D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitement de l’hépatite chronique B chez les malades hémodialysés et transplantés rénaux ● J.L. Payen*, C. Bureau*, L. Rostaing**, J. Izopet*** P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Tout sujet porteur d’une insuffisance rénale chronique préterminale ou transplanté rénal doit bénéficier d’une sérologie du virus de l’hépatite B (VHB). ■ L’absence d’immunité contre le VHB doit faire proposer la vaccination chez ces sujets. ■ Une biopsie hépatique s’impose chez les malades porteurs d’une infection virale B dans le bilan pré thérapeutique. ■ La lamivudine peut être proposée comme traitement de l’hépatite chronique à VHB chez les malades transplantés, l’interféron semble contre-indiqué. ■ De nombreuses interrogations persistent quant à l’efficacité à long terme des traitements chez ces malades. L a conduite à tenir vis-à-vis de l’hépatite chronique à virus B (VHB) chez les sujets hémodialysés et transplantés rénaux est controversée. En effet, aux ÉtatsUnis, un centre sur deux considère que le portage de l’Ag HBs est une contre-indication à la transplantation rénale, alors que certaines études européennes ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative sur la survie entre des transplantés rénaux porteurs de l’antigène HBs et ceux qui en sont exempts. Nous passerons en revue dans cet article les particularités de l’infection à VHB, ainsi que les modalités thérapeutiques, chez les malades dialysés et transplantés rénaux. * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Purpan, Toulouse. ** Service de néphrologie-hémodialyse et transplantation, hôpital Rangueil, Toulouse. *** Service de virologie, hôpital Purpan, Toulouse. 96 RAPPEL DES PARTICULARITÉS DE L’INFECTION VIRALE B CHEZ LES INSUFFISANTS RÉNAUX CHRONIQUES DIALYSÉS OU TRANSPLANTÉS La prévalence de l’infection par le VHB est plus élevée chez les malades hémodialysés ou après transplantation rénale que dans la population générale. Cela résulte de l’augmentation de l’exposition et donc du risque d’infection chez ces patients (transfusions, dialyse, préparation à la transplantation). Toutefois, la prévalence des patients port e u rs de l’Ag HBs a considérabl e m e n t diminué ces dern i è res années (50 % à 5 %). L’immunosuppression liée à l’insuffisance rénale chronique ou aux traitements immunosuppresseurs modifie l’évolution naturelle de l’hépatite virale B dont les lésions et la clairance du virus B sont dépendants de mécanismes immuns, humoraux et cellulaires. Chez le sujet immunocompétent, le risque de passage à la chronicité est évalué à 10 %, alors qu’il est évalué à 40 à 80 %, selon les études, chez les dialysés et proche de 100 % chez les transplantés rénaux. La disparition spontanée de l’antigénémie HBs et du DNA viral dans une étude sur 10 ans était inférieure à 3 % chez les sujets transplantés. Par ailleurs, le risque de réactivation virale existe chez les patients dialysés et surtout transplantés rénaux du fait de cette immunosuppression. Il est important de souligner qu’il existe, chez ces malades, une modification de la signification des marqueurs biochimiques (activité sérique des transaminases) et viraux : ainsi, chez le malade hémodialysé, les marqueurs de cytolyse hépatique sont n o rm a u x , a l o rs qu’il existe une hépatite ch ronique histologique ; après une transplantation rénale, on retrouve fréquemment une antigénémie HBs négative, alors que le DNA du virus B est positif. Chez les dialysés, même si, sur le plan clinique ou biologique, l’hépatite chronique B semble souvent peu symptomatique, la sévérité des lésions histologiques est fréquente : elle se traduit par une fibrose extensive et une inflammation modérée. Après transplantation rénale, il existe un risque de développer une hépatite fibrosante cholestatique (1) caractérisée cliniquement par l’évolution rapide vers une insuffisance hépatocellulaire et le décès. Sur le plan histologique, on observe une fibrose périportale, une ballonnisation des hépatocytes, une cholestase importante et un infiltrat inflammatoire modéré. On constate une augmentation de l’expression de l’antigène viral et de la transcription du DNA du virus B dans les hépatocytes, ce qui a fait suggérer un mécanisme cytotoxique. La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998 