DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique quotidienne : acquis et perspectives La reconstruction mammaire immédiate en l’absence de radiothérapie Breast immediate reconstruction without radiotherapy Jean-Rémi Garbay*, Françoise Rimareix* L a reconstruction mammaire permet d’atténuer les séquelles psychologiques et affectives de la mastectomie. Cependant, seules 30 % des femmes ont une reconstruction aujourd’hui en France. Et la majorité de manière différée. La réalisation en pratique d’une reconstruction mammaire immédiate (RMI) est globalement plus complexe qu’une reconstruction différée et se heurte à plusieurs difficultés spécifiques. Cependant, l’expérience acquise ces 20 dernières années a permis d’aboutir à plusieurs certitudes d’où découlent des indications évidentes : la possibilité d’une RMI devrait être systématiquement proposée. L’expérience sur le terrain montre qu’il y a encore aujourd’hui une bonne marge de progression dans ce domaine, et pas seulement dans nos campagnes reculées… Les acquis Meilleurs résultats esthétiques en moyenne avec une RMI par rapport à une reconstruction différée * Département de chirurgie, institut Gustave-Roussy, Villejuif. Sauf quelques rares situations, lorsqu’il n’y a pas de RMI, la peau du sein ne peut pas être conservée. Le Tableau I. Les contre-indications de la mastectomie économe de peau. Tumeur de plus de 5 cm Lésions à moins de 10 mm de la peau, cliniquement ou radiologiquement Emboles vasculaires ou lymphatiques La chimiothérapie néo-adjuvante est une contre-indication relative Terrain médical défavorable La radiothérapie antérieure est une contre-indication relative chirurgien ne conservera que ce qu’il faut de longueur cutanée pour fermer le sein avec une traction modérée, de manière à éviter la formation de plis disgracieux, gênants pour l’utilisation d’une prothèse externe, voire pour le port des vêtements. Lors d’une reconstruction secondaire, cette peau va manquer et devra être apportée à l’aide d’un lambeau abdominal d’avancement lorsqu’une prothèse est utilisée ou à l’aide d’un lambeau musculocutané. En cas de RMI, sauf contre-indication (tableau I), pratiquement toute la peau du sein peut être conservée et seule la plaque aréolomamelonnaire (PAM) avec les cicatrices précédentes est retirée. En ce cas, la mastectomie économe de peau (MEP) est aussi radicale qu’une mastectomie classique, mais elle est plus difficile à réaliser et s’accompagne d’un risque de nécrose cutanée un peu plus important. Le bénéfice esthétique est évident, car la forme du sein tient pour beaucoup à son enveloppe cutanée : il suffira de remplir correctement le volume pour obtenir de bons résultats, symétriques d’emblée. Il y aura donc moins de gestes de symétrisation controlatérale. C’est un point non négligeable, car, en cas de carcinome mammaire controlatéral ultérieur, la réalisation de cette symétrisation contre-indique en principe la technique du ganglion sentinelle. La patiente risque de devoir subir un curage axillaire uniquement en raison de cette plastie de symétrisation. Il y a aussi moins de cicatrices. Au mieux, en cas d’utilisation d’un lambeau, il est possible de garder uniquement un disque de peau venant remplacer l’aréole retirée et d’enfouir le reste de la palette cutanée. Il existe alors seulement une cicatrice périaréolaire. Après reconstruction aréolomamelonnaire, 20 | La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 Séno 54 déc2011 - ok.indd 20 12/12/11 10:14 Points forts Mots-clés »» La réalisation d’une reconstruction mammaire immédiate (RMI) est globalement plus complexe qu’une reconstruction différée (RMD), mais elle permet en moyenne de meilleurs résultats esthétiques que la RMD lorsque la mastectomie est économe de peau. La sécurité carcinologique de la conservation cutanée avec ablation de l’aréole est acquise dans des indications sélectionnées. Le degré de satisfaction des patientes est meilleur qu’avec une RMD. Le choix de la meilleure technique est complexe, non systématisable. Lorsque plusieurs options sont possibles, les préférences du chirurgien et l’opinion d’une patiente de mieux en mieux informée jouent un rôle croissant dans ce choix. Reconstruction mammaire immédiate Mastectomie économe de peau la cicatrice devient quasiment invisible, ce qu’aucune autre technique ne permet d’obtenir. Il restera tout de même la cicatrice de la zone donneuse du lambeau. Degré de satisfaction meilleur Ce bénéfice n’était pas si évident que cela au début des RMI, jusque dans les années 1990. En effet, les études psychologiques nous avaient appris que le travail de deuil était souvent