Texte - TACT

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Découverte de la géométrie hyperbolique et de la géométrie elliptique à l’aide
de Cabri-géomètre
Marie-France Thibault
[email protected]
Département de mathématiques et d’informatique
Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada
Résumé : Ce texte permet de découvrir et de visualiser à l’aide du logiciel Cabri-géomètre les
principales propriétés de la géométrie hyperbolique et de la géométrie elliptique en deux
dimensions et de les comparer aux propriétés de la géométrie euclidienne du plan. Il contient
plusieurs figures Cabri qui permettent d’explorer ces différentes propriétés. Le lecteur est invité
à visualiser et à manipuler ces figures.
* Il est suggéré de maximiser la taille des figures pour voir les textes les accompagnant.
Les étudiants qui commencent leurs études universitaires n’ont pas toujours une vue très
structurée de la géométrie. Ils connaissent un certain nombre de résultats, mais ignorent souvent
comment les articuler les uns par rapport aux autres. Une partie de leurs connaissances est la
répétition de ce qu’on leur a dit, mais sans plus. Si on leur demande combien il y a de parallèles à
une droite donnée et passant par un point hors de cette droite, ils répondent «une», quelquefois
après hésitation, et si on leur demande pourquoi, ils ne savent pas toujours comment justifier leur
réponse. Souvent, ils n’ont entendu parler que de la géométrie euclidienne et n’imaginent pas que
d’autres géométries puissent exister.
Le logiciel Cabri-géomètre nous offre la possibilité de visualiser d’autres géométries et d’en
découvrir plusieurs propriétés. Cabri-géomètre permet ainsi de faire surgir la nécessité de preuves
ou de vérifications.
Je vous propose de découvrir et d’explorer la géométrie hyperbolique et la géométrie elliptique à
travers des modèles dans le plan euclidien.
Ce texte est accompagné d’un tableau en annexe, tableau qu’il peut être intéressant de remplir au
fur et à mesure de la lecture pour comparer les différentes propriétés que l’on découvrira au cours
de ce texte.
Droites et cercles
Qu’est-ce qu’une droite ?
Aucun étudiant ne peut vraiment répondre à cette question, à moins de dire que c’est une ligne
sans courbe, une ligne «droite». Ne nous étonnons pas. Même Euclide ne fut pas capable de le
formuler correctement. Il a dit qu’une droite était constituée de points et s’étendait indéfiniment.
Rien ne dit alors qu’une droite doit être «droite».
Pourquoi une «droite» ne pourrait-elle pas être un immense cercle, les sections que nous en
percevons nous semblant des «droites»? Semble-t-il que même les rayons laser courbent autour
de la terre et, donc, ne suivent pas notre idée intuitive d’un chemin droit. De plus, pourquoi
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envisageons-nous le plan comme un immense carré ou rectangle dont les côtés sont infinis? Ne
pourrions-nous pas envisager le plan à partir d’un cercle de rayon infini ?
Drcercle.fig
Explorons donc des modèles de géométrie dans lesquels les «droites» pourraient être des «arcs de
cercle». Pour faire ceci, quels cercles pourraient être intéressants ? Une des premières règles de
la géométrie, appelées axiomes, demande que par deux points passe une et une seule droite. Or
par deux points passent plusieurs et même une infinité de cercles. Nous allons donc restreindre
les cercles étudiés.
Situons-nous à l’intérieur d’un cercle donné de rayon aussi grand que l’on désire, cercle que nous
appellerons cercle horizon, et considérons comme points de notre géométrie les points intérieurs
au cercle horizon. Il y a deux collections de cercles qui nous offrent l’existence et l’unicité
désirée pour les «droites».
♦ Par deux points intérieurs au cercle horizon, passe un et un seul cercle orthogonal au cercle
horizon, c’est-à-dire coupant le cercle horizon à angle droit.
♦ Par deux points intérieurs au cercle horizon, il y a un et un seul cercle passant par ces deux
points qui coupe le cercle horizon en un diamètre.
