M I S E A U P O I N T Hydrocéphalies aiguës Acute hydrocephaly ● J.L. Berthelot*, C. Combes* P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ L’hydrocéphalie aiguë est dangereuse car, lorsqu’elle décompense, le patient peut passer en quelques minutes de la pleine conscience au coma profond. ■ La gravité des hydrocéphalies aiguës est mésestimée et peut conduire au décès du patient, à l’origine de procédures pénales. ■ Le blocage du système ventriculaire se fait à des niveaux variables : sur les deux ventricules latéraux (kyste colloïde bloquant les trous de Monro), sur les ventricules latéraux et le troisième ventricule en cas de sténose de l’aqueduc ou de pinéalome, sur l’ensemble du système ventriculaire en cas de lésion de la fosse postérieure ou de dysfonctionnement d’une valve de dérivation ventriculo-péritonéale. ■ L’hydrocéphalie s’installe le plus souvent progressivement et se manifeste par des céphalées progressives, des vomissements, puis peuvent apparaître des troubles visuels ou une atteinte oculomotrice. La décompensation brutale peut être responsable d’un coma profond et d’un arrêt cardiorespiratoire en quelques minutes. ■ Le traitement efficace dans les formes aiguës ne peut être qu’un drainage ventriculaire externe. SUMMARY SUMMARY Acute hydrocephaly is dangerous because, when it decompenses, patients can cross in some minutes from full consciousness to deep coma. Gravity of acute hydrocephaly is underestimated and can lead to the death of the patient at the origin of penal procedures. Blocking of the ventricular system is made at variable levels: on both side ventricles (colloid cyst blocking Monro’s holes), on the side ventricles and the third ventricle in case of aqueductal stenosis or pineal tumor, on the whole ventricular system in case of lesion of the posterior pit or malfunction of a lumboperitoneal shunt. Hydrocephaly settles down mostly gradually and shows itself by progressive headaches, vomiting, then visual confusions or oculo-driving infringement can appear. Rough decompensation can be responsible for deep coma and for cardiac arrest in some minutes. The effective treatment in acute forms can only be an external drainage. Keywords: Acute hydrocephaly – Sudden death – External drainage. Mots-clés : Hydrocéphalie aiguë – Décès brutal – Drainage ventriculaire. hypertension intracrânienne est un syndrome redoutable qui met en jeu le pronostic vital du patient à court terme. Le tableau de l’engagement temporal provoqué par des lésions sustentorielles est le plus connu, mais il faut savoir que l’hydrocéphalie aiguë est aussi dangereuse lorsqu’elle se décompense brutalement chez un patient qui passe alors de la conscience au coma profond. Les troubles sont dus à une augmentation brutale du volume des ventricules dont la taille dépend de la pathologie et de l’âge des patients. L’ * Service de neurochirurgie, hôpital Beaujon, Clichy. La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006 Ces tableaux d’hydrocéphalies à pression élevée sont constatés dans de nombreuses pathologies sus- et sous-tentorielles, connues ou inaugurales. Leur gravité est souvent mésestimée et peut conduire au décès brutal du patient (1). L’hydrocéphalie aiguë Elle est habituellement due à un blocage du système ventriculaire qui se situe à des niveaux très variables. ✓ Il peut s’agir d’une hydrocéphalie portant sur les deux ventricules latéraux, lorsqu’un kyste colloïde, même de faible volume, bloque les foramens de Monro. ✓ Il peut également s’agir d’une hydrocéphalie triventriculaire intéressant à la fois les ventricules latéraux et le troisième ventricule, due à une tumeur du troisième ventricule, comme un pinéalome, ou à une sténose de l’aqueduc en général congénitale (figure 1, p. 167). 167 M I S E A Figure 1. IRM en séquence T1 : volumineuse hydrocéphalie par sténose de l’aqueduc qui sera traitée par ventriculo-cisternostomie en urgence. ✓ Enfin, la dilatation peut être quadri-ventriculaire lors d’une lésion de la fosse postérieure comme un épendymome du quatrième ventricule ou un processus expansif cérébelleux, qui provoque en plus une hypertension primitive dans la fosse postérieure. La forme aiguë peut se voir dans les hydrocéphalies communicantes par défaut de résorption brutale du liquide cérébrospinal. C’est le plus souvent la conséquence d’une hémorragie méningée, mais elle pose moins de problèmes de prise en charge, car le patient est normalement hospitalisé en neurochirurgie. CLINIQUE L’hydrocéphalie