Médecine
& enfance
Rubrique dirigée par M. François
ORL
mai 2012
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CAS CLINIQUE
Marine, dix mois, est amenée en consul-
tation par ses parents pour suspicion de
surdité. Ils ont constaté qu’elle ne tour-
ne pas la tête quand le chien de la famil-
le aboie à côté d’elle et quand une porte
claque. Les babillages se font plus rares.
C’est leur premier enfant. Elle est née à
terme, avec un poids de naissance de
2,950 kg, à la suite d’une grossesse sans
particularité en dehors d’une fièvre in-
expliquée au deuxième trimestre. Les
tests de dépistages auditifs à la naissan-
ce ont retrouvé la présence d’otoémis-
sions provoquées des deux côtés.
Un test auditif subjectif en champ libre
(c’est-à-dire avec des hauts parleurs) re-
trouve actuellement un seuil à 70-80 dB
(normale pour l’âge < 40 dB). Les po-
tentiels évoqués auditifs pratiqués au
moment de la sieste mettent en évidence
un seuil élevé, à 50 dB à droite et 60 dB à
gauche (normal < 20 dB) (figure 1).
Devant l’existence de cette surdité
moyenne bilatérale, d’allure progressi-
ve, un appareillage auditif bilatéral est
proposé. Avec ses prothèses, Marine
semble plus alerte et recommence à
vouloir communiquer oralement.
Marine ayant moins de deux ans, une
recherche de CMV par PCR sur le carton
de Guthrie est proposée aux parents,
d’autant qu’on a la notion d’une fièvre
inexpliquée au deuxième trimestre de
grossesse. Celle-ci reviendra positive, ce
qui conduit à proposer à cet enfant un
bilan plus complet : ophtalmologique,
neurologique et vestibulaire, à la re-
cherche d’atteintes associées.
Le cytomégalovirus (CMV) est un virus ubiquitaire, de la famille des herpès,
dont la séroprévalence au sein de la population est élevée (60 à 80 %). Chez
le sujet immunocompétent, l’infection à CMV se manifeste par un syndrome
grippal, souvent complètement anodin. Cependant, une infection en cours de
grossesse peut être à l’origine d’une infection congénitale sévère et est la pre-
mière cause de surdité congénitale et de retard mental de l’enfant.
Infection congénitale
à cytomégalovirus et surdité
N. Teissier, service ORL
hôpital Robert-Debré, Paris
Quelques mois plus tard, on note l’ap-
parition d’un retard de langage ; l’en-
fant ne progresse plus, les vocalises sont
pauvres et monotones. Le bilan audio-
métrique montre une aggravation de la
surdité avec une absence de réponse à
100 dB en champ libre, confirmée par
des potentiels évoqués auditifs (figure 2).
Malgré l’optimisation de l’appareillage,
aucun gain prothétique n’est constaté.
Le bilan est alors complété par une ima-
gerie. Sur le scanner, il n’y a pas d’ano-
malie de l’oreille interne, les cochlées et
les vestibules sont normaux. A l’IRM, les
nerfs VII et VIII sont présents et symé-
triques ; cependant, on constate l’exis-
tence de kystes temporaux, une polymi-
crogyrie et une dilatation des ventri-
cules compatibles avec l’infection
congénitale à CMV (figure 3).
Compte tenu de l’aggravation de la sur-
dité et de l’absence de bénéfice prothé-
tique, en l’absence de contre-indication
chirurgicale, une implantation cochléai-
re est réalisée.
On note depuis une nette progression
dans la production de mots simples et
un rattrapage progressif du retard de
langage. A quatre ans, Marine est scola-
risée en deuxième section de maternelle
dans une école normale et bénéficie
d’un soutien orthophonique deux à trois
fois par semaine.