Cercint.fig
Nous avons donc ici deux modèles intéressants pour étudier la géométrie (ou différentes
géométries).
Modèle de Poincaré
À l’intérieur d’un cercle horizon, considérons, comme points, les points intérieurs au cercle
horizon et comme droites, la partie intérieure au cercle horizon des cercles orthogonaux au cercle
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horizon. Seront aussi considérés comme droites les diamètres ouverts du cercle horizon, c’est-àdire les diamètres sans leurs extrémités.
Les commandes utiles pour les constructions dans le modèle de Poincaré sont fournies dans la
barre hyperbolique d’outils du logiciel Cabri-géomètre et sont préfixées par H (pour
hyperbolique). Les macro-constructions construites pour ce modèle à l’intérieur de cette
présentation seront préfixées par P.
Pmodele.fig
(suggestion : faire Revoir la construction)
Modèle de Klein
À l’intérieur d’un cercle horizon, considérons, comme points, les points intérieurs au cercle
horizon et les points du cercle horizon, les points antipodaux étant confondus, et comme droites,
la partie intérieure au cercle horizon des cercles coupant le cercle horizon en un diamètre, partie
intérieure à laquelle on ajoute le point d’intersection sur le cercle. Seront aussi considérés comme
droites les diamètres du cercle horizon augmenté de leur extrémité.
Comme ce modèle sera le seul modèle elliptique, les macro-constructions utiles pour travailler
dans ce modèle seront préfixées par E (pour elliptique).
Emodele.fig
(suggestion : faire Revoir la construction)
Nous considérerons aussi un troisième modèle combinant notre idée intuitive de droite
euclidienne et de cercle horizon.
Modèle de Beltrami-Klein
À l’intérieur d’un cercle horizon, considérons comme points les points intérieurs au cercle
horizon et comme droites, la partie intérieure au cercle horizon des droites euclidiennes coupant
le cercle horizon.
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BKmodele.fig
(suggestion : faire Revoir la construction)
Nous comparerons les propriétés de ces modèles au modèle classique de la géométrie
euclidienne, c’est-à-dire le plan cartésien R 2 . Nous explorerons les propriétés des parallèles, des
perpendiculaires, la mesure des angles et des segments, les triangles semblables, les rectangles et
l’aire des triangles.
Parallèles
Une des grandes différences entre les modèles concerne l’existence et l’unicité des parallèles.
Quand deux droites sont-elles parallèles ? Dans le plan euclidien, deux droites sont parallèles si
elles sont équidistantes l’une de l’autre. Ceci fait appel à la notion de distance. Il y a une façon
beaucoup plus simple de cerner le parallélisme. Dans le plan euclidien, deux droites sont
équidistantes si et seulement si elles n’ont aucun point commun.
Définition : Deux droites seront dites parallèles si elles n’ont aucun point commun.
Combien y a-t-il de parallèles à une droite donnée et passant par un point donné? La propriété
euclidienne des parallèles est bien connue.
♦ Dans R 2 , pour toute droite m et tout point P hors de la droite, il existe une et une seule
parallèle à m et passant par P.
La propriété précédente étant la version moderne d’un des axiomes d’Euclide pour la géométrie
euclidienne, tout modèle la possédant est dit euclidien.
Les modèles de Poincaré, de Beltrami-Klein et de Klein ne partagent pas cette propriété comme
nous pouvons le découvrir dans les figures Cabri Pparal.fig, Bkparal.fig et Eparal.fig.
♦ Dans le modèle de Poincaré, pour toute droite m et tout point P hors de la droite, il existe une
infinité de droites parallèles à m et passant par le point P.
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Pparal.fig
♦ Dans le modèle de Beltrami-Klein, nous retrouvons exactement la même propriété.
BKparal.fig
Ces deux modèles seront dits hyperboliques.
Que se passe-t-il dans le modèle de Klein ?