CE QUE NOUS FAISONS EN PRATIQUE A. Lors de la prise en charge d’un insuffisant rénal préterminale : - vérifier sa sérologie d’hépatite B : - en l’absence d’immunité : pratiquer un programme de vaccination. - chez les porteurs du VHB : • pratiquer une biopsie hépatique ; • proposer un traitement par l’interféron alpha 2 (5 MU trois fois par semaine pendant 6 à 12 mois). En cas d’intolérance au traitement par l’interféron ou d’inefficacité, un traitement par la lamivudine, à dose adaptée, nous apparaît être la meilleure solution ; toutefois, cela doit se discuter en fonction du projet thérapeutique (future transplantation ?) ; - chez le sujet non répliquant (DNA VHB négatif) : une surveillance de l’activité sérique des transaminases et des marqueurs virologiques de réplication du VHB peut être proposée ; toutefois, une ponction du foie peut se discuter en cas de suspicion de cirrhose. B. Chez le malade transplanté rénal : - en l’absence d’immunité : pratiquer un programme de vaccination avant la transplantation. - chez les porteurs du VHB : • chez les malades répliquants, du fait des risques liés à la prescription d’interféron alpha (augmentation du risque de rejet aigu), un traitement par la lamivudine (100 mg/j) semble être la solution thérapeutique préférable. Notons cependant le risque potentiel de voir apparaître un mutant et donc de perdre l’efficacité du traitement. Dans cette situation, un traitement par le famciclovir pourrait être proposé ; • chez les malades porteurs de l’Ag HBs isolé et même chez ceux porteurs d’Ac anti-HBc seul, une surveillance virologique est nécessaire, compte tenu du risque de reprise de la réplication sous immunosuppresseurs. Les conséquences de l’infection chronique par le VHB sur la survie des malades transplantés rénaux sont controversées. Des études nord-américaines indiquent que le portage du VHB augmente la mortalité chez ces malades ; ainsi, certaines équipes considèrent l’infection par le VHB comme une contre-indication à la transplantation rénale (2). Des études plus récentes ont mis en évidence une diminution de la survie actuarielle des patients transplantés rénaux porteurs de l’Ag HBs, ainsi qu’une diminution de la survie des greffons (3). Toutefois, une étude française (4) ne trouve pas de différence de survie actuarielle chez des patients transplantés, qu’ils aient ou non une hépatopathie chronique, ou qu’ils soient porteurs ou non de l’antigène La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998 HBs. Notons cependant que, dans le groupe de patients porteurs de l’Ag HBs, l’hépatopathie est une cause importante de mortalité. Ces considérations incitent à prendre en compte le portage chronique du VHB chez les malades hémodialysés et transplantés rénaux. TRAITEMENT PRÉVENTIF ET CURATIF Traitement préventif • La vaccination : Les malades hémodialysés ont été reconnus comme un groupe devant bénéficier de la vaccination contre le VHB dès les premières campagnes de vaccination. Toutefois, les premières études ont montré que les taux de séroconversion après vaccination étaient plus faibles chez ces malades que chez les sujets non immunodéprimés (5), moins de 65 % des sujets hémodialysés développaient un taux suffisant d’Ac anti-HBs (5). Plusieurs améliorations dans la technique de vaccination ont permis d’augmenter ce taux de réponse. D’une part, le passage de vaccins de première génération aux vaccins recombinants actuels (6); d’autre part, l’augmentation des quantités d’antigène HBs injectées. Ainsi, le taux de séroconversion s’approche de 90 %, et cela sans induire d’effet secondaire notable par rapport aux vaccinations classiques (7). Le schéma de vaccination actuellement conseillé est l’Engerix B® ou l’HBvax DNA®, 40 µg, avec un schéma 0, 1 mois, 6 mois, les injections se faisant dans le deltoïde. Un tel schéma permet d’obtenir, audelà du sixième mois, 86 % de séroprotection (8). Le taux d’anticorps anti-HBs actuellement reconnu comme protecteur est de 10 µIU/ml. Afin d’assurer une protection prolongée, il paraît souhaitable, comme chez les sujets immunocompétents, de proposer un rappel quand le sujet présente un taux d’Ac anti-HBs inférieur à 10 µUI/ml. Toutefois, aucun schéma de surveillance de ce taux d’anticorps n’a été validé à notre connaissance. Notons que la réponse à la vaccination n’est pas corrélée