Stratégies de réduction du risque de complications périopératoires ischémiques en chirurgie non cardiaque

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DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie
Stratégies de réduction
du risque de complications
périopératoires ischémiques
en chirurgie non cardiaque
Strategies of reducing perioperative complications
after noncardiac surgery
G. Helft*
L
es complications cardiovasculaires représentent une cause majeure de morbimortalité
lors d’une chirurgie non cardiaque. Elles sont
essentiellement représentées par l’infarctus du
myocarde postopératoire. L’ischémie myocardique
post­opératoire est très précoce, généralement silencieuse et potentiellement dangereuse, car létale.
Cela justifie la connaissance et l’application des stratégies optimales de prévention des complications de
la maladie coronaire en postopératoire. L’optimisation du traitement médicamenteux périopératoire
et la revascularisation coronaire préventive dans
des cas limités sont les pierres angulaires de cette
stratégie, au côté de l’optimisation de l’anesthésie
proprement dite.
Importance du problème
* Institut de cardiologie, hôpital de la
Pitié-Salpétrière, Paris.
Il est extrêmement difficile d’avoir une estimation
quantifiée très précise de l’importance numérique de ces situations, en l’absence de registres
nationaux exhaustifs. Néanmoins, une évaluation
approximative est possible. Quelque 7 millions
d’interventions chirurgicales dites “majeures” sont
pratiquées chaque année en Europe chez des patients
potentiellement à risque cardiaque. Si l’on sait que
la chirurgie cardiaque non urgente génère une incidence de décès cardiaque évaluée entre 0,5 et 1,5 %
et de complications cardiaques graves entre 2,0 %
et 3,5 %, on calcule aisément que les complications
cardiaques graves liées à la chirurgie non cardiaque
10 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
urgente concernent annuellement quelque 150 à
250 000 patients ! D’autre part, le vieillissement
de la population et l’augmentation des interventions chirurgicales chez les patients âgés laissent
à penser que la prévention des complications péri­
opératoires en chirurgie non cardiaque restera un
sujet d’actualité.
Les données tirées d’études cliniques randomisées
ne sont pas très nombreuses sur ce sujet. Il faut
cependant bien garder présent à l’esprit qu’une
approche multidisciplinaire incluant anesthésistes,
cardiologues, internistes et gériatres le cas échant
est souhaitable dans certains cas. Habituellement,
ce sont les anesthésistes qui coordonnent cette
approche. Quelques registres semblent indiquer une
adhérence faible aux recommandations des sociétés
savantes dans la prise en charge des patients coronariens en chirurgie non cardiaque, notamment en
ce qui concerne le traitement médical (1).
Évaluation préopératoire
Risque chirurgical
Les complications cardiaques après chirurgie non
cardiaque dépendent non seulement de facteurs de
risque spécifiques au patient mais aussi du type de
chirurgie et de ses circonstances. Les facteurs chirurgicaux qui modifient ce risque sont le degré d’urgence, le type de l’acte, sa durée et les modifications
corporelles qu’elle induit (pertes sanguines, etc.).
Points forts
»» Les complications cardiovasculaires représentent une cause majeure de morbimortalité lors d’une chirurgie
non cardiaque. Elles sont essentiellement représentées par l’infarctus du myocarde post­opératoire. La détermination de la capacité fonctionnelle est un élément essentiel dans l’évaluation du risque pré­opératoire
d’un patient. Le score de Lee est actuellement considéré comme le meilleur en termes de prédiction du
risque cardiaque en chirurgie non cardiaque. La réalisation d’un test d’ischémie en préopératoire est limitée
aux patients qui présentent, d’une part, une capacité fonctionnelle diminuée, d’autre part, 2 ou 3 facteurs
de risque (selon le score de Lee), selon qu’il s’agit d’une chirurgie vasculaire ou non.
»» Les indications de la revascularisation coronaire préopératoire se limitent aux patients à haut risque
clinique, devant bénéficier d’une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé, qui ont une ischémie étendue.