INFECTION CONGÉNITALE
À CYTOMÉGALOVIRUS
L’infection congénitale à CMV concer-
nerait 0,2 à 1 % des naissances. 10 %
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de ces enfants font une forme sympto-
matique, marquée par un retard de
croissance, un ictère néonatal, une
hépato splénomégalie et éventuelle-
ment une thrombocytopénie ; parmi
eux, 60 % présentent des lésions céré-
brales et un handicap neurologique
(microcéphalie, convulsions, hypoto-
nie, troubles de déglutition et séquelles
neurosensorielles à type de chrorioréti-
nite et de surdité). Parmi les enfants
asymptomatiques à la naissance, 8 à
15 % développent des séquelles neuro-
logiques et une surdité.
PHYSIOPATHOLOGIE
Plusieurs éléments influencent le pro-
nostic des enfants infectés in utero par
le CMV. Lors de la primo-infection, le
risque d’embryofœtopathie et d’hypo-
trophie est important, et le risque de
transmission materno-fœtale est de 30 à
50 %. Si l’infection survient dans les six
mois qui précèdent la conception, le
risque de transmission materno-fœtale
reste présent, mais moindre. Cepen-
dant, l’immunisation antérieure ne pro-
tège pas contre le risque d’embryofœto-
pathie, et le risque de transmission ma-
terno-fœtale est estimé à 1,4 %. L’ab-
sence de protection d’une séropositivité
peut être la conséquence soit d’une ré-
infection par une autre souche virale,
soit d’une réactivation de la souche ini-
tiale quiescente à l’occasion d’une infec-
tion concomitante.
Parmi les facteurs de risque d’infection
materno-fœtale, le contact avec des en-
fants en bas âge et le jeune âge de la
mère [1] constituent des éléments signi-
ficatifs. En effet, les enfants porteurs
d’infection congénitale à CMV sécrètent
du virus dans les urines et la salive jus-
qu’à quarante-huit mois, et, par ailleurs,
on a constaté que les femmes de moins
de vingt ans lors de l’accouchement
avaient trois fois plus de risque d’avoir
un enfant contaminé à la naissance, les
jeunes femmes se contaminant au début
de leur activité sexuelle.
Enfin, le statut immunologique de la
mère influence le risque de transmis-
sion : les mères HIV positives présen-
tent un risque plus important d’avoir un
enfant symptomatique à la naissance en
cas de séroconversion au CMV en cours
de grossesse : 30,8 % des enfants seront
symptomatiques versus 3,3 % en cas de
sérologie HIV négative [2].
TRANSMISSION MATERNO-
FŒTALE : IMPORTANCE
DES IGG NEUTRALISANTES
La transmission materno-fœtale est cor-
rélée à la charge virale et inversement
corrélée au titre d’anticorps, en particu-
lier au titre des anticorps neutralisants
de forte avidité. En effet, le CMV se lie
aux IgG lors du passage transplacentai-
re par transcytose [3]. En cas de forte
avidité, le complexe est reconnu par les
macrophages des villosités choriales, ce
qui entraîne la destruction virale, alors
qu’en cas de faible avidité, le complexe
Figure 1
PEA altérés : l’onde V est retrouvée à
50 dB à droite et à 60 dB à gauche.
Figure 2
PEA plats : aucune onde V n’est obtenue
avec des clicks à 90 dB, aussi bien à
droite qu’à gauche.
Figure 3
IRM T2 coupes axiale (à gauche) et coronale (à droite) mettant en évidence une
polymicrogyrie avec un aspect irrégulier des sillons, une dilatation des cornes
temporales des ventricules latéraux, prédominant à gauche, donnant l’impression de
kystes temporaux. Il existe aussi quelques anomalies diffuses de la substance blanche.
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n’est pas reconnu par les macrophages,
évitant ainsi la destruction et contami-
nant le fœtus.
Par ailleurs, la transmission fœtale peut
être augmentée en cas d’infection virale
ou bactérienne concomitante à la séro-
conversion [4]. Enfin, la transmission
fœtale est aussi inversement propor-
tionnelle au terme, l’infection fœtale
étant plus fréquente au cours du troisiè-
me trimestre [5].
