CAS CLINIQUE Mots-clés Leuco-encéphalopathie multifocale progressive – Immunocompétent - Biopsie Keywords Progressive multifocal leukoencephalopathy – Immunocompetent – Biopsy Leucoencéphalopathie multifocale progressive chez un patient immunocompétent Progressive multifocal leukoencephalopathy in an immunocompetent man S. Brunot* L a leuco-encéphalopathie multifocale progressive (LEMP) est une maladie démyélinisante du système nerveux central (SNC) observée chez les patients immuno déprimés (1, 2). C’est l’une des maladies opportunistes les plus mortelles chez les patients atteints du sida et, pour les survivants, les séquelles sont extrêmement lourdes (1). Le cas que nous vous présentons ici est celui d’un homme non immunodéprimé atteint d’une LEMP. Observation M. B., âgé de 50 ans, est soudeur. Il est marié et a quatre enfants. Il est fumeur. En septembre 2007, il est hospitalisé pour apathie, aboulie et apragmatisme. À l’examen, une hémiparésie gauche à 4/5 est retrouvée. Au cours de l’hospitalisation, son état neurologique se dégrade avec la constitution d’une hémiparésie proportionnelle gauche évaluée à 2/5. La tomodensitométrie (TDM) cérébrale met en évidence des lésions ischémiques d’allure ancienne fronto-temporales droites. L’échographie Doppler des troncs supra-aortiques, l’échocardiographie transœsophagienne et l’électrocardiogramme sont sans particularité. Un traitement par aspirine est mis en route et il est adressé en rééducation. Il revient en neurologie en novembre 2007 du fait d’une hémiplégie gauche totale, de l’aggravation cognitive avec un mutisme akinétique et de troubles de la vigilance. L’IRM cérébrale montre une leuco-encéphalopathie ischémique fronto-temporo-pariétale droite (figures 1 et 2). Le bilan biologique, dont l’immunofixation des protéines plasmatiques, les bilans thyroïdien, auto-immun, vitaminique, le dosage des acides gras à très longues chaînes et * Service de neurologie, CHU de Dijon. 226 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 6 - juin 2011 ▲ Figure 1. IRM encéphalique du 10 novembre 2007 : séquence T1, coupe axiale, hyposignal diffus de la substance blanche fronto-temporale droite. CAS CLINIQUE celui de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sont normaux. Les anticorps antineuronaux sont négatifs. Les sérologies des hépatites B et C, VIH-1 et -2, CMV, EBV, HTLV-1 et -2, Lyme, légionnelle, Whipple, mycoplasme, Chlamydiae, syphilis sont négatives. La ponction lombaire n’est pas inflammatoire. Les PCR herpès, CMV et JC40 sont négatives dans le liquide céphalorachidien (LCR), de même que la recherche de la protéine 14-3-3. La biopsie des glandes salivaires accessoires est sans particularité. Le bacille de Koch n’est retrouvé ni dans les sécrétions bronchiques ni dans le LCR. L’artériographie cérébrale est sans anomalie. Le tableau neurologique du patient s’aggrave avec une atteinte de la sixième paire crânienne gauche et une mydriase réactive. Des traitements d’épreuve sont entrepris : augmentation de la dose d’antiagrégant plaquettaire, introduction d’antibiotiques à large spectre et corticothérapie. La biopsie cérébrale frontale droite réalisée à la mi-décembre met en évidence une leuco-encéphalopathie démyélinisante, de type infectieux. L’hybridation in situ confirmera le diagnostic de LEMP en février 2008. L’IRM cérébrale de contrôle en décembre évoque un aspect de LEMP devant l’atteinte des fibres en U, le caractère multifocal en hyposignal T1 et en hypersignal T2 (figures 3 et 4). M. B décède le 4 janvier 2008 après deux jours de coma. L’autopsie montre une lésion massive de démyélinisation de la substance blanche dont l’aspect histologique est en accord avec une LEMP, atteignant massivement le côté droit et s’étendant focalement à l’hémisphère gauche. Discussion La LEMP est une maladie rare entraînant une démyélinisation du SNC. Elle est due au virus JC et affecte surtout les sujets immuno­ déprimés (1, 3). L’incidence de cette pathologie a été multipliée par 50 depuis la fin des années 1970, à la faveur de l’émergence du VIH (3). Près de 90 % des adultes sont porteurs de ce virus, 30 % l’excrètent dans leurs urines (2). Il n’engendre des symptômes qu’en cas d’immunodépression, et le plus souvent chez des sujets de 50 à 70 ans (4). Moins de 1 % des cas ont été rapportés chez des patients n’ayant pas de problème d’immunodépression (5). Récemment, la LEMP a fait l’objet de nombreuses publications comme effet indésirable possible du traitement par natalizumab dans la sclérose en plaques (SEP). L’évolution clinique est rapide et la médiane de survie varie de trois à six mois selon les études (5, 6). Certains patients peuvent survivre plusieurs années, mais au prix de lourdes séquelles neurologiques (1). Chez les patients immunodéprimés de façon chronique, le début est subaigu et les déficits sont graves d’emblée (1, 2). Les symptômes les plus fréquents