20 | La Lettre du Sénologue 54 - octobre-novembre-décembre 2011
DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique
quotidienne : acquis et perspectives
* Département de chirurgie, institut
Gustave-Roussy, Villejuif.
La reconstruction mammaire
immédiate en l’absence
de radiothérapie
Breast immediate reconstruction without radiotherapy
Jean-Rémi Garbay*, Françoise Rimareix*
L
a reconstruction mammaire permet d’atté-
nuer les séquelles psychologiques et affectives
de la mastectomie. Cependant, seules 30 %
des femmes ont une reconstruction aujourd’hui en
France. Et la majorité de manière différée.
La réalisation en pratique d’une reconstruction
mammaire immédiate (RMI) est globalement plus
complexe qu’une reconstruction différée et se heurte
à plusieurs difficultés spécifiques. Cependant, l’ex-
périence acquise ces 20 dernières années a permis
d’aboutir à plusieurs certitudes d’où découlent des
indications évidentes : la possibilité d’une RMI devrait
être systématiquement proposée. Lexpérience sur
le terrain montre qu’il y a encore aujourd’hui une
bonne marge de progression dans ce domaine, et pas
seulement dans nos campagnes reculées…
Les acquis
Meilleurs résultats esthétiques
en moyenne avec une RMI par rapport
à une reconstruction différée
Sauf quelques rares situations, lorsqu’il n’y a pas de
RMI, la peau du sein ne peut pas être conservée. Le
chirurgien ne conservera que ce qu’il faut de longueur
cutanée pour fermer le sein avec une traction
modérée, de manière à éviter la formation de plis
disgracieux, gênants pour l’utilisation d’une prothèse
externe, voire pour le port des vêtements. Lors d’une
reconstruction secondaire, cette peau va manquer et
devra être apportée à l’aide d’un lambeau abdominal
d’avancement lorsqu’une prothèse est utilisée ou à
l’aide d’un lambeau musculocutané.
En cas de RMI, sauf contre-indication (tableau I),
pratiquement toute la peau du sein peut être
conservée et seule la plaque aréolomamelonnaire
(PAM) avec les cicatrices précédentes est retirée.
En ce cas, la mastectomie économe de peau (MEP)
est aussi radicale qu’une mastectomie classique,
mais elle est plus difficile à réaliser et s’accom-
pagne d’un risque de nécrose cutanée un peu plus
important. Le bénéfice esthétique est évident, car
la forme du sein tient pour beaucoup à son enve-
loppe cutanée : il suffira de remplir correctement le
volume pour obtenir de bons résultats, symétriques
d’emblée.
Il y aura donc moins de gestes de symétrisation contro-
latérale. C’est un point non négligeable, car, en cas
de carcinome mammaire controlatéral ultérieur, la
réalisation de cette symétrisation contre-indique en
principe la technique du ganglion sentinelle. La patiente
risque de devoir subir un curage axillaire uniquement
en raison de cette plastie de symétrisation.
Il y a aussi moins de cicatrices. Au mieux, en cas
d’utilisation d’un lambeau, il est possible de garder
uniquement un disque de peau venant remplacer
l’aréole retirée et d’enfouir le reste de la palette
cutanée. Il existe alors seulement une cicatrice péri-
aréolaire. Après reconstruction aréolomamelonnaire,
Tableau I. Les contre-indications de la mastectomie économe de peau.
Tumeur de plus de 5 cm
Lésions à moins de 10 mm de la peau, cliniquement ou radiologiquement
Emboles vasculaires ou lymphatiques
La chimiothérapie néo-adjuvante est une contre-indication relative
Terrain médical défavorable
La radiothérapie antérieure est une contre-indication relative
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Points forts Mots-clés
Reconstruction
mammaire immédiate
Mastectomie
économe de peau
»
La réalisation d’une reconstruction mammaire immédiate (RMI) est globalement plus complexe qu’une
reconstruction différée (RMD), mais elle permet en moyenne de meilleurs résultats esthétiques que la RMD
lorsque la mastectomie est économe de peau. La sécurité carcinologique de la conservation cutanée avec
ablation de l’aréole est acquise dans des indications sélectionnées. Le degré de satisfaction des patientes
est meilleur qu’avec une RMD. Le choix de la meilleure technique est complexe, non systématisable. Lorsque
plusieurs options sont possibles, les préférences du chirurgien et l’opinion d’une patiente de mieux en mieux
informée jouent un rôle croissant dans ce choix.
la cicatrice devient quasiment invisible, ce qu’au-
cune autre technique ne permet d’obtenir. Il restera
tout de même la cicatrice de la zone donneuse du
lambeau.
