22 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 331 - octobre-novembre-décembre 2012
Urgences ORL infectieuses pédiatriques
MISE AU POINT
Urgences ORL infectieuses
pédiatriques
Pediatric ENT emergencies
V. Couloigner*, R. Marianowski**
* Service d’ORL pédiatrique, hôpital
Necker-Enfants Malades, AP-HP,
Paris.
** Service d’ORL et de chirurgie
cervico-faciale, CHU Morvan, Brest.
L
es urgences infectieuses en ORL pédiatrique
sont fréquentes et leur prise en charge repose
sur un diagnostic rapide et précis. À chaque
situation clinique correspond une prise en charge
thérapeutique qui doit être réévaluée régulièrement
pour être adaptée à l’évolution clinique de l’enfant.
Sinusites
Les sinusites qui requièrent un diagnostic et un
traitement en urgence sont les ethmoïdites et les
sinusites frontales.
Ethmoïdites
Le tableau clinique associe de la fièvre, une rhinorrhée
et un œdème de la paupière supérieure débutant à
l’angle interne de l’œil. Les germes responsables sont
le plus souvent le staphylocoque doré, le pneumo-
coque et les autres streptocoques (1).
En cas d’extension vers la base du crâne, il existe un
risque de suppuration intracrânienne et de méningite.
Les complications les plus fréquentes sont cependant
les infections orbitaires : cellulite préseptale (en avant
du septum orbitaire), dont la principale manifes-
tation clinique est l’œdème palpébral, et l’atteinte
rétroseptale avec le plus souvent un abcès sous-
périosté qui se manifeste par une exophtalmie, et,
à des degrés divers, une paralysie oculomotrice, une
mydriase aréactive (III intrinsèque), une anesthésie
cornéenne et une baisse d’acuité visuelle. Les
examens complémentaires comportent un bilan
biologique (NFS, CRP, hémocultures si la fièvre est
élevée), et surtout un scanner avec injection d’un
produit de contraste qui explore les cavités éthmoï-
dales, la cavité orbitaire (précisant l’existence d’une
exophtalmie) mais aussi l’endocrâne en analysant
l’état des espaces sous-duraux, du sinus caverneux
et du parenchyme cérébral (tableau I).
Les principaux diagnostics différentiels sont repré-
sentés par les piqûres d’insecte (mais il n’y a pas
de fièvre), les conjonctivites (mais les signes sont
habituellement bilatéraux), la dacryocystite aiguë
(infection du sac lacrymal consécutive à une
obstruction des voies lacrymales et se manifestant
par une tuméfaction inflammatoire de l’angle interne
de la paupière inférieure), la dacryadénite (inflam-
mation de 1 ou des 2 glandes lacrymales), les corps
étrangers conjonctivaux et les cellulites de la face.
Les formes débutantes peuvent être traitées en ambula-
toire (tableau II) par l’association amoxicilline + acide
clavulanique, avec une surveillance clinique rapprochée.
Dans tous les autres cas, l’antibiothérapie doit se faire
par voie i.v. en hospitalisation : ceftriaxone (100 mg/
kg/j) + clindamycine (40 mg/kg/j) ou métroni-
dazole (50 mg/ kg/j). Les abcès orbitaires sous-périostés
Tableau I. Urgences infectieuses ORL chez l’enfant : hospitalisation ou pas ?
Ambulatoire Hospitalisation Réanimation
Ethmoïdite
Sinusite frontale
Adénite non suppurée
Abcès rétropharyngé
Abcès rétrostylien
Laryngite sous-glottique
Trachéite bactérienne
Mastoïdite aiguë
Paralysie faciale + OMA
Labyrinthite
Méningite
Abcès intracérébral
Thrombose du sinus
sigmoïde
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 23
Résumé
Les urgences infectieuses d’ORL pédiatrique sont fréquentes et variées. Elles peuvent mettre en jeu, parfois
à très court terme, le pronostic vital de l’enfant ; dans d’autres cas, elles sont responsables de séquelles
fonctionnelles et esthétiques. Le diagnostic est très souvent clinique. Les investigations paracliniques se
résument à 1 ou 2 examens. L’important est d’établir très tôt une approche thérapeutique adéquate et de
proposer rapidement une hospitalisation ou une prise en charge ambulatoire. Une information claire et
précise des parents facilitera la prise en charge.