»» Les traitements médicamenteux reposent principalement sur les bêtabloquants et les statines.
Tableau I. Niveaux de risque de la chirurgie.
Risque intermédiaire
Risque élevé
Dentaire
Abdominale
Aortique et vasculaire majeure
Mammaire
Carotide
Vasculaire périphérique
Endocrinienne
ORL
Oculaire
Neurologique
Gynécologique
Orthopédique majeure
Reconstructive
Pulmonaire, hépatique
Orthopédique mineure
Urologique majeure
Urologique mineure
Tableau II. Score de chirurgie cardiaque de Lee.
Calcul du score
de Lee clinique
(points)
Facteur de risque
1
Chirurgie à haut risque
définie par une chirurgie vasculaire
supra-inguinale, intrathoracique ou intrapéritonéale
1
Coronaropathie
définie par un antécédent d’infarctus du myocarde, un angor clinique,
une utilisation de nitrés, une onde Q sur l’ECG ou un test non invasif
de la circulation coronaire positif
1
1
Insuffisance cardiaque
définie par un antécédent d’insuffisance cardiaque congestive, d’œdème
pulmonaire, une dyspnée nocturne paroxystique, des crépitants bilatéraux
ou un galop B3, ou une redistribution vasculaire radiologique
1
1
Antécédent d’accident vasculaire cérébral ischémique
ou d’accident cérébral ischémique transitoire
1
1
Diabète avec insulinothérapie
1
1
Insuffisance rénale chronique
définie par une créatinine > 2,0 mg/dl (177 µmol/l)
1
La chirurgie altère la balance entre facteurs pro- et
anticoagulants et induit un stress, lesquels peuvent
engendrer une ischémie myocardique et une insuffisance cardiaque.
Les interventions chirurgicales peuvent être classées
en chirurgie à bas risque, à risque intermédiaire,
et à haut risque, lesquelles ont respectivement
une incidence combinée d’événements cardiaques
graves (infarctus et décès) de 1 %, 1 à 5 % et 5 % (2).
Le groupe à haut risque comprend les interventions
vasculaires majeures. Le tableau I détaille la classification des interventions.
Chirurgie non
cardiaque
Évaluation du risque
Infarctus du myocarde
Complication
postopératoire
Highlights
Bas risque
Calcul du score
de Lee classique
(points)
Mots-clés
»» Cardiovascular complications
are the main cause of morbidity
and mortality in a non-cardiac
surgery. Postoperative myocardial infarction is the most
frequent event. The determination of the functional capacity
is essential in the preoperative
risk evaluation of a patient.
The Lee score is considered
as the best one for predicting
the cardiac risk in non-cardiac
surgery. A preoperative ischemia test is only performed
in patients with a low functional capacity and 2 or 3 risk
factors (according to Lee score)
depending on whether it is a
vascular surgery or not.
»» The indications of a coronary
revascularisation are limited to
high-risk patients who undergo
an intermediate or high-risk
surgery and who have a large
area of ischemia.
»» Perioperative treatment
essentially consist on betablockers and statins.
Keywords
Noncardiac surgery
Risk assessment
Myocardial infarction
Postoperative complication
Capacité fonctionnelle
La détermination de la capacité fonctionnelle est
un élément essentiel dans l’évaluation du risque
pré­opératoire d’un patient. La capacité fonctionnelle
peut être mesurée en MET (Metabolic Equivalents
of Task). Un MET correspond au métabolisme basal.
Sans faire pratiquer d’exercices, on peut estimer
approximativement la capacité fonctionnelle en
s’informant sur la possibilité par le patient d’effectuer certaines activités. Ainsi, la montée de 2 étages
correspond environ à 4 MET. L’incapacité à accomLa Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013 | 11 DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie
Stratégies de réduction du risque de complications périopératoires
ischémiques en chirurgie non cardiaque
plir un tel effort indique une faible capacité et est
associée à une augmentation de l’incidence des
événements cardiaques postopératoires. Lorsque la
capacité fonctionnelle est élevée, même en présence
de facteurs de risque cardiovasculaires et/ou de
maladie coronaire, le pronostic postopératoire est
très bon (3). A contrario, lorsque la capacité fonctionnelle est faible ou inconnue, la présence et le
nombre de facteurs de risque en relation avec la
chirurgie détermineront la stratification du risque
et la gestion périopératoire.