Degré de satisfaction meilleur
Ce bénéfice n’était pas si évident que cela au début des
RMI, jusque dans les années 1990. En effet, les études
psychologiques nous avaient appris que le travail de
deuil était souvent plus long et plus complexe en cas
de RMI, que le déni était favorisé et que nombre de
patientes réalisaient mal par quelle étape intermé-
diaire elles étaient passées au bloc opératoire.
De plus, après la RMI, la patiente risque plus ou
moins inconsciemment de comparer son sein recons-
truit avec celui qu’elle vient de perdre et ce sera
toujours “moins bien”. En reconstruction secondaire,
elle va comparer avec sa paroi plate après mastec-
tomie et ce sera toujours mieux ! Il est important
de passer le temps nécessaire pour expliquer cela à
la patiente avant l’intervention.
Mais finalement, nombre d’études récentes ont bien
démontré que, malgré cet obstacle, le degré de satis-
faction est clairement en faveur de la RMI, car il
intègre aussi toute la période sans reconstruction et
jusqu'à la reconstruction mammaire différée (RMD).
Sécurité carcinologique
La sécurité carcinologique de ces MEP est détaillée
dans l’article de S. Giard (page 6). Elle est claire-
ment prouvée mais dans des indications bien précises
(tableau I). La MEP n’est donc pas toujours indiquée.
Si elle n’est pas réalisable, le bénéfice purement
esthétique de la RMI disparaît. Mais les autres béné-
fices demeurent.
La conservation aréolomamelonnaire est un sujet de
plus en plus discuté. Le bénéfice sur le plan esthétique
est évident. Il faut cependant souligner qu’en raison
d’une dissection directement au contact de la PAM,
la sensibilité et le thélotisme vont souvent dispa-
raître, et une décoloration n’est pas exceptionnelle.
Certaines équipes, comme celle de J.Y. Petit à Milan,
irradient en per-opératoire la PAM conservée avec
d’excellents résultats. Mais peu d’équipes ont accès à
la radiothérapie peropératoire. Les résultats d’études
cliniques en cours sont nécessaires avant de pouvoir
proposer cette conservation de la PAM hors essai en
cas de cancer. Dans la mastectomie prophylactique,
c’est une option souvent réalisée. Il faut cependant
noter que nombre de femmes préfèrent l’ablation
de la PAM dans cette indication, pour des raisons
de sécurité.
Difficultés et incertitudes
Les indications reconnues de RMI sont détaillées dans
le tableau II. La réalisation en pratique d’une RMI
se heurte à plusieurs difficultés et interrogations
cancérologie, technique chirurgicale et psychisme
sont étroitement mêlés.
La décision doit être intégrée dans la stratégie
pluridisciplinaire. Donc un chirurgien plasticien doit
être consulté dès le début de la prise en charge, ce
qui n’est pas toujours le cas. Et la RMI ne doit pas
être utilisée comme un argument pour faire accepter
la mastectomie…
La technique est plus difficile. La longueur des
lambeaux cutanés induit un risque de nécrose
cutanée plus important. On peut augmenter la sécu-
rité vasculaire en disséquant des lambeaux cutanés
légèrement plus épais de quelques millimètres, mais
on risque alors de laisser de la glande bien vascula-
risée sous la peau et le geste n’est plus carcinologi-
quement correct. La différence entre un lambeau fin
Highlights
– Immediate breast recon-
struction (IBR) is usually more
complex than delayed recon-
struction (DBR), but on average
it makes it possible to achieve
better aesthetic results than
DBR, when the mastectomy
preserved the breast skin
envelope. Carcinologic safety
of skin preservation with
areola ablation is reliable in
selected indications. Patient
satisfaction is better than with
DBR. The choice of the best
technique is complex and not
universally applicable. When
several options are possible,
the surgeon’s preference and
the choice of better and better
informed patients plays an
increasing role in the decision.
Keywords
Breast immediate
reconstruction
Skin-sparring mastectomy
Tableau II. Indications évidentes de reconstruction mammaire immédiate
CCIS stricts ou micro-invasifs étendus, à distance de la peau
Carcinome infiltrant nécessitant une mastectomie sans radiothérapie :
– âge supérieur à 40 ans ;
– absence d’envahissement ganglionnaire ;
– taille tumorale inférieure à 5 cm ;
– absence d’atteinte cutanée, PAM ou pariétale ;
– absence d’emboles tumoraux vasculaires ;
– mastectomie en marges saines ;
– absence de chimiothérapie néo-adjuvante.