Eparal.fig
♦ Dans le modèle de Klein, deux droites se croisent toujours. Il n’y a donc pas de parallèles.
Un tel modèle est dit elliptique.
Angles
Comment mesurons-nous la «grandeur» d’un angle ?
♦ Dans R 2 , nous savons comment mesurer les angles.
♦ Dans le modèle de Poincaré, la mesure de l’angle formé par deux P-droites est celle de l’angle
euclidien formé par les deux tangentes aux P-droites au point d’intersection de ces P-droites.
Pangle.fig
♦ Dans le modèle de Klein, nous mesurons les angles de la même façon que dans le modèle de
Poincaré.
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Eangle.fig
Les deux modèles précédents sont dits conformes car la façon de mesurer les angles
correspondants à nos habitudes euclidiennes. Pour le modèle de Beltrami-Klein, nous ferons
appel à une mesure différente que nous verrons un peu plus loin.
Triangles
La mesure des angles nous permet de calculer la somme de la mesure des angles d’un triangle, un
triangle étant formé de trois sommets et des trois segments les unissant. Et ici, nous verrons que
les résultats euclidiens sont typiquement euclidiens.
♦ Dans R 2 , la somme des mesures des angles d’un triangle nous donne 180°.
Trianeuc.fig
♦ Dans le modèle de Poincaré, la somme des mesures des angles d’un triangle est toujours
inférieure à 180°.
Pmestri.fig
La différence entre 180° et la somme de la mesure des angles d’un triangle est appelée le défaut
du triangle. Le défaut d’un triangle hyperbolique est toujours positif.
♦ Et dans le modèle de Klein, la somme de la mesure des angles d’un triangle est supérieure à
180°.
Emestri.fig
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La différence entre la somme des mesures des angles d’un triangle et 180° est appelée l’excès du
triangle. Un triangle elliptique a toujours un excès positif.
Perpendiculaires
Comme pour les parallèles, nous nous intéressons à l’existence et à l’unicité de perpendiculaires,
une perpendiculaire à une droite m étant une droite qui coupe la droite m avec un angle droit ou
avec un angle de 90°. Combien y a-t-il de perpendiculaires à une droite donnée et passant par un
point donné?
Pour visualiser ceci dans le modèle euclidien, traçons une droite m et un point P non incident à m.
Choisissons un point Q de m et traçons la droite passant par P et Q. On peut alors mesurer l’angle
avec lequel cette droite coupe m. En variant la position du point Q, on se rend compte qu’il n’y a
qu’une seule perpendiculaire à m passant par P. On peut répéter l’expérience en plaçant P sur la
droite m et Q étant un point non incident à la droite m.
Perpeuc.fig
♦ Dans R 2 , pour toute droite m et pour tout point P, il existe une et une seule droite
perpendiculaire à m passant par P.
Dans le modèle de Poincaré, nous pouvons répéter la même expérience et nous trouvons le même
résultat.
Pperp.fig
♦ Dans le modèle de Poincaré, pour toute droite m et pour tout point P, il existe une et une seule
droite perpendiculaire à m passant par P.
Que se passe-t-il dans le modèle de Klein ?
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En répétant la même expérience, on semble trouver le même résultat sauf si le point P est à une
position précise que l’on appellera pôle de la droite.
Eperpole.fig
♦ Dans le modèle de Klein, pour toute droite m et pour tout point P différent du pôle de m, il
existe une et une seule droite perpendiculaire à m passant par P.
Qu’est-ce que le pôle d’une droite de Klein ? Le modèle de Klein représente la géométrie de la
demi-sphère modélisée dans le plan. Dans cette géométrie de la demi-sphère, les points sont les
points de la demi-sphère où les points antipodaux de la frontière sont confondus. Les droites de
cette géométrie sont les grands demi-cercles de la demi-sphère, c’est-à-dire les demi-cercles dont
le diamètre est le diamètre de la demi-sphère. La projection stéréographique de la sphère sur le
plan tangent à l’équateur à partir du pôle nord envoie la demi-sphère inférieure sur le disque
déterminé par l’équateur. En choisissant l’image de l’équateur comme cercle horizon, l’image des
grands demi-cercles sont les droites du modèle de Klein.
