ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE // Coordonné par S. Faivre

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ONCOLOGIE
TRANSLATIONNELLE
Coordonné par S. Faivre (hôpital Beaujon, Clichy)
C. Tournigand (hôpital Saint-Antoine, Paris)
// Mol Cancer Ther
// Nature
L’hypoxie tumorale
promeut la tolérance
immunitaire et l’angiogenèse
via l’expression de CCL28
et le recrutement
de lymphocytes T régulateurs
> Facciabene A, Peng X, Hagemann IS et al. Tumour hypoxia
promotes tolerance and angiogenesis via CCL28 and T(reg) cells.
Nature 475(7355):226-30.
L’
hypoxie est un facteur déterminant de
l’angiogenèse tumorale. Néanmoins, le stress
hypoxique conduit aussi au relargage de molécules
dont la présence peut induire une réponse immunitaire. L’inactivation de cette réponse joue donc
un rôle fondamental dans le développement de
la tumeur en lui permettant d’échapper au risque
immunologique.
Pour mieux comprendre comment le système
immunitaire tolère la croissance d’une masse
tumorale, A. Facciabene et al. ont analysé, par
qRT-PCR (quantitative Real-Time Polymerase Chain
Reaction), l’expression de chimiokines et de leurs
récepteurs dans 17 lignées cellulaires
de cancer ovarien humain soumises
à des conditions normoxique ou
Les lymphocytes T
hypoxique. N’ont été pris en compte
que les ARN messagers (ARNm) dont
régulateurs coopèrent
l’expression est modifiée de manière
avec la tumeur pour favoriser
concordante dans au moins 9 lignées
sa croissance
sur 17. Les auteurs ont montré que le
gène le plus souvent et le plus fortement surexprimé dans les lignées de
cancer ovarien en condition hypoxique est celui de
la chimiokine CCL28. Par des expériences d’interférence ARN, les auteurs ont confirmé que l’expression de CCL28, en condition hypoxique, dépend de
l’expression de HIF1α (Hypoxia-Inducible Factor 1α).
De plus, ils ont montré que, dans des modèles de
xénogreffes, la protéine CCL28 localise avec les
régions de forte hypoxie. Enfin, sur des échantillons
de tumeurs ovariennes, les niveaux d’expression
de HIF1α et de CCL28 sont corrélés de manière
significative et sont, tous deux, associés à un
mauvais pronostic. Pour comprendre le rôle exact
de CCL28, les auteurs ont réalisé des expériences
de chimiotaxie in vitro. Pour cela, ils ont isolé des
cellules mononucléaires circulantes du sang et
les ont déposées sur une membrane les séparant
d’un compartiment dans lequel le surnageant du
milieu de culture des cellules, cultivées en condition
hypoxique ou non, a été placé. Lorsque les cellules
mononucléaires circulantes du sang sont exposées
au surnageant prélevé sur des cellules cultivées
au préalable en condition hypoxique, les auteurs
observent une migration spécifique des cellules
CD4+ CD25+ FOXP3+ d’un compartiment à l’autre.
Cette capacité d’attraction est abolie lorsqu’on
ajoute au milieu hypoxique un anticorps neutralisant CCL28. De même, en utilisant des anticorps
spécifiques des récepteurs CCR3 et CCR10, récepteurs connus pour fixer CCL28, les auteurs montrent
que la neutralisation de CCR10, mais pas celle de
CCR3, bloque la migration des cellules CD4+ CD25+
FOXP3+. Ces résultats montrent que les cellules
de cancer ovarien sécrètent CCL28 en condition
hypoxique et que cette molécule est capable de
recruter des lymphocytes T régulateurs (T[reg]) via
le récepteur CCR10. Pour confirmer ces observations in vivo, les auteurs ont développé un modèle
murin. Pour cela, ils ont transduit, avec un vecteur
permettant la surexpression constitutive de CCL28,
des cellules ID8, dérivées de tumeurs ovariennes
murines. Ces cellules, appelées ID8-CCL28, ainsi
que les cellules parentales ID8, ont été injectées
dans le péritoine de souris C57BL/6. Les tumeurs
péritonéales orthotopiques formées par les cellules
ID8-CCL28 croissent et induisent plus rapidement
la formation d’ascites que les tumeurs formées
après injection de cellules ID8 non transduites.