Mots-clés
Ethmoïdite
Cellulite
Abcès
Adénite
Torticolis
Mastoïdite
Labyrinthite
Summary
The infectious emergencies
of pediatric ENT are frequent
and varied. They may involve
the prognosis for survival of
the child; in other cases, they
are responsible secondarily
for functional and aesthetic
sequellae. The diagnosis is very
often clinical. The paraclinical
investigations involve only 1 or
2 examinations. What matters
is to establish an adequate
therapeutic approach and to
propose quickly a hospitaliza-
tion or an ambulatory care. A
clear and precise information
of the parents will facilitate
the care.
Keywords
Ethmoiditis
Cellulitis
Abscess
Adenitis
Torticollis
Mastoiditis
Labyrinthitis
doivent être drainés, par voie externe ou endonasale,
s’ils font plus de 5 mm d’épaisseur sur le scanner.
Sinusites frontales
Les complications à type de collections intra-
crâniennes sont fréquentes dans les sinusites
frontales, ce qui justifie un scanner systématique.
Attention, le drainage des sinusites frontales chez
l’enfant par voie externe doit être mené avec
prudence, compte tenu de la petite taille du sinus
frontal. La Pott’s puffy tumor (décrite par Sir Percivall
Pott en 1768) est une sinusite frontale avec une
ostéomyélite aiguë se manifestant par une collection
sous-cutanée frontale et un empyème épidural (2, 3).
Suppurations cervicales
et pharyngées
Elles peuvent compliquer une rhinopharyngite, le
plus souvent avant l’âge de 7 ans. Les bactéries impli-
quées proviennent de la flore commensale bucco-
pharyngée : anaérobies stricts souvent associés à
des anaérobies facultatifs (Staphylococcus aureus,
Streptococcus pyogenes, Haemophilus influenzae,
Haemophilus parainfluenzae, Klebsiella pneumoniae).
La confirmation diagnostique est assurée par le
scanner avec injection.
Adénites rétrostyliennes
Ces infections se manifestent par un torticolis et
peuvent avoir des complications neurologiques
(paralysie des nerfs mixtes, syndrome de Claude
Bernard-Horner) et vasculaires (thrombophlébite
de la veine jugulaire interne, pseudo-anévrysme
mycotique, occlusion de la carotide interne). Le
traitement est médicamenteux et repose sur une
antibiothérapie i.v. : céphalosporine de troisième
génération (C3G) + métronidazole, ou clindamycine
avec ou sans aminosides, en hospitalisation.
Adénites rétropharyngées
Les abcès rétropharyngés se manifestent par une
raideur de la nuque, une hypersialorrhée et parfois
une dyspnée. Un risque de rupture de l’abcès dans le
pharynx existe, pouvant entraîner une pneumopathie
par inhalation du pus. Le traitement se fait en hospita-
lisation, par antibiothérapie i.v. (CG3 + métronidazole
ou clindamycine avec ou sans aminosides). Le drainage
chirurgical est réalisé dans 2/3 des cas, d’emblée dans
Tableau II. Examens complémentaires dans les urgences infectieuses ORL chez l’enfant.
NFS CRP Ponction/pus Hémoculture Scanner
Ethmoïdite + +/- + +
Sinusite frontale + +/- + +
Adénite non suppurée + 0 0 +/-
Abcès rétropharyngé + + + +
Abcès rétrostylien + + + +
Laryngite sous-glottique 0 0 0 0
Trachéite bactérienne + + + 0
Mastoïdite aiguë + +/- 0 +
Paralysie faciale + OMA 0 + 0 +
Labyrinthite + +/- 0 0
Méningite + + + +
Abcès intracérébral + + + +
Thrombose du sinus sigmoïde + +/- + +
OMA : otite moyenne aiguë ; + : à réaliser impérativement ; +/- : à réaliser dans certains cas ; 0 : inutile.
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Urgences ORL infectieuses pédiatriques
MISE AU POINT
les formes très étendues (diamètre supérieur à 2 cm)
ou compliquées, ou après l’échec d’un traitement
antibiotique i.v. maintenu pendant 48 à 72 heures.