Récidive après traitement conservateur
Tumeur phyllode de haut grade
Mastectomie prophylactique
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DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique
quotidienne : acquis et perspectives
ou épais n’est pas évidente. La qualité de la dissection
va aussi dépendre de la consistance plus ou moins
glandulaire du sein à retirer. Une MEP dans un sein
très glandulaire chez une femme jeune devient un
geste délicat, qui demande un apprentissage.
La certitude d’absence de radiothérapie est
parfois difficile ou impossible à obtenir en préopé-
ratoire. Lensemble des décisions thérapeutiques peut
d’ailleurs être modifié en postopératoire.
L’impact clinique du geste, en termes de morbi-
dité et de risque de retarder les traitements adju-
vants, a été souvent invoqué. Dans la pratique, c’est
très rarement le cas, car les complications possibles
sont toutes de survenue précoce et auront été solu-
tionnées d’une manière ou d’une autre à l’intérieur
des 3 à 4 semaines postopératoires. Il est donc
exceptionnel qu’elles retardent la mise en route
des traitements adjuvants.
“Immédiate” rime rarement avec “unique”. Un
second temps opératoire sera souvent nécessaire, ce
qui doit être bien expliqué dès le début à la patiente.
Et la reconstruction de l’aréole sera en règle générale
un troisième temps, sous anesthésie locale.
La patiente doit absorber beaucoup d’informa-
tions à forte charge émotionnelle en un minimum
de temps. Il faut exposer à la fois les risques immé-
diats de la chirurgie (hématome, infection, nécrose
cutanée…) et les risques séquellaires (coque,
douleurs chroniques, adhérences, limitation fonc-
tionnelle de l’épaule, lymphœdème) en même temps
que les informations carcinologiques. Deux consul-
tations au moins sont indispensables, en sollicitant
la présence de l’entourage et en utilisant le plus
possible différents supports.
Le choix de la technique est vaste, recouvrant
toutes les possibilités de la chirurgie reconstructrice
mammaire. L’article de N. Leymarie sur les lambeaux
libres (page 27) nous le rappelle. Il existe des modi-
fications techniques spécifiques pour la même inter-
vention, selon sa réalisation immédiate ou différée.
L’indication doit donc être posée par un chirurgien
expérimenté connaissant ou pratiquant lui-même
l’ensemble de ces techniques. Le terrain général
doit bien être considéré : âge, pratique du sport et
mode de vie, diabète, tabagisme, autres problèmes
vasculaires, surpoids et obésité, psychisme (qui fait
la demande, qu’est-ce que j’en attends ?...).
Figure 1. RMI par prothèse avec fermeture en bourse – plastie de symétrisation par
round-block.
Figure 2. Mastectomie gauche enlevant seulement l’aréole. RMI par grand dorsal.
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DOSSIER THÉMATIQUE
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Références bibliographiques
La récidive après traitement conservateur est une
situation particulière à la fois sur les plans esthétique
et carcinologique. En raison de la radiothérapie anté-
rieure, la conservation de l’étui cutané est nettement
plus à risque de nécrose. De plus, les caractéris-
tiques de la récidive peuvent conduire à indiquer
une résection large de cette peau. La MEP n’est donc
possible que dans des cas sélectionnés. L’utilisation
d’un lambeau est fortement recommandée.
Certaines patientes vont développer un degré
d’insatisfaction fort, non corrélé avec le résultat
esthétique. Il faudrait pouvoir les dépister avant…
En pratique
Il existe de multiples structures en France où la
chirurgie carcinologique mammaire est fort bien
faite, avec intégration de l’oncoplastie mais où
l’accès à la reconstruction immédiate reste difficile,
bien souvent par manque de chirurgien compétent.
Or, la décision se prend toujours dans une certaine
urgence, surtout en cas de carcinome infiltrant bien
sûr. Il faut donc un “circuit” bien rodé pour permettre
à la patiente d’avoir rapidement l’ensemble des infor-
mations nécessaires, des choix possibles et de leurs
conséquences (tableau II). L’expérience de terrain
montre que, en dehors des grandes structures, l’accès
des patientes à ces réseaux reste très inégal encore
aujourd’hui.
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