“ L Traitement de l’insuffi sance cardiaque

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ÉDITORIAL
Traitement de l’insuffisance cardiaque
chronique : PARADIGM-HF,
une révolution ?
Treatment of chronic heart failure:
does PARADIGM-HF announce a revolution?
“
L
Pr Michel Komajda
Directeur scientifique
de La Lettre du Cardiologue.
Institut de cardiologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
a prise en charge pharmacologique de l’insuffisance cardiaque
chronique a fait l’objet d’avancées successives : l’introduction des
inhibiteurs de l’enzyme de conversion dans la décennie 1980-1990,
des bêtabloquants et des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine
au cours de la décennie 1990-2000, et plus récemment celle des antagonistes
des récepteurs minéralocorticoïdes (éplérénone) et d’un bloqueur
du courant If dans le nœud sinusal (ivabradine) se sont accompagnées
à chaque étape d’une réduction de la morbimortalité liée à cette pathologie.
Les recommandations internationales, et notamment celles de la Société
européenne de cardiologie (ESC), ont pris en compte ces avancées
thérapeutiques et conseillent à l’heure actuelle une stratégie additive de ces
différentes molécules en fonction de la sévérité de l’insuffisance cardiaque.
Compte tenu de leur antériorité et de la démonstration du bénéfice apporté
par les études CONSENSUS, SOLVD et SAVE, les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion constituent actuellement la pierre angulaire du traitement
et sont recommandés en première intention avant tout autre ajout
thérapeutique.
C’est dire l’intérêt suscité par la présentation de l’étude PARADIGM-HF
au congrès annuel de l'ESC à Barcelone, avec publication simultanée
dans le New England Journal of Medicine. Cette étude a comparé l’intérêt
d’un double antagoniste, le LCZ696, qui inhibe la néprilysine, enzyme
responsable de la dégradation des peptides natriurétiques, et bloque
par ailleurs le récepteur de l’angiotensine par une activité de type valsartan,
par rapport à l’énalapril prescrit à la dose de 20 mg/j. La population étudiée
reflétait par ses caractéristiques l’insuffisance cardiaque légère à modérée,
principalement de classe NYHA II (80 %), à fraction d’éjection abaissée
(initialement moins de 40 %, puis 35 % ou moins) et recevant un traitement
contemporain de l’insuffisance cardiaque. En particulier, 93 % des patients
étaient traités par un bêtabloquant. L’essai a été interrompu prématurément
sur recommandation du Data and Safety Monitoring Board devant
la constatation d’une réduction significative de la mortalité cardiovasculaire,
ce critère de jugement ayant servi à définir la puissance de l’étude.
Huit mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf patients ont été inclus et suivis
en moyenne pendant 27 mois. L’administration de LCZ 200 mg 2 fois/j
s’est accompagnée d’une réduction du critère composite principal (mortalité
cardiovasculaire ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque) de 20 %,
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des décès cardiovasculaires de 20 % et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque
de 21 %. Enfin, les décès toute cause ont été réduits de 16 %.
La sécurité d’emploi a été bonne, avec en particulier moins d’épisodes d’aggravation
de la fonction rénale ou d’hyperkaliémie avec le LCZ qu’avec l’énalapril. L’effet protecteur
sur la fonction rénale résulte probablement de l’accroissement de la concentration
plasmatique des peptides natriurétiques induit par l’inhibition de la néprilysine. Il y a eu,
en revanche, davantage d’épisodes d’hypotension artérielle, bien que ceux-ci n’aient pas
entraîné un nombre significativement plus important d’interruptions de traitement.
Cette observation imposera néanmoins, lorsque le médicament sera disponible
sur le marché, de surveiller attentivement la pression artérielle, notamment
dans les premières semaines suivant l’instauration du traitement.
Un nombre limité d’angiœdèmes ont été rapportés sous LCZ (19, contre 10
dans le groupe énalapril).
Globalement, les résultats de l’étude PARADIGM-HF sont spectaculaires
et soulèvent un certain nombre de questions importantes.
Pourquoi cette étude a-t-elle été positive, alors qu’il y a 10 ans l’utilisation d’un autre
double inhibiteur, l’omapatrilat, ne s’est pas accompagnée d’un bénéfice clinique
dans l’insuffisance cardiaque chronique ?
Plusieurs explications peuvent être proposées :
➤ Le schéma de l’essai clinique, qui a inclus une période de “run in” avec le LCZ
et l’énalapril. Ce schéma a permis d’éliminer environ 12 % des patients qui étaient
intolérants à l’une des 2 médications testées. À cet égard, le nombre d’intolérances
a été plus important durant la phase de test de l’énalapril que lors de la phase de test
sous LCZ. Il est néanmoins discutable que le dessin de l’étude ait permis d’éliminer
a priori des patients intolérants.
