M ise au point ● R. Guillemain*, E.M. Billaud* Évérolimus et bronchiolite oblitérante en transplantation pulmonaire L a transplantation pulmonaire s’est développée au cours des dernières décennies. Les premières réussites dans ce domaine ont été rendues possibles grâce à la puissance de nouveaux traitements immunosuppresseurs et aux progrès de la chirurgie thoracique, notamment la réduction pulmonaire, introduite en France en 1992. Les succès à court terme, particulièrement au niveau de la prévention et du traitement du rejet aigu, restent cependant pénalisés par la survenue d’une complication spécifique de la transplantation pulmonaire, la bronchiolite oblitérante (BO). Elle est en transplantation pulmonaire l’équivalent de la dysfonction chronique du greffon rénal ou de la maladie coronaire du greffon cardiaque, et représente l’expression du rejet chronique sur les voies respiratoires aériennes. Il s’agit donc de la principale manifestation du rejet chronique en transplantation pulmonaire, et il n’existe pas actuellement de traitement pour cette pathologie. La BO est donc le facteur majeur de réduction du pronostic de survie (1). Une fois le processus déclenché, on ne peut qu’assister à la détérioration inéluctable des fonctions respiratoires, entraînant soit le décès, soit la nécessité d’une retransplantation dont le taux de survie est alors trois fois plus faible que lors d’une première transplantation pulmonaire. La BO peut survenir précocement après la transplantation, dès le deuxième mois, et son délai médian de survenue est de 1 à 2 ans. Elle touche jusqu’à 50 à 60 % des patients à 5 ans et contribue à plus de 30 % des décès survenant 3 ans après la transplantation ��������������������������� pulmonaire�. Les manifestations cliniques sont dominées par : ✓ La lésion anatomique de BO, qui est une définition anatomopathologique, consistant en une prolifération fibroblastique au niveau des bronchioles terminales, évoluant vers une oblitération des petites voies aériennes. Seule une confirmation histologique de nature invasive permet d’établir ce diagnostic, qui n’est pas accessible aux tests de biopsie transbronchique et qui nécessite une voie chirurgicale. Cet examen, s’il apporte la certitude diagnostique de BO, ne peut être répété aisément. ✓ En revanche, la traduction fonctionnelle de la BO sur les voies aériennes s’appelle “syndrome de bronchiolite oblitérante” (SBO) ; son diagnostic relève des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR), épreuves non invasives qui peuvent être facilement renouvelées. Ce diagnostic s’accompagne de la réduction progressive des débits respiratoires et de signes radiologiques constants au niveau du scanner effectué en expiration forcée (1). La définition et la classification du SBO reposent aujourd’hui sur l’étude des débits expiratoires distaux DEM 25-75 (débit expiratoire maximal médian dans la zone 25 à 75 % de la capacité vitale) et du VEMS (volume expiré maximal par seconde) [2, 3]. Trois grades ont été initialement définis par l’ISHLT (International Society of Heart Lung Transplantation) avec différents niveaux de gravité établis par rapport à la valeur de référence individuelle de chaque patient, c’est-à-dire son meilleur score (stade 0). Le grade 0 correspond à l’absence de SBO et les niveaux 1, 2 et 3 à la diminution plus ou moins importante du VEMS (respectivement inférieurs ou égaux à 80 %, 65 % et 50 % de la valeur de référence). Mais le VEMS explore surtout les voies aériennes proximales, amenant à des diagnostics tardifs. Il y a 5 ans, la classification a pris en considération un stade supplémentaire 0-p (p = possible ou probable) correspondant à une baisse de 20 % du DEM 25-75 pour un VEMS constant. En prenant en compte l’imagerie et la courbe débit/volume, l’illustration de ces différents stades apparaît clairement dans les exemples ci-joints. La figure 1 correspond à l’absence de BO et de SBO pour laquelle la courbe débit/volume présente une allure convexe. Aux premiers stades d’apparition (figure 2), on décèle une hyperplasie du chorion, se traduisant par un syndrome obstructif dont l’expression radiologique confère un aspect