MISE AU POINT Les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR dans le CBNPC : sont-ils tous identiques ? Non-small-cell lung cancer with EGFR mutation: are all tyrosine kinase inhibitors equivalent? C. Audigier-Valette* D epuis ces 10 dernières années, la plus grande avancée dans l’arsenal thérapeutique des cancers bronchiques a été dominée par la découverte des “drivers oncogéniques” et le développement des thérapies ciblées. Depuis 2010, les analyses en biologie moléculaire sont systématiques pour les patients présentant un adénocarcinome primitif pulmonaire de stade métastatique. L’existence d’une mutation EGFR est un facteur prédictif de l’efficacité des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), comme l’ont déjà montré de nombreuses études de phase III (1). Prescrire une chimiothérapie à base de sels de platine en première ligne et un ITK de l’EGFR lors de la progression est une autre option validée puisque aucune étude n’a mis en évidence de différence en termes de survie globale (SG) entre ces 2 stratégies. Trois ITK, le géfitinib, l’erlotinib, et l’afatinib, sont indiqués et ont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en première ligne chez les patients présentant un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) métastatique avec mutation activatrice de l’EGFR. Des mécanismes d’action différents Les récepteurs HER sont au nombre de 4, comprenant l’EGFR (HER1), HER2, HER3 et HER4 (Human Epidermal growth factor Receptor ou ErbB). Les récepteurs HER sont impliqués dans le déclenchement des signaux de prolifération. Il s’agit d’une cible privilégiée pour les ITK qui entrent en compétition avec l’adénosine triphosphate (ATP) au niveau de sa liaison au domaine catalytique de la tyrosine kinase. De ce fait, ils inhibent l’autophosphorylation et l’ensemble de la signalisation en aval (2). Les inhibiteurs réversibles de tyrosine kinase sont le géfitinib et l’erlotinib ; l’afatinib se distingue de ces molécules car il bloque la totalité des récepteurs ErbB (HER), et de manière irréversible. Les ITK irréversibles (de seconde génération) se lient au récepteur de façon définitive via une liaison covalente à des résidus cystéines situés au niveau de leur domaine catalytique et inhibent leur activité kinase. Une fois l’ITK irréversible lié, seules l’internalisation et la dégradation du récepteur permettent à la cellule de l’éliminer. L’afatinib est un inhibiteur pan-HER, c’est-à-dire capable d’inhiber l’activité kinase de tous les membres de la famille HER présentant une activité kinase (HER1 ou EGFR, HER2 et HER4), alors que le géfitinib et l’erlotinib n’inhibent qu’EGFR (HER1). Les ITK irréversibles ont initialement été développés dans l’espoir de surmonter la mutation de résistance T790M, observée dans environ 50 % des cas de rechute après traitement par géfitinib ou erlotinib chez les patients porteurs d’une mutation activatrice de l’EGFR (3). Molécules bénéficiant d’une AMM par ordre chronologique d’obtention Géfitinib Plusieurs études de phase II avaient montré un taux de réponse élevé (55-60 %) et une survie sans progression (SSP) [9 mois] plus longue que * Service de pneumologie, centre hospitalier Sainte-Musse, Toulon. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 225 Mots-clés EGFR Inhibiteurs de tyrosine kinase Erlotinib Géfitinib Afatinib Highlights » It has been demonstrated that activating EGFR mutations lead to increased affinity of tyrosine kinase inhibitors (TKIs) for the mutant receptor. » Randomized clinical trials have demonstrated the superiority of TKIs over chemotherapy as first-line therapy of EGFR mutated non-small-cell lung cancer (NSCLC), in terms of response rate, progressionfree survival, quality of life and tolerability. However, no improvement in overall survival has been observed, probably because of cross over from firstline chemotherapy to secondline therapy with EGFR TKIs. » Nevertheless, TKIs of EGFR are the current standard firstline