Par immunohistochimie, les auteurs ont confirmé
la forte accumulation de CCL28 dans les tumeurs
apparues après injection de cellules ID8-CCL28.
La forte présence de CCL28 s’accompagne d’un
recrutement important de cellules CD4+ CD25+
FOXP3+ dans les tumeurs et les ascites formées
par les cellules ID8-CCL28. Pour déterminer si ce
recrutement dépend de CCR10, les auteurs ont
injecté en intrapéritonéale des anticorps spécifiques
des récepteurs CCR3 et CCR10 couplés à une toxine
appelée saporine. Cette immunotoxine permet
d’éliminer in vivo les cellules exprimant à leur
surface CCR3 ou CCR10. L’élimination des cellules
CCR10+, mais pas celle des cellules CCR3+, arrête la
croissance tumorale, ce qui suggère une coopération entre cellules tumorales exprimant CCL28 et
cellules T exprimant CCR10+. Pour confirmer le
rôle majeur des cellules CD4+ CD25+ FOXP3+ CCR10+
dans ce phénomène, les auteurs ont injecté en
intrapéritonéale un anticorps anti-CD25 capable
d’inactiver les lymphocytes T(reg). Cette inactivation s’accompagne d’un arrêt de la croissance
tumorale des cellules ID8-CCL28. En accord avec
le développement d’un environnement favorisant
la croissance tumorale, lié à une diminution de la
La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 |
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réponse immunitaire, les ascites formées dans les
souris porteuses de tumeurs ID8-CCL28 présentent
une concentration élevée en interleukine 10. De
manière plus étonnante, une forte concentration
en VEGFA (Vascular Endothelial Growth Factor A)
est aussi retrouvée dans les ascites et les tumeurs
intrapéritonéales des souris ayant reçu des cellules
ID8-CCL28. Ce phénomène est dû à la présence des
cellules T[reg], leur élimination in vivo s’accompagnant d’une baisse importante de la concentration en VEGFA et d’une réduction de la densité
vasculaire des tumeurs formées par les cellules
ID8-CCL28.
Ensemble, ces résultats mettent en évidence un lien
direct entre l’expression de CCL28 par la tumeur et
le recrutement via CCR10 des lymphocytes T[reg],
dont le rôle serait de favoriser l’établissement
d’un microenvironnement à la fois tolérogène et
riche en VEGFA. Ces données confirment le rôle
prépondérant de l’hypoxie dans le développement
de la masse tumorale en connectant programmes
proangiogéniques et tolérance immunologique.
Alexandre Escargueil
Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.
Un nouveau modèle humain
de la transition épithéliomésenchymateuse : étude
de l’efficacité de molécules
au cours de la progression
du carcinome hépatocellulaire
> Van Zijl F, Mall S, Machat G et al. A human model of epithelial to
mesenchymal transition to monitor drug efficacy in hepatocellular
carcinoma progression. Mol Cancer Ther 2011;10(5):850-60.
