La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 | 457
Coordonné par S. Faivre
(hôpital Beaujon, Clichy)
C. Tournigand
(hôpital Saint-Antoine, Paris)
ONCOLOGIE
TRANSLATIONNELLE
// Mol Cancer Ther
// Nature
L’hypoxie tumorale
promeut la tolérance
immunitaire etl’angiogenèse
vial’expression deCCL28
etlerecrutement
delymphocytesT régulateurs
> Facciabene A, Peng X, Hagemann IS et al. Tumour hypoxia
promotes tolerance and angiogenesis via CCL28 and T(reg) cells.
Nature 475(7355):226-30.
L’
hypoxie est un facteur déterminant de
l’angio genèse tumorale. Néanmoins, le stress
hypoxique conduit aussi au relargage de molécules
dont la présence peut induire une réponse immu-
nitaire. L’inactivation de cette réponse joue donc
un rôle fondamental dans le développement de
la tumeur en lui permettant d’échapper au risque
immunologique.
Pour mieux comprendre comment le système
immunitaire tolère la croissance d’une masse
tumorale, A.Facciabene etal. ont analysé, par
qRT-PCR
(quantitative Real-Time Polymerase Chain
Reaction)
, l’expression de chimiokines et de leurs
récepteurs dans 17lignées cellulaires
de cancer ovarien humain soumises
à des conditions normoxique ou
hypoxique. N’ont été pris en compte
que les ARN messagers (ARNm) dont
l’expression est modifi ée de manière
concordante dans au moins 9lignées
sur17.
Les auteurs ont montré que le
gène le plus souvent et le plus forte-
ment surexprimé dans les lignées de
cancer ovarien en condition hypoxique est celui de
la chimiokine CCL28
. Par des expériences d’interfé-
rence ARN, les auteurs ont confi rmé que l’expres-
sion de CCL28, en condition hypoxique, dépend de
l’expression de HIF1α (Hypoxia-Inducible Factor1α).
De plus, ils ont montré que, dans des modèles de
xénogreffes, la protéine CCL28 localise avec les
régions de forte hypoxie. Enfi n, sur des échantillons
de tumeurs ovariennes, les niveaux d’expression
de HIF1α et de CCL28 sont corrélés de manière
significative et sont, tous deux, associés à un
mauvais pronostic. Pour comprendre le rôle exact
de CCL28, les auteurs ont réalisé des expériences
de chimiotaxie in vitro. Pour cela, ils ont isolé des
cellules mononucléaires circulantes du sang et
les ont déposées sur une membrane les séparant
d’un compartiment dans lequel le surnageant du
milieu de culture des cellules, cultivées en condition
hypoxique ou non, a été placé. Lorsque les cellules
mononucléaires circulantes du sang sont exposées
au surnageant prélevé sur des cellules cultivées
au préalable en condition hypoxique, les auteurs
observent une migration spécifi que des cellules
CD4+ CD25+ FOXP3+ d’un compartiment à l’autre.
Cette capacité d’attraction est abolie lorsqu’on
ajoute au milieu hypoxique un anticorps neutra-
lisant CCL28. De même, en utilisant des anticorps
spécifi ques des récepteurs CCR3 et CCR10, récep-
teurs connus pour fi xer CCL28, les auteurs montrent
que la neutralisation de CCR10, mais pas celle de
CCR3, bloque la migration des cellules CD4
+
CD25
+
FOXP3+.
Ces résultats montrent que les cellules
de cancer ovarien sécrètent CCL28 en condition
hypoxique et que cette molécule est capable de
recruter des lymphocytes T régulateurs (T[reg]) via
le récepteur CCR10
. Pour confi rmer ces observa-
tions in vivo, les auteurs ont développé un modèle
murin. Pour cela, ils ont transduit, avec un vecteur
permettant la surexpression constitutive de CCL28,
des cellules ID8, dérivées de tumeurs ovariennes
murines. Ces cellules, appelées ID8-CCL28, ainsi
que les cellules parentales ID8, ont été injectées
dans le péritoine de souris C57BL/6. Les tumeurs
péritonéales orthotopiques formées par les cellules
ID8-CCL28 croissent et induisent plus rapidement
la formation d’ascites que les tumeurs formées
après injection de cellules ID8 non transduites.
Par immunohistochimie, les auteurs ont confi rmé
la forte accumulation de CCL28 dans les tumeurs
apparues après injection de cellules ID8-CCL28.
La forte présence de CCL28 s’accompagne d’un
recrutement important de cellules CD4+ CD25+
FOXP3+ dans les tumeurs et les ascites formées
par les cellules ID8-CCL28. Pour déterminer si ce
recrutement dépend de CCR10, les auteurs ont
injecté en intrapéritonéale des anticorps spécifi ques
des récepteurs CCR3 et CCR10 couplés à une toxine
appelée saporine. Cette immunotoxine permet
d’éliminer in vivo les cellules exprimant à leur
surface CCR3 ou CCR10. L’élimination des cellules
CCR10
+
, mais pas celle des cellules CCR3
+
, arrête la
croissance tumorale, ce qui suggère
une coopéra-
tion entre cellules tumorales exprimant CCL28 et
cellulesT exprimant CCR10+
. Pour confi rmer le
rôle majeur des cellules CD4+ CD25+ FOXP3+ CCR10+
dans ce phénomène, les auteurs ont injecté en
intrapéritonéale un anticorps anti-CD25 capable
d’inactiver les lymphocytes T(reg). Cette inacti-
vation s’accompagne d’un arrêt de la croissance
tumorale des cellules ID8-CCL28. En accord avec
le développement d’un environnement favorisant
la croissance tumorale, lié à une diminution de la
Les lymphocytes T
régulateurs coopèrent
avec la tumeur pour favoriser
sa croissance