Le management des connaissances et des

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Chapitre
11
Management des connaissances et des apprentissages
dans les entreprises multi-projets :
le cas des stratégies d’offres innovantes
Sihem BEN MAHMOUD-JOUINI
Les travaux du début des années 1990 portant sur le management de projet
(Clark et Fujimoto, 1991 ; Clark et Wheelwright, 1992b ; Navarre, 1992 ; Giard et
Midler, 1993 ; Midler, 1993a ; Lundin et Midler, 1998) ont identifié des principes de
gestion permettant d’améliorer les performances des processus de développements de nouveaux produits : mettre les produits plus vite 1 sur le marché pour
avoir de l’avance par rapport aux concurrents, développer des offres 2 toujours
plus innovantes capables de stimuler des marchés parfois saturés en consommant moins de moyens afin de pratiquer des prix compétitifs. Depuis ces travaux,
les entreprises ont multiplié leur recours à cette forme d’organisation temporaire
qu’est le projet induisant des transformations profondes dans leurs structures
permanentes. Nous nous intéressons dans ce chapitre aux conséquences
induites particulièrement sur le management des connaissances. En effet, au
moins deux configurations de création de connaissances coexistent dans les
organisations :
– d’une part, les projets mobilisent les connaissances développées en
dehors de ce cadre. Ils valorisent ainsi les connaissances créées en dehors des
projets et les évaluent dans un contexte différent de celui de leur création
puisqu’ils sont focalisés sur un marché et un objectif ;
– d’autre part, certains projets développent des connaissances pour leurs
besoins propres. Ainsi, la multiplication des projets dans les entreprises multiprojets, que ce soit dans le temps ou en parallèle, conduit d’une part à l’accroissement des besoins en connaissances des entreprises et d’autre part à la
prolifération des connaissances spécifiques développées par chaque projet.
Nous nous proposons, dans ce chapitre, d’analyser la manière selon laquelle
les entreprises gèrent leurs connaissances de telle sorte qu’elles minimisent les
effets négatifs de ce constat sur leur compétitivité. Dans la première partie de ce
1. Voir Garel (1999) pour davantage de développements sur le thème de la chronocompétition.
2. Nous parlerons dans la suite indifféremment de produit matériel ou de service, qu’on désignera par offre
ou par produit.
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chapitre, nous commencerons par proposer une modélisation de l’entreprise
multi-projets, centrée sur les connaissances. Ensuite, à l’aide de cette grille de
lecture nous analyserons le management des connaissances des entreprises
multi-projets, que ce soit dans les projets ou en dehors de ces derniers : par capitalisation d’un projet à l’autre, mobilisant ainsi entre autres les travaux du knowledge management, ou par développement de connaissances qui sont ensuite
mobilisées et mises à l’épreuve dans les projets. Nous verrons que ce management des connaissances passe également par le couplage des développements
de projets et de connaissances. Dans la deuxième partie du chapitre, nous replacerons la question de l’articulation entre projets et connaissances dans le
contexte de la stratégie de la firme. Nous nous focaliserons sur le management
des connaissances des entreprises qui mettent en œuvre une stratégie d’offres
innovantes fondée sur l’innovation radicale et répétée. Nous analyserons les
modalités organisationnelles mises en place en matière de capitalisation interprojet et d’exploration et de création de connaissances pour les projets. Nous
mettrons en évidence l’importance du management du couplage entre le développement des connaissances et des apprentissages d’une part et celui des offres
innovantes d’autre part. Nous montrerons que la mise en œuvre d’une stratégie
d’offre innovante passe par le pilotage d’une trajectoire d’innovation qui articule
les projets par le biais des connaissances qu’ils nécessitent et/ou qu’ils produisent. Notre analyse relève ainsi de la troisième forme de management multiprojets identifiée par Welch et Triomphe dans le chapitre 9.
1. Un modèle général pour analyser l’articulation
projets/connaissances
Dans le but de traiter du management des connaissances d’une entreprise multiprojets, il nous a semblé important de disposer d’une modélisation d’une entreprise multi-projets, centrée sur les connaissances et mettant en avant aussi bien
leur création que leur capitalisation.
Notre modélisation s’appuie principalement sur :
– la distinction entre le périmètre du projet de développement, caractérisé
par la focalisation sur un marché et la poursuite d’un objectif fixé dans le cadre
de contraintes connues, et le périmètre des activités liées à ce développement
mais qui ne se déroulent pas dans ce cadre. Nous distinguons ainsi entre le projet
et le hors-projet ;
– la différenciation entre les modes de création des connaissances : dans le
projet (développement) et en dehors des projets (exploration de nouvelles
connaissances pour les projets et capitalisation de projet en projet).
Ainsi, une entreprise multi-projets combine les cinq processus suivants (identifiés de I à V dans la figure 1) :
1) un processus de coordination et d’intégration des différentes contributions au projet de développement. Ce processus a été abondamment étudié sous
l’angle de l’exploration simultanée et optimisée du triptyque spécifications, coût,
délai (Clark et Fujimoto, 1991 ; Clark et Wheelwright, 1992b ; Giard et Midler, 1993 ;
Midler, 1993a) ;
2) un processus de création de connaissances spécifiques au projet, et donc
dans le temps et le cadre du projet. Il est fréquent qu’il y ait à cette occasion plus
de connaissances développées que celles qui seront utilisées, in fine, dans le
projet ;
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3) un processus de capitalisation des connaissances développées dans le
cadre des projets, que ce soit pour les remobiliser dans d’autres projets de
l’entreprise, permettant d’en tirer un profit supplémentaire, ou les approfondir et
identifier de nouvelles idées de projets ;
4) un processus d’exploration et de développement des connaissances dans
le cadre des centres de recherche ou du marketing avancé, par exemple. Ces
connaissances produites ne sont pas incarnées dans des projets de développement d’offres mais permettraient, à moyen ou à long terme, d’en initier un certain
nombre. Elles sont orientées par le processus stratégique (5) d’une part et par les
projets, d’autre part, qui révèlent de nouvelles questions ;
5) un processus de pilotage stratégique qui oriente les choix en matière
d’offres à développer (1 et 2) et de connaissances à créer en dehors des projets
(3 et 4). Ce pilotage stratégique ne se réduit pas à la formalisation d’une stratégie
par la direction générale, la direction de la recherche ou du produit. Il correspond à une approche émergente et constructiviste de la stratégie qui s’édifie au
fur et à mesure des explorations, des développements et des perceptions de
l’environnement. Il n’est pas porté par un acteur unique occupant la même position dans toutes les entreprises, mais peut être à l’initiative du marché dans
certaines ou de la technologie dans d’autres et peut être assuré, selon les organisations, par des instances individuelles ou collectives.
Figure 1.
Modélisation d’une entreprise multi-projets sous l’angle des connaissances
Explorer et développer
de nouvelles connaissances
(4)
Inciter à orienter
le développement
des connaissances
et des offres (5)
Évaluer, mémoriser
et capitaliser
(3)
Hors projet
Dans le projet
Développer de nouvelles connaissances
spécifiques à l’offre développée
(2)
Le cadre du projet
Valoriser, coordonner et intégrer
les connaissances acquises
(1)
Source : BEN MAHMOUD-JOUINI, 1998.