caractéristique en verre dépoli au scanner (image type de vidage hétérogène d’obstruction) et par une concavité de la courbe volumétrique liée à son incurvation, signant la baisse des débits expirés. Le SBO se traduit par une difficulté fonctionnelle à vider correctement le poumon en expiration. Les stades 2 et 3 (figure 3) correspondent à l’apparition d’un bourgeon charnu intrabronchique, tandis que la courbe débit/ volume accentue sa déformation et que le VEMS est également Débit (l/s) Débit/volume Temps (s) 7 0 6 1 5 2 4 3 3 4 2 5 1 6 0 7 –1 8 –2 –3 = Normal 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 Volume (l) 9 10 Figure 1. Bronchiolite oblitérante = 0/syndrome de bronchiolite oblitérante stade 0. * Chirurgie cardiovasculaire, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. ** Service de pharmacologie, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 233 Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2006 M ise au point atteint. Au stade 4, l’imagerie devient celle d’une occlusion bronchique, exprimant une raréfaction vasculaire d’aspect “en arbre mort”, accompagnée d’un effondrement des débits expirés dont la courbe rejoint l’enveloppe de regroupement du volume courant caractérisant la dyspnée (figure 4). L’EFR traduit l’effondrement des débits expirés (figure 5). En résumé, l’évolution du syndrome de BO est irréversible : l’enjeu en termes de besoin médical est donc aujourd’hui majeur. Une notion fondamentale à prendre en compte dans la prévention de la BO est son caractère multifactoriel. Ainsi, il est possible d’agir sur les nombreux facteurs de risque (1) de survenue de la BO, notamment : ✓ Le nombre d’épisodes de rejet aigu, qui a été réduit avec l’introduction du tacrolimus et l’optimisation du suivi thérapeutique pharmacologique des immunosuppresseurs. ✓ Les infections à cytomégalovirus (CMV), dont la prévention a pu être améliorée par des traitements antiviraux disponibles par voie intraveineuse (ganciclovir), et sous la forme de prodrogue pour favoriser la biodisponibilité orale (valganciclovir). 5 4 3 2 Hyperplasie du chorion 1 0 –1 –2 –3 Verre dépoli Figure 2. Syndrome de bronchiolite oblitérante stade 0-p ou 1. 4 5 3 4 2 3 1 0 Occlusion bronchique 2 –1 1 –2 0 Bourgeon charnu intrabronchique –3 –1 –4 –2 Raréfaction vasculaire de la dilatation des bronches –3 Figure 3. Syndrome de bronchiolite oblitérante stades 2 et 3. Figure 4. Syndrome de bronchiolite oblitérante stade 4. Attention : âge extrapolé = 53 150 130 Référence 110 90 70 50 30 10 Figure 5. Explorations fonctionnelles respiratoires. Effondrement des débits expirés. 2 4 6 1er janvier 2000 8 10 12 2 2001 234 4 6 8 10 12 2 2002 4 6 8 10 12 Mois Date (an) Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2006 M ise au point ✓ Le temps d’ischémie froide. ✓ L’âge du donneur. Et, de manière plus spécifique : ✓ L’existence d’un reflux gastro-œsophagien, facteur déterminant, diminué par des thérapeutiques médicamenteuses (isoméprazole et dompéridone) ou chirurgicales (fundoplicature sous cœlioscopie). En termes de thérapeutiques, la modification du traitement immunosuppresseur peut également jouer un rôle, mais, à ce jour, aucun médicament n’a démontré un effet de réduction de l’altération de la fonction respiratoire. Les résultats à 6 mois comme à 3 ans de l’étude mycophénolate mofétil (MMF) versus azathioprine en transplantation pulmonaire, analysant 315 patients, n’ont montré aucune différence significative, tant sur l’incidence du rejet aigu (56,6 % pour MMF versus 60,3 % à 3 ans) que sur celle de la BO (73 % pour MMF versus 75 % à 3 ans ; p = 0,7) ou la survie des patients (75 % pour MMF versus 69 % à 3 ans ; p = 0,18) [4, 5]. Aujourd’hui, l’apparition de nouvelles classes thérapeutiques comme les inhibiteurs du signal de prolifération (ISP) permet d’espérer améliorer la prise en charge des patients transplantés. Ainsi, l’utilisation de l’évérolimus en transplantation pulmonaire peut paraître attractive du fait de ses propriétés d’inhibition in vitro du signal de prolifération des fibroblastes humains induit par les facteurs de croissance (6, 7). Cependant, deux questions se posent : l’évérolimus est-il