Oui, mais voilà, tout n'est pas dit, loin de là ! Car autant l'identité catholique
n'est pas transmissible par héritage mais est le fruit d'une expérience de Dieu aux
racines mêmes de mon existence d'homme, à la fois incommunicable et qui me met en
communion plus ou moins intensément avec toute la création, autant la souffrance est
une anti-expérience de Dieu incommunicable et qui m'isole plus ou moins intensément
de toute la création. Pour le dire autrement, je ne peux jamais rejoindre complètement
une personne dans sa souffrance ni ne sait par avance comment je réagirais si la
souffrance me frappe.
Ajoutons aussi que plus une personne a vécu une expérience intime et forte du
Dieu vivant, créateur du Ciel et de la terre, et plus elle est susceptible d'expérimenter
intensément la souffrance comme anti-expérience de Dieu, un isolement abyssal.
Tout cela est illustrée par la vie de Jésus depuis son agonie au jardin des
Oliviers jusque sa mort sur la croix. Il est celui qui a le plus communier avec Dieu son
Père. En cela son expérience de Dieu est inégalable. Et il est à la fois celui qui a le plus
expérimenté la souffrance comme anti-expérience de Dieu, du jardin de l'agonie où de
son front s'est écoulée une sueur de sang, à la croix de son supplice où il a crié: "Eli Eli
lama sabactani" "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?".
C'est aussi cela la bonne nouvelle: depuis que Jésus a accepté, dans l'abandon
total entre les mains de son Père, de descendre dans les abîmes les plus profonds de la
souffrance humaine, plus aucun homme, plus aucune femme n'est vraiment seul dans
sa propre souffrance. "Je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde", dit
Jésus en envoyant ses apôtres répandre la Bonne Nouvelle. Ce toujours inclut aussi les
jours de souffrance, de la mienne et celles de tous les hommes, de tous les temps.
Ce mystère est grand, c'est la mystère de la foi qui se renouvelle à chaque
eucharistie. Mystère de la souffrance inouïe et inégalable de Jésus qui s'actualise à
chaque fois que le sacrifice de la messe est célébré. Cet autel n'est donc pas seulement
la table d'un repas d'où nous communions au corps et au sang du Christ, il est aussi
l'autel du Calvaire où s'actualise la mort de Jésus-Christ sur la croix et sa résurrection
du séjour des morts. C'est pourquoi il est stipulé dans la présentation générale du
Missel Romain, texte qui fait autorité dans toute l’Église catholique pour définir les
normes de la liturgie: "sur l´autel ou à proximité, il y aura une croix, bien visible pour l
´assemblée, et portant l’effigie du Christ crucifié. Il convient que cette croix demeure
près de l’autel même en dehors des célébrations liturgiques, pour rappeler aux fidèles
la passion rédemptrice du Seigneur."
Jésus se fait donc solidaire de chaque personne qui souffre en souffrant encore
et encore sa propre passion à chaque fois que le sacrement de l'eucharistie est célébrée
par le prêtre dans la foi de l’Église et selon les normes de la liturgie qu'elle définit.
Cette solidarité que Jésus opère dans la liturgie est la solidarité la plus haute et la plus
précieuse. C'est pourquoi nous rappelle notre évêque Alain Castet dans sa dernière
lettre pastorale de Pentecôte 2011 citant Mgr. Dagens dans un rapport destiné à tous
les évêques de France: "aujourd'hui, il est évident, pour la plupart des catholiques, que
la vie, la communion et la mission de l’Église ont leur source dans la prière, dans la
liturgie, dans la pratique sacramentelle." Puissions-nous donc aussi approfondir le sens
de ce mystère de la foi en célébrant des liturgies toujours plus dignes et priante en
respectant ce que l’Église nous demande pour qu'à travers notre obéissance de la foi
Jésus se fasse toujours plus proche de chaque homme qui souffre. Amen.