En utilisant cette modélisation, nous nous focaliserons dans la suite sur les
modalités du management des connaissances, que nous évoquerons rapidement,
en ce qui concerne le processus de développement de l’offre (2.1.), et de manière
plus détaillée pour le processus (3) de capitalisation des connaissances et le
processus d’exploration (2.3.). Le processus de couplage des projets et des
connaissances (2.4.) prend une importance particulière dans le cas des entreprises mettant en œuvre une stratégie d’offre innovante que nous traiterons
spécifiquement plus loin (4).
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2. Le management des connaissances dans
les entreprises multi-projets
Nous traiterons rapidement, dans un premier temps, du management des
connaissances dans les projets afin d’en rappeler les enjeux qui militent en faveur
d’un management spécifique des connaissances, que ce soit par la capitalisation
inter-projet ou par la création de connaissances pour les projets, que nous traiterons dans un second temps.
2.1. Le management des connaissances dans les projets
Plusieurs auteurs se sont intéressés aux connaissances par l’intermédiaire de
l’activité dans laquelle ces dernières sont mobilisées, comme notamment les
processus créatifs (Schön, 1983 ; Simon, 1991). Relevant de cette prespective,
Midler (1993a) représente le projet comme l’articulation d’un processus de décisions et d’action avec un processus d’apprentissage et d’accroissement de
connaissances.
Guillemet (2002), de son côté, tente de faire le lien entre les phases d’un
projet, qui diffèrent notamment par la nature des échanges et de la création des
savoirs, et les modes de conversion des connaissances identifiés par Nonaka et
Takeuchi (1995).
Tableau 1.
Modes de conversion des connaissances
Phases du projet
Première phase
Deuxième phase
Troisième phase
Quatrième phase
Études préliminaires - Spécifications
Conception - Planification
Réalisation - Exécution
Mise en route - Validation - Évaluation
Conversion des connaissances
Socialisation
Extériorisation
Combinaison
Intériorisation
Source : GUILLEMET, 2002.
Charue-Duboc (2000) et Charue-Duboc et Midler (1998) ont montré comment
l’ingénierie concourante transforme les rôles des acteurs fonctionnels (marketing, recherche et développement, ingénierie process) impliqués dans les projets
et leurs interactions. En effet, la nature et le moment de leur intervention changent : l’ingénierie process est sollicitée en amont sur la base d’une conception du
produit non finalisée, le marketing collabore avec la R&D sur des questions
encore floues et imprécises, etc.
Mais dans tous les cas, quelle que soit la forme que prend la création ou le
transfert de connaissances dans le cadre du projet, ce dernier ne peut pas,
compte tenu de ses contraintes de coût, de délai et de focalisation sur un marché,
être le lieu d’explorations risquées et consommatrices de ressources. Le projet
doit ainsi pouvoir s’appuyer sur des connaissances développées en amont 3 selon
des règles de fonctionnement différentes de celles du projet, et qui seront ensuite
contextualisées dans le cadre d’un projet pour un marché spécifique. Les acteurs
tentent de limiter la création de nouvelles connaissances dans les projets.
Lorsqu’ils sont confrontés à un problème sur le projet, ils trouvent des « parades »
[…] comme le fait de rajouter une masse pour absorber le bruit dans un véhicule
plutôt que de mener une étude approfondie sur l’origine du bruit, faute de temps
et de moyens » 4. La multiplication des projets conduit ainsi à l’augmentation, à
3. Cf. Lenfle, 2001 et le chapitre 1 dans cet ouvrage.
4. Moisdon et Weil, 1998b.
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terme, de ces parades soulevant le problème du renouvellement des connaissances de l’entreprise.
Cependant, il y a toujours des connaissances produites par le projet, qu’elles
soient utilisées ou en excès. Mais ces connaissances ne donnent pas lieu, dans le
temps du projet et par ses acteurs, à une documentation permettant de les mobiliser dans d’autres contextes. Ces connaissances sont donc rarement capitalisées, sauf peut-être par les mêmes acteurs lorsqu’ils se trouvent dans des
situations analogues. La multiplication des projets entraîne donc la prolifération
de ces connaissances. Comment les valoriser et en tirer profit ? Les entreprises
multi-projets se trouvent ainsi confrontées à la nécessité de gérer les connaissances, que ce soit par la capitalisation de celles produites dans les projets ou
par la création de connaissances en dehors des projets et utiles à ceux-ci.
2.2. La capitalisation des connaissances inter-projets
Un projet est une occasion d’apprentissages et de création de nouvelles
connaissances. La multiplication des projets conduit à l’accroissement de ces
apprentissages. Par ailleurs, l’intensité des contraintes qui pèsent sur les coûts et
les délais de développement motive à mieux exploiter ces apprentissages. Il
apparaît donc que la capitalisation des connaissances inter-projets représente un
levier fondamental de l’organisation des entreprises multi-projets. Quel est
l’objet de la capitalisation et selon quel processus cognitif et organisationnel
peut-elle se faire ? Nous tenterons de traiter ces questions et nous discuterons
quelques modalités organisationnelles étudiées par des recherches qui se sont
intéressées à ce thème.
2.2.1. Sur quel type de connaissance et sur quel objet
porte la capitalisation ?
Les projets produisent au moins deux types de connaissances : celles directement utiles qui ont permis le développement et la finalisation du produit, celles
en excès résultant de l’abandon progressif des différentes pistes explorées dans
le cadre du projet. La diffusion des connaissances du premier type est d’autant
plus aisée que le projet a été un succès commercial. Mais cette diffusion porte
rarement à la fois sur le contenu et le processus qui a conduit à ce résultat. La
diffusion des connaissances qui n’ont pas été directement utiles au projet est en
revanche plus difficile compte tenu du peu d’intérêt que les acteurs du projet
peuvent leur accorder à la suite de leur focalisation exclusive sur l’objectif du
projet. En plus de ces deux types de connaissances, le projet peut révéler des
idées de nouvelles offres ou des questions susceptibles d’ouvrir vers de
nouveaux champs de connaissances. En effet, les projets peuvent buter sur des
points de blocage qui nécessitent des explorations plus approfondies difficiles à
mener dans le cadre (le temps et les moyens) du projet. La capitalisation des
connaissances doit permettre une continuité d’apprentissage malgré des projets
à chaque fois différents. La détermination de l’objet de cette capitalisation est
donc un choix stratégique. En prenant l’exemple de l’industrie automobile, est-ce
au niveau du composant de base, de la fonction, du module ou de la plate-forme 5
que se situe l’objet de la capitalisation ?
5. Cf. le chapitre 12 de cet ouvrage.
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2.2.2. Quel est le processus de capitalisation ?