s’installe le plus souvent progressivement, en particulier dans les sténoses de l’aqueduc, qui peuvent êtres tolérées, méconnues de nombreuses années et se décompenser chez un adulte après 40 ou 50 ans à l’occasion d’un traumatisme minime (1), d’une hémorragie ou d’un syndrome infectieux. Ailleurs, il s’agit d’une lésion tumorale qui bloque progressivement l’aqueduc dans un temps très variable. L’hydrocéphalie se manifeste par une céphalée progressive, des vomissements, puis apparaissent des troubles visuels ou une atteinte d’un nerf oculomoteur, le plus fréquent étant l’abducens. Il faut savoir que la décompensation est parfois extrêmement brutale ; le patient peut être conscient, céphalalgique, puis présenter en quelques minutes un coma profond avec arrêt cardio-respiratoire. TRAITEMENT Dans les formes aiguës, le traitement efficace, chez un patient dans le coma, ne peut être qu’un drainage ventriculaire, excepté dans le cas des hématomes extraduraux de la fosse postérieure, ou si le patient n’est pas dans un coma profond. 168 U P O I N T ✓ Seule une ponction ventriculaire suivie d’une dérivation dans le même temps peut faire régresser les troubles neurologiques, souvent totalement et de manière spectaculaire. ✓ Chez un patient porteur d’une dérivation, il est possible de réviser la valve si les possibilités pratiques le permettent, en l’absence de toute notion d’infection. ✓ Le traitement secondaire sera celui d’une tumeur, la pose d’une dérivation interne ou une ventriculo-cisternostomie (2). Les kystes colloïdes V3 (3) possèdent une symptomatologie particulière, avec des céphalées paroxystiques positionnelles. Ils peuvent parfois être traités en même temps que l’hydrocéphalie si l’on fait une ventriculo-cisternostomie. Ailleurs, ils seront retirés ultérieurement par un abord chirurgical. Il faut particulièrement se méfier des hydrocéphalies connues anciennes qui ont été traitées par une dérivation interne ou une ventriculo-cisternostomie. ✓ La connaissance de ce traitement est une fausse sécurité, car une panne de valve ou l’obstruction d’un orifice de ventriculocisternostomie vont laisser se développer une hydrocéphalie progressive qui va se décompenser brutalement, pouvant conduire à un coma ou au décès du patient (4). ✓ Il faut donc surveiller les patients traités pour une hydrocéphalie, les prévenir que l’apparition d’une somnolence, d’une céphalée progressive, d’une baisse des performances intellectuelles, d’un trouble de la vision doit les amener à consulter un neurochirurgien. Il faut demander un scanner au moindre signe d’hypertension intracrânienne, voir si les ventricules ne se sont pas dilatés et se poser le problème du fonctionnement de la dérivation ou de la cisternostomie qui, dans certaines séries, n’est plus fonctionnelle dans 20 % des cas après 2 ans (5). En cas de doute, le patient doit être surveillé en neurochirurgie pour réviser le système de dérivation interne si les troubles cliniques persistent. ✓ C’est pour cela qu’il faut avoir un scanner de référence pour chaque patient (réalisé lorsque tout va bien) pour le comparer ensuite, quand tout va mal, en sachant que, dans les hydrocéphalies anciennes, les ventricules restent volumineux même après dérivation. PHYSIOPATHOLOGIE La dilatation ventriculaire entraîne une hypertension intracrânienne sus-tentorielle avec une descente de la partie centrale de l’encéphale dans le foramen de Pacchioni, ce qui provoque un étranglement du tronc cérébral et du diencéphale, qui descendent, entraînant des lésions de la réticulé mésencéphalique et des centres végétatifs (6). Cette compression aiguë peut conduire à un décès brutal (quelques minutes). L’hydrocéphalie, même sans lésion sous-tentorielle, augmente le volume du contenu sus-tentoriel, pousse l’ensemble des structures de la fosse postérieure vers le bas, entraînant une hypertension dans la fosse postérieure et un engagement des amygdales cérébelleuses dans le trou occipital (figure 2). Celles-ci compriment les centres végétatifs du bulbe, avec des risques immédiats de troubles respiratoires ou d’arrêt cardiaque (7). La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006 A B Figure 3. A : IRM en séquence T1, kyste colloïde choisi pour son petit volume ; B : scanner cérébral sans injection après pose d’une dérivation externe dans les deux ventricules latéraux entraînant une diminution de la taille des ventricules bien visible au niveau des cornes occipitales. Il existe un hématome sous-dural après la