Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 6 - juin 2001
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Quels sont les textes
qui définissent
le secret
professionnel ?
Depuis 1810, le code pénal
sanctionne la violation du
secret professionnel. Lors
de la refonte du code pénal
en 1994 l’article 378 a été
remplacé par l’article 226-
13 : “La révélation d’une
information à caractère
secret par une personne
qui en est dépositaire soit par son état ou
sa profession, soit en raison d’une fonc-
tion ou d’une mission temporaire est punie
d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F
d’amende”. C’est là le seul texte qui défi-
nisse le secret professionnel. Cette défi-
nition, on peut le constater, est suffisam-
ment large pour ouvrir vers toutes sortes
d’interrogations.
À première lecture, trois remarques s’im-
posent.
– L’élément central est la révélation d’une
information à caractère secret. C’est au
regard de cette notion de secret confque
doit se construire tout raisonnement.
– Le texte n’évoque pas le secret médical,
mais le secret professionnel, et ne définit
pas les professions concernées. Le même
texte doit être adapté aux médecins, aux
banquiers, aux avocats, et c’est en fonc-
tion de la nature de l’information confiée
que l’on apprécie si elle relève ou non du
régime du secret professionnel.
– Le secret est défini par la loi, et encore
par la loi pénale. C’est dire la solennité de
la règle. Raisonner sur le secret renvoie
toujours à cette référence fondamentale :
les intérêts en cause sont tels qu’ils légiti-
ment l’intervention de loi pénale, dont la
mission est de défendre les valeurs fonda-
mentales, fondatrices de la vie sociale.
Que dit le code
de déontologie médicale ?
Un non-juriste pourrait être tenté de faire
le parallèle entre deux codes, un code
pénal et un code de déontologie. Ce paral-
lèle n’a pas de sens. Le
code de déontologie n’est
certes pas un texte secon-
daire, mais il ne saurait être
comparé à une loi pénale.
C’est un décret, en l’oc-
currence le décret 95-1000
du 6 septembre 1995, et un
décret doit respecter le
cadre de la loi. Le décret
qu’est le code de déontolo-
gie précise la notion de
secret au regard des don-
nées de l’exercice médical,
mais il ne saurait contreve-
nir aux dispositions légis-
latives. L’article 4 du code
souligne cette subordination à la loi :
Le secret professionnel, institué dans l’in-
térêt des patients, s’impose à tout méde-
cin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la
connaissance du médecin dans l’exercice
de sa profession, c’est-à-dire non seule-
ment ce qui lui a été confié, mais aussi ce
qu’il a vu, entendu, ou compris”.
Deux autres dispositions du code évoquent
le secret :
• Article 72 al 1 : Le médecin doit
veiller à ce que les personnes qui l’as-
sistent dans son exercice soient ins-
truites de leurs obligations en matière
de secret professionnel et s’y confor-
ment”.
• Article 73 al 1 : Le médecin doit
protéger contre toute indiscrétion les
documents médicaux concernant les
personnes qu’il a soignées, examinées,
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Chronique du droit
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Dix questions sur le secret professionnel
G. Devers*
* Avocat au Barreau de Lyon.
Référence sociale majeure, condition de la confiance
dans la relation de soins, le secret professionnel,
alors même qu’il relève d’un régime légal, est d’une ana-
lyse très délicate. Le secret professionnel est une indiscu-
table nécessité et il doit être compris comme un élément
d’ordre public de protection de l’intimité. Mais d’autres
intérêts, liés à la cohérence de la vie sociale, justifient
des limitations du secret. Le secret se comprend dans
cette opposition entre intérêt privé et intérêt public.
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quels que soient les contenus et les
supports de ces documents”.
Si le juge doit d’abord statuer par réfé-
rence à la loi, il ne saurait méconnaître les
dispositions déontologiques. Pendant
longtemps, on a considéré que le code de
déontologie n’était applicable qu’en
matière professionnelle ou disciplinaire.
Cette lecture restrictive n’a plus court. Les
dispositions du code de déontologie sont
une référence générale, et notamment pour
le juge pénal amené à statuer sur une
affaire de secret médical. Mais la première
référence reste la loi pénale, et plus parti-
culièrement la jurisprudence abondante
qui s’est élaborée à partir du texte pénal.
Le secret est-il institué
dans l’intérêt général
ou dans l’intérêt des patients ?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas
clos. Le secret est issu du code pénal, ce
qui signifie qu’il est institué pour des
motifs d’intérêt général. Or, le code de
déontologie médicale précise que le secret
est institué dans l’intérêt des malades.