Sur la sphère, tout grand cercle admet deux pôles, c’est-à-dire deux points tels que tout autre
grand cercle passant par ces points coupe le grand cercle et est perpendiculaire à ce dernier. Par
exemple, les pôles de l’équateur sont le pôle nord et le pôle sud. Sur la demi-sphère, tout demicercle admet un pôle et le modèle de Klein partage cette propriété.
♦ Dans le modèle de Klein, toute droite m admet un point appelé pôle tel que toute droite
passant par ce point est perpendiculaire à m.
Epole.fig
Rectangles
Les rectangles existent-ils dans tous les modèles de géométrie ?
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Dans R 2 , pour construire un rectangle, nous prenons un premier segment AB, nous élevons une
perpendiculaire à ce segment au point A et nous choisissons un point C sur cette perpendiculaire.
Nous élevons une perpendiculaire au segment AC au point C et une perpendiculaire au segment
AB au point B. Le point à l’intersection de ces deux perpendiculaires nous donne le quatrième
sommet D du rectangle. Les quatre sommets du rectangle sont alors les points A, B, C et D.
Utilisons la même technique pour construire un rectangle dans les modèles de Poincaré et de
Klein.
Prectan.fig
et
Erectan.fig
Dans le modèle de Poincaré, quand les quatre sommets A, B, C et D génèrent un quadrilatère,
l’angle en D est toujours inférieur à 90°. Dans le modèle de Klein, quand les quatre sommets
engendrent un quadrilatère, l’angle en D est toujours supérieur à 90°.
♦ D’après Cabri, il n’existe pas de rectangle dans ces deux modèles.
Est-ce étonnant ?
Quadrilatères convexes.
Dans la figure suivante, nous apercevons trois quadrilatères convexes de sommets A, B, C et D,
chacun dans un modèle différent. Dans chacun des cas, nous pouvons tracer la diagonale AC et la
somme de la mesure des angles du quadrilatère est égale à la somme de la mesure des angles des
triangles ABC et ACD. Dans le cas euclidien, nous obtenons une somme de 360°. Dans le modèle
de Poincaré, nous obtenons une somme inférieure à 360° et dans le modèle de Klein, une somme
supérieure à 360°, et ce, pour tout quadrilatère convexe. Dans ces deux derniers modèles, il est
donc impossible de construire un rectangle puisque tout rectangle est un quadrilatère convexe
dont la somme de la mesure de ses angles est de 360° ( 4 fois 90°).
Quadconv.fig
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Triangles semblables
En géométrie euclidienne, nous rencontrons la notion de triangles semblables, deux triangles
étant semblables si leurs angles sont congrus deux à deux, c’est-à-dire si les deux triangles ont
des angles de même mesure. Existe-t-il des triangles semblables, mais non congrus, dans les
différentes géométries?
En géométrie euclidienne, il en existe. La photographie d’un triangle nous donne un triangle plus
petit que l’original, mais semblable au premier. Les deux triangles sont donc semblables, mais
non congrus.
Trieusem.fig
Que se passe-t-il en géométrie hyperbolique ? Dans la figure Cabri Ptrisem.fig, supposons que les
deux triangles ABC et A’B’C’ sont semblables, mais non congrus.
Ptrisem.fig
Superposons les triangles A’B’C’ sur le triangle ABC en déplaçant l’extrémité Y du vecteur pour
la superposer à l’extrémité X de ce vecteur. Si les triangles sont vraiment semblables, alors le
quadrilatère convexe BB’C’C aura 360° comme somme de la mesure de ses angles. Mais ceci est
impossible en géométrie hyperbolique. Donc, les triangles ne peuvent pas être semblables, même
si la figure peut donner cette impression, à moins d’être congrus. Pour le vérifier, on peut calculer
les angles des deux triangles dans la figure Cabri et constater qu’effectivement, ils ne sont pas
semblables.