Examens non invasifs
Score de risque
◆◆ Évaluation de la fonction ventriculaire gauche
Une échographie cardiaque de routine n’est pas
recommandée pour l’évaluation préopératoire de
la fonction ventriculaire gauche.
Le score de Lee, modification du score de Goldman,
est actuellement considéré comme le meilleur
score dans la prédiction du risque cardiaque en
chirurgie non cardiaque (tableau II, p. 11) [4].
Il comprend 5 facteurs de risque cliniques : un
antécédent de maladie coronaire, un antécédent
d’AVC ou d’accident ischémique transitoire (AIT),
une insuffisance cardiaque, un diabète insulinodépendant et une fonction rénale altérée (définie par
une créatinine > 2,0 mg/dl, soit 177 μmol/l). Une
chirurgie à haut risque est le 6e élément à prendre
en compte. Chaque facteur contribue également au
score (1 point par facteur). L’incidence des complications cardiaques majeures est de l’ordre de 0,4 ; 0,9 ; 7
et 11 % pour un index respectivement ­de 0, 1, 2 et 3.
Biomarqueurs
Actuellement, aucun biomarqueur sérique n’est à
proposer dans l’évaluation routinière des patients
avant chirurgie non cardiaque. Il n’en est pas de
même en période postopératoire. L’élévation de la
troponine, y compris une petite élévation, traduit
une souffrance myocardique, laquelle est corrélée à
l’aggravation du pronostic postopératoire (5).
Tableau III. Indications de l’ECG avant chirurgie.
Risque
patient
Faible
Intermédiaire
Majeur
Faible
Non
Non
À discuter
Intermédiaire
À discuter si âge
≥ 50 ans
À discuter si âge
≥ 50 ans
À réaliser
Majeur
À réaliser
À réaliser
À réaliser
Risque
chirurgical
12 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
◆◆ Électrocardiogramme
Il faut savoir qu’un ECG peut être normal ou non
spécifique chez un patient à risque élevé avant une
chirurgie non cardiaque. En l’absence de facteurs de
risque chez un patient jugé à faible risque, la réalisation
d’un ECG n’est pas recommandée avant une chirurgie
à faible risque et à risque intermédiaire. D’autre part, la
réalisation systématique d’un ECG avant une chirurgie
à faible risque et à risque intermédiaire dépend du
risque chirurgical. Le tableau III précise les différents
cas de figure (6).
◆◆ Tests non invasifs de détection d’ischémie
Le rôle de l’imagerie de perfusion myocardique pour
la stratification du risque préopératoire est bien établi.
Chez les patients à faible capacité fonctionnelle, le
stress pharmacologique (dipyridamole, adénosine ou
dobutamine) est utilisé. Il a été démontré l’intérêt
pronostique de l’étendue de l’ischémie myocardique
par la scintigraphie sur les événements cardiaques
graves postopératoires (7). Plus l’ischémie est étendue,
plus le risque de complications cardiaques postopératoires est important. Les patients avec une scintigraphie myocardique normale ont un excellent pronostic.
La valeur prédictive positive d’une ischémie scintigraphique a quelque peu diminué ces dernières années
grâce à l’amélioration de la gestion médicamenteuse
péri­opératoire et aux avancées chirurgicales.
Une alternative à la scintigraphie myocardique de
perfusion est en pratique courante l’échographie
cardiaque de stress. Il faut cependant remarquer que
les données de l’échographie de stress dans le cadre de
la stratification du risque postopératoire sont rares.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’échographie de
stress a, comme la scintigraphie, une valeur prédictive
négative élevée dans la survenue de complications
(entre 90 et 100 %). Cependant, sa valeur prédictive
positive est plus faible (entre 25 et 45 %).