Entre le code pénal, c’est-à-dire la loi, et
le code de déontologie, c’est-à-dire le
décret, le match est inégal. Le code de
déontologie enrichit la loi mais ne peut la
redéfinir. La référence est l’intérêt géné-
ral. La loi pénale protège le secret profes-
sionnel et pas seulement le secret médical.
La valeur en cause est la confiance, et non
pas le patient.
Le secret est institué dans l’intérêt des
patients… mais des patients entendus col-
lectivement. Le secret est protégé en tant
que valeur collective. Le médecin, quoi
qu’il arrive, est tenu au secret profession-
nel, non parce qu’il aurait conclu un
accord avec le patient, mais parce que glo-
balement l’exercice médical ne peut exis-
ter sans la garantie du secret. La consé-
quence est l’indisponibilité du secret : le
médecin ne peut se libérer du secret même
si le patient lui demande. Il faut sur ce plan
savoir résister aux modes et aux tentations
éphémères.
Trois points s’imposent :
– Le secret n’est pas opposable au patient
qui est en droit de tout savoir sur son état
de santé, la seule limite étant que le méde-
cin doit différer l’annonce d’un diagnos-
tic ou d’un pronostic grave quand cette
annonce serait contraire à l’intérêt du
patient.
– Le patient lui-même n’est pas tenu par
le secret et peut révéler ce que lui a dit ou
écrit le médecin.
– Le médecin ne peut s’impliquer dans une
violation du secret, ni à la cautionner, car
la règle est pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le
secret, c’est parce que l’acte de soin sup-
pose l’intimité et que la loi a choisi de faire
prévaloir la santé, et en définitive la vie,
sur d’autres objectifs. Lorsque le patient
s’adresse à un médecin, il doit savoir que
celui-ci lui dira tout, mais que, quelles que
soient les circonstances, il ne dira rien à
autrui. L’interprétation du code pénal est
éclairée par le code civil et notamment la
disposition fondamentale de l’article 9 :
Chacun a droit au respect de sa vie pri-
vée”.
Qui est tenu au secret ?
La lecture de l’article 226-13 conduit à
plus d’interrogations que de certitudes :
état, profession, fonction ou mission tem-
poraire… L’essentiel est ailleurs : c’est la
notion de dépositaire. On revient à l’idée
de secret confié. Toutes les professions de
santé sont concernées. Les textes le pré-
voient explicitement pour les médecins,
les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes,
les sages-femmes, les infirmières… mais
l’analyse doit être étendue aux aides-soi-
gnants ou aux auxiliaires-puéricultrices,
qui du fait de leur proximité avec les
patients se trouvent au cœur de nombre de
secrets. Chaque professionnel se trouve
dépositaire d’un certain nombre de secrets
du fait de sa fonction.
Qu’entend-on
par secret partagé ?
La prise en charge thérapeutique suppose
un travail en équipe et un partage de l’in-
formation. Il n’y a pas de violation du
secret professionnel entre les membres
d’une équipe. Ceux-ci doivent partager les
informations qui leur ont été confiées par
le patient, c’est-à-dire, pour reprendre la
formule du code de déontologie, non seu-
lement ce qui leur a été dit, mais encore
ce qu’ils ont vu, entendu ou compris.
Mais cette notion de secret partagé n’est
pas sans limite : elle est limitée à ce qui
est strictement nécessaire et ne peut débor-
der le cadre de l’équipe soignante. Un pra-
ticien n’a pas la capacité de consulter un
autre praticien non-membre de l’équipe
sans l’accord du patient. Il commettrait
alors une violation du secret. Il ne s’agit
pas de raisonner pour éviter à la sanction
mais pour intégrer le sens de la règle. Cha-
cun doit comprendre combien il est insup-
portable pour un patient de découvrir que
son cas a été discuté à son insu. À l’in-
verse, un patient acceptera volontiers que
son médecin confronte ses analyses ou
cherche des éclairages complémentaires
auprès d’autres praticiens,… dès lors
qu’on aura sollicité son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de
véritables difficultés en psychiatrie de sec-
teur car la prise en charge suppose le tra-
vail en commun de professionnels tenus à
des secrets professionnels distincts. Les
secrets professionnels du médecin et du
travailleur social se chevauchent mais ne
se recoupent pas. Aucun texte ne résout
cette difficulté et la règle doit être la pru-
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dence et le souci de défendre l’intimité.
Seules les informations, strictement indis-
pensables à la prise en charge, peuvent être
partagées. La transparence n’est pas une
valeur, à l’inverse de la confiance.
Quelles sont
les dérogations légales ?