dérivation externe droite. Figure 2. Scanner cérébral sans injection, engagement d’une amygdale dans le trou occipital en rapport avec une tumeur de la fosse postérieure avec hydrocéphalie. C’est un signe d’alarme à toujours rechercher. CAS CLINIQUES Plusieurs cas cliniques permettent de comprendre la difficulté du diagnostic Kyste colloïde du troisième ventricule M. M., âgé de 32 ans, consulte pour des céphalées apparues brutalement il y a 24 heures. Elles sont intenses, rebelles aux antalgiques usuels, et s’aggravent lorsqu’il se penche en avant. À l’arrivée aux urgences, il se plaint de céphalées permanentes avec renforcements paroxystiques de 2 à 3 minutes, entraînant une alternance de périodes d’agitation et de somnolence. L’examen neurologique ne montre pas de signe de localisation neurologique. L’IRM cérébrale en urgence montre une dilatation des ventricules latéraux et une hyperdensité spontanée du troisième ventricule (figure 3A). Le patient est transféré en grande garde de neurochirurgie, où une dérivation ventriculaire externe est posée en urgence. Ce geste entraîne une amélioration nette des céphalées et une diminution de l’hydrocéphalie au scanner de contrôle (figure 3B). Quelques jours après, la dérivation ventriculaire externe est internalisée. Le patient va très bien depuis. La décompensation d’une sténose de l’aqueduc de Sylvius peut se voir à n’importe quel âge Mme C., âgée de 70 ans, sans antécédents particuliers, présentait depuis 15 jours des céphalées permanentes d’aggravation progressive. Le 18 janvier 2002, les céphalées s’exacerbent brutalement, s’accompagnent de vomissements et de troubles de la conscience. Lorsqu’elle est prise en charge par le SAMU, sa conscience est fluctuante, avec un score de Glasgow compris entre 5 et 8 ; sa pression artérielle est élevée. Elle est sédatée, La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006 intubée et transférée aux urgences, où le scanner cérébral montre une dilatation triventriculaire. Elle est transférée en grande garde de neurochirurgie, où elle arrive dans un coma profond, avec un Glasgow à 5. L’examen clinique montre une hémiplégie droite. Une dérivation ventriculaire externe est réalisée immédiatement à 6 heures. L’état neurologique s’améliore rapidement, avec un Glasgow à 15 en 48 heures et la disparition de l’hémiplégie. L’IRM confirme la dilatation ventriculaire ancienne et ne retrouve pas de malformation vasculaire. Quelques jours après, une valve de dérivation ventriculo-péritonéale est posée (figure 4, p. 170). Mme C. va parfaitement bien et revient en consultation tous les ans depuis 4 ans. Le dysfonctionnement de valve peut être très mal toléré à court terme M. B., âgé de 35 ans, a dans ses antécédents une sclérose en plaques de forme rémittente traitée par perfusions de corticoïdes dans les années précédentes. Il présente, en mars 2001 et depuis plusieurs mois, des céphalées paroxystiques d’abord déclenchées par les efforts, puis permanentes. Elles s’associent ensuite à une diplopie, pour laquelle le patient consulte un ophtalmologiste qui constate un œdème papillaire au fond d’œil. M. B. est adressé aux urgences pour une IRM, qui montre une hydrocéphalie triventriculaire due à une sténose de l’aqueduc avec des signes de résorption transépendymaire. Il est transféré en neurochirurgie et traité par une ventriculo-cisternostomie par voie endoscopique en août 2001. En décembre 2001, il se plaint de céphalées chroniques. Une valve de dérivation ventriculo-péritonéale est posée devant une suspicion de dysfonctionnement de la ventriculocisternostomie. Les céphalées régressent. En juin 2002, M. B. est adressé en urgence en neurochirurgie par son médecin traitant pour tremblements diffus, sudation importante, instabilité, mutisme et difficultés de compréhension. Le diagnostic de syndrome dépressif est évoqué, mais, en raison des antécédents neurochirurgicaux, un avis chirurgical est demandé. 