à l’âge ni au sexe des malades (9). La nécessité de vacciner les malades hémodialysés est remise en question par certaines équipes. La diminution, très importante ces dernières années, de l’incidence de l’hépatite virale B chez ces malades semble plus en rapport avec les règles d’isolement prises dans les centres d’hémodialyse à l’égard des patients infectés, le strict respect des règles universelles d’hygiène et la diminution très importante des besoins transfusionnels liée à l’utilisation de l’érythropoïétine. Chez les ra res patients tra n s f u s é s , les nouvelles recommandations excluant les sangs potentiellement contaminés ont probablement participé à cette diminution drastique du nombre des patients contaminés dans les centres d’hémodialyse. Ainsi, le rôle de la vaccination dans cette chute de l’incidence de l’infection par le VHB dans les centres d’hémodialyse est probablement faible (10). Traitement curatif • Chez les hémodialysés : L’immunodépression qui accompagne l’insuffisance rénale au stade d’hémodialyse diminue l’efficacité des traitements antiviraux (11). Or, il est admis 97 D O S S I E R T actuellement que les mécanismes immuns participent à la clairance virale, notamment lors des traitements par l’interféron alpha (11). Très peu de données sont actuellement disponibles sur l’efficacité des antiviraux (vidarabine, interféron alpha, lamivudine) chez les malades hémodialysés. L’ i n t e r f é ronalpha 2 semble pouvoir être utilisé sans danger chez les malades insuffisants rénaux (12-14). Duarte et coll. rapportent leur expérience chez 2 malades qui ont vu, sous traitement par interféron alpha, se normaliser l’activité sérique de leurs transaminases, et constaté une séroconversion HBe, chez l’un des 2 malades. Toutefois, dans ce travail, la virémie n’a pas été suivie, et la surveillance post-traitement était courte (12 mois chez l’un des malades, 9 mois chez l’autre) (15). Il n’y a pas de données dans la littérature à notre connaissance sur la lamivudine ou la vidarabine. Nous avons traité une patiente hémodialysée porteuse chronique du virus de l’hépatite B par la lamivudine à la dose de 100 mg/j, posologie recommandée par le laboratoire chez ce type de patient. Rapidement, nous avons constaté une négativation de la réplication virale. Toutefois, nous n’avons que 5 mois de recul, et le risque de mutation ou de rechute à l’arrêt de la thérapeutique n’a pu être évalué. • Chez les malades transplantés : Peu d’études sont disponibles sur le traitement des transplantés rénaux atteints d’une hépatite chronique B, aucune n’est contrôlée. Trois principales molécules ont été testées. 1. La réponse à la vidarabine a été testée par l’équipe de Stanislas Pol dans une étude pilote chez 10 patients, une négativation de l’ADN du VHB était obtenue dans 40 % des cas après la première cure et dans 60 % après la deuxième cure, avec une tolérance clinique satisfaisante (16). 2. L’interféron alpha a également été étudié dans le traitement de l’hépatite chronique B chez les transplantés rénaux (17,19). Si les premiers résultats semblent encourageants, l’interféron doit être utilisé sous haute surveillance, compte tenu du risque de rejet qu’il induit. Pour certains, la réponse à l’interféron alpha chez les sujets transplantés serait identique à celle observée chez les sujets immunocompétents, et le bénéfice apporté par une réponse à ce traitement serait supérieur au risque de rejet du greffon (20). 3. Deux expériences récentes ont été rapportées concernant l’efficacité de la lamivudine sur la négativation de la réplication virale. Al Faraidy et coll. ont observé la régression d’une hépatite fibrosante cholestatique, chez une femme de 48 ans transplantée rénale et porteuse du VHB, après un traitement de 6 mois par la lamivudine à la dose de 100 mg/jour ; une négativation virale persistait au dixième mois de traitement (21). Une seconde étude menée chez 6 malades a évalué l’efficacité de la lamivudine prescrite pendant 6 mois. La négativation du DNA du virus B était obtenue chez 100 % des patients, mais une récidive était notée à l’arrêt du traitement (22). Enfin, dans une étude pilote, Garnier et coll. ont évalué l’efficacité du ganciclovir chez les patients transplantés rénaux atteints d’hépatite chronique B, ils ont noté une négativation de la virémie au troisième