L’impossibilité d’avoir des triangles semblables, mais non congrus, en géométrie hyperbolique
est basée sur le fait qu’un quadrilatère convexe hyperbolique ne peut avoir 360° comme somme
de la mesure de ses angles. Que se passe-t-il en géométrie elliptique ? On obtient la même
propriété car la somme des angles d’un quadrilatère convexe elliptique est de plus de 360° et
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donc ne peut être de 360°. Par conséquent, il n’y a pas de triangles elliptiques semblables à moins
d’être congrus.
Modèle de Poincaré et modèle de Beltrami-Klein.
Jusqu’ici, nous n’avons pas beaucoup examiné le modèle de Beltrami-Klein. Celui-ci va nous
permettre d’en apprendre un peu plus sur les parallèles hyperboliques.
Il est possible de trouver une correspondance entre le modèle de Beltrami-Klein et le modèle de
Poincaré, c’est-à-dire une correspondance biunivoque des points de l’un sur l’autre qui fasse
correspondre les droites de Beltrami-Klein aux droites de Poincaré, les segments de BeltramiKlein aux segments de Poincaré et qui préserve la congruence des segments et des angles.
Pour expliciter ceci, considérons un cercle horizon, le même pour les deux modèles. Considérons
la sphère ayant le cercle horizon comme équateur. Projetons les points du modèle de BeltramiKlein orthogonalement au cercle horizon sur la demi-sphère inférieure et par la suite associonsleur un point dans le modèle de Poincaré par une projection stéréographique à partir du pôle nord.
Nous pouvons ainsi trouver pour tout point de Beltrami-Klein son image dans le modèle de
Poincaré et inversement. La figure Cabri CorPetBK.fig illustre cette correspondance. Dans le
cercle de gauche, on associe à tout point de Poincaré un point de Beltrami-Klein tandis que dans
le deuxième cercle, on fait l’inverse, c’est-à-dire on associe à tout point de Beltrami-Klein un
point de Poincaré. Le troisième cercle nous donne le triangle de Beltrami-Klein associé au
triangle ABC de Poincaré et le quatrième cercle associe un triangle de Poincaré au triangle DEF
de Beltrami-Klein.
CorPetBK.fig
Cette correspondance entre le modèle de Beltrami-Klein et le modèle de Poincaré nous permet
maintenant d’associer une mesure à tout angle du modèle de Beltrami-Klein. Pour chaque angle
de Beltrami-Klein, trouvons son image dans le modèle de Poincaré et calculons sa mesure dans
ce dernier modèle. On assignera cette mesure à l’angle dans le modèle de Beltrami-Klein.
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Définition :
La mesure d’un angle dans le modèle de Beltrami-Klein est la mesure de
l’angle correspondant dans le modèle de Poincaré.
BKmesang.fig
Cette mesure des angles dans le modèle de Beltrami-Klein ne correspond pas à la mesure
euclidienne qu’on pourrait assigner à ces angles en tant qu’angles entre segments de droites
euclidiennes. C’est pourquoi le modèle de Beltrami-Klein n’est pas conforme et, dans ce modèle,
il ne faut pas se fier à notre intuition euclidienne pour évaluer les angles. Entre autres, les
perpendiculaires de Beltrami-Klein ne sembleront pas perpendiculaires d’un point de vue
euclidien. C’est ce que nous constaterons dans la prochaine figure.
Perpendiculaires dans le modèle de Beltrami-Klein
Les perpendiculaires à une droite donnée dans le modèle de Beltrami-Klein ont une propriété
particulière. Pour la découvrir, ouvrons la figure BKperpol.fig. Dans cette figure, les deux cercles
horizon sont distincts pour mieux voir ce qui se passe. Pour les superposer, il suffit de superposer
l’extrémité Y du vecteur sur l’extrémité X. En déplaçant le point C dans le modèle de Poincaré, on
génère différentes perpendiculaires à la droite AB. Dans le modèle de Beltrami-Klein, on peut
observer la BK-droite A’B’ correspondante et les BK-perpendiculaires correspondantes. Toutes
les droites porteuses des BK-perpendiculaires à la droite A’B’ passent par un même point, point
que nous appellerons pôle de la droite A’B’.