169 M I S E A U P A O I N T B Figure 5. A : scanner cérébral sans injection, absence de dilatation ventriculaire ; B : scanner cérébral sans injection, 3 jours plus tard ; dysfonctionnement de valve entraînant une hydrocéphalie aiguë. Figure 4. Scanner après la dérivation : les ventricules sont dilatés mais il n’y a plus d’hypertension intracrânienne (décollement du cerveau en frontal et sillons visibles). L’examen neurologique ne montre pas de signes de localisation, en dehors de tremblements diffus et d’un ralentissement idéomoteur associé à une anxiété. Le scanner cérébral en urgence ne montre pas de dilatation ventriculaire (figure 5A). Le patient rentre chez lui. Il est réhospitalisé en urgence 3 jours plus tard pour coma, avec un score de Glasgow à 5. Le scanner montre une dilatation triventriculaire (figure 5B). Une dérivation ventriculaire externe est posée en urgence, puis la valve est changée. Le patient reste en coma chronique végétatif et décède de complications de décubitus un an plus tard. Les tumeurs pinéales se révèlent le plus souvent par une hydrocéphalie aiguë Mlle C., âgée de 17 ans, sans antécédent, consulte son médecin traitant pour des céphalées d’apparition progressive, matinales au départ, associées ensuite à des vomissements, puis à une diplopie. L’examen trouve un syndrome de Parinaud. Le scanner cérébral montre une hydrocéphalie triventriculaire avec une lésion de la région pinéale (figure 6). Mlle C. est alors adressée à la grande garde de neurochirurgie. Elle passe une IRM qui confirme les données du scanner et subit une ventriculo-cisternostomie en urgence par voie endoscopique. 170 Figure 6. IRM avec injection de gadolinium. Tumeur de la région pinéale située dans le troisième ventricule, hydrocéphalie aiguë. Traitement : ventriculo-cisternostomie, puis abord direct. En postopératoire, les céphalées ont disparu, mais les troubles oculomoteurs persistent. L’exérèse subtotale de la tumeur est réalisée 5 mois plus tard en raison d’une croissance rapide de la lésion qui risque d’obstruer les trous de Monro. CONCLUSION Les accidents neurologiques graves de l’hydrocéphalie aiguë sont rares, mais ils sont brutaux et mettent en jeu le pronostic vital immédiat. Il faut d’autant plus les suspecter et les traiter immédiatement qu’ils s’observent dans de nombreuses pathologies intracrâniennes, dont certaines sont bénignes, comme un kyste colloïde, une hydrocéphalie par sténose due à l’aqueduc de Sylvius traitée par une dérivation ou une ventriculo-cisternostomie dont le dysfonctionnement est à l’origine du décès. Il ne faut pas hésiter à hospitaliser les patients durant 48 heures, à faire un scanner et à le renouveler avant la sortie si la symptomatologie persiste, mais le plus prudent est d’adresser le patient en neurochirurgie. ■ La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006 A A U U T T O O - É É V V I. L’hydrocéphalie aiguë peut être la conséquence d’un blocage du système ventriculaire par : a. une obstruction des trous de Monro par un kyste colloïde b. une sténose de l’aqueduc méconnue c. le dysfonctionnement d’une ventriculo-cisternostomie II. La symptomatologie d’une décompensation d’une sténose de l’aqueduc de Sylvius est : a. une céphalée d’apparition progressive avec apparition brutale d’un coma possible par décompensation de l’hydrocéphalie A A L L U U A A T T I I O O N N b. des céphalées chroniques sans autre signe de localisation c. une paralysie oculomotrice isolée III. L’hydrocéphalie aiguë se traite par : a. une révision de la valve de dérivation ventriculo-péritonéale si celle-ci montre des signes de dysfonctionnement b. un drainage ventriculaire externe en urgence c. l’exérèse chirurgicale de la lésion en cas de pinéalome Résultats : 1 : a, b, c ; II : a ; III : b. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Rickerts CH, Grabellus F, Varchmin-Schultheiss K et al. Sudden unexpected death in young adults with chronic hydrocephalus. Int J Legal Med 2001;114(6): 331-7. 2. Feng H, Huang G, Liao X, Fu K et al. Endoscopic third ventriculostomy in the management of obstructive hydrocephalus: an outcome analysis. J Neurosurg 2004; 100(4):626-33. 3. Young WB, Silberstein SD. Paroxysmal headache caused by colloid cyst of the third ventricle: case report and review of the literature. Headache 1997;37(1):45-20. La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006 4. Hader WJ, Drake J, Cochrane D et al. Death after late failure of third ventriculostomy in children. Report of three cases. J Neurosurg 2002;97(1):211-5. 5. Ruggiero C, Cinalli G, Spennato P et al. Endoscopic third ventriculostomy in the treatment of hydrocephalus in posterior fossa tumors in children. Childs Nerv Syst 2004;20(11-12):828-33. Epub 2004 Jun 25. 6. Garvey MA, Laureno R. Hydrocephalus: obliterated perimesencephalic cisterns and the danger of sudden death. Can J Neurol Sci 1998;25(2):154-8. 7. Takeda N, Oikawa A, Aoki N. Extreme night bradycardia developing after malfunction of a lumboperitoneal shunt. 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