mois de traitement chez la moitié des malades 98 H É M A T I Q U E traités, avec une tolérance satisfaisante. Les doses et la durée de ce traitement restent à préciser dans des études ultérieures (23). A l’heure de ces nouveaux antiviraux utilisables chez les malades transplantés, le portage chronique du virus B ne devrait pas être une contre-indication à la transplantation rénale. En conclusion, même si l’infection au VHB est de nos jours peu fréquente chez les sujets hémodialysés chroniques, elle peut s’aggraver après greffe rénale, cela souligne la nécessité d’une prévention (immunisation, isolement des malades porteurs du VH). Cependant, l’utilisation de la lamivudine, particulièrement chez les malades transplantés rénaux, semble prometteuse ; les associations avec d’autres molécules, notamment le famciclovir, seront peut-être des solutions d’avenir. ■ Mots-clés. Hépatite B - Hémodyalisé - Rein Transplantation. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Davies S.E., Portmann B.C., O’Grady J.G. et coll. Hepatic histologic findings after transplantation for chronic hepatitis B virus infection, including a unique pattern of fibrosing cholestatic hepatitis. Hepatology 1991 ; 13 : 150. 2. Grekas D., Dioudis C., Mandraveli K. et coll. Renal transplantation in asymp tomatic carriers of hepatitis B surface antigen. Nephron 1995 ; 69 : 267-72. 3. Yagisawa T., Toma H., Tanabe K. et coll. Long-term outcome of renal trans plantation in hepatitis B surface antigen-positive patients in cyclosporin aera. Am J Nephrol 1997 ; 17 (5) : 440-4. 4. Pol S., Debure A., Degott C. et coll. Chronic hepatitis in kidney allograft reci pients. Lancet 1990 ; I : 878-80. 5. Desmyter J., Colaert J., Cameron J.S. et coll. Efficacy of an heat-inactivated hepatitis B vaccine in haemodialysis patients and staff. Lancet 1983 ; I : 1323. 6. Jungers P., Chauveau P., Courouce A.M. et coll. Immunogenicity of the recom binant GenHevac B Pasteur vaccine against hepatitis B in chronic uremic patients. J Infect Dis 1994 ; 169(2) : 399-402. 7. Bruguera M., Rodicio J.L., Alcazar J.M. et coll. Effects of different dose levels and vaccination schedules on immune response to a recombinant DNA hepatitis B vaccine in haemodialysis patients. Vaccine 1990 ; 8 : 47-9. 8. Dukes C.S., Street A.C., Starling J.F., Hamilton J.D. Hepatitis B vaccination and booster in predialysis patients : a 4-year analysis. Vaccine 1993 ; 11 (12) : 1229-32. 9. Jaiswal S.B., Salgia P.B., Sepaha A.G., Chitnis D.S. Hepatitis B vaccine in patients on haemodialysis [letter] [see comments]. Lancet 1995 ; 346 (8970) : 317-8. 10. Robertson J.S., Graves J.W. Hepatitis B virus infection in chronic uremia: long-term follow-up of a two-step integrated protocol of vaccination. Am J Kidney Dis 1995 ; 25 (2) : 359. 11. Pol S., Legendre C. Les hépatites virales chez les patients hémodialysés et transplantés rénaux. Néphrologie 1994 ; 15 : 191-5. 12. Duate R.R., Othman A.A., Sullivan S.N., Mughal T.I. Interferon alpha for chronic hepatitis in dialysis patients. J Am Soc Nephrol 1991 ; 2 : 322. 13. Ellis M.E., Alfrurayh O., Halim M.A. et coll. Chronic non A non B hepatitis complicated by end stage renal failure treated with recombinant interferon. J Hepatol 1993 ; 18 : 210-6. 14. Izopet J., Rostaing L., Moussion F. et coll. High rate of hepatitis C virus clea rance in hemodialysis patients after interferon-alpha therapy. JID 1997 ; 176 : 1614-7. 15. Duarte R., Huraib S., Said R. et coll. 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Transplant Proc 1997 ; 29 : 817. ✁ À découper ou à photocopier A A BB O O N N N N EE ZZ -- VV O O U U Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules Tarif 1998 / L HG / B i m e s t r i e l Dr, M., Mme, Mlle ❐ 1 an / 190 F* ❐ 2 ans / 310 F* ❐ 1 an / 95 F* étudiants joindre la photocopie de la carte ❐ + 60 F par avion pour les DOM - TOM SS !! ABONNEMENT FRANCE / DOM-TOM et CEE Prénom Adresse ABONNEMENT ETRANGER / autre que CEE ❐ 1 an / 240 F* ❐ + 190 F par avion POUR RECEVOIR LA RELIURE ❐ gratuite avec un abonnement ou un réabonnement ❐ 140 F par reliure supplémentaire (franco de port et d’emballage) MODE DE PA I E M E N T Code postal ❐ par carte Visa Ville N° Signature : Date d’expiration Pays ❐ par chèque (à établir à l'ordre d'EDIMARK) Tél. 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