R e v u e d e ... Transplantation hépatique pour hépatite alcoolique aiguë grave corticorésistante

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Transplantation hépatique pour hépatite
alcoolique aiguë grave corticorésistante
Une période d’abstinence minimale de 6 mois est un
prérequis classique avant d’envisager une transplantation hépatique (TH) pour maladie alcoolique du foie.
Cependant, l’hépatite alcoolique aiguë (HAA) grave
résistante au traitement médical sort de ce schéma,
puisque le risque de mortalité qu’elle fait encourir
dépasse 70 %, et que les décès ont lieu dans les 2 mois
suivant le diagnostic (1). Cet article avait pour objectif
de rapporter une expérience franco-belge de TH pour
HAA grave corticorésistante effectuée dans le cadre
d’un protocole expérimental approuvé, en France, par
l’Agence de la biomédecine et les sociétés savantes.
L’HAA est considérée comme grave lorsque la fonction
discriminante de Maddrey, calculée ainsi : 4,6 × temps de
prothrombine [TP] en secondes – TP témoin + bilirubine
en mg/dl, est ≥ 32. Un traitement corticoïde est alors
entrepris (40 mg/j, pendant au moins 7 jours). La corticorésistance est définie ici par un score de Lille ≥ 0,45 à
J7 (1), ou par une augmentation continue du score MELD.
Sept centres (6 français, 1 belge) ont inclus les patients
selon les critères suivants : HAA (histologiquement
prouvée dans 88 % des cas) grave (fonction discriminante de Maddrey ≥ 32) et corticorésistante (score de
Lille ≥ 0,45 ou aggravation de la fonction hépatique
malgré le traitement), entourage familial présent et
favorable, absence de comorbidité ou de trouble psychiatrique grave, et accord donné par le patient pour
un programme de sevrage définitif. L’inscription sur
liste d’attente nécessitait par ailleurs l’accord des différents intervenants (médical, infirmier, psychologique/
psychiatrique) selon un schéma rigoureux. La survie
des patients transplantés a été comparée à celle d’une
cohorte historique appariée (selon le sexe, la fonction
de Maddrey et le score de Lille, à partir d’une base de
651 témoins potentiels).
Au total, 26 patients (score de Lille médian de 0,88)
ont été sélectionnés et inscrits sur liste d’attente en
médiane 13 jours après le constat de la non-réponse au
traitement médical, entre 2006 et 2010. Les principales
données cliniques sont indiquées dans le tableau. Le
score MELD médian à l’inscription était de 34, de sorte
que le délai entre inscription et TH a été bref (9 jours
en médiane). Il est à noter que 90 % des décès dans
le groupe témoin ont eu lieu dans les 2 mois qui ont
suivi le diagnostic.
La survie à 6 mois (± erreur standard de la moyenne
[ESM]) était meilleure chez les patients transplantés
de cette série que chez les patients de la cohorte his-
Tableau. Données cliniques avant transplantation hépatique.
Infection
Infection bactérienne
Infection d’ascite
Infection pulmonaire
Bactériémie
Autre infection
69 %
23 %
19 %
19 %
23 %
Type d’agent infectieux
Bactérie Gram–
Bactérie Gram+
Pneumocystis
Infection fongique
35 %
23 %
8%
12 %
Complication
Syndrome hépatorénal
Dialyse ou MARS
Hémorragie digestive
Ventilation
58 %
38 %
15 %
15 %
Délai et score MELD (médiane, extrêmes)
Délai entre la corticothérapie et l’inscription
MELD à l’inscription
Délai entre l’inscription et la transplantation hépatique
13 j (1-46 j)
34 (25-41)
9 j (1-37 j)
MARS : Molecular Adsorbants Recirculation System.
torique (77 ± 8 % versus 23 ± 8 % ; p < 0,001). Elle était
similaire à celle des patients atteints d’HAA et répondeurs au traitement corticoïde (85 ± 4 % ; p = 0,33).
Le bénéfice chez les patients transplantés persistait
pendant les 2 ans d’extension de suivi (HR = 6,08 ;
p = 0,004). Seuls 3 patients ont repris une consommation d’alcool, 720, 740 et 1 140 jours après la greffe.
Les patients transplantés pour HAA représentaient
moins de 2 % des patients admis pour HAA grave
(dans les centres de Lille et de Bruxelles, possédant
un répertoire précis des patients admis). La TH pour
HAA grave n’a représenté, dans les 7 centres recruteurs,
que 2,9 % des greffons disponibles. Pendant la même
période, 891 transplantations ont été réalisées dans les
7 centres (dont 315 pour maladie alcoolique du foie).