Le législateur est à la recherche de l’équi-
libre entre la préservation de l’intimité de
la relation soignante et le partage d’infor-
mation nécessaire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont asso-
ciés pour déclarer les naissances et les
décès. Cette mission incombe en premier
lieu à la famille et à défaut aux professions
de santé (code civil, article 56). La loi, par
contre, laisse à la femme la possibilité d’ac-
coucher sous X et la volonté de la femme
s’impose alors à l’équipe médicale, à l’état
civil… et à l’enfant. Un projet législatif est
actuellement discuté, qui mettrait en place
un organisme tiers qui pourrait permettre
à l’enfant de reconstituer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique,
la loi a institué certaines déclarations obli-
gatoires bien connues :
• Loi du 30 octobre 1946 : Maladies
professionnelles.
• Loi du 15 avril 1954 : Alcooliques
dangereux.
• Loi du 3 janvier 1968 : Certificats
médicaux en vue de l’adoption d’un
régime de protection d’un incapable
majeur.
De même, le code de la santé publique
impose la déclaration des cas de maladie
vénérienne en période contagieuse, la
déclaration restant anonyme. Le décret du
19 septembre 1996 a rendu obligatoire la
déclaration de la suspicion de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob ou d’autres encépha-
lites subaiguës spongiformes transmis-
sibles à l’homme, sous forme nominative.
S’agissant du VIH, la règle est le secret,
malgré les tentations de remise en cause.
L’option retenue est celle de la responsabi-
lisation des patients, ce qui peut placer le
médecin dans une situation particulière-
ment inconfortable, quand le patient refuse
que sa séropositivité soit révélée alors
même qu’il est marié ou concubin. Le
médecin est renvoyé à sa force de convic-
tion et à son sens des responsabilités.
Le carnet de santé est-il
compatible avec le secret ?
La loi a institué des limites au secret, et
ces limites légales doivent être respectées.
Selon le code de la Sécurité sociale, le car-
net de santé doit être présenté à chaque
médecin appelé à donner des soins. En
outre, d’autres professions de santé, chi-
rurgiens-dentistes, sages-femmes, phar-
maciens, auxiliaires médicaux et direc-
teurs de laboratoire d’analyses et de
biologie médicale, sont autorisées à
prendre connaissance des informations qui
présentent un intérêt pour le malade et qui
sont de leur compétence.
L’article L 162-1-4 du code de la Sécurité
sociale ajoute :
Les praticiens amenés à donner des soins
à une personne peuvent, avec son autori-
sation, porter des informations pertinentes
sur son carnet de santé afin de faciliter
son suivi médical. D’autre part, ils peu-
vent être renseignés dans leur domaine de
compétence en tant que de besoin par les
autres professionnels de santé”.
Ces dispositions législatives sont mar-
quées d’ambiguïté. Le secret est institué
par la loi et en principe seule la loi peut en
définir les limites. Mais la loi, dont la mis-
sion est l’harmonisation du rapport social,
ne peut se satisfaire de la coexistence
d’une multiplicité de secrets individuels.
Elle doit fixer des limites permettant de
concilier le but d’intérêt général qu’est la
protection de la santé et la prise en charge
du patient par des équipes pluridiscipli-
naires. Le principe législatif est alors
rudoyé et l’on peut à proprement parler de
violation légale du secret médical. Cela ne
signifie pas que ces violations légales
soient illégitimes, mais les praticiens doi-
vent percevoir que l’on se situe ici dans
une atteinte au principe, justifiant une
démarche de grande prudence.
Le secret est-il remis en cause
par les contrats d’assurances ?
Deux situations doivent être distinguées :
– Lorsqu’une personne souscrit un contrat
auprès d’une compagnie d’assurance,
celle-ci peut prendre en compte un certain
nombre d’éléments médicaux, car il n’y a
pas de contrat sans une juste appréciation
du risque. Le souscripteur doit remplir un
questionnaire de santé, qui sera analysé
par le médecin de la compagnie d’assu-
rance et celui-ci donnera un avis. Il n’y a
pas de violation du secret car l’assureur
n’a pas de connaissance directe de la
déclaration, et l’assuré a donné son accord
à l’examen de son dossier par un médecin
de la compagnie. Le contrat peut égale-
ment prévoir des examens réguliers à la
demande de la compagnie d’assurance.
Ces examens rentrent dans la logique
contractuelle, et ont donc été acceptés par
l’assuré : le secret est préservé.
– Il en serait différemment si une compa-
gnie d’assurance cherchait à obtenir des
renseignements ou faisait analyser les
informations en sa possession par un
médecin sans l’accord de l’assuré. La vio-
lation serait manifeste. Il en serait de
même si après un décès on sollicitait
l’équipe médicale pour connaître la cause
du décès. Un médecin de compagnie d’as-
surance n’a pas d’accès au dossier médi-
cal, sauf s’il justifie d’une autorisation
écrite du patient.
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