CMV ET PATHOGÉNIE PLACENTAIRE
Les lésions fœtales consécutives à l’in-
fection congénitale à CMV peuvent être
la conséquence d’atteintes placentaires
ou fœtales.
L’hypotrophie fœtale est le résultat
d’une insuffisance placentaire plus que
d’une atteinte virale directe sur le fœ-
tus. En effet, le CMV est responsable de
lésions vasculaires entraînant une in-
flammation, une fibrose et une nécrose
des villosités choriales. Cela induit un
épaississement placentaire, lui-même
responsable d’une baisse de l’apport
sanguin. A terme, cela entraîne une hy-
poxie fœtale, un retard de croissance et
une hypotrophie. L’hypoxie elle-même
a aussi pour conséquence une insuffi-
sance hépatique et splénique, une
thrombopénie, une leucomalacie péri-
ventriculaire et des calcifications. Le
CMV lui-même peut être responsable
d’une modification de la perméabilité
placentaire [6].
Les atteintes neurologiques et senso-
rielles (auditives et visuelles) sont la
conséquence de la conjonction de
l’agression virale et de l’hypoxie placen-
taire.
LA SUSCEPTIBILITÉ AU CMV ET
AUX ATTEINTES NEUROLOGIQUES
DÉPEND DE LÂGE GESTATIONNEL
Du point de vue de la pathogénicité
neurale, le CMV présente un tropisme
particulier pour les cellules neurales
non différenciées, et en particulier pour
les cellules souches de la zone périven-
triculaire du cerveau [7]. Cela explique
la topographie des lésions que l’on re-
trouve classiquement chez les enfants
aux antécédents d’infection congénitale
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à CMV : le virus induit une perte de cel-
lules souches et de cellules intermé-
diaires ; en conséquence, le cerveau est
de petite taille et présente des troubles
de maturation. On retrouve aussi fré-
quemment chez ces enfants une polymi-
crogyrie, une brachycéphalie ou une di-
latation des espaces péricérébraux, té-
moins de l’altération de la différencia-
tion des cellules neurales et de leur mi-
gration.
DIAGNOSTIC D’UNE
INFECTION CONGÉNITALE
À CYTOMÉGALOVIRUS
DIAGNOSTIC VIRAL : LE FŒTUS
EST-IL INFECTÉ ?
Toute la difficulté dans la prise en char-
ge d’une infection à CMV au cours de la
grossesse est de déterminer si le fœtus
est atteint. Si l’infection fœtale est
prouvée, la datation de l’infection est
elle aussi importante. Plusieurs exa-
mens indirects peuvent orienter sur le
statut immunologique de la mère. Tout
d’abord une séroconversion avérée
chez une mère antérieurement séroné-
gative donne au clinicien des informa-
tions précieuses. Cependant, le statut
préconceptionnel n’est pas toujours
connu, le dépistage systématique
n’étant pas recommandé en France
pour l’instant ; de plus, la séroconver-
sion n’induit pas systématiquement une
transmission fœtale.
Comme dans d’autres infections, l’exis-
tence des IgM oriente sur la chronologie
de l’infection, mais, dans le cas du CMV,
l’interprétation de la sérologie peut être
trompeuse. Les IgM apparaissent lors de
la primo-infection mais peuvent réappa-
raître à l’occasion d’une réactivation vi-
rale et persister plusieurs mois. Si la sé-
roconversion ne peut être prouvée, l’as-
sociation d’IgM anti-CMV et d’IgG de
faible avidité est en faveur d’une primo-
infection récente. L’avidité des IgG aug-
mente avec le temps : les IgG de faible
avidité peuvent persister vingt semaines
après l’infection.
Plus que l’infection maternelle, la trans-
mission fœtale est l’information fonda-
mentale : la recherche d’ADN viral dans
le liquide amniotique ou dans le sang
fœtal par PCR ou culture virale permet
d’authentifier la contamination fœtale.