Les projets sont orientés vers un objectif singulier et tous les dispositifs mis
en place tendent à décliner cette focalisation. Dès lors, comment utiliser les
ressources du projet pour le renouvellement des apprentissages, à moyen ou à
long terme, sans perturber la logique des projets et leur fonctionnement à court
terme ? Les acteurs, motivés par le succès de leur projet, ne sont a priori pas intéressés par le développement de connaissances pouvant servir à d’autres projets.
Comment inciter les acteurs du projet à fournir les éléments nécessaires à la
consolidation des connaissances qu’ils ont créées ?
La capitalisation doit-elle être portée, dans l’entreprise, par un acteur responsable de cette activité ? Dans ce cas, où serait-il situé dans l’organisation et
comment valoriser cette activité ?
2.2.3. Quelques modalités de capitalisation
des connaissances inter-projets
Afin de répondre à ces nombreuses questions, nous nous sommes orientés
assez naturellement vers le courant du knowledge management (KM) qui a
rencontré un essor important ces dernières années. En effet, le KM place la
connaissance, qu’elle soit individuelle ou collective, au centre des préoccupations
de l’entreprise et s’intéresse aux dispositifs de recension, de codification, de stockage, de transmission, de partage et d’apprentissage. Comment ces travaux pourraient-ils éclairer la capitalisation des connaissances inter-projets ? Les travaux
sur le KM se répartissent entre deux approches : celle de l’entreprise comme
processeur d’information et celle de l’entreprise comme lieu d’apprentissage et de
création de connaissances. Kogut et Zander (1992) ont distingué les connaissances explicites, transférables et échangeables, de celles qui nécessitent un
apprentissage spécifique et contextuel et peuvent difficilement être transmises.
Les connaissances qui peuvent être codées deviennent transférables comme
des informations (Cowan et Foray, 1997 et Spender, 1996). Un courant important
du KM va ainsi s’intéresser aux moyens pour produire l’information, l’identifier,
la situer dans l’entreprise, la conserver, l’échanger et la diffuser. Ces travaux relèvent de l’approche systèmes d’information (chapitre 6).
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont
permis à ce courant de se développer massivement compte tenu des possibilités
toujours plus grandes de codification, de stockage et d’échange permettant de
s’adapter à la complexité des connaissances ainsi qu’à l’élargissement et à
l’ouverture des cercles concernés par l’échange, qui vont au-delà des frontières
des entreprises.
En ce qui concerne les connaissances non explicites, qui ne peuvent pas être
codées, Nonaka (1994) propose différents modes de conversion et de transmission adaptés aux différentes catégories de la connaissance.
Les tenants de la codification intègrent des notions d’apprentissage puisque
selon Foray et Steinmueller 6 les entreprises apprennent par l’implémentation, la
réplication et l’adaptation des connaissances codifiées.
Sans remettre en cause ces voies de capitalisation des connaissances, les
tenants de l’entreprise comme lieu d’apprentissage montrent la nécessité
d’étendre la notion de connaissance à l’action dans laquelle cette connaissance
6. Cité in PRENCIPE et TELL, 2001.
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est créée et mobilisée, constituant ainsi le courant de l’apprentissage organisationnel (Argyris et Schön, 1978 ; Levitt et March, 1988 et Charue, 1991). Les
travaux de Hatchuel et Weil (1992) relèvent également de ce courant puisqu’ils
mettent en évidence, à l’occasion de l’étude de systèmes experts, le fait que le
stockage des connaissances interroge leur mode de production.
Cook et Brown (1999) et Blackler (1995) préconisent de passer de la notion de
knowledge à celle de knowing en mettant l’accent sur les situations de création
des connaissances et les activités dans lesquelles elles sont mobilisées. Enfin, les
travaux récents de Van Krogh, Ichijo et Nonaka (2000) critiquent la vision réductrice du KM comme un « déploiement d’outils de communication et d’échanges
permettant la transmission d’informations détectables et quantifiables sous la
responsabilité d’un cadre dans l’entreprise ». Ils élargissent la portée du KM en
introduisant la notion de knowledge enabling, qui est le contexte et les dispositifs
organisationnels favorables à la création de connaissances, et de knowledge
enablers qui sont les inducteurs de connaissances qui agissent positivement sur
les différentes étapes de création des connaissances.
Il ne s’agit plus uniquement d’identifier, de conserver et de transmettre les
connaissances mais également d’intégrer les situations de production collective :
les raisonnements, l’organisation, le contexte, etc. En reprenant les termes de
Dierickx et Cool (1989), aussi bien le stock de connaissances que le flux
(processus de création) gagnent à être considérés comme des ressources pour
l’entreprise.
D’autres auteurs appellent à prendre en compte les situations dans lesquelles
les connaissances ont été créées et celles dans lesquelles elles seront mobilisées.
Senge (1990) a distingué les connaissances résultant d’un apprentissage adaptatif, tournées vers le passé et traitant des affaires courantes de l’entreprise, des
connaissances résultant d’un apprentissage génératif tournées vers le futur et
permettant de développer des innovations. Zollo et Winter (2001) identifient trois
processus d’apprentissages organisationnels dans l’entreprise (l’accumulation
d’expérience, l’articulation et la codification de connaissances) dont l’efficacité
dépend des caractéristiques des connaissances à capitaliser et des tâches qui les
mobilisent, à savoir leur fréquence, leur hétérogénéité et leur ambiguïté causale.
À partir de l’analyse de différentes entreprises 7 multi-projets, Prencipe et Tell
(2001) montrent que ces dernières développent des dispositifs variés pour capitaliser les connaissances développées dans les projets, selon les trois processus
proposés par Zollo et Winter (2001). Prencipe et Tell (2001) suggèrent une classification (tableau ci-après) de ces dispositifs selon le processus sur lequel l’entreprise focalise, d’une part, et selon le niveau de capitalisation d’autre part :
individuel, équipe projet ou organisation. Ils définissent ainsi divers « paysages
d’apprentissage » 8 ou configurations qui sont les dispositifs adoptés et implantés
dans l’entreprise pour favoriser l’apprentissage inter-projet. Le tableau ci-après
reprend quelques exemples des dispositifs adoptés.
7. Les auteurs ont étudié une cinquantaine d’entreprises qui interviennent dans les secteurs de l’aéronautique, la défense, l’énergie, l’informatique (logiciel) et l’espace.
8. « Learning landscape ».
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Tableau 2.
Dispositif de capitalisation de connaissance
Accumulation
d’expérience
Individuel
Formation
Spécialisation
Rotation d’experts
Groupe
Communication
(équipe projet) entre les individus
Imitation
Groupe d’échange
Organisation
Routines
Communautés
de pratiques
Séminaires
Articulation
de connaissances
Codification
de connaissances
Méthodes de créativité Système de reporting
Agenda
Brainstorming
Debriefing de réunions
Correspondance intraprojet
Clubs de managers
de projets
Réseaux d’experts
Correspondance
inter-projet
Réunions inter-projet
Audit de projet
Études de cas
Base de données
internes au projet
Histoire du projet
Cartographies
des projets
Bases de données
des leçons tirées
Source : PRENCIPE et TELL, 2001.