Que faire en pratique ?
Algorithme décisionnel
Il faut distinguer chirurgie urgente et non urgente
(figure). En cas de chirurgie urgente, on ne pourra
qu’à peine optimiser le traitement ; la surveillance
postopératoire est importante.
DOSSIER THÉMATIQUE
Si la chirurgie n’est pas urgente, il faut détecter par
l’interrogatoire une pathologie cardiaque instable.
Si la chirurgie est à bas risque, elle peut être effectuée
sans investigation complémentaire.
Si la chirurgie est à risque intermédiaire ou élevé, il
faut estimer la capacité fonctionnelle du patient et
évaluer le score de Lee.
Lorsque le patient présente une bonne capacité fonctionnelle à l’effort (supérieure à 4 MET), la chirurgie
justifie un ECG et l’optimisation du traitement
médical (bêtabloquant, statine). La réalisation de
tests fonctionnels de stress n’est pas indiquée.
Une évaluation ne devrait avoir lieu que si elle
modifie la gestion périopératoire. Les patients avec
une ischémie importante induite par le stress sont
des patients pour lesquels le traitement médical
risque d’être insuffisant pour éviter les complications
postopératoires.
Les recommandations actuelles sont de détecter
l’ischémie myocardique avant une chirurgie à haut
risque s’il existe au moins 3 facteurs de risque (score
de Lee, grade 1C). S’il y a 2 facteurs de risque ou
moins, la détection de l’ischémie myocardique peut
être envisagée (grade IIB).
En cas de chirurgie jugée à risque intermédiaire, la
détection de l’ischémie myocardique peut être envisagée (grade IIC). En cas de chirurgie à bas risque, la
détection de l’ischémie n’est pas recommandée (IIIC).
La réalisation d’un test d’ischémie en préopératoire
est donc limitée aux patients qui présentent d’une
part une capacité fonctionnelle diminuée, d’autre
part 2 ou 3 facteurs de risque (selon le score de
Lee), selon qu’il s’agit d’une chirurgie vasculaire ou
non. Selon les disponibilités locales, on fera soit une
scintigraphie de perfusion, soit une échographie
sous dobutamine. Selon l’importance de l’ischémie
mise en évidence (classiquement plus de 20 % du
myocarde à la scintigraphie myocardique, ou plus de
4 segments pathologiques sur 17 à l’échographie de
stress), une revascularisation myocardique préalable
à l’intervention peut être justifiée. Le niveau de cette
recommandation reste modéré en raison des résultats
des études CARP et DECREASE V (cf. infra).
Stratégies pharmacologiques
Bêtabloquants
Pendant la période périopératoire, il y a des décharges
catécholergiques augmentant la consommation en
oxygène. Les bêtabloquants diminuent cette consommation en réduisant la fréquence cardiaque et l’ino-
Chirurgie urgente
Chirurgie non urgente
Chirurgie à risque
intermédiaire
ou élevé
Patient stable
Score de Lee
clinique 0-1
(vasculaire) ou 0-2
(non vasculaire)
Chirurgie
à bas risque
Patient instable
Patient stable
– Retarder la chirurgie
– Discussion collégiale
– Traitements spécifiques
Score de Lee ≥ 2
(vasculaire) ou ≥ 3
(non vasculaire)
Capacité fonctionnelle (MET)
Bonne
Mauvaise
–
Tests d’ischémie
+
– Discuter l’opportunité d’une
éventuelle revascularisation
– Traitement médical optimisé
– Surveillance per- et
postopératoire rapprochée
Chirurgie sans examen spécialisé
Optimisation du traitement médical préopératoire
Figure. Algorithme décisionnel.
tropisme. Les médicaments les plus étudiés dans ce
contexte sont l’aténolol, le métoprolol et le bisoprolol.
Les recommandations actuelles sont de prescrire un
bêtabloquant chez les patients coronariens connus
ou avec une ischémie myocardique mise en évidence
en préopératoire (classe IB). Les bêta­bloquants sont
recommandés en cas de chirurgie à haut risque
(classe IB). La poursuite des bêtabloquants est indiquée si les patients en prenaient (classe IC).