Enfin, chez le nouveau-né, une re-
cherche virale par PCR peut être effec-
tuée sur les urines au cours des deux
premières semaines (sensibilité 71 à
100 %, spécificité 99 %). Si elle est posi-
tive, elle témoigne d’une infection
congénitale ; au-delà de ce délai, l’iden-
tification du CMV dans les urines peut
être le témoin d’une infection postnata-
le, par le lait maternel, par exemple.
Afin de déterminer rétrospectivement si
un enfant était porteur d’une infection
congénitale à CMV, une recherche
d’ADN viral peut être effectuée par PCR
sur les cartons des tests de Guthrie [8].
Cependant, cette recherche est limitée
habituellement à deux ans après la nais-
sance, car les cartons ne sont pas gardés
au-delà.
Quand l’infection a pu être identifiée
précocement, la charge virale à la nais-
sance est corrélée à l’importance des sé-
quelles neurologiques chez les enfants
symptomatiques et asymptomatiques.
ÉCHOGRAPHIE PRÉNATALE :
À LA RECHERCHE D’ÉLÉMENTS
EN FAVEUR D’UNE INFECTION
CONGÉNITALE À CMV
Plusieurs auteurs ont suggéré que la
surveillance échographique pouvait ne
pas être suffisante pour suspecter une
infection congénitale à CMV chez une
femme non suivie sérologiquement.
Dans une étude rétrospective publiée en
2005, Abdel-Fattah constatait que les
signes habituellement évocateurs, com-
me le retard de croissance, les kystes
périventriculaires, les échodensités hé-
patiques ou digestives, l’ascite, les mi-
crocalcifications ou encore la microcé-
phalie, étaient bien souvent trop tardifs
[9]. L’étude rétrospective de Benoist
(2008) a montré que l’échographie pré-
natale n’avait qu’une sensibilité de 86 %
et une spécificité de 80 % chez des fœ-
tus dont l’infection à CMV était connue
[10]. L’étude menée par Guerra conclut
que 1 fœtus sur 5 ou 1 fœtus sur 7 aura
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une échographie normale alors que l’in-
fection est avérée [11].
IMAGERIE POSTNATALE :
ÉVALUATION RÉTROSPECTIVE
DE L’INFECTION CONGÉNITALE
A la relecture systématique des scan-
ners et IRM effectués chez des nourris-
sons infectés par le CMV, Iovino a
constaté que 52 % des scanners étaient
anormaux, 43 % avaient des élargisse-
ments des espaces sous-arachnoïdiens
et 41 % des anomalies de la myélinisa-
tion [12]. Les autres anomalies fréquem-
ment rencontrées sont les kystes céré-
braux, en particulier au niveau du lobe
temporal, des calcifications, des élargis-
sements ventriculaires, des anomalies
de la différenciation substance blanche-
substance grise, des microgyries ou en-
core des hypoplasies cérébelleuses.
L’existence de certaines anomalies per-
met de dater l’infection : les kystes péri-
ventriculaires et les lésions corticales
sont évocateurs d’infection avant la
vingt-sixième semaine, alors que les
anomalies des sillons sont plutôt évoca-
trices d’une survenue de l’infection
entre la seizième et la vingt-deuxième
semaine [13].
QUELS FACTEURS PRÉDICTIFS
D’UNE INFECTION FŒTALE ?
L’infection fœtale peut être suggérée par
l’existence d’une hypotrophie, d’une
thrombopénie fœtale ainsi qu’une éléva-
tion des γGT [14]. La faible avidité des IgG
dans le sérum maternel est associée à un
risque plus important d’infection. Enfin,
la charge virale dans le liquide amnio-
tique permet d’estimer le risque de trans-
mission fœtale (> 1000 copies), voire le
risque de maladie symptomatique à la
naissance (> 5000 copies) [15].