Prencipe et Tell (2001) identifient à partir de ce panorama trois configurations
correspondant à trois profils d’entreprises ayant fait des choix stratégiques différents, contingents à leur culture, leur organisation, leur histoire et à la nature de
leurs projets (Hansen et al., 1999).
La forme en L
La forme en T
La forme en escalier
La forme en L 9 correspond à des entreprises qui focalisent sur l’accumulation
d’expériences et les échanges informels entre individus grâce à une culture forte.
Dans un second temps et à partir de cette base, elles explorent différentes voies
de capitalisation, au niveau de l’organisation, par articulation et par codification.
La forme en T désigne des entreprises qui favorisent la capitalisation individuelle d’une part et focalisent sur le processus d’articulation de connaissances
en mettant l’accent sur les dispositifs d’échange formels qui permettent la capitalisation au niveau du groupe et de l’entreprise. À titre d’exemple, prenons celui
des réunions, auxquelles participent tous les chefs de projets, et qui sont des
occasions au cours desquelles les praticiens développent une démarche
réflexive sur leurs actions et sur celles de leurs collègues. Ils articulent leurs
connaissances pour en produire des nouvelles.
La forme en escalier est adoptée par des entreprises qui favorisent progressivement les trois processus à des niveaux différents.
Ces paysages ne sont évidemment pas exclusifs mais représentent des
tendances fortes.
2.3. La création des connaissances pour les projets
Charue-Duboc et Midler (1998b) font remarquer l’existence d’un effet de seuil
en dessous duquel il est difficile de mener à bien un projet. Cet effet motive le
9. En référence aux colonnes ou lignes importantes dans le tableau.
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développement des connaissances en dehors des projets. Nous avons vu également plus haut que compte tenu des contraintes de délais, les projets de développement doivent pouvoir s’appuyer sur des connaissances déjà créées.
Traditionnellement, ce sont les métiers ou les services de recherche qui génèrent
ces connaissances, mais le grand nombre de projets dans les entreprises multiprojets met ces organisations en défaut pour au moins deux raisons.
La première porte sur l’affaiblissement des ressources des métiers, dû à la
multiplication des projets qui les sollicitent.
La seconde correspond aux limites du modèle du « Science Push » où des
acteurs de l’organisation développent des connaissances sans interaction avec le
marché, par exemple, et ainsi n’intègrent pas les préoccupations en termes
d’usage, notamment. Ces développements coûteux conduisent ainsi parfois à des
connaissances inutiles qui ne seront pas valorisées par l’entreprise.
La matrice suivante (figure 2) croise le niveau de maîtrise d’une connaissance
dans l’entreprise avec l’existence d’un enjeu stratégique qui se traduit, notamment, par l’identification d’un projet dans lequel cette connaissance sera mise à
l’épreuve.
Figure 2.
Les problématiques du développement des connaissances pour les projets
Enjeux stratégiques ⇒
⇓ Niveau de connaissances
Fort
Faible
Fort
Faible
Situation idéale de synergie
projet et connaissances (1)
On ne sait pas valoriser
à court terme les connaissances (3)
Situation de déficit
de connaissances
On ne sait pas faire face
aux enjeux clés (2)
Situation rare où la R&D est
autonome et poursuit des
enjeux propres (4)
Source : CHARUE-DUBOC et MIDLER, 1998b.
La conjonction du projet qui va valoriser la connaissance et la maîtrise de
cette dernière est une situation relativement rare (1). Il est par ailleurs risqué de
caler la constitution des connaissances sur l’existence des enjeux stratégiques
(2) compte tenu du temps nécessaire à la maîtrise des connaissances qui permettraient de répondre aux enjeux lorsqu’ils apparaissent. La situation (4) où la R&D
développe des connaissances qui ne représentent pas un enjeu important pour
l’entreprise est de plus en plus rare dans un environnement d’optimisation des
ressources et de compétition par la conception.
Développer des connaissances en dehors des projets correspond au cas où
l’entreprise s’engage dans des explorations sans attendre une demande, externe
ou interne à l’entreprise (3).
Les questions qui se posent dans le cas du développement des connaissances
en dehors des projets est, d’une part, celle du choix de la connaissance à développer et, d’autre part, celle de la valorisation des connaissances ainsi développées. Il s’agit de trouver une situation intermédiaire entre le développement
anticipé de connaissances décontextualisées qui risquent de ne pas pouvoir être
utilisées sur les projets, lorsque les opportunités du marché se présentent, et le
développement dans l’urgence de connaissances très focalisées qui risquent de
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ne pas pouvoir être réutilisées sur d’autres projets. La multiplication des projets
rend cet arbitrage d’autant plus difficile puisque l’entreprise doit, d’une part,
favoriser la réutilisation des connaissances développées, lorsque c’est possible,
et d’autre part anticiper le plus possible les développements de connaissances.
La coopération entre les acteurs qui développent les connaissances et ceux
qui vont contribuer à les valoriser à l’extérieur constitue une forme de réponse
permettant d’éviter ces deux extrêmes. En effet, cette coopération permet de
développer de manière symétrique et combinée aussi bien des connaissances
sur les valeurs d’usage que sur les faits scientifiques ou technologiques qui vont
permettre de les satisfaire. Charue-Duboc et Midler (1998b) ont étudié une entreprise de chimie qui développe une multitude de projets et où les acteurs de
recherche, de business et de production coopèrent dans le développement des
connaissances pour les projets. Ces coopérations nécessitent une mutation dans
les pratiques et par là même dans les profils des acteurs. À titre d’exemple, il ne
s’agit plus pour les acteurs marketing de définir une cible et de déterminer des
prévisions de vente afin de calculer des indicateurs de risque utilisés pour la
sélection des projets, mais d’orienter plus en amont le développement des
connaissances. Leur implication précoce conduit à réorienter les pistes à
explorer en fonction des opportunités marché qu’ils perçoivent. Ils doivent alors
compléter les prévisions qu’ils donnent en explicitant les critères d’appréciation
des clients, par exemple. Cette coopération est facilitée par la proximité géographique et des cultures techniques ainsi que par l’histoire des acteurs et la
faiblesse des frontières institutionnelles. Cette coopération nécessite également
une gestion adaptée des trajectoires des acteurs dans l’entreprise favorisant les
échanges et l’ouverture aux pratiques des autres acteurs.
Dans son analyse de Téfal, Chapel (1997) a montré que plusieurs projets ont
buté sur des « verrous technologiques » qui nécessitaient des explorations approfondies qu’un projet seul ne pouvait pas supporter sans compromettre son
budget et son délai. Illustrons l’organisation adoptée par l’entreprise dans le cas
de la conservation des aliments. Pour lever ces verrous, une équipe a commencé
par identifier les connaissances relatives à ce concept dans l’environnement de
l’entreprise. Elle a ensuite mené des expérimentations à l’aide de maquettes fonctionnelles et de prototypes pour approfondir la technologie des membranes
micro-poreuses permettant l’échange gazeux entre l’aliment et l’atmosphère. Elle
s’est, par la suite, orientée vers des champs d’applications qui ont conduit à une
opportunité de produit : les biberons aérophagiques. L’expérimentation joue
ainsi un rôle fondamental dans la convergence des connaissances produites.