Adénites cervicales non suppurées
Certaines adénites non suppurées de localisation
cervicale postérieure entraînent des torticolis
fébriles. La NFS et la CRP sont en faveur d’une
infection virale et le scanner cervical montre
plusieurs petites adénopathies situées à proximité
des muscles cervicaux postérieurs. Le traitement de
ces adénites non collectées avec torticolis fébriles
ne relève pas d’une antibiothérapie, mais seulement
d’antalgiques avec ou sans corticoïdes pendant
quelques jours selon l’évolution ; si le torticolis dure
plus de 1 semaine, il faut demander un avis ortho-
pédique (subluxation atloïdo-axoïdienne).
Laryngites aiguës
Laryngites sous-glottiques
En l’absence de détresse respiratoire, la prise en
charge est ambulatoire avec un aérosol d’adrénaline
à 0,1 % non diluée (5 mg = 5 ml) à passer en un quart
d’heure, et une corticothérapie p.o. (bétaméthasone
15 à 20 gouttes/kg). Le retour à domicile est autorisé
au bout de 3 heures, avec une corticothérapie orale
durant 3 jours.
Si la situation ne s’améliore pas avec ce traitement
initial, ou s’il y a d’emblée des signes de gravité
(sueurs, agitation, troubles de la conscience,
cyanose, passage d’une bradypnée avec tirage à
une polypnée superficielle, pauses respiratoires),
l’enfant doit être hospitalisé en urgence, pour une
surveillance clinique, une oxygénothérapie nasale
à la demande, l’administration i.v. de corticoïdes,
et des aérosols d’adrénaline (5 mg = 5 ml à passer
en 15 minutes), que l’on peut répéter jusqu’à 6 fois
par jour en attendant l’efficacité des corticoïdes.
En cas d’échec de cette prise en charge, l’enfant doit
être intubé et hospitalisé en réanimation pédiatrique.
Trachéite bactérienne
Il s’agit d’une laryngo-trachéite bactérienne par
S. aureus, H. influenzae ou S. pneumoniae. La tempé-
rature est très élevée, avec une dyspnée obstructive
majeure, sans signes d’obstruction pharyngée.
Le diagnostic est fait à l’endoscopie, qui constate
un œdème sous-glottique avec des ulcérations
et des sécrétions trachéales abondantes avec de
fausses-membranes. Le traitement repose sur une
hospitalisation en réanimation, pour intubation et
antibiothérapie i.v. à large spectre.
Complications de l’otite
moyenne aiguë
Mastoïdite aiguë
Les signes cliniques associent, par ordre de
fréquence décroissante : otalgie, anomalies tympa-
niques (88 %), fièvre (83 %), œdème rétroauricu-
laire (76 %). Devant un tableau d’otite moyenne
aiguë avec persistance de l’otalgie et de l’otorrhée
après 2 semaines de traitement antibiotique, il faut
suspecter une mastoïdite décapitée (4-6). Radio-
logiquement, la mastoïdite aiguë n’est pas définie
par la présence de liquide dans la mastoïde, mais
par une lyse osseuse avec un aspect coalescent de
la cavité mastoïde. Le scanner doit être réalisé avec
injection, en coupes osseuses et parenchymateuses,
avec recherche de complication intracrânienne.
Les germes en cause, S. pneumoniae, S. pyogenes,
S. aureus, peuvent être retrouvés sur paracentèse et
ponction d’un abcès sous-périosté.
Le traitement repose sur la paracentèse et une
antibiothérapie i.v. adaptée. La mastoïdectomie nest
pas systématique (7-11), mais elle doit être envisagée
en cas d’échec du traitement médicamenteux ou de
complications (empyème épidural, etc.).
Paralysie faciale
L’incidence de cette complication des otites moyennes
aiguës (OMA) est rare, estimée à 0,005 %. Malgré la
présentation clinique, le pronostic reste excellent. Le
traitement est médicamenteux et repose sur la corti-
cothérapie associée à l’antibiothérapie (12, 13). Pour
certains, la mastoïdectomie peut être proposée en cas
d’échec du traitement médical, mais ce n’est jamais
une indication à une décompression du nerf facial (14).
Labyrinthite
Une labyrinthite bactérienne peut survenir soit par
le passage de toxines bactériennes ou de médiateurs
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 25
MISE AU POINT
de l’inflammation (labyrinthite séreuse), soit par
l’invasion bactérienne directe (labyrinthite suppurée).