CYTOMÉGALOVIRUS
ET SURDITÉ
NEUROSENSORIELLE
INCIDENCE DE LA SURDITÉ
Dans le cadre d’une étude prospective
sur dix ans, 74 enfants sur 14021 nais-
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sances (soit 0,53 %) étaient porteurs
d’une infection congénitale à CMV et ont
été suivis ; 4 d’entre eux étaient sympto-
matiques à la naissance [16]. 60 enfants
ont été évalués régulièrement pour leur
audition. Une surdité a été identifiée
chez 21 % des patients asymptomatiques
et chez 33 % des patients symptoma-
tiques à la naissance, soit chez 22 % des
enfants infectés. 5 % ont présenté une
surdité tardive, 11 % une surdité pro-
gressive et enfin 16 % une surdité fluc-
tuante. En extrapolant ces données, il est
estimé que 36 % des surdités neurosen-
sorielles sont secondaires à une infection
congénitale à CMV.
Une étude portant sur le statut sérolo-
gique de la mère a montré que l’immu-
nisation préalable de la mère ne confé-
rait pas une protection contre une at-
teinte auditive chez l’enfant, cependant
la surdité était alors le plus souvent uni-
latérale [17].
Le délai d’apparition de la surdité est de
trente-trois mois en cas d’infection
symptomatique et de quarante-quatre
mois pour une infection asymptoma-
tique [18]. Il est donc nécessaire de pro-
poser une surveillance prolongée chez
tout enfant aux antécédents d’infection
congénitale à CMV du fait d’un fort
risque de dégradation secondaire [19].
FACTEURS DE RISQUE DE SURDITÉ
CHEZ UN ENFANT AYANT UNE
INFECTION CONGÉNITALE À CMV
Les risques identifiés de surdité neuro-
sensorielle chez ces enfants sont :
une infection symptomatique à la
naissance (OR = 9,3) ;
une charge virale supérieure à 5000
PFU dans les urines et à 10000 co-
pies/ml dans le sang ;
un retard de croissance intra-utérin ;
une thrombopénie.
ATTEINTES HISTOPATHOLOGIQUES
DE L’OREILLE INTERNE
L’analyse des rochers des fœtus dont la
grossesse a été interrompue et des en-
fants décédés à la suite d’une infection
néonatale sévère a permis de définir les
cibles préférentielles du virus au sein de
l’oreille interne. On retrouve une forte
concentration virale au niveau de la strie
vasculaire et des cellules sombres du la-
byrinthe, structures toutes deux respon-
sables du recyclage du potassium, la pre-
mière pour l’endolymphe de la scala me-
dia et la seconde pour la périlymphe du
vestibule. La surdité pourrait alors être la
conséquence d’un dérèglement du flux
de potassium, l’échappement progressif
expliquant la survenue parfois tardive ou
fluctuante de la surdité. Paradoxalement,
les cellules ciliées sont indemnes d’infec-
tion virale. L’atteinte vestibulaire est fré-
quente et ne doit pas être sous-estimée.
PRISE EN CHARGE
QUELLE PRÉVENTION POSSIBLE ?
Pour certains auteurs, la clé de la prise
en charge réside dans la prévention.
Vauloup-Fellous a démontré dans une
étude prospective que la sensibilisation
des mères séronégatives aux mesures hy-
giéniques avait permis de diminuer de
manière significative le taux de sérocon-
version [20]. Une autre piste envisagée est
celle de la vaccination, mais celle-ci n’est
pas encore fiable : l’existence de diffé-
rents sérotypes rend la réalisation d’une
immunoprotection efficace difficile [21].
L’espoir repose alors plus sur la baisse de
la prévalence virale au sein de la popula-
tion, qui entraînerait une diminution du
risque de séroconversion, que sur une
protection vaccinale efficace.
PRISE EN CHARGE PRÉNATALE
Plusieurs molécules antivirales sont dis-
ponibles, mais elles ne sont pas dénuées
de risques chez la femme enceinte et le
fœtus. Le ganciclovir et le valaciclovir
sont les molécules habituellement pro-
posées en cours de grossesse [22]. Il sem-
blerait que la diffusion du valaciclovir
dans le liquide amniotique soit satisfai-
sante et permette une baisse des lésions
fœtales, cependant les études n’ont pas
retrouvé une différence significative
permettant de justifier une prise en
charge systématique des femmes en-
ceintes séroconverties.