treatment of patients with advanced NSCLC harboring activating EGFR mutations. » Currently, there are no direct comparisons between different TKIs and our choice is based on pharmacocinetic data and toxicity profile. Keywords EGFR Tyrosine kinase inhibitors Erlotinib Gefitinib Afatinib Points forts » La présence d’une mutation EGFR a modifié radicalement la prise en charge thérapeutique des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC). » L’activité supérieure des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) par rapport à la chimiothérapie (survie sans progression [SSP], taux de réponse, tolérance et amélioration de la qualité de vie) a été largement démontrée sans pour autant entraîner de modification de la survie globale, en raison du nombre important de crossover dans les études randomisées. » Les ITK constituent tout de même un standard thérapeutique en situation de première ligne métastatique en présence d’un driver oncogénique. » Actuellement, aucun des 3 ITK n’a été évalué en comparaison directe, et nos critères de choix se fondent donc sur des paramètres secondaires tels que les données pharmacocinétiques et la gestion des effets indésirables. sous chimiothérapie dans une population sélectionnée, aussi bien asiatique que caucasienne (4). Par conséquent, des études de phase III ont été mises en place sur ce type de population, l’essai IPASS étant le plus important avec 1 217 patients randomisés entre géfitinib et chimiothérapie. Cette étude a montré la supériorité du géfitinib en termes de SSP limitée aux patients présentant un driver oncogénique (EGFR). Dans le sous-groupe des patients EGFR muté (n = 261), la SSP est significativement plus longue (9,5 versus 6,3 mois) de même que les taux de réponse (71 versus 47 %) en faveur du géfitinib par rapport à l’association carboplatine et paclitaxel. Il n’y avait pas de différence en SG en raison du fort taux de crossover à l’issue de la première ligne (64 % des patients ont reçu un ITK en deuxième ligne après la chimiothérapie) [5]. Des résultats similaires ont été retrouvés dans l’étude First-SIGNAL, de phase III randomisée, qui comparait le géfitinib et le doublet cisplatine et gemcitabine en première ligne chez 309 patients asiatiques non fumeurs, porteurs d’un adénocarcinome. Dans le sous-groupe des patients EGFR muté (n = 42), les taux de réponse sous géfitinib étaient remarquables (84,6 %), et la SSP prolongée (8 versus 6,3 mois) par rapport à la chimiothérapie (6). L’étude de phase III du WJTOG3405 a comparé le cisplatine et le docétaxel au géfitinib chez 172 patients japonais dont la tumeur était EGFR muté, le groupe géfitinib avait une SSP plus longue : 9,2 versus 6,3 mois. Le taux de réponse objective était de 62 % dans le groupe géfitinib et de 32 % dans le groupe chimiothérapie. Dans cet essai, aucune différence de SG n’a été démontrée (7). Enfin, l’étude NEJ002 a comparé le géfitinib avec le doublet carboplatine et paclitaxel en première ligne chez 230 patients atteints d'un CBNPC muté pour l’EGFR. L’étude a été interrompue prématurément après l’analyse intermédiaire en raison d’un gain de SSP, et l’analyse finale a confirmé ce bénéfice (SSP médiane : 10,8 versus 5,4 mois) [8]. Tout récemment, une étude de phase IV (IFUM), réalisée dans une population caucasienne (n = 107), a été publiée et retrouvait des taux de réponse de 70 %, un taux de contrôle tumoral de 91 %, une SSP médiane à 9,7 mois et une SG à 19 mois (9). 