkinson (1-3, 18). Une atteinte des mouvements oculaires de type supra­ nucléaire, proche de celle observée dans le cadre des PSP, est possible mais rare, de même que la présence de manifestations d’un syndrome de Balint (1-3). Dégénérescences lobaires frontotemporales Les dégénérescences lobaires frontotemporales (DLFT) peuvent être divisées en démences frontotemporales (DFT), aphasies progressives non fluentes (AP) et démences sémantiques (DS). Il s’agit en réalité d’un chevauchement de pathologies possiblement très différentes du point de vue génétique et anatomopathologique, dont l’expression clinique rend la distinction particulièrement difficile dans certains cas, et pour lesquelles le développement d’outils aidant au diagnostic différentiel prend toute son importance. L’examen oculomoteur peut être employé dans ce but (1-3, 10). Dans la DFT et l’AP sont observées des anomalies des latences de saccades, une poursuite altérée, mais surtout l’existence d’une augmentation du nombre d’erreurs lors des antisaccades, qui peuvent cependant être corrigées, à la différence des erreurs d’antisaccades retrouvées chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer, de PSP ou de DCB (1-3, 10). Dans la DS, les caractéristiques principales des saccades et des antisaccades ne diffèrent pas significativement de celles des sujets contrôles (1-3). Ainsi, au sein des DLFT, la réalisation correcte des épreuves d’antisaccades oriente plutôt vers la DS ; la présence d’erreurs, si elles peuvent être corrigées, peut aider à distinguer entre DLFT, d’une part, et maladie d’Alzheimer, PSP ou DCB, d’autre part. Certains MISE AU POINT travaux ont rapporté une diminution des vitesses et des gains des saccades chez les patients chez qui une inclusion tau (tauopathie) était retrouvée (1, 9). Les saccades réactives semblaient normales dans les groupes TDP43+ (1, 9), alors que, chez les patients atteints de DLFT ou de sclérose latérale amyotrophique, un ralentissement des saccades verticales pouvait être retrouvé (2). Maladie de Creutzfeldt-Jakob La maladie de Creutzfeldt-Jakob se manifeste en premier lieu par une dégradation rapidement progressive des fonctions cognitives souvent rapidement associée à des myoclonies et à un syndrome cérébelleux. Des troubles neurovisuels et oculomoteurs sont fréquemment retrouvés et constituent parfois le mode d’entrée dans la maladie via une atteinte corticale postérieure ou par l’atteinte du tronc cérébral et du cervelet. La forme dite postérieure, occipitopariétale (variante de Heidenhain), se présente souvent avec une amputation du champ visuel de type quadranopsique ou hémina­nopsique, voire une cécité corticale (19). Des troubles d’ordre visuo-attentionnel peuvent conduire à un authentique syndrome de Balint (17). Au niveau de l’oculomotricité, différents types de nystagmus sont souvent retrouvés, généralement liés à une atteinte cérébelleuse et/ou vestibulaire. Sont aussi rapportés des cas de nystagmus alternants périodiques (nystagmus horizontaux inversant leur sens de battement toutes les 90 secondes environ), des intrusions saccadiques, une skew-deviations, de tous types d’intrusions de saccades (2, 3, 20). Enfin, un franc ralentissement des saccades peut être observé. Des anomalies palpébrales, de type ptôsis ou apraxie de l’ouverture, sont possibles. Maladie de Huntington Il s’agit d’une maladie neurodégénérative affectant surtout les neurones des ganglions de la base, de transmission autosomique dominante. Une expansion de triplet CAG au sein du gène de la huntingtine sur le chromosome 4 en est la cause. La maladie s’exprime à l’âge adulte par des troubles d’allure psychiatrique, un déclin cognitif et des mouvements anormaux choréiques. Des troubles oculomoteurs sont identifiables, liés à l’atteinte des noyaux gris centraux et à la perte de connectivité avec les lobes frontaux (2). Ces manifestations oculomotrices peuvent être retrouvées chez des porteurs présymptomatiques de la maladie (1). Il s’agit du ralentissement des saccades réactives, surtout en vertical et vers le haut, d’une augmentation des latences (voire, parfois, du déclenchement des saccades par un mouvement de tête, comme dans les apraxies oculomotrices congénitales) et d’une hypométrie (1, 2). Les saccades mémorisées peuvent aussi être précocement altérées (1). Les tests d’antisaccades sont très altérés. La poursuite est irrégulière, et l’intrusion fréquente d’ondes carrées est classique. Il est souvent observé chez ces patients, une grande distractibilité durant la réalisation des tests (1, 2). Enfin, il semble que la modification des caractéristiques des saccades réactives soit un excellent marqueur pour distinguer les porteurs présymptomatiques de ceux évoluant vers une phase symptomatique (1). Conclusion L’atteinte de l’oculomotricité est omniprésente dans un grand nombre de pathologies neurodégénératives, avec de larges recouvrements. Il apparaît de plus en plus clair qu’objectiver ces troubles sur le plan clinique et, surtout, à l’aide de méthodes automatisées, non invasives et reproductibles, pourrait apporter, dans certains cas, une précieuse aide pour le diagnostic positif précoce de certaines de ces affections (en particulier les syndromes parkinsoniens) et les diagnostics différentiels, voire servir de marqueur clinique de l’évolution ou de la réponse à des traitements. Bien sûr, ce domaine d’exploration doit encore être largement approfondi, et les patterns oculomoteurs retenus doivent être confirmés et validés sur de larges cohortes. ■ D. Biotti déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. >> Références bibliographiques La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 | 51 MISE AU POINT Troubles de l’oculomotricité au cours des principales maladies neurodégénératives Références bibliographiques 1. Anderson TJ, MacAskill MR. Eye movements in patients with neurodegenerative disorders. 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