plus long et plus complexe en cas de RMI, que le déni était favorisé et que nombre de patientes réalisaient mal par quelle étape intermédiaire elles étaient passées au bloc opératoire. De plus, après la RMI, la patiente risque plus ou moins inconsciemment de comparer son sein reconstruit avec celui qu’elle vient de perdre et ce sera toujours “moins bien”. En reconstruction secondaire, elle va comparer avec sa paroi plate après mastectomie et ce sera toujours mieux ! Il est important de passer le temps nécessaire pour expliquer cela à la patiente avant l’intervention. Mais finalement, nombre d’études récentes ont bien démontré que, malgré cet obstacle, le degré de satisfaction est clairement en faveur de la RMI, car il intègre aussi toute la période sans reconstruction et jusqu'à la reconstruction mammaire différée (RMD). Sécurité carcinologique La sécurité carcinologique de ces MEP est détaillée dans l’article de S. Giard (page 6). Elle est clairement prouvée mais dans des indications bien précises (tableau I). La MEP n’est donc pas toujours indiquée. Si elle n’est pas réalisable, le bénéfice purement esthétique de la RMI disparaît. Mais les autres bénéfices demeurent. La conservation aréolomamelonnaire est un sujet de plus en plus discuté. Le bénéfice sur le plan esthétique est évident. Il faut cependant souligner qu’en raison d’une dissection directement au contact de la PAM, la sensibilité et le thélotisme vont souvent disparaître, et une décoloration n’est pas exceptionnelle. Certaines équipes, comme celle de J.Y. Petit à Milan, irradient en per-opératoire la PAM conservée avec d’excellents résultats. Mais peu d’équipes ont accès à la radiothérapie peropératoire. Les résultats d’études cliniques en cours sont nécessaires avant de pouvoir proposer cette conservation de la PAM hors essai en cas de cancer. Dans la mastectomie prophylactique, c’est une option souvent réalisée. Il faut cependant noter que nombre de femmes préfèrent l’ablation de la PAM dans cette indication, pour des raisons de sécurité. Difficultés et incertitudes Les indications reconnues de RMI sont détaillées dans le tableau II. La réalisation en pratique d’une RMI se heurte à plusieurs difficultés et interrogations où cancérologie, technique chirurgicale et psychisme sont étroitement mêlés. ➤➤ La décision doit être intégrée dans la stratégie pluridisciplinaire. Donc un chirurgien plasticien doit être consulté dès le début de la prise en charge, ce qui n’est pas toujours le cas. Et la RMI ne doit pas être utilisée comme un argument pour faire accepter la mastectomie… ➤➤ La technique est plus difficile. La longueur des lambeaux cutanés induit un risque de nécrose cutanée plus important. On peut augmenter la sécurité vasculaire en disséquant des lambeaux cutanés légèrement plus épais de quelques millimètres, mais on risque alors de laisser de la glande bien vascularisée sous la peau et le geste n’est plus carcinologiquement correct. La différence entre un lambeau fin Highlights – Immediate breast reconstruction (IBR) is usually more complex than delayed reconstruction (DBR), but on average it makes it possible to achieve better aesthetic results than DBR, when the mastectomy preserved the breast skin envelope. Carcinologic safety of skin preservation with areola ablation is reliable in selected indications. Patient satisfaction is better than with DBR. The choice of the best technique is complex and not universally applicable. When several options are possible, the surgeon’s preference and the choice of better and better informed patients plays an increasing role in the decision. Keywords Breast immediate reconstruction Skin-sparring mastectomy Tableau II. Indications évidentes de reconstruction mammaire immédiate CCIS stricts ou micro-invasifs étendus, à distance de la peau Carcinome infiltrant nécessitant une mastectomie sans radiothérapie : – âge supérieur à 40 ans ; – absence d’envahissement ganglionnaire ; – taille tumorale inférieure à 5 cm ; – absence d’atteinte cutanée, PAM ou pariétale ; – absence d’emboles tumoraux vasculaires ; – mastectomie en marges saines ; – absence de chimiothérapie néo-adjuvante. Récidive après traitement conservateur Tumeur phyllode de haut grade Mastectomie prophylactique La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 | Séno 54 déc2011 - ok.indd 21 21 12/12/11 10:14 DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique quotidienne : acquis et perspectives Figure 1. RMI par prothèse avec fermeture en bourse – plastie de symétrisation par round-block. ou épais n’est pas évidente. La qualité de la dissection va aussi dépendre de la consistance