226 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 Erlotinib L’activité de l’erlotinib chez les patients EGFR muté a d’abord été évaluée dans un essai espagnol de grande envergure dans lequel 2 105 patients ont bénéficié d’une analyse en biologie moléculaire montrant la faisabilité de ce type de sélection en vue d’un traitement par ITK. Le taux de réponse tumorale était élevé (70,6 %), et une SSP de 14 mois avait été observée chez les 350 patients présentant une mutation EGFR (10). Deux essais randomisés de phase III ont évalué l’efficacité de l’erlotinib en situation de première ligne en présence d’une mutation EGFR. L’étude OPTIMAL a comparé l'erlotinib à l’association carboplatine et gemcitabine chez 154 patients chinois. Le bénéfice est en faveur de la thérapie ciblée pour la SSP (objectif principal) avec une médiane de 13,7 mois, versus 4,6 mois pour la chimiothérapie. Les patients traités par erlotinib avaient un meilleur taux de réponse (83 versus 36 %), et la SG ne différait pas dans les 2 groupes pour des raisons de crossover (11). Ces résultats ont été confirmés par l’étude EURTAC, de phase III randomisée en première ligne chez des patients caucasiens, comparant un groupe avec chimiothérapie standard comportant un doublet à base d’un sel de platine et un groupe expérimental avec erlotinib. Sur les derniers résultats actualisés (janvier 2013), 173 patients ont été inclus dans cette étude qui est positive sur son objectif principal − avec une SSP de 10,4 mois pour l’erlotinib contre 5,1 mois pour la chimiothérapie −, les taux de réponse sont de 65,1 % pour l’ITK contre 16,1 % pour la chimiothérapie, et la médiane de SG ne diffère pas dans les 2 groupes (22,9 mois pour l’erlotinib et 22,1 mois pour le groupe contrôle) [12]. Afatinib Les données in vitro montrent une efficacité antitumorale des ITK irréversibles sur les lignées cellulaires porteuses d’une mutation T790M. C’est la raison pour laquelle le programme de développement de l’afatinib a concerné dans un premier temps les patients dont la maladie progresse à l’issue d’un traitement par ITK de première génération. L’essai de phase IIb/III LUX-Lung 1 a comparé l'afa- MISE AU POINT tinib à un placebo chez 585 patients présentant un CBNPC avancé ou métastatique en échec de 1 ou de 2 lignes de chimiothérapie et ayant reçu au moins 3 mois de traitement par erlotinib ou géfitinib (population non sélectionnée sur la mutation EGFR). Cet essai était négatif sur son objectif principal, la SG (10,8 versus 12 mois ; HR = 1,08 ; p = 0,74), et, bien que la SSP fût en faveur du groupe expérimental (3,3 versus 1,1 mois ; HR = 0,38 ; p < 0,0001), le taux de réponse au traitement par afatinib n’était que de 7 %. Lors de l’essai LUX-Lung 2, de phase II évaluant l’afatinib chez le patient EGFR muté, le taux de réponse était de 61 % (objectif principal) avec une SSP médiane de 10 mois. L’essai LUX-Lung 3 a donc été conçu pour démontrer la supériorité de l’afatinib sur la chimiothérapie en première ligne. L’afatinib a été comparé, sur une population mixte (asiatique et caucasienne), à une chimiothérapie par cisplatine et pémétrexed. Cet essai de phase III a été mis en place chez 345 patients (dont 91 caucasiens) porteurs d’un adénocarcinome avec mutation EGFR recevant l'afatinib en première ligne versus une chimiothérapie par cisplatine/pémétrexed (6 cycles sans maintenance). Cet essai est positif sur son objectif principal, la SSP (11,1 versus 6,9 mois), et pour les mutations les plus fréquentes (exon 19 et exon 21 ; n = 308), la SSP s’élève à 13,6 mois pour l’afatinib contre 6,9 mois pour la chimiothérapie (HR = 0,47 ; p = 0,001). Les taux de réponse sont en faveur du traitement ciblé (56 versus 23 %). Le crossover étant autorisé, aucune différence en SG entre les 2 groupes n’est attendue. Cette étude est la seule à avoir comparé un inhibiteur de tyrosine kinase au doublet de référence actuellement le plus utilisé en première ligne de traitement des adénocarcinomes. L’essai LUX-Lung 6 a également comparé afatinib et chimiothérapie, mais dans une population exclusivement asiatique de patients (n = 364) porteurs d’un adénocarcinome muté pour l’EGFR (89 % de mutations communes) et randomisés entre l’afatinib et le doublet cisplatine et gemcitabine en première ligne de traitement. L’objectif principal de la SSP est atteint (11,0 versus 5,6 mois) avec des taux de réponse objective en faveur de l’ITK (67 versus 23 %) ; les données de SG ne sont pas matures, mais