Les 2 principales causes d’exclusion du programme de
TH ont été un risque de rechute alcoolique jugé trop
important et un entourage considéré comme défavorable dans 90 % des cas.
Après transplantation, 5 des 6 décès étaient liés à une
infection, notamment à une infection aspergillaire dans
4 cas ; un cas supplémentaire d’aspergillose invasive
(cérébrale) a été enregistré chez un patient qui a survécu
sous voriconazole.
Commentaires. Ce travail, bien accepté par la communauté
des transplanteurs hépatiques, même dans les pays anglosaxons, montre clairement le bien-fondé de la TH en cas
d’HAA grave corticorésistante. Il montre que seuls 2,9 % des
greffons ont été utilisés dans cette indication encore très mino-
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ritaire, mais susceptible de se voir étendue, à l’avenir, si elle
est officiellement reconnue. L’une des questions essentielles
concerne la mauvaise acceptation de la TH pour maladie
alcoolique non sevrée par la population, avec le risque de
voir augmenter le taux des refus de prélèvement d’organes.
D’autres indications peuvent être également mal considérées,
comme l’hépatite fulminante par absorption de paracétamol,
ou les maladies virales liées à une ancienne toxicomanie. Un
débat public houleux risque toujours d’avoir lieu.
Même si la période d’abstinence a été brève dans ce travail,
les autres paramètres pris en compte ont été clairement
efficaces, puisque la récidive alcoolique n’a concerné que 3
cas sur 26, un taux plutôt inférieur à celui dont font état les
études réalisées chez les patients transplantés pour cirrhose
alcoolique après un sevrage de 6 mois. La durée du sevrage
apparaît de plus en plus comme un critère médiocre, choisi
du seul fait de sa simplicité.
Une prophylaxie antifongique est clairement indispensable
dans ce groupe de patients, où le risque d’aspergillose invasive
est élevé, probablement en raison du déficit immunitaire
profond induit par l’HAA et de la corticothérapie administrée
avant la greffe.
Yvon Calmus (Paris)
• Mathurin P, Moreno C, Samuel D et al. Early liver transplantation for
severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2011;365:1790-800.
1. Louvet A, Naveau S, Abdelnour M et al. The Lille model: a new tool for
therapeutic strategy in patients with severe alcoholic hepatitis treated
with steroids. Hepatology 2007;45:1348-54.
Tolérance du greffon rénal :
enfin des résultats encourageants !
L’induction d’un état de tolérance constitue l’objectif
ultime de la recherche en immunologie de la transplantation, puisqu’elle permettrait de faire disparaître l’ensemble des complications de l’immunosuppression tout
en maintenant la fonction de l’allogreffe. Si cet état peut
être relativement aisément obtenu chez le petit animal
de laboratoire, les exemples chez le grand animal sont
beaucoup plus rares et, chez l’humain, exceptionnels. Une
des stratégies utilisées pour induire une tolérance est de
générer un état de chimérisme hématopoïétique dans
lequel les cellules de l’immunité du receveur viennent
en partie du donneur. Une telle stratégie avait déjà été
développée dans le New England Journal of Medicine, en
2008, par l’équipe de David Sacks, qui rapportait les cas de
5 patients ayant reçu une transplantation combinée de
rein et de moelle de donneurs vivants apparentés haploidentiques après une induction non myéloablative (1).
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Un chimérisme temporaire avait pu être mis en évidence.
Alors qu’un sujet avait présenté un rejet humoral irréversible, une tolérance avait pu être induite chez les 4 autres,
avec une fonction rénale stable à distance de l’arrêt des
immunosuppresseurs. Le suivi à plus long terme a néanmoins montré les limites de cette approche, avec la survenue de plusieurs accidents immunologiques à type de
rejets aigus et d’apparition d’anticorps spécifiques du
donneur. Une seule autre publication, également dans
le New England Journal of Medicine avait aussi rapporté
une tolérance induite chez des greffés de rein ayant reçu
une transplantation combinée de rein et de moelle d’un
donneur vivant HLA identique, avec, cette fois, un chimérisme stable observé chez uniquement 1 patient sur 12
ayant reçu ce protocole (2).
Pour l’instant, donc, aucune étude n’avait rapporté de
résultats encourageants dans la situation de transplantation HLA incompatibles. C’est dans ce sens qu’un
article publié en mars dans la revue Science Translational
Medicine pourrait bien révolutionner notre vision de
l’induction de tolérance en clinique. Ces équipes de
Chicago et de Louisville ont développé une approche
novatrice d’induction de tolérance par induction d’un
chimérisme hématopoïétique. Les auteurs ont associé
à un conditionnement non myéloablatif (fludarabine,
irradiation corporelle totale de 200 cGy, cyclophosphamide) du receveur l’injection d’un mélange de cellules
souches hématopoïétiques (CSH) enrichies en cellules
“tolérogènes facilitantes”, constituées essentiellement de
cellules CD8+ mais n’exprimant pas le TCR, qui seraient
représentées essentiellement par une sous-population
de précurseurs de cellules dendritiques plasmacytoïdes.