Les connaissances ainsi développées :
– articulent des explorations pointues dans différents champs scientifiques
autour d’un concept ;
– ne sont pas focalisées sur une cible marché spécifique : elles ne portent pas
sur un projet particulier mais ébauchent de nouvelles offres. Elles sont décontextualisées et pourront être intégrées dans divers projets.
2.4. Le couplage des apprentissages
et des projets de développement
Les explorations en dehors des projets vont générer de nouvelles idées et
vont produire des connaissances utiles aux développements futurs. Ces derniers
produiront, par ailleurs, des connaissances en excès qui pourraient orienter les
futures explorations. Afin que cette boucle soit vertueuse, elle doit être pilotée.
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DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
Le premier pas de ce pilotage passe par la reconnaissance de la valeur d’apprentissage d’un projet. Ce pilotage peut alors être assimilé à un management de
portefeuille centré sur l’actif « apprentissage généré par un projet ».
En effet, les projets utilisent et génèrent des connaissances. Articuler le développement des projets et des connaissances peut passer par le management du
portefeuille de projets selon leur double contribution : au revenu et/ou aux
connaissances de l’entreprise. Il est ainsi possible de situer les projets de l’entreprise sur la matrice suivante.
Figure 3.
Matrice d’analyse de portefeuille de projets et de portefeuille des connaissances
Contribution
au revenu
de l’entreprise
Forte
Projet
profitable
Projet
à enjeux forts
Faible
Projet
de survie
Projet
d’apprentissage
Faible
Forte
Contribution
aux apprentissages
de l’entreprise
Source : adapté de ANNELL et JENSEN, 1998.
La figure 4, page suivante, montre comment cette matrice constitue un outil
de management de portefeuille des projets : elle met en avant l’avantage d’équilibrer entre les projets profitables, qui génèrent peu de connaissances et beaucoup de revenu, et les projets d’apprentissage, qui génèrent beaucoup de
connaissances et peu de revenu, et qui font du projet une occasion d’apprentissage produisant des bénéfices à long terme pour l’entreprise. Poursuivre principalement les projets à revenu élevé sans se préoccuper du renouvellement des
connaissances représente un risque fort pour des entreprises appartenant à une
économie où l’innovation, et donc le renouvellement des connaissances, représente l’un des principaux leviers de compétitivité. Le risque que court l’entreprise en poursuivant exclusivement des projets qui contribuent au
renouvellement des connaissances est de compromettre à la fois la santé financière et la motivation des acteurs, compte tenu de l’impact positif d’une réussite
commerciale. Cette matrice revenus/connaissances renvoie à la fonction « relier
la stratégie et les projets » identifiée dans le chapitre 10 et complète ainsi les
instrumentations, d’inspiration essentiellement financière, de management des
portefeuilles de projets déjà disponibles (voir le chapitre 13).
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LA MONTÉE EN PUISSANCE DU MANAGEMENT MULTI-PROJETS
Figure 4.
Équilibre des portefeuilles de projet selon la matrice revenu/apprentissages
Revenu
Projet
profitable
Projet
à enjeux forts
Projet
de survie
Projet
d’apprentissage
Équilibrage
Contribution
aux connaissances
de l’entreprise
Portefeuille
de projets équilibrés
Les connaissances
de l’entreprise
sont menacées
L’équilibre financier
de l’entreprise
est menacé
Source : BEN MAHMOUD-JOUINI, 1998.
3. Les enjeux du management des connaissances
pour une stratégie d’offres innovantes
Dans une économie de réactivité caractérisée par un renouvellement fréquent
des produits, aucune innovation ponctuelle ne génère de rente puisqu’elle est
assez rapidement remplacée par de nouvelles offres qui répondent mieux aux
besoins des clients, voire même qui les créent. Cela est particulièrement vrai
dans les industries caractérisées par des cycles de vie des produits très courts et
des changements nombreux de l’environnement compétitif comme l’industrie
informatique, par exemple. Dans ces industries, le développement d’un flux
continu d’offres innovantes, qu’elles soient de produits ou de services, représente l’un des principaux leviers de compétitivité.
Nous désignons cette stratégie de développement d’innovations répétées qui
permet d’avoir une position compétitive dans une économie tirée par l’innovation par l’expression stratégie d’offres innovantes (SOI).
Empruntant au monde du jeu, Hatchuel désigne cet enchaînement d’innovations qui confèrent à l’entreprise un gain global et un avantage compétitif durable
sur son marché par la notion de « martingale » qui est une stratégie de coups
successifs qui permet de gagner globalement.
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MANAGEMENT DES CONNAISSANCES ET DES APPRENTISSAGES
DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
Ainsi, l’avantage compétitif des entreprises qui mettent en œuvre une stratégie d’offres innovantes réside aussi bien dans leurs capacités à maîtriser les
performances des projets de développements, renvoyant à des compétences en
matière de gestion de projet, que dans le pilotage de cette succession de projets.
Il s’agit de mettre au point une organisation capable de générer un flux d’idées
nouvelles, de sélectionner parmi ces idées celles qui seront développées, de
mener une analyse de risques approfondie, de dimensionner les ressources
nécessaires aux projets retenus, de développer les offres sélectionnées et surtout
d’apprendre d’un projet à l’autre.
La compétition par l’innovation met ainsi le processus de management des
connaissances au cœur des préoccupations des entreprises. La mise en œuvre
d’une stratégie d’offres innovantes soulève ainsi les problématiques suivantes :
• Comment trouver de nouvelles idées sources de nouveaux marchés ?
• Comment orienter la création de connaissances de manière à ce qu’elle
génère à terme de nouveaux projets d’offres innovantes ?
• Comment capitaliser les connaissances produites, que ce soit pour les
réutiliser ou les perfectionner et les approfondir pour d’autres projets ?
Comment bien répartir ces connaissances dans l’organisation de manière à les
mobiliser dans de nouveaux projets et à minimiser les ressources nécessaires à
la multiplicité des projets que suppose une stratégie d’offres innovantes ?
• Comment optimiser les créations de connaissances nécessaires aux
projets ? En effet, tout comme les autres processus de l’entreprise (la production,
la logistique, etc.), le processus de création de nouvelles connaissances se trouve
touché par la nécessaire optimisation : les financiers de l’entreprise ont de plus
en plus tendance à appliquer aux départements de recherche et développement
des exigences de productivité analogues à celles appliquées à d’autres activités
de l’entreprise.
Certaines de ces questions sont identiques à celles posées à l’entreprise
multi-projets, plus haut. La différence réside dans le fait que la stratégie d’offre
innovante exacerbe certaines exigences comme l’accélération des cycles de
développement, par exemple, ou le caractère de nouveauté, voire de rupture qui
rend les explorations et la création de nouvelles connaissances d’autant plus
incertaines. Nous traiterons les questions posées ci-dessus en analysant
quelques réponses apportées par des entreprises plongées dans une compétition
tirée par l’innovation.