étaient de 22 mois dans les 2 groupes au moment de l’analyse intermédiaire. En dépit du mécanisme d’action particulier de l’afatinib, qui laissait suggérer une activité supérieure chez les patients ayant déjà reçu un ITK de l’EGFR, les données actuelles ayant permis l’obtention de l’AMM sont restreintes à son activité en première ligne par rapport à un doublet de sel de platine chez les patients naïfs d’ITK. Les études évaluant l’association afatinib/cétuximab ou d’autres combinaisons dans cette situation de résistance acquise aux ITK sont en cours de recrutement, et ces stratégies, bien qu’encourageantes, ne sont pas encore validées (3). Différences d’efficacité entre les molécules En l’absence d'études comparatives directes de phase III entre les ITK, nous sommes contraints de comparer les essais − bien que ce procédé soit critiquable sur le plan statistique −, et l’efficacité entre les 3 ITK semble similaire (tableau I, p. 228). Une étude de phase II a comparé le géfitinib à l’erlotinib sur une population enrichie mais non sélectionnée sur la mutation EGFR (n = 96) et n’a pas retrouvé de différence significative aussi bien en SSP qu’en taux de réponse (13). L’analyse poolée de L. Paz-Ares, publiée en 2010 et réactualisée en 2012 (14, 15), a comporté une revue de la littérature des études rétrospectives et prospectives entre 2004 et 2009 ayant évalué l’erlotinib ou le géfitinib et la chimiothérapie dans le CBNPC avec mutation de l’EGFR. Un total de 54 études avait été répertorié auquel ont été ajoutés secondairement, en 2012, les principaux essais de phase III (NEJ, WJTOG, OPTIMAL, EURTAC) avec, au final, 20 essais avec la chimiothérapie (n = 984), 27 avec l’erlotinib (n = 735), et 56 avec le géfitinib (n = 1 843). Sur ces données actualisées, une SSP prolongée était retrouvée en faveur de l’erlotinib (12,4 mois) par rapport au géfitinib (9,3 mois) et à la chimiothérapie (5,6 mois), et ce pour toutes les lignes de traitement. L’observation d’une supériorité de l’erlotinib par rapport au géfitinib engage à mettre en place une étude comparative directe entre les différents ITK de l’EGFR disponibles. De même, d’après la méta-analyse de F. Petrelli et al. (16), les taux de réponse et la SSP sont supérieurs avec l’erlotinib comparé au géfitinib. Les auteurs ont repris 13 études randomisées, toutes de phase III (8 études en première ligne, 1 étude en maintenance et 4 études en deuxième ou en troisième ligne) ayant inclus 10 433 patients au total, dont 1 260 avec mutation EGFR. Le taux de réponse avec l'erlotinib donne un HR de 2,78 versus 1,83 pour le géfitinib (test d’interaction bilatéral : 2p < 0,0001), ce qui signifie que l’erlotinib semble avoir un meilleur effet sur la réduction du volume tumoral. La SSP avec l'erlotinib donne un HR de 0,19 versus 0,39 pour le géfitinib (2p < 0,0001), ce qui signifie que l’erlotinib retarde la progression par rapport au géfitinib. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 227 MISE AU POINT Les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR dans le CBNPC : sont-ils tous identiques ? Tableau I. Essais de phase III comparant en première ligne un inhibiteur de tyrosine kinase de l’EGFR et un doublet à base de sel de platine chez les patients porteurs d’une mutation EGFR. Étude (réf.) n ITK Chimiothérapie Taux de réponse (%) Survie sans progression (mois) Survie globale (mois) IPASS (5) 261 Géfitinib Carboplatine/paclitaxel 71 versus 47 p < 0,001 9,5 versus 6,3 ; HR = 0,48 ; p < 0,001 ; IC95 : 0,36-0,64 21,6 versus 21,9 non significatif First-SIGNAL (6) 42 Géfitinib Cisplatine/gemcitabine 85 versus 38 p = 0,001 8 versus 6,3 ; HR = 0,54 ; p = 0,001 ; IC95 : 0,269-1,1 27,2 versus 25,9 non significatif WJTOG (7) 172 Géfitinib Cisplatine/docétaxel 62 versus 32 p < 0,0001 9,2 versus 6,3 ; HR = 0,49 ; p < 0,0001 ; IC95 : 0,336-0,71 35,5 versus 38,8 non significatif NEJ002 (8) 230 Géfitinib Carboplatine/paclitaxel 74 versus 31 p < 0,001 10,8 versus 5,4 ; HR = 0,30 ; p < 0,001 ; IC95 : 0,22-0,41 30,5 versus 23,6 non significatif OPTIMAL (11) 154 Erlotinib Carboplatine/gemcitabine 83 versus 36 p < 0,0001 13,7 versus 4,6 ; HR = 0,16 ; p < 0,0001 ; IC95 : 0,10-0,26 22,6 versus 28,8 non significatif EURTAC (12) 173 Erlotinib Multiples options autorisées 65 versus 16 p < 0,0001 10,4 versus 5,1 ; HR = 0,33 ; p < 0,0001 ; IC95 : 0,23-0,49 22,9 versus 22,1 non significatif LUX-Lung 3 (3) 345 Afatinib Cisplatine/pémétrexed 56 versus 23 p = 0,001 11,1 versus 6,9 ; HR = 0,58 ; p = 0,001 ; IC95 : 0,43-0,78 Non rapportée LUX-Lung 6 (3) 364 Afatinib Cisplatine/gemcitabine 67 versus 23 p < 0,0001 11 versus 5,6 ; HR = 0,28 ; p < 0,0001 ; IC95 : 0,20-0,39 Non rapportée L’essai LUX-Lung 7 a comparé l'afatinib et un ITK réversible de première génération (géfitinib) chez les patients EGFR muté en situation de première ligne. Cet essai de phase II a inclus 316 patients, les résultats sont attendus pour 2015 (3). Une étude de phase II est en cours (CTONG 0901 ASIE) comparant l’activité du géfitinib et de l'erlotinib sur les différents exons. Dans cet essai, 70 patients présentant une mutation EGFR au niveau de l'exon 21 seront randomisés entre géfitinib et erlotinib : l’objectif principal est le taux de réponse tumorale (NCT01024413). Différence de données pharmacologiques entre erlotinib et géfitinib Alors que la différence d’efficacité entre Asiatique et Caucasien n’est pas élucidée, la délétion de l’exon 19 semble de meilleure sensibilité comparée à la mutation L858R (exon 21), mais cette donnée n’est pas retrouvée dans tous les essais de phase III (1, 2). Également, des études plus récentes ont montré une variation de sensibilité aux différents ITK selon les exons in vitro (17). En pratique clinique, l’erlotinib est prescrit à sa dose maximale tolérée (DMT), alors que le géfitinib n’est prescrit qu’à 1/3 de sa DMT. In vitro, 250 mg de géfitinib correspondent à 25 mg d’erlotinib, c’est d’ailleurs une des raisons qui avait 228 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 été évoquée lors de la négativité de l’étude ISEL par rapport à l’étude BR.1 réalisée avec respectivement géfitinib et erlotinib dans une population non sélectionnée (18). Existe-t-il une différence de sensibilité des ITK en fonction du type de mutation EGFR ? Des différences d’efficacité en fonction du type de mutation EGFR ont été mises en évidence avec les ITK de première génération, celles-ci sont répertoriées dans le tableau II (19). Concernant l’activité de l’afatinib sur les mutations inhabituelles, les données ont été analysées sur les 3 études LUX-Lung 2, LUX-Lung 3 et LUX-Lung 6, soit 75 patients (12,5 % du recrutement total). On retiendra seulement 14 mutations T790M, 23 exons 20 et 38 cas de mutations diverses (composites entre L861Q, G719X, S768I). Comme pressenti, la SSP est médiocre chez les patients porteurs d’une mutation T790M ou d’une insertion de l’exon 20 (2,9 et 2,7 mois respectivement). Pour le groupe des autres mutations très hétérogènes (présence de doubles mutations faible/bonne sensibilité), la SSP de 10,7 mois n’est donc pas le reflet de l’efficacité de l’afatinib sur les mutations non communes. D’autre part, dans l’essai LUX-Lung 6, la SSP médiane passe MISE AU POINT de 11,1 à 13,6 mois en ne gardant que les mutations communes, ce qui confirme l’impact négatif de ces mutations rares sur l’efficacité de l’afatinib (3, 20). Métastases cérébrales et méningite carcinomateuse En l’absence de métastases cérébrales préexistantes, l’encéphale est un site fréquent de progression sous ITK, car leur concentration dans le liquide céphalorachidien (LCR) est inférieure à la concentration plasmatique, ce qui entraîne un “effet sanctuaire” au niveau cérébral. Le taux de pénétration dans le LCR du géfitinib est environ de 1 % contre 2,5 à 13 % pour l’erlotinib, ce qui pourrait expliquer une meilleure activité de l’erlotinib dans les atteintes méningées et cérébrales. Ce meilleur passage méningé pourrait