Il s’agit toujours d’une atteinte unilatérale.
La labyrinthite séreuse se manifeste par une surdité de
perception légère à moyenne sur les fréquences aiguës
ou par une surdité mixte avec un épanchement rétro-
tympanique. Les symptômes vestibulaires sont très
rares. Le traitement repose sur l’antibiothérapie i.v. (14).
La labyrinthite suppurée se manifeste par une surdité
associée à des vertiges, des vomissements et une
ataxie. Il est recommandé d’effectuer une mastoï-
dectomie pour un drainage rapide de l’infection et
d’adapter l’antibiothérapie aux prélèvements bacté-
riologiques. La surdité de perception est habituel-
lement irréversible. L’évolution de la labyrinthite
suppurée se fait vers l’ossification. On proposera
des IRM répétées pour surveiller l’apparition d’un
feutrage labyrinthique (sur le scanner, le diagnostic
est trop tardif). C’est une indication à une implan-
tation cochléaire en cas de surdité controlatérale.
Syndrome de Gradenigo
Il s’agit d’une atteinte purulente de l’apex pétreux.
Le tableau clinique associe une OMA, une paralysie
du nerf oculomoteur externe et des douleurs dans
le territoire du trijumeau. Le scanner permet
d’affirmer le diagnostic. Le traitement repose sur
une antibiothérapie parentérale (15).
Mastoïdite de Bezold
Elle est due à une érosion de la corticale mastoï-
dienne le long de la crête digastrique, avec une
extension de l’infection vers les muscles digastrique
et sterno-cléido-mastoïdien. Le risque est l’atteinte
vasculaire et médiastinale potentielle (16).
Complications intracrâniennes
La plus fréquente des complications intracrâniennes
est la méningite. Le tableau clinique est bien connu :
céphalées, fièvre, nausées, vomissements, photo-
phobie, irritabilité, raideur de la nuque. Une ponction
lombaire doit être faite pour confirmer le diagnostic
et permettre l’identification du germe. Le traitement
repose sur l’antibiothérapie i.v. Les corticoïdes
diminuent les séquelles. Il est important de réaliser
des audiogrammes à distance (risque de surdité
secondaire) et de vérifier par une IRM l’absence de
labyrinthite ossifiante et de malformation d’oreille
interne à risque de méningite (17, 18).
Les abcès cérébraux, heureusement exceptionnels,
se manifestent par des céphalées, une fièvre élevée
et des signes neurologiques. Le diagnostic se fait sur
le scanner (plus accessible en urgence que l’IRM). Ils
sont souvent plurimicrobiens (anaérobies, Proteus,
S. aureus). Le traitement repose sur l’antibiothérapie
i.v. et sur une mastoïdectomie initiale ou à distance.
L’intervention neurochirurgicale est ou non réalisée
selon évolution de l’abcès (19, 20). Les empyèmes
épiduraux, souvent situés à proximité du sinus
latéral, peuvent être confondus en imagerie avec
une thrombo phlébite de ce sinus. Ils sont drainés
par voie de mastoïdectomie.
Thrombose des sinus veineux
La thrombose du sinus latéral et du sinus sigmoïde
est une complication très fréquente des mastoïdites,
mais le plus souvent asymptomatique. Toutefois, le
risque est l’extension progressive vers la veine jugulaire
interne et vers les autres sinus veineux encéphaliques,
avec parfois des emboles septiques à distance. Le
diagnostic se fait sur le scanner avec injection ou sur
l’angio-IRM. Le traitement comporte une paracentèse,
une antibiothérapie i.v., une mastoïdectomie et une
anticoagulation systématique par héparine de bas
poids moléculaire (HBPM) à doses efficaces. Léva-
cuation de la thrombose est contestée. Les anticoa-
gulants sont proposés dans les formes dépassant le
sinus latéral, pour prévenir les emboles septiques et
l’extension du thrombus. L’administration d’HBPM
sera plus ou moins prolongée, en fonction de la
reperméabilisation vasculaire surveillée radiologi-
quement (21).
Références bibliographiques
Objectif vaccinologie
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Claudie Damour-Terrasson
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et des Lettres du Gynécologue, du Pneumologue,
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Urgences ORL infectieuses pédiatriques
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Références bibliographiques
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