4. Stratégie d’offres innovantes et articulation
du management des projets et des apprentissages
Nous analyserons en quoi la mise en œuvre d’une stratégie d’offres innovantes
questionne à nouveau la capitalisation inter-projet et la création de connaissances en dehors de ces derniers. Nous proposerons ensuite d’articuler les
projets et les apprentissages le long de trajectoires d’innovation dont nous
esquisserons une typologie.
4.1. La capitalisation : stock de connaissances
ou dynamique d’apprentissage
La capitalisation recouvre deux approches :
– une approche statique de gestion d’un stock de connaissances permettant
de les réutiliser notamment dans d’autres projets ;
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LA MONTÉE EN PUISSANCE DU MANAGEMENT MULTI-PROJETS
– une approche dynamique qui permet l’évolution de ces connaissances
grâce à leur modélisation autorisant ainsi leur perfectionnement et l’identification de nouvelles voies d’approfondissements et de nouvelles idées.
Nous avons vu précédemment que la réutilisation des connaissances
produites est une voie importante dans l’optimisation des projets grâce à
l’économie de ressources que cela permet. Cependant, le caractère innovant des
offres développées met en avant l’importance de l’évolutivité de ces connaissances et de la maîtrise d’une approche dynamique de la capitalisation. Il s’agit
alors de mettre en place des dispositifs organisationnels capables de faire
évoluer ces connaissances.
En effet, Charue-Duboc (2001) a analysé l’organisation adoptée par un centre
de recherche d’une entreprise pharmaceutique mondiale, leader sur son
créneau, et qui développe une multitude de projets d’innovation. Dans ce centre
de recherche, c’est le « manager de compétence » qui est chargé d’animer la capitalisation des apprentissages réalisés dans les projets par la mise en place
d’« ateliers transversaux aux projets ». Ces groupes de travail à composition
stable réunissent des acteurs répartis dans les projets. Les thématiques sont définies sur des axes de progrès d’une expertise particulière (l’immunologie, la
biochimie ou la biologie moléculaire, par exemple) qui touchent à divers projets.
Charue-Duboc et Midler (1998b) ont étudié un centre de recherche d’une
entreprise de l’industrie chimique qui travaille pour plusieurs lignes de produits.
Dans ce centre, les chercheurs sont encouragés à réutiliser les connaissances
développées par une famille de produits pour une autre famille. Les mécanismes
de capitalisation mis en place s’appuient sur un fonctionnement collégial animé
par le responsable du centre de recherche et les « seniors de compétences » qui
sont les référents scientifiques sur un type de procédé, par exemple.
Chez Téfal (Chapel, 1997), entreprise poursuivant une stratégie d’innovation
intensive, c’est aussi à travers le rôle du « manager-expert » que se font la synergie
et la capitalisation entre projets.
Chez Toyota (Sobek, Liker et Ward, 1999), la capitalisation des connaissances
développées dans les projets se fait grâce à des programmes de formation
continue qui puisent leur matière dans les nouveaux projets.
Ainsi, beaucoup plus que par le développement d’outils informatiques ou de
NTIC, c’est par l’identification dans l’organisation de rôles et d’acteurs qui prennent en charge cette capitalisation que peuvent se mettre en place des dynamiques d’apprentissage.
4.2. Exploration et création de connaissances
en dehors des projets
La recherche d’un modèle de développement des connaissances alternatif au
« Science Push » et au « Market Pull » et l’arbitrage nécessaire mis en avant dans
le cas général de l’entreprise multi-projets se trouvent exacerbés dans le cas de
l’entreprise qui poursuit une stratégie d’offres innovantes. Le développement de
connaissances focalisées sur un marché ne permet pas toujours d’innover ni de
révéler des idées génératrices de rupture. Le développement de connaissances
très en amont risque de suivre des logiques disciplinaires ou technologiques
conduisant soit à des innovations incrémentales uniquement, soit à des ruptures
non valorisées par le marché. Gastaldi (2003) propose une voie intermédiaire
d’interdépendance stratégique entre le marché et la recherche.
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DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
La nécessité de trouver de nouvelles idées porteuses de rupture conduit à
l’identification de nouvelles formes d’organisation pour ces développements.
Nous en étudierons trois qui ont été adoptées par certaines entreprises plongées
dans une compétition par l’innovation. Ces développements nécessitent également l’utilisation d’outils qui permettent la structuration de la divergence, source
de nouvelles idées. Pour cela nous présenterons sommairement la théorie C/K
proposée par Hatchuel et Weil.
4.2.1. Nouvelles formes d’organisation de création des connaissances
Moisdon et Weil (1998b) proposent de compléter les figures organisationnelles des projets (temporaires) et des métiers (permanents) par un dispositif
appelé « réseaux multimétiers hors projet » dont ils ont accompagné la mise en
place chez un constructeur automobile. Ces structures permettent de mener des
explorations pluridisciplinaires polarisées sur une question et qui traversent les
frontières des métiers, comme elles le sont dans le cas du projet. Mais, n’étant
pas menée dans le cadre d’un projet, cette activité de conception peut s’affranchir des contraintes de focalisation habituelles et développer des explorations
approfondies et relevant d’un champ de jugement plus large qui l’orientera et la
structurera dans le temps. Ces réseaux assurent ainsi, sur une fonction technique
donnée, la veille technologique, l’analyse de la concurrence, le développement
des connaissances, le suivi des innovations, l’optimisation du produit et du
process, la standardisation, la maîtrise de la performance technico-économique,
etc. Les acteurs qui y participent conservent leur responsabilité dans les structures projet ou métier.
Charue-Duboc et Midler (1998b) ont étudié, dans un centre de recherche
d’une grande entreprise de chimie, d’autres dispositifs d’organisation des explorations visant un horizon de développement produit à moyen terme. Les chercheurs étaient incités à consacrer les 10 % « jardin secret » de leur temps à
explorer des pistes ou des modélisations de phénomènes observés sur les
projets dans lesquels ils étaient impliqués par ailleurs. L’idée n’est pas nouvelle.
Ce qui l’est davantage c’est que cette activité était discutée avec le responsable
du centre de recherche non pas pour fixer un objectif mais pour, d’une part,
constituer une banque d’idées, et d’autre part formaliser un enjeu sur le moyen
terme et donc officialiser, légitimer et donner des moyens à cette activité d’exploration. Parallèlement à ces dispositifs individuels, ce centre s’est doté d’un dispositif collectif : les « familles de compétences » qui regroupent des chercheurs
autour d’une thématique qu’ils s’engagent à explorer pendant deux à trois ans
avant de mobiliser les résultats sur des projets spécifiques. Ces acquis doivent
pouvoir intéresser une ligne de produits qui les valorisera et qui participera au
financement des explorations à partir de la troisième année. Les thématiques
sont choisies de manière collégiale.