expliquer que des patients traités par erlotinib à la suite d'une progression sous géfitinib aient obtenu une réponse partielle cérébrale dans quelques cas décrits dans la littérature, sans pour autant avoir actuellement entraîné de modifications des recommandations de prescription (21). Influence des inhibiteurs de la pompe à protons Comme précisé dans le tableau III, le pH gastrique a une influence sur l’absorption de l’erlotinib. Cependant, une étude réalisée rétrospectivement dans l’essai BR.21 sur le taux plasmatique d’erlotinib en fonction de l’utilisation ou non d’antiacide n’a pas montré de modification significative de celui-ci entre les 2 groupes de patients (22). Tableau II. Efficacité des inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR de première génération (erlotinib ou géfitinib) dans les CBNPC avec mutations rares (19). Nombre de patients Type de mutation de l’EGFR Taux de réponse (%) SSP (mois) SG (mois) 278 Classique (exon 19 ou L858R) 74,1 8,5 19,6 11 Insertions exon 20 0 1,4 4,8 15 G719 (simple ou complexe) 53,3 8,1 16,4 15 L861 (simple ou complexe) 60 6 15,2 20 Mutation rare combinée avec délétion exon 19 ou L858R 60 5,3 18,8 15 Mutation rare SANS combinaison avec délétion exon 19, L858R, G719 ou L861 20 1,6 11,1 SG : survie globale ; SSP : survie sans progression. Tableau III. Caractéristiques produits des 3 inhibiteurs de tyrosine kinase disponibles sur le marché (1, 2). Caractéristiques Géfitinib Erlotinib Afatinib Dose maximale tolérée (mg) 800-1 000 150 50 250 150, 100, 25 50, 40, 30, 20 59 Non modifiée par les repas 60 Augmentée par les repas – Diminuée par les repas Présentation (mg) Biodisponibilité (%) Aucun Diminue l’ASC Non évalué EGFR 3 nM HER2 1 830 nM EGFR 0,5 nM HER2 512 nM EGFR 0,5 nM HER2 14 nM Aucun Diminue l’ASC Aucun Demi-vie d’élimination (h) 41 36 37 Élimination hépatique (%) 96 90 85 Effet du pH gastrique Concentration minimale inhibitrice IC50 in vitro Effet du tabac ASC : aire sous la courbe. 100 90 80 70 60 Différences de toxicité 50 La différence majeure entre les ITK de première et de deuxième génération repose sur la toxicité de ces derniers. Les effets indésirables rapportés dans les essais de phase III sont résumés dans la figure. Le rash est l’effet indésirable le plus commun, puisque retrouvé dans 71 à 89 % des cas en fonction des ITK (tous grades confondus). Par contre, les effets indésirables cutanés de grade 3 sont moins fréquents avec le géfitinib (2-5,3 %) et l’erlotinib (2-13 %) qu’avec l’afatinib (14,6-16,2 %). La diarrhée est commune avec le géfitinib et l’erlotinib (34,2-48 et 25-57 % respectivement), alors qu’elle est quasiment constante 30 40 20 10 0 Rash tous grades Diarrhée tous grades Géfitinib IPASS Géfitinib First-Signal Géfitinib WJTOG Géfitinib NEJ002 Paronychies Mucite tous grades Erlotinib OPTIMAL Erlotinib EURTAC Transaminases Afatinib LUX-Lung 3 Afatinib LUX-Lung 6 Figure. Principales toxicités retrouvées dans les essais de phase III évaluant un inhibiteur de tyrosine kinase en première ligne (23). La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 229 MISE AU POINT Les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR dans le CBNPC : sont-ils tous identiques ? C. Audigier-Valette déclare avoir des liens d’intérêts depuis ces 5 dernières années avec Amgen, Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, Hospira, Novartis, Pfizer, Roche et Teva. avec l’afatinib (88,3-95,2 %), tous grades confondus. Cependant, bien qu’inévitable, cette toxicité semble gérable si elle est bien appréhendée, car dans l’essai LUX-Lung 3 seulement 8 % des patients ont arrêté le traitement par afatinib pour toxicité, et l’éducation thérapeutique est primordiale dans ce contexte. Les élévations des transaminases sont plus ou moins fréquentes en fonction des études. Les autres toxicités sont essentiellement cutanées (mucite, paronychies), alors que les effets indésirables biologiques, habituellement retrouvés avec les chimiothérapies (neutropénie, anémie, thrombopénie), et digestifs (nausées, vomissements) sont peu fréquents (23). Conclusion et perspectives Les avancées scientifiques récentes ont permis de mieux comprendre les voies de signalisation liées à l’EGFR, et les résultats des essais cliniques évaluant Nos éditions les ITK ont modifié radicalement les algorithmes de traitement des tumeurs présentant un driver oncogénique. Cependant, les données actuelles ne permettent pas de départager formellement les ITK en l’absence d’essais de comparaison directe. D’autres questions restent en suspens, notamment sur l’efficacité au niveau des atteintes cérébroméningées et sur l’activité sur les mutations de résistance telles que la T790M. Les ITK de troisième génération trancheront peut-être le débat avec de surcroît une toxicité plus réduite et plus sélective (CO1686 et AP26113). Enfin, la combinaison des thérapies ciblées reste une voie à explorer avec notamment l’association cétuximab/afatinib. Les résultats de l’étude associant erlotinib et bévacizumab chez le patient EGFR muté sont particulièrement attendus pour l’ASCO® 2014, ainsi que les associations prometteuses entre thérapies ciblées et immunothérapie. En cas de positivité, de nouvelles stratégies pourraient s’offrir aux cliniciens… ■ vous proposent : Acheter et régler en ligne NOS OUVRAGES Bulletin à découper et à renvoyer complété et accompagné du règlement à : EDIMARK SAS – Éditions – 2, rue Sainte-Marie – 92418 Courbevoie Cedex BON DE CO MMANDE Je souhaite recevoir Nombre d’exemplaires Total en euros M O D E D E PA I E M E N T Carte bancaire VISA, EUROCARD/MASTERCARD L'annonce de la maladie : une parole qui engage (29 €) N° I I I I I I I I I I I I I I I I I Relation médecin-malade : enjeux, pièges et opportunités (29 €) Date d’expiration I I I I I N° C V V I I I I (Trois derniers chiffres au dos de votre carte bancaire) Frais de port 3,80 € Date : Signature : soit un total de so € Chèque à l’ordre de "EDIMARK" Virement bancaire à réception de facture (réservé aux collectivités) Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules Dr, M., Mme, Mlle ............................................................................................................................................ Prénom .............................................................................................................................................. Adresse ...................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... Code postal .......................................................... Ville .............................................................................................................................. Pays .......................................................................................................... Tél. ............................................................................. Fax ............................................................................ E-mail ........................................................................................................................................................... Un justif icatif validantdu votre DPC sera joint à Vol. Cancérologue XXIII - n° 6 - juin 2014 • la facture 230 | La Lettre EDIMARK SAS - Éditions - 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex Tél. : 01 46 67 62 87 - Fax : 01 46 67 63 09 - E-mail : [email protected] DIFF/ABO/EDI (obligatoire) MISE AU POINT Les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR dans le CBNPC : sont-ils tous identiques ? Non-small-cell lung cancer with EGFR mutation: are all tyrosine kinase inhibitors equivalent? C. Audigier-Valette Références bibliographiques (suite de la p. 230) 1. Cadranel J, Ruppert AM, Beau-Faller M et al. Therapeutic strategy for advanced EGFR mutant non-small-cell lung carcinoma. Crit Rev Oncol Hematol 2013;88(3):477-93. 2. Bronte G, Rolfo C, Giovannetti E et al. 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