La plupart des études montrent que les patients
à risque élevé peuvent bénéficier d’un traitement
bêtabloquant périopératoire lorsqu’ils sont opérés
de chirurgie à haut risque, principalement vasculaire.
L’indication est plus discutable chez les patients
à risque élevé ou intermédiaire dans la chirurgie à
risque intermédiaire. L’étude POISE, qui portait sur
l’administration de bêtabloquants avant une chirurgie
vasculaire ou en présence d’au moins 3 facteurs de
risque cardiovasculaire, a jeté un doute sur l’intérêt
des bêtabloquants, car elle a mis en évidence une
La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013 | 13 DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie
Stratégies de réduction du risque de complications périopératoires
ischémiques en chirurgie non cardiaque
augmentation significative de la mortalité globale
et de l’incidence des AVC postopératoires (7). En
fait, ces AVC étaient probablement liés à une hypotension mal contrôlée, les bêtabloquants n’étant
pas “titrés” dans cette étude. Les bêtabloquants ne
sont pas recommandés chez les patients à bas risque
chirurgical sans facteurs de risque.
La bradycardie et l’hypotension sont délétères en
postopératoire. C’est la raison pour laquelle la posologie des bêtabloquants justifie idéalement l’instauration d’un traitement au moins une semaine avant
la chirurgie. Il est proposé de commencer le traitement par une dose quotidienne faible de 2,5 mg de
bisoprolol ou de 50 mg de métoprolol. La fréquence
cardiaque de repos visée se situe entre 60 et 70 par
minute avec une pression artérielle > 100 mmHg.
La prescription de bêtabloquants à fortes doses sans
titration n’est pas recommandée (8).
Une tachycardie postopératoire doit être traitée
selon son étiologie – hypovolémie, douleur, hémorragie, infection – plutôt que par augmentation de
la posologie des bêtabloquants !
Il faut savoir qu’en 2011, l’un des leaders de la
recherche clinique sur les stratégies préopératoires
a été accusé de tricherie dans la conduite de ses
études. Un émoi justifié a saisi la communauté
scientifique, car les résultats des travaux de Poldermans ont été utilisés pour les recommandations des
sociétés savantes. Il faut cependant certainement
administrer les bêtabloquants dans les indications
indiscutables et surveiller attentivement les paramètres hémodynamiques en pré- et périopératoire.
Statines
De grands essais cliniques ont démontré un
effet bénéfique de l’utilisation périopératoire de
statines (9). Une méta-analyse portant sur plus de
200 000 patients a montré que les statines diminuaient significativement la mortalité de 44 % en
chirurgie non cardiaque et de 59 % en chirurgie
vasculaire (10).
Par conséquent, les statines sont recommandées
chez les patients à haut risque chirurgical ; l’instauration du traitement doit avoir lieu au moins une
semaine avant la chirurgie.
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Il est vraisemblable que l’utilisation périopératoire
d’un IEC a des effets bénéfiques en postopératoire.
14 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
Il faut tenir compte cependant du risque d’hypotension sévère (en association aux bêtabloquants),
notamment lors de l’induction anesthésique. Bien
que cela reste controversé, l’arrêt des IEC 24 heures
avant la chirurgie peut être envisagé, s’ils sont prescrits pour leur propriété antihypertensive. Chez
les patients stables avec dysfonction ventriculaire
gauche, il est logique de les poursuivre sous stricte
surveillance.
Aspirine
La prescription des antiagrégants plaquettaires en
périopératoire concerne les patients en prévention
secondaire. La question est principalement celle de
leur maintien, qui dépasse le cadre de notre propos.
Le maintien des antiagrégants est particulièrement
important dans les suites d’une implantation de
stent.