➤ Les modalités d’administration : le double inhibiteur a été administré 2 fois/j, ce qui
a pu éviter des problèmes d’hypotension artérielle importante après l'administration
d’une dose. Par ailleurs, l’omapatrilat était prescrit, dans l’étude OVERTURE, 1 fois/j,
et il est possible que cette administration unique n’ait pas couvert le nycthémère,
contrairement à PARADIGM-HF.
➤ Le médicament lui-même : le LCZ comporte une activité de bloqueur des récepteurs
de l’angiotensine. Ce blocage n’a pas d’influence sur la concentration de bradykinine.
À l’inverse, l’omapatrilat combinait le blocage de la néprilysine et de l’enzyme
de conversion, entraînant ainsi un fort accroissement de la concentration de
bradykinine, responsable de la survenue d’angiœdèmes. Même s’il est démontré
que la néprilysine agit sur de nombreux substrats, dont la bradykinine, l’impact du LCZ
sur la concentration de bradykinine s’en trouve donc réduit par rapport à celui
de l’omapatrilat. L’incidence d’angiœdèmes rapportés dans PARADIGM-HF a été,
en effet, 2 fois plus faible que dans l’étude OVERTURE avec l’omapatrilat.
Une autre question importante est de savoir si le bénéfice résulte principalement
du blocage de la dégradation des peptides natriurétiques et de l’effet bénéfique
que l’on peut en attendre (vasodilatation, natriurèse, inhibition du système
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rénine-angiotensine, du système sympathique, effets antiprolifératifs et antihypertrophiques).
Il sera intéressant à cet égard d’avoir le détail d’analyses neurohormonales
et de leur corrélation avec les événements cliniques.
La question principale est de savoir si, après les résultats de l’étude PARADIGM-HF,
les recommandations internationales seront modifiées et proposeront de remplacer
l’administration en première intention d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion
par ce double inhibiteur. L’importance de la réduction du risque cardiovasculaire suggère
que ce nouveau traitement sera efficace d’un point de vue médicoéconomique. Le prix
obtenu pour la mise sur le marché sera néanmoins déterminant afin de savoir si le LCZ
est utilisé de façon large dans la population d’insuffisants cardiaques chroniques ou s’il est
réservé à une fraction de cette population.
Une autre interrogation est de savoir s’il faudra substituer des insuffisants cardiaques bien
stabilisés par un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un antagoniste des récepteurs
de l’angiotensine, ce que suggèrent les conclusions de l’étude PARADIGM-HF, puisque
les patients inclus devaient préalablement recevoir une de ces 2 thérapies, ou réserver
l’instauration de cette nouvelle molécule à des patients qui n’avaient pas reçu jusqu’à présent
d'inhibiteur de l’enzyme de conversion ou d'antagoniste des récepteurs de l’angiotensine.
Afin d’optimiser l’impact du blocage de la néprilysine, un taux élevé de peptides
natriurétiques était requis à l’inclusion dans l’essai clinique. Ce dosage sera-t-il nécessaire
pour instaurer ce nouveau traitement, ou les autorités sanitaires accepteront-elles
la prescription du LCZ à une large population d’insuffisants cardiaques chroniques
sans référence à la concentration plasmatique de ces hormones ?
Compte tenu des résultats prometteurs observés dans cet essai, la question est également
posée de savoir s’il y a une place pour cette nouvelle classe thérapeutique dans le traitement
de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, qui reste le parent pauvre
en matière de traitement pharmacologique. À la suite des résultats favorables d’une étude
de preuve de concept, PARAMOUNT, une grande étude de morbimortalité, PARAGON,
vient d’être lancée dans cette indication.
Enfin, il faudra comparer les résultats de PARADIGM-HF à ceux d’ATMOSPHERE,
étude également conduite dans l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection
altérée et dans laquelle la comparaison porte sur un inhibiteur direct de la rénine, l’aliskiren,
avec l’énalapril.
Le Pr Michel Komajda
déclare avoir des liens
d’intérêts avec Astra Zeneca,
Bayer Healthcare, BMS,
Boehringer Ingelheim,
Novartis Pharma, Servier.
En démontrant que le blocage conjoint du récepteur de l’angiotensine et de l’enzyme
qui dégrade les peptides natriurétiques réduit substantiellement la mortalité
et les hospitalisations liées à l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection altérée
par rapport au traitement de référence, l’étude PARADIGM-HF est une excellente nouvelle
pour les patients atteints de cette pathologie et constitue une petite révolution.
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