plus ou moins glandulaire du sein à retirer. Une MEP dans un sein très glandulaire chez une femme jeune devient un geste délicat, qui demande un apprentissage. ➤➤ La certitude d’absence de radiothérapie est parfois difficile ou impossible à obtenir en préopératoire. L’ensemble des décisions thérapeutiques peut d’ailleurs être modifié en postopératoire. ➤➤ L’impact clinique du geste, en termes de morbidité et de risque de retarder les traitements adjuvants, a été souvent invoqué. Dans la pratique, c’est très rarement le cas, car les complications possibles sont toutes de survenue précoce et auront été solutionnées d’une manière ou d’une autre à l’intérieur des 3 à 4 semaines postopératoires. Il est donc exceptionnel qu’elles retardent la mise en route des traitements adjuvants. ➤➤ “Immédiate” rime rarement avec “unique”. Un second temps opératoire sera souvent nécessaire, ce qui doit être bien expliqué dès le début à la patiente. Et la reconstruction de l’aréole sera en règle générale un troisième temps, sous anesthésie locale. ➤➤ La patiente doit absorber beaucoup d’informations à forte charge émotionnelle en un minimum de temps. Il faut exposer à la fois les risques immédiats de la chirurgie (hématome, infection, nécrose cutanée…) et les risques séquellaires (coque, douleurs chroniques, adhérences, limitation fonctionnelle de l’épaule, lymphœdème) en même temps que les informations carcinologiques. Deux consultations au moins sont indispensables, en sollicitant la présence de l’entourage et en utilisant le plus possible différents supports. ➤➤ Le choix de la technique est vaste, recouvrant toutes les possibilités de la chirurgie reconstructrice mammaire. L’article de N. Leymarie sur les lambeaux libres (page 27) nous le rappelle. Il existe des modifications techniques spécifiques pour la même intervention, selon sa réalisation immédiate ou différée. L’indication doit donc être posée par un chirurgien expérimenté connaissant ou pratiquant lui-même l’ensemble de ces techniques. Le terrain général doit bien être considéré : âge, pratique du sport et mode de vie, diabète, tabagisme, autres problèmes vasculaires, surpoids et obésité, psychisme (qui fait la demande, qu’est-ce que j’en attends ?...). Figure 2. Mastectomie gauche enlevant seulement l’aréole. RMI par grand dorsal. 22 | La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 Séno 54 déc2011 - ok.indd 22 12/12/11 10:14 DOSSIER THÉMATIQUE ➤➤ La récidive après traitement conservateur est une situation particulière à la fois sur les plans esthétique et carcinologique. En raison de la radiothérapie antérieure, la conservation de l’étui cutané est nettement plus à risque de nécrose. De plus, les caractéristiques de la récidive peuvent conduire à indiquer une résection large de cette peau. La MEP n’est donc possible que dans des cas sélectionnés. L’utilisation d’un lambeau est fortement recommandée. ➤➤ Certaines patientes vont développer un degré d’insatisfaction fort, non corrélé avec le résultat esthétique. Il faudrait pouvoir les dépister avant… En pratique Il existe de multiples structures en France où la chirurgie carcinologique mammaire est fort bien faite, avec intégration de l’oncoplastie mais où l’accès à la reconstruction immédiate reste difficile, bien souvent par manque de chirurgien compétent. Or, la décision se prend toujours dans une certaine urgence, surtout en cas de carcinome infiltrant bien sûr. Il faut donc un “circuit” bien rodé pour permettre à la patiente d’avoir rapidement l’ensemble des informations nécessaires, des choix possibles et de leurs conséquences (tableau II). L’expérience de terrain montre que, en dehors des grandes structures, l’accès des patientes à ces réseaux reste très inégal encore aujourd’hui. ■ Références bibliographiques 1. Al-Ghazal SK, Sully L, Fallowfield L, Blamey RW. The psychological impact of immediate rather than delayed breast reconstruction. Eur J Surg Oncol 2000;26:17-9. 2. Rosenqvist S, Sandelin K, Wickman M. Patients' psychological and cosmetic experience after immediate breast reconstruction. Eur J Surg Oncol 1996;22:262-6. 3. Carlson GW. Skin sparing mastectomy: anatomic and technical considerations. Am Surg 1996;62:151-5. 4. Carlson GW, Styblo TM, Lyles RH et al. The use of skin sparing mastectomy in the treatment of breast cancer: the Emory experience. Surg Oncol 2003;12:265-9. 5. Petit JY, Veronesi U, Orecchia R et al. Nipple-sparing mastectomy in association with intra operative radiotherapy (ELIOT): a new type of mastectomy for breast cancer treatment. Breast Cancer Res Treat 2006;96:47-51. 6. 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