Selon Charue-Duboc (2001), ces dispositifs de création de connaissances
permettent :
– l’explicitation des sujets d’apprentissages impliquant d’autres acteurs en
plus des métiers ;
– la structuration de mécanismes de reporting sur ces sujets exploratoires ;
– l’identification d’acteurs ayant la responsabilité du déploiement de ces
apprentissages.
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LA MONTÉE EN PUISSANCE DU MANAGEMENT MULTI-PROJETS
Une autre forme d’organisation de la création de connaissances en dehors des
projets consiste à trouver de nouveaux dispositifs capables de générer des idées
totalement nouvelles permettant à terme de générer de nouveaux marchés. C’est
en réponse à cela qu’une entreprise du secteur de la chimie 10 a créé un laboratoire dans lequel elle a réuni une quarantaine de chercheurs de disciplines étrangères à celles habituellement représentées dans l’entreprise (mathématiques,
électronique, etc.). Lorsque les chercheurs veulent aborder un problème d’une
façon inédite, ils séjournent dans ce laboratoire pour travailler différemment
avec ces spécialistes des diverses disciplines.
C’est également dans cette entreprise qu’ont été développés les laboratoires
d’applicabilité 11 qui réunissent des scientifiques de très haut niveau capables de
traduire des fonctionnalités d’usage, demandées par divers clients, en connaissances scientifiques à développer. Ces traductions conduisent à des développements assez proches de la science fondamentale. Une fois développées, ces
connaissances profiteront à plusieurs projets focalisés sur des marchés très
variés (la peinture, l’agroalimentaire, les silicones, etc.).
4.2.2. La théorie C/K : outil de structuration des explorations
Nonaka et al. (1995) ont identifié quatre modes de conversion des connaissances qui permettent de créer des connaissances organisationnelles. Le
processus d’extériorisation constitue, selon eux, la quintessence de la création
de connaissances puisqu’il s’agit de créer de nouveaux concepts explicites à
partir des connaissances tacites en utilisant des métaphores, des analogies et
des modèles. Les métaphores créent un réseau de nouveaux concepts en reliant
deux concepts différents. « Ce processus cognitif créatif se poursuit lorsque nous
identifions entre deux concepts un déséquilibre, une inconsistance ou une
contradiction dans leur association conduisant à la découverte de nouvelles
significations ou même à la formation d’un nouveau paradigme. » L’analogie
permet, quant à elle, de faire la part entre ce qui est connu et ce qui est inconnu.
Hatchuel et Weil (2002) prolongent ces réflexions en proposant de structurer
ces explorations à l’aide d’un arbre dynamique de conception. À l’origine du
processus de conception, les acteurs disposent d’une base de connaissances (K),
composée d’un ensemble de savoirs hétérogènes (des objets, des règles, des
faits, etc.). Le processus de conception débute avec une question qui ne peut être
résolue dans l’état actuel des savoirs. Cet élément déclencheur du processus de
conception est désigné par le concept (C) : « un objet répertorié dans la base de
connaissances que l’on veut définir pour qu’il possède des propriétés non
présentes dans K ou elles-mêmes formulées comme des concepts ». Exemples :
concevoir un « téléphone pour adolescents », « un bateau qui vole », etc. Cette
« disjonction sémantique » entre l’univers des concepts et celui des savoirs est
l’énoncé d’une action irréalisable en l’état actuel des connaissances. Le
processus de conception consiste alors à passer de cet état désiré à la réalisation
concrète de cet état. Il va se dérouler simultanément dans les deux espaces. Les
savoirs vont permettre d’explorer progressivement le concept initial et de le
spécifier. Les auteurs montrent alors que cette exploration se fait par partition du
concept de départ en sous-concepts qui vont pouvoir être évalués et, à leur tour,
10. Cf. compte rendu du séminaire « Ressources technologiques » de l’école de Paris du 19 novembre 2003.
11. Ibid.
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DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
« partitionnés ». Le bateau qui vole nécessite ainsi des ailes ou des propulseurs,
ou les deux. On voit ainsi se constituer peu à peu, par génération d’alternatives,
un arbre de conception qui retrace la généalogie de la conception. Mais, dans le
même temps, les concepts interrogent les savoirs disponibles. Ils font apparaître
des lacunes dans les connaissances des acteurs qui les explorent et déclenchent
alors le développement de nouvelles connaissances.
Figure 5.
Exploration des concepts et connaissances
Les concepts : C
Les poches de savoir : K
Nouvelles
connaissances
développées
Source : LE MASSON, 2001.
4.3. Couplage des projets et des apprentissages par le pilotage
d’une trajectoire d’innovation
Aussi bien pour la capitalisation des connaissances inter-projets que pour le
développement des connaissances en dehors des projets, les analyses ci-dessus
mettent en avant la nécessité d’identifier une maille adaptée pour la gestion des
connaissances qui soit intermédiaire entre l’organisation permanente fonctionnelle des métiers et celle des projets. Cette maille offrirait ainsi un périmètre
temporel et d’action plus large que celui des projets, permettant d’éviter les
écueils liés à la focalisation (dans le temps et sur un marché cible) et répondrait
aux limites que présentent les métiers dans le développement de connaissances
transversales. À travers les exemples cités, il nous apparaît que la trajectoire
d’innovation qui articulerait des projets d’offres développées par l’entreprise
sous l’angle des connaissances est l’échelle pertinente de gestion des connaissances. C’est au niveau de cette trajectoire d’innovation que les synergies en
matière de gestion des connaissances pourraient être trouvées. Elle permettrait
de coupler le développement des projets avec celui des connaissances et d’articuler les projets les uns aux autres de manière à maximiser les « rentes d’apprentissages » 12.
Mettre en œuvre une stratégie d’offres innovantes revient donc à articuler les
développements d’offres avec les développements de connaissances et à piloter
cette trajectoire.
12. LE MASSON, 2001.
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LA MONTÉE EN PUISSANCE DU MANAGEMENT MULTI-PROJETS
Nous avons modélisé l’activité d’une entreprise mettant en œuvre une stratégie d’offres innovantes par l’articulation de trois espaces : l’espace stratégique,
celui des développements d’offres et celui des développements de connaissances.
Figure 6.
Couplage des développements de projets et de connaissances
A2
Pilotage d’une stratégie
d’offres innovantes
Développement
des connaissances
B
A1
Développement
des offres
Source : BEN MAHMOUD-JOUINI, 1998.
Mettre en œuvre une SOI revient à articuler les projets de développement
d’offres les uns avec les autres le long d’une trajectoire d’innovation structurée
par le biais des connaissances nécessaires à ces projets ou produites par eux. Ce
pilotage ne se produit pas selon le paradigme stratégique de la planification mais
selon un processus émergent qui s’appuie à la fois sur le développement des
offres (A1) et notamment des marchés conquis et des technologies maîtrisées, et
sur les connaissances développées ou susceptibles d’être valorisées (A2).