Dans des modèles expérimentaux, ces cellules avaient
déjà montré leur potentiel pour améliorer la prise des
greffes de cellules hématopoïétiques tout en diminuant l’incidence de la réaction du greffon contre l’hôte
(GVH). Dans l’étude rapportée dans Science Translational
Medicine, l’immunosuppression initiale comportait, après
la phase de conditionnement, l’association de mycophénolate mofétil, arrêté à 6 mois après la transplantation,
et de tacrolimus, arrêté à 1 an.
Huit patients âgés de 29 à 56 ans ayant reçu un greffon
rénal de donneurs apparentés ou non ont été inclus dans
cette étude. Parmi les 4 patients ayant reçu un rein apparenté, le degré de compatibilité HLA allait de 3 à 5 sur 6.
Parmi les receveurs d’un rein non apparenté, le degré de
compatibilité n’était que de 1 sur 6 pour 3 patients et de
2 sur 6 pour le quatrième. Un chimérisme a été observé
chez tous les patients à 1 mois de greffe. Dans 2 cas, ce
chimérisme n’a été que transitoire et les patients ont
été maintenus en monothérapie par tacrolimus à faible
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dose. Un sujet a développé une infection
grave 2 mois après la transplantation, compliquée de thrombose de l’artère du greffon.
Pour 5 sujets, un chimérisme durable a pu être
prouvé et les tests in vitro de prolifération ont
démontré l’état de tolérance spécifique du
donneur et le maintien de l’immunocompétence. Ces 5 patients ont pu être sevrés avec
succès de tous les immunosuppresseurs 1 an
après la transplantation. Aucun des patients
n’a développé d’anticorps anti-HLA spécifique
de leur donneur, aucun épisode de rejet aigu
n’a été signalé et aucun signe de GVH n’a été
rapporté.
Commentaires. Le point remarquable et tout à
fait original est donc que, outre le fait qu’elle ait
permis l’acceptation du greffon, cette stratégie a
conduit à un chimérisme durable 5 des 8 sujets, et
à l’induction d’une tolérance des receveurs pourtant très HLA-incompatibles avec les donneurs.
Ces résultats suggèrent donc que cette approche
de greffe combinée rein/moelle après conditionnement non myéloablatif et injection de cellules
“tolérogènes facilitantes” permet d’obtenir un
chimérisme durable et un état de tolérance avec
un recul allant jusqu’à 20 mois sans immunosupresseur.
Quelques points demeurent bien sûr en suspens.
Il reste difficile de faire la part des choses entre
les différents éléments du conditionnement pour
expliquer le résultat. Les auteurs soulignent l’intérêt de ces cellules souches hématopoïétiques
tolérogènes facilitantes. Ces cellules restent pour
l’instant en grande partie un mystère, un brevet ne
permettant pas d’avoir d’informations précises sur
leur origine et leurs caractéristiques. D’autre part,
bien que déjà fort impressionnant, le suivi n’est
encore qu’assez limité et un suivi à long terme sera
indispensable pour assurer l’absence de lésions de
rejets chroniques, par exemple. Autant de questions auxquelles il faudra répondre avant d’avoir
une idée plus précise de l’avenir de cette stratégie
d’allure prometteuse.
Dany Anglicheau (Paris)
• Leventhal J, Abecassis M, Miller J et al. Chimerism and
tolerance without GVHD or engraftment syndrome in HLAmismatched combined kidney and hematopoietic stem
cell transplantation. Sci Transl Med 2012;4(124):124ra28.
1. Kawai T, Cosimi AB, Spitzer TR et al. HLA-mismatched renal
transplantation without maintenance immunosuppression.
N Engl J Med 2008;358(4):353-61.
2. Scandling JD, Busque S, Dejbakhsh-Jones S et al. Tolerance
and chimerism after renal and hematopoietic-cell transplantation. N Engl J Med 2008;358(4):362-8.
Les articles publiés dans Le Courrier de la Transplantation le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© juin 2001 - Edimark SAS
Imprimé en France - EDIPS - 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution
Un supplément de 20 pages “Compte-rendu d’après l’ATC en transplantation rénale” (B.M.S.) est routé avec ce numéro.
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