Revascularisation
L’objectif principal d’une revascularisation myocardique prophylactique est la prévention d’un infarctus
du myocarde périopératoire grave. Elle peut être
efficace en permettant de revasculariser des patients
porteurs de sténoses coronaires serrées mais ne peut
prévenir toute rupture de plaques d’athérome occasionnée par le stress chirurgical. Or, cette rupture de
plaques survient souvent sur des lésions non serrées.
La rupture d’une plaque instable est le mécanisme en
cause en postopératoire, tout comme en l’absence
d’intervention chirurgicale, mais ce mécanisme
n’est pas seul en cause. La survenue d’épisodes
itératifs d’ischémie myocardique peut être due à
l’augmentation de la thrombogénicité, à l’augmentation de la concentration en facteur tissulaire et
aux facteurs déséquilibrant apports et besoins en
oxygène (anémie, hypoxie, tachycardie, etc.).
L’étude randomisée CARP n’a pas permis de démontrer l’utilité d’une revascularisation myocardique
avant chirurgie non cardiaque (11).
Les indications de la revascularisation coronaire
préopératoire se limitent aux syndromes coronaires
aigus préopératoires si l’indication de revascularisation est forte, et aux patients à haut risque clinique,
devant bénéficier d’une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé, qui ont une ischémie étendue
(grade 1C) [6].
Avant revascularisation, il faut évaluer le risque
opératoire, compte tenu de la coronaropathie, ainsi
DOSSIER THÉMATIQUE
que les conséquences de différer la chirurgie, et,
enfin, le degré d’urgence et le risque hémorragique
du geste chirurgical.
Les décisions doivent être prises de façon collégiale,
impliquant anesthésistes, chirurgiens et cardiologues. Le rapport bénéfices/risques en fonction de la
revascularisation ou non doit être soigneusement
pesé. L’existence de lésions coronaires n’est pas suffisante pour justifier une revascularisation.
Dans certaines situations particulières, la revascularisation est envisagée : en cas de sténose significative
du tronc commun de la coronaire gauche, en cas d’atteinte tritronculaire si le patient est symptomatique
ou avec ischémie myocardique significative. En cas
de sténose serrée d’une artère coronaire découverte
dans le cadre d’une ischémie myocardique étendue
avant une chirurgie à haut risque, la question se
pose également.
Le pontage aorto-coronaire est la technique de
revascularisation de référence avant une chirurgie
cardiaque. L’alternative est l’angioplastie coronaire, dont les résultats ont été peu évalués dans
ce contexte préopératoire, en dehors des situations
cliniques instables. L’une des limites de l’angioplastie
dans ce contexte préopératoire est la gestion des
antiagrégants plaquettaires.
Si une angioplastie est effectuée en préopératoire,
il est recommandé de mettre en place un stent nu,
ce qui justifie la double antiagrégation par aspirine
et clopidogrel pendant 4 semaines, et permet de
pratiquer la chirurgie au-delà de 6 semaines. Il n’est
pas recommandé de mettre en place un stent actif
qui nécessite une double antiagrégation prolongée
de 6 à 12 mois au minimum.
Toute chirurgie programmée doit être différée d’au
moins 6 semaines (et si possible de 3 mois) après
l’implantation d’un stent nu et être effectuée sous
antiagrégant plaquettaire si possible (classe IB). En
cas de stent actif, il semble prudent de différer une
chirurgie non urgente d’au moins 12 mois après le
stenting.
Conclusion
Dans le cadre d’une chirurgie non cardiaque, les
recommandations de la Société européenne de
cardiologie insistent sur la stratégie de prévention
médicamenteuse pour diminuer le risque d’infarctus
du myocarde périopératoire chez les patients à
risque cardiovasculaire. Le niveau de risque de la
chirurgie et les facteurs de risques chirurgicaux
propres au patient déterminent la stratégie. Les
traitements médicamenteux reposent principalement sur les bêtabloquants et les statines. Les
bêtabloquants doivent être administrés idéalement
quelques semaines avant l’intervention, à posologie
adéquate, pour éviter les hypotensions et les bradycardies excessives. La place de la revascularisation
myocardique préventive est limitée. ■
Références bibliographiques
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La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013 | 15 
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