Coupler le développement des connaissances et des offres revient à mobiliser
et valoriser les connaissances dans le cadre de projets de développement
d’offres qui, en plus d’offrir un cadre de contextualisation et d’évaluation de ces
connaissances, génèrent à leur tour de nouvelles connaissances à capitaliser
et/ou à approfondir (B).
Une trajectoire d’innovations est un ensemble de projets de développement
articulés selon les connaissances qu’ils nécessitent ou qu’ils génèrent, nous
proposons ci-dessous une ébauche de typologie de ces trajectoires selon le mode
d’articulation adopté.
4.3.1. Une trajectoire linéaire de perfectionnement
Les projets de développement de produits articulés le long d’une trajectoire
de perfectionnement nécessitent et produisent un même type de connaissances,
qu’elles soient relatives à un marché ou à une technologie. Dans le premier cas,
les projets viseront à satisfaire de mieux en mieux un même segment de clientèle,
que ce soit en répondant au même besoin ou en en dévoilant d’autres qui lui sont
liés (exemple de trajectoire notée S1 dans la figure 7 page suivante). Le second
cas correspond à des projets qui visent à perfectionner et à maintenir une avance
technologique (trajectoire T1). Ces modèles révèlent cependant des limites
importantes dans une compétition tirée par l’innovation. En effet, les projets le
long de T1 (science push) risquent d’être mal valorisés par le marché et donc mal
rentabilisés. Les projets le long de S1 (market pull) risquent de ne pas aboutir à
des produits très innovants donnant à l’entreprise un avantage concurrentiel
durable.
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DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
4.3.2. Une trajectoire articulée en pivot de diversification
Un autre exemple de trajectoire correspond au cas où les projets s’appuient
tour à tour sur des connaissances concernant l’espace des marchés et/ou des
technologies. Prenons l’exemple d’une entreprise d’appareils ménagers 13 qui,
partant d’une technologie T2 (l’emboutissage et le téflon) et d’un segment de
marché S2 (la ménagère), s’appuie sur sa parfaite connaissance de cette cible
(pivot 14 marché) pour développer de nouvelles offres satisfaisant d’autres
besoins. Pour cela, elle développe des produits (poêle avec balance) qui
s’appuient sur de nouvelles technologies T3 (l’électronique, l’électromagnétisme,
etc). Ces nouvelles technologies, une fois maîtrisées, lui donnent ensuite la possibilité de développer des offres (pivot technologique) à destination de nouveaux
segments de marché S3 (puériculture).
Figure 7.
Trajectoires d’innovations
Connaissance
techno
1
Connaissance
techno
2
Connaissance
techno
3
Connaissance
techno
4
T1
S1
S2T3
Connaissance
de marché 1
S2T3
Connaissance
de marché 2
S3T3
Connaissance
de marché 3
Connaissance
de marché 4
Trajectoire linéaire de perfectionnement
Trajectoire en pivot technologique et de marché
Ainsi, dans ces types de trajectoires, le pilotage cherche à favoriser la réutilisation des connaissances produites d’un projet à l’autre et à rentabiliser les
investissements nécessaires pour le développement des connaissances sur un
plus grand nombre de projets. Il s’agit à chaque innovation de minimiser les
apprentissages nécessaires selon un « modèle prudentiel » 15 et de « maximiser les
rentes d’apprentissages » en réutilisant les connaissances développées. Piloter
une trajectoire d’innovation revient à piloter le rythme des innovations et à organiser la succession des projets et le développement des connaissances.
13. V. CHAPEL, 1997.
14. J. BROUSTAIL et F. FRÉRY, 1993, p. 142.
15. V. CHAPEL, 1997.
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LA MONTÉE EN PUISSANCE DU MANAGEMENT MULTI-PROJETS
4.3.3. Les lignées
Le Masson (2001) propose la notion de « lignées d’innovation » qui désigne
« un ensemble de projets et un ensemble de compétences, nécessaires aux
projets et croissant grâce à chacun des projets de la lignée ». Il illustre cette
notion à partir de son analyse de l’évolution de la conception des produits innovants dans l’entreprise Sekurit Saint-Gobain. Il lit ses innovations comme des
lignées composées d’un concept directeur (membrane isolante communicante),
d’une famille de produits (les différents types de pare-brise développés par
l’entreprise : le pare-brise athermique, le pare-brise de forme complexe incluant
une bande filtrante et une antenne, etc.) et d’un ensemble croissant de connaissances relatives au marché (valeurs d’usage différentes) d’une part et à la
physique des couches minces, l’analyse optique, la chimie des polymères, les
procédés de laminage d’autre part.
Ainsi, une lignée se constitue progressivement par l’élaboration d’un concept
directeur, l’exploration de l’espace des valeurs d’usage et les apprentissages
dans les métiers impliqués. La lignée désigne ainsi l’unité organisationnelle des
familles de projets et des connaissances qui ne se fait plus par discipline scientifique, ni par technologie, ni par fonction.
Le Masson (2001) met en avant le fait que l’articulation des connaissances et
des projets en lignées peut conduire à une remise en cause des frontières établies
entre les technologies et entre les marchés. L’exploration de nouveaux concepts
de produits peut conduire à une reconfiguration de l’organisation des connaissances de l’entreprise, qu’elles soient d’ordre technologique ou marketing. On ne
pourrait plus représenter les connaissances de l’entreprise comme nous l’avons
fait dans la figure 7 puisque le périmètre des connaissances peut être reconfiguré
pour donner naissance à de nouveaux champs de connaissances.
Figure 8.
L’organisation par lignée conduit à une reconfiguration des savoirs
Les développements de produits
Les connaissances
Source : WEIL, 2002 16.
16. B. WEIL a présenté ces travaux dans le cadre du séminaire SFA.
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DANS LES ENTREPRISES MULTI-PROJETS : LE CAS DES STRATÉGIES D’OFFRES INNOVANTES
Conclusion
Les modalités organisationnelles du management des connaissances dans les
entreprises multi-projets varient selon les caractéristiques des situations de
conception et donc des secteurs étudiés. Mais quel que soit le secteur, l’articulation des projets et des connaissances est cruciale dans le cas des entreprises
multi-projets. Nous avons montré, dans un travail antérieur (Ben MahmoudJouini et Midler, 1999), l’évolution dans le temps des modes d’articulation entre
les développements des connaissances et des projets dans trois secteurs différents (l’automobile, la chimie et le bâtiment).
Dans le cas des entreprises mettant en œuvre une stratégie d’offres innovantes dans le but d’avoir un avantage concurrentiel dans une compétition tirée
par une innovation intensive, le management des connaissances prend une
importance particulière. Ce management ne passe pas uniquement par la capitalisation inter-projets et/ou la nécessité de développer des connaissances
nouvelles en dehors des projets, mais surtout par le couplage entre les développements des connaissances et des offres nouvelles. C’est le pilotage de ce
couplage le long de trajectoires d’innovation et d’apprentissage, dont nous avons
esquissé une typologie et dont nous avons présenté quelques inscriptions organisationnelles, qui peut procurer à ces entreprises un avantage compétitif
durable.
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