Nigro a proposé, quant à lui, des im-
munoglobulines polyvalentes chez les
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femmes enceintes ; il retrouve une di-
minution des atteintes virales sur le
fœtus (organomégalie, dilatation ven-
triculaire, retard de croissance) ainsi
que sur le placenta [23]. Il suggère un
rôle protecteur permettant de dimi-
nuer le risque de contamination fœtale
[24]. Ces études n’ont cependant pas été
effectuées dans un cadre randomisé et
il semble donc difficile d’en tirer des
conclusions.
En France, compte tenu de l’absence de
consensus quant à un traitement préna-
tal dénué de risque pour le fœtus et la
mère, une interruption de grossesse
peut être proposée devant l’existence de
lésions fœtales évocatrices d’une infec-
tion et la confirmation de la présence vi-
rale dans le liquide amniotique.
TRAITEMENT POSTNATAL
Kimberlin a démontré qu’un traitement
de six semaines par ganciclovir, à raison
de 12 mg/kg/j, permettait de diminuer
de manière significative le risque de
surdité, au moins pendant les deux pre-
mières années (21 % versus 68 % de
surdité progressive à un an, p < 0,01)
[25]. De plus, ce traitement semble avoir
aussi un effet positif sur le pronostic
neurologique. Cependant, la toxicité
hématologique et le pouvoir mutagène
ne permettent pas de le proposer systé-
matiquement à tout enfant infecté à la
naissance. D’autres études vont dans le
même sens [26, 27].
PRISE EN CHARGE DE LA SURDITÉ
L’enfant doit être soumis à une sur-
veillance audiométrique régulière. Un
test de dépistage, otoémissions ou poten-
tiels évoqués automatisés, doit idéale-
ment être pratiqué pendant la période
néonatale. Un suivi doit être effectué
tous les six mois pendant les quatre pre-
mières années, à la recherche d’une dé-
gradation auditive, comme dans le cas de
Marine. La surveillance peut ensuite être
annuelle, mais elle pourra être rappro-
chée à la moindre dégradation auditive.
En cas de surdité neurosensorielle, un
appareillage auditif sera mis en place, ai-
dé, si besoin, d’un soutien orthopho-
nique. En cas de surdité profonde à sévè-
re bilatérale, un implant cochléaire sera
proposé à l’enfant. En effet, les résultats
auditifs sont bons, tout à fait compa-
rables aux résultats obtenus pour les sur-
dités génétiques, avec cependant un lé-
ger retard à l’acquisition du langage, ra-
pidement compensé à un an. La prise en
charge doit bien sûr être complétée par
un accompagnement multidisciplinaire
des autres éventuelles séquelles.
CONCLUSION
L’infection congénitale à CMV est res-
ponsable de surdités neurosensorielles
dont la fréquence est actuellement sous-
estimée. La responsabilité du virus dans
la survenue d’une surdité n’est pas tou-
jours facile à établir : l’histoire de la
grossesse, les caractéristiques à la nais-
sance peuvent orienter rétrospective-
ment. En l’absence de diagnostic anté-
natal ou néonatal, l’affirmation de l’exis-
tence d’une infection congénitale à CMV
repose sur la recherche virale par PCR
sur le carton de Guthrie. Cependant,
cette identification est limitée par la du-
rée de stockage des cartons. Une vigilan-
ce particulière doit être exercée à la dé-
couverte d’une surdité chez un jeune en-
fant ; la recherche sur carton de Guthrie
doit alors être demandée, car elle per-
met de guider les parents sur les pos-
sibles profils évolutifs, et elle ne pourra
être faite ultérieurement.
En l’absence de consensus thérapeu-
tique sur la prise en charge en cours de
grossesse et de traitements dénués d’in-
nocuité, les enfants contaminés in ute-
ro ne sont pas systématiquement trai-
tés. Ils doivent cependant faire l’objet
d’une surveillance audiométrique rap-
prochée.
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