L
e carcinome hépatocellulaire (CHC) est la
tumeur maligne primitive hépatique la plus
fréquente. Cette pathologie agressive représente
5 % de l’ensemble des cancers, et son pronostic
reste défavorable malgré les progrès réalisés ces
dernières années. Le CHC est caractérisé par une
transition épithélio-mésenchymateuse (TEM)
importante, qui se définit par l’augmentation des
capacités de migration et d’invasion des cellules
tumorales. La TEM est corrélée à un phénotype
Tout ce travail de caractérisation montre la puissance
plus invasif, des métastases intrahépatiques et une
du modèle établi, notamment pour tester l’efficacité
survie diminuée dans le CHC humain. Actuellement,
des agents anticancéreux utilisés en clinique. Ainsi,
il existe un besoin important de modèle de CHC
les 3p sont plus sensibles aux thérapies ciblées alors
humain pour mettre en évidence de nouvelles cibles
que les cellules 3sp montrent une sensibilité accrue
thérapeutiques, étudier l’efficacité des molécules
aux agents de chimiothérapie. Cette différence de
sensibilité pourrait s’expliquer par la diminution de
et estimer les concentrations efficaces des agents
l’expression de nombreux gènes impliqués dans les
thérapeutiques.
Dans cet article, F. van Zijl et al. ont établi un
résistances multiples dans la lignée 3sp. De la même
modèle humain de la TEM au cours du CHC, reflétant
manière, la sensibilité importante de la lignée 3p à
les aspects importants du développement du CHC
l’erlotinib s’explique par une phosphorylation plus
et permettant une étude approfondie des mécaimportante de l’EGFR (Epidermal Growth Factor
nismes moléculaires sous-jacents. Dans un premier
Receptor) dans ces cellules.
temps, les auteurs ont déterminé et caractérisé (par
Par la suite, les auteurs ont pu étudier pour la
qRT-PCR [quantitative Real-Time Polymerase Chain
première fois in vitro l’efficacité de la combinaison
Reaction] et immunomarquages) 2 lignées cellusorafénib + adriamycine, qui semble présenter
laires issues d’une même tumeur. L’une, 3p, exprime
un avantage à la fois sur les cellules épithéliales
les marqueurs
et sur les cellules
mésenchymateuses
typiques des
et qui montre un
cellules, tandis
Transition épithélioeffet synergique de
que l’autre,
mésenchymateuse
ces 2 agents sur la
3sp, présente
dans le carcinome
progression du CHC.
des marqueurs
hépatocellulaire : un modèle
Une autre combimésenchymanaison ciblant les
t e u x . L’ é t u d e
préclinique enfin disponible
2 populations, sorades fonctions
cellulaires de ces
fénib + erlotinib,
2 lignées a permis de mettre en évidence une invamontre aussi une efficacité prometteuse dans ce
sion et une migration accrues dans la lignée 3sp,
modèle.
ce qui confirme son phénotype mésenchymateux.
Pour conclure, l’équipe de F. van Zijl a pu établir
Pour faire de ces 2 lignées un modèle de TEM
l’un des premiers modèles reflétant la progression
cohérent, les auteurs ont dû vérifier si la lignée
du CHC humain, mais qui n’est pas encore validé.
mésenchymateuse 3sp dérivait effectivement de la
Cet outil intéressant pour la recherche préclinique
lignée épithéliale 3p. Une analyse fine par aCGH
pourrait permettre :
(array Comparative Genomic Hybridization) et PCR
➤ d’identifier les mécanismes moléculaires sousa permis de démontrer que les lignées 3p et 3sp
jacents de la TEM et ceux impliqués dans la progresont une origine cellulaire identique. Pour confirmer
sion du CHC ;
la TEM, le profil d’expression du génome entier de
➤ de déterminer l’efficacité des traitements en
ces 2 lignées a été analysé, révélant une diminumonothérapie ou en combinaison ;
tion de l’expression des marqueurs hépatiques et
➤ d’évaluer la spécificité des agents thérapeuépithéliaux ainsi qu’une augmentation de l’exprestiques actuellement utilisés ou en développement
sion des marqueurs mésenchymateux dans la lignée
sur les 2 composantes cellulaires : épithéliales et
3sp comparativement à la lignée 3p. La lignée 3sp
mésenchymateuses.
dérive donc effectivement de la lignée 3p, après
A. Tijeras-Raballand,
RayLab, hôpital Beaujon, Clichy.
la TEM chez le patient atteint de CHC.
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