efficace dans la prévention du rejet aigu ainsi que dans celle de la BO en pratique clinique ? L’étude B159, menée sur 213 patients de façon randomisée et en double aveugle, a permis d’évaluer l’apport potentiel en transplantation pulmonaire de l’évérolimus, aujourd’hui commercialisé en transplantation rénale et cardiaque. Toutefois, il faut souligner la faisabilité en transplantation pulmonaire d’une étude randomisée de grande envergure en double aveugle. Cette étude multicentrique a été réalisée dans 33 centres (16 américains et 17 européens ou australiens) et comportait deux bras de traitement : un bras évérolimus (101 patients) et un bras azathioprine (112 patients) [8]. La période de sélection a été de 3 à 6 semaines. Les patients pouvaient être recrutés entre 3 à 36 mois post-transplantation et le critère d’inclusion principal reposait sur un VEMS supérieur à 80 % de la valeur de référence de l’ISHLT. La randomisation a été effectuée lors de la première administration du traitement, à savoir ciclosporine (à dose standard) + évérolimus (3 mg/j sans suivi thérapeutique pharmacologique [STP]) + corticoïdes pour le premier bras versus ciclosporine (à dose standard) + azathioprine (1 à 3 mg/kg/j) + corticoïdes pour le second. Le critère principal de jugement de l’efficacité était un critère composite établi sur la combinaison d’une baisse du VEMS supérieure à 15 %, de la perte du greffon, du décès ou de la perte de vue à 12 mois. L’incidence de ce critère a été significativement (p = 0,045) plus élevée dans le groupe azathioprine (33,98 %) que dans le groupe évérolimus (21,8 %). La progression de la BO a été, quant à elle, évaluée par la diminution du VEMS par rapport au statut initial d’entrée dans l’étude (mesuré pendant la période précédant l’inclusion). Chaque patient était donc son propre témoin. À 12 mois, ce critère était en faveur de l’évérolimus. Ainsi, une diminution du VEMS supérieure à 15 % a été statistiquement (p = 0,034) plus importante dans le groupe azathioprine (27,7 %) que dans le groupe évérolimus (15,8 %) [figure 6]. De plus, l’évérolimus apparaît aussi plus efficace que l’azathioprine dans la prévention du rejet aigu, que ce soit sur l’incidence du rejet aigu traité (7,9 % versus 32,1 % ; p < 0,001), celle du rejet aigu suspecté cliniquement et prouvé par biopsie (10,9 % versus 25,9 % ; p < 0,001) ou celle du rejet prouvé par biopsie de grade supérieur à 2A (6,9 % versus 17,9 % ; p = 0,022) [figure 7]. En revanche, comme dans les études princeps en transplantation rénale et cardiaque, l’association d’évérolimus à des doses Incidence d’une diminution > 15 % du VEMS (%) 45 p = 0,034 40 35 30 27,7 % 25 20 15,8 % 15 0 (n = 112) (n = 101) Azathioprine 1-3 mg/kg/j Évérolimus 3 mg/j Figure 6. Efficacité de l’évérolimus à 12 mois sur l’incidence de la diminution > 15 % du volume expiratoire moyen par seconde (VEMS) versus azathioprine. Incidence du rejet aigu (%) p < 0,001 35 30 p < 0,001 32,1 % 25,9 % 25 20 15 10 5 0 p < 0,022 17,9 % 7,9 % Rejet aigu traité 10,9 % Rejet aigu suspecté cliniquement et prouvé par biopsie Azathioprine 1-3 mg/kg/j 6,9 % Rejet aigu prouvé par biopsie grade > 2A Évérolimus 3 mg/j Figure 7. Efficacité de l’évérolimus sur le rejet aigu versus azathioprine en transplantation pulmonaire à 12 mois. 235 Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2006 M ise au point standard de ciclosporine a montré qu’elle potentialisait la néphrotoxicité de cette dernière. Ainsi, la fonction rénale a été moins bonne dans le bras évérolimus. À 12 mois, sur les 63 patients traités par évérolimus, la créatininémie a été en moyenne de 176 ± 78 versus 158 ± 50 µmol/l pour les patients sous azathioprine (p = 0,108). Les résultats étaient significatifs sur la différence calculée par rapport à l’état basal : 43 ± 62 µmol/ l versus 14 ± 37 µmol/l (p < 0,001). Comme en transplantation rénale, des études utilisant l’évérolimus avec des doses réduites de ciclosporine seront nécessaires pour valider le fait que l’on peut améliorer les résultats sans pénaliser la fonction rénale. En termes de sécurité, le bilan infectieux à 12 mois, toutes infections confondues, était équivalent (82 % versus 80,2 % pour l’azathioprine). Cependant, on observe une répartition différente, avec, dans le bras évérolimus, plus d’infections bactériennes (35,1 % versus 17,1 % ; p = 0,004) et plus d’infections fongiques (27,9 % versus 14,4 % ; p = 0,021) dont 3 à 4 % ont été traitées avec de l’amphotéricine B par voie systémique. L’incidence des infections virales a été similaire dans les deux groupes (29,7 % versus 28,8 %). Il faut cependant pondérer ce dernier résultat par la mise en place quasi systématique d’une prophylaxie par le ganciclovir en transplantation pulmonaire. Par ailleurs, la revue des effets indésirables de la base de données de l’ensemble des études cliniques réalisées en transplantation rénale (B201/B251), cardiaque (B253) et pulmonaire (B159) a permis de recenser les anomalies pulmonaires non infectieuses de type pneumopathie interstitielle incluant des formes de pneumonie, fibrose pulmonaire, granulomatose pulmonaire, BOOP et pneumonie cytogénique organisée. Au total, 6 cas ont été rapportés avec l’évérolimus 3 mg, versus un cas sous MMF. Aucun cas n’a été rapporté avec 1,5 mg d’évérolimus. En conclusion, cette incidence correspond à 1 % à des patients, ce qui est habituellement observé. À 24 mois, l’incidence de la diminution du VEMS > 15 % a été de 41,1 % pour l’azathioprine versus 34,7 % pour l’évérolimus, sans différence significative (p = 0,333). Les résultats significatifs sur l’incidence des rejets aigus traités ont été conservés et restent supérieurs avec l’évérolimus (14,9 % versus 41,1 % ; p < 0,001), y compris sur les rejets aigus suspectés cliniquement et prouvés par biopsie (19,8 % versus 33,9 % ; p = 0,018). Ces résultats s’expliquent par le fait que la répartition des patients encore sous traitement à 24 mois a été différente de celle des résultats à 12 mois. Dans le groupe évérolimus, sur 101 patients inclus, 61,4 % ont arrêté leur traitement : 41,6 % pour événement indésirable et 8,9 % pour efficacité insuffisante. Dans le groupe azathioprine, sur 112 inclusions, 46,4 % des patients ont arrêté leur traitement : 19,6 % pour effets indésirables et 17,9 % pour effet thérapeutique insuffisant. Cette répartition inégale limite donc l’analyse à 24 mois en provoquant un important déséquilibre entre les deux groupes et une diminution certaine de la puissance de l’essai. De plus, le choix d’une dose fixe d’évérolimus à 3 mg/j, sans suivi thérapeutique pharmacologique de ses concentrations sanguines, en particulier chez les patients porteurs d’une mucoviscidose et en association à une dose standard de ciclosporine, représente une pratique médicale très différente de l’approche optimisée au plan individuel préconisée aujourd’hui dans l’AMM de ce nouveau immunosuppresseur. On peut cependant constater dans cette étude en transplantation pulmonaire que la fourchette de taux résiduels d’évérolimus efficace et bien tolérée varie entre 3 et 12 ng/ml en association avec de la ciclosporine et des corticoïdes (9). conclusion Cette étude B159 montre une efficacité en faveur de l’évérolimus à un et deux ans en termes de prévention du rejet aigu et à un an en termes de rejet chronique. Toutefois, l’évérolimus, lorsqu’il est associé à des doses standard de ciclosporine, s’accompagne d’une plus forte incidence des infections bactériennes et fongiques ainsi que d’une potentialisation de la néphrotoxicité de la ciclosporine. Cependant, c’est la première fois qu’un immunosuppresseur démontre qu’il est possible d’obtenir un ralentissement de la perte de la fonction respiratoire à un an, et donc un effet potentiel sur la BO. L’utilisation d’évérolimus en transplantation pulmonaire peut être envisagée sérieusement et, pour optimiser cette approche, un nouvel essai clinique de type académique (australo-européen) est actuellement mis en place dans quelques centres français. Il a pour objectif d’évaluer l’efficacité et la tolérance de deux types d’association : ciclosporine à dose réduite plus évérolimus versus ciclosporine à dose standard plus acide mycophénolique. ■ R é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Boehler A, Estenne M. 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