sont un déficit moteur et des troubles cognitifs (50 % des cas) [5]. Les autres signes sont des troubles aphasiques, de l’équilibre, visuels (altération du champ visuel ou paralysie oculomotrice), sensitifs, ainsi que des céphalées (15 % des cas). Les crises d’épilepsie surviennent chez 10 % des patients (5). Certains examens complémentaires peuvent aider au diagnostic. Le scanner cérébral met en évidence des lésions hypodenses au niveau de la substance blanche. Il n’y a pas d’effet de masse ni de prise de contraste (5). L’IRM encéphalique montre des lésions ▲ Figure 2. IRM encéphalique du 10 novembre 2007 : séquence T2, coupe axiale, atteinte de la substance blanche fronto-temporale droite. ▲ Figure 3. IRM encéphalique du 8 décembre 2007 : séquence T1, atteinte de la substance blanche et des fibres en U au niveau de l’hémisphère droit. La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 6 - juin 2011 | 227 CAS CLINIQUE ▲ Figure 4.IRM encéphalique du 8 décembre 2007 : séquence T2 TSE, coupe axiale. multiples, limitées à la substance blanche, sous-corticales et ne respectant pas les fibres arquées juxta-corticales, en hypersignal sur les séquences T2, et un rehaussement typique en périphérie dans 5 à 10 % des cas. Les centres semi-ovales et les lobes frontaux, pariétaux et occipitaux sont les plus fréquemment touchés (3). La ponction lombaire est très importante, surtout dans l’élimination de diagnostics différentiels (5). En général, il y a moins de 20 cellules par mm3 (entre 2 et 8). Une protéinorachie importante (supérieure à 2 g/l) est retrouvée dans plus de la moitié des cas. L’hypoglycorachie est observée chez moins de 15 % des patients. Mais l’essentiel est la recherche du virus par la technique de PCR, qui a une grande spécificité (96 à 100 %) et une sensibilité moyenne (50 à 75 %) [3]. Un taux élevé d’ADN du virus JC retrouvé par PCR dans le LCR est un facteur de mauvais pronostic pour la survie du patient (7). Cette analyse est nettement moins invasive que l’étude anatomopathologique qui reste, cependant, l’examen de référence. Sa sensibilité varie de 64 à 96 % et sa spécificité est de 100 % (6). Il existe une triade caractéristique pour décrire l’histologie de cette maladie : multiples foyers de démyélinisation, bordés par des oligodendrocytes ayant un noyau volumineux et des inclusions basophiles et par des astrocytes inhabituels, de grande taille, au noyau hyperchromatique (3). La PCR du virus sur les tissus biopsiés confirme le diagnostic (3). Le diagnostic est établi grâce à un faisceau d’arguments cliniques, radiologiques et biologiques (PCR positive dans le LCR) [2]. Des critères diagnostiques ont été établis récemment (6). Il s’agit soit d’une LEMP “histologiquement confirmée” (détection de l’ADN viral par PCR sur les pièces de biopsie), soit d’une LEMP “biologiquement confirmée” (détection de l’ADN viral par PCR dans le LCR), ou bien d’une LEMP “possible” (aspects cliniques et radiologiques compatibles malgré une PCR négative). Les diagnostics différentiels sont peu nombreux : SEP, leucoencéphalopathies secondaires aux traitements immunosuppresseurs, aux chimiothérapies et à d’autres infections (herpès virus, cryptocoque, aspergillus) du SNC. Il n’y a pas de traitement spécifique. En cas de LEMP développée dans le cadre d’une infection par le VIH, le traitement par antirétroviraux diminue l’immunosuppression et donne d’assez bons résultats (3). La pertinence de notre observation repose sur deux faits : d’une part, il peut exister des cas de LEMP chez des patients non immuno­déprimés, et d’autre part, la biopsie cérébrale est nécessaire pour établir le diagnostic, dans la mesure où la PCR du LCR peut être négative. ■ Références bibliographiques 1. Koralnik IJ. New insights into progressive multifocal leukoencephalopathy. Curr Opin Neurol 2004;17:365-70. 2. Boren EJ, Cheema GS, Naguwa SM, Ansari AA, Gershwin ME. The emergence of progressive multifocal leukoencephalopathy (PML) in rheumatic diseases. J Autommun 2008;30:90-8. 3. Pelosini M, Focosi D, Rita F et al. Progressive multifocal leukoencephalopathy: report of three cases in HIV- negative hematological patients and review of literature. Ann Hematol 2008;87:405-12. 4. Norkin LC. Papovaviral persistent infections. Microbiol Rev 1982;46:384-425. 5. Berger JR. Progressive multifocal leukoencephalopathy. Curr Neurol Neurosci Rep 2007;7:461-9. 6. Cinque P, Koralnik IJ, Clifford DB. The evolving face of human immunodeficiency virus-related progres- 228 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 6 - juin 2011 sive multifocal leukoencephalopathy: defining a consensus terminology. J Neurovirol 2003;9(suppl. 1): 88-92. 7. Bossolasco S, Calori G, Moretti F et al. Prognostic significance of JC virus DNA levels in cerebrospinal fluid of patients with HIV-associated progressive multifocal leukoencephalopathy. Clin Infect Dis 2005;40: 738-44.