BKperpol.fig
Comment construit-on le pôle d’une droite AB dans le modèle de Beltrami-Klein ? Pour
construire celui-ci, appelons point idéal tout point du cercle horizon. À toute droite hyperbolique,
on peut associer deux points idéaux, les deux points d’intersection entre le cercle porteur de la
droite hyperbolique et le cercle horizon.
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Si O est le centre du cercle horizon du modèle de Beltrami-Klein et si a et b sont les points
idéaux de la droite AB, le pôle de la droite AB est le point d’intersection de la perpendiculaire au
point a du rayon aO et de la perpendiculaire au point bdu rayon bO.
BKpole.fig
L’existence d’un pôle à toute droite dans le modèle de Beltrami-Klein nous permet de découvrir
de nouvelles propriétés des parallèles en géométrie hyperbolique, différentes de celles des
parallèles euclidiennes.
En géométrie euclidienne, deux droites parallèles admettent une infinité de perpendiculaires
communes. De plus, la distance d’un point d’une droite à l’autre droite est constante. C’est
pourquoi l’on dit que deux parallèles euclidiennes sont équidistantes.
Equidist.fig
En est-il ainsi en géométrie hyperbolique ?
Quand deux droites de Beltrami-Klein admettent-elles une perpendiculaire commune ? La figure
Cabri Bkpercom.fig permet de répondre à cette question. La perpendiculaire commune à deux
droites doit passer par les pôles respectifs de ces deux droites. Lorsque les deux droites sont
concourantes, la droite joignant leurs pôles respectifs passe à l’extérieur du cercle horizon. Par
conséquent, il n’y a pas de perpendiculaire commune à ces droites. Que se passe-t-il si les deux
droites sont non concourantes, c’est-à-dire parallèles ? Deux parallèles de Beltrami-Klein
admettent une perpendiculaire commune à ces droites si la droite, qui joint leurs pôles respectifs,
coupe le cercle horizon. Ceci est vérifié lorsque ces deux droites n’ont pas de point idéal
commun. De telles parallèles seront appelées des parallèles divergentes. Lorsque deux droites
parallèles partagent un point idéal commun, leurs pôles respectifs et ce point idéal commun sont
colinéaires et il n’y a pas de perpendiculaire commune. Ces parallèles seront appelées parallèles
asymptotiques. Nous verrons un peu plus loin ce qui motive ce choix de noms. Notons que l’on
retrouve d’autres expressions pour désigner ces droites.
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BKpercom.fig
Comme toute droite admet deux points idéaux, il n’existe que deux droites parallèles
asymptotiques à une droite donnée et passant par un point P hors de la droite. Toutes les autres
parallèles seront des parallèles divergentes.
BKPparad.fig
♦ Dans le modèle de Beltrami-Klein, pour toute droite m et tout point P hors de la droite, il
existe deux parallèles asymptotiques à cette droite m et passant par le point P. Toutes les
autres parallèles à m et passant par le point P sont des parallèles divergentes. De plus, deux
parallèles divergentes admettent une et une seule perpendiculaire commune.
Comme il y a correspondance biunivoque entre les modèles de Beltrami-Klein et de Poincaré, le
même résultat se retrouve dans le modèle de Poincaré.
Distance hyperbolique.
La distance que nous retrouvons dans les modèles hyperboliques ressemble à la perception que
nous avons des distances lorsque nous regardons un paysage. Si nous voyons deux bâtons de
même longueur et que l’un est plus loin que l’autre par rapport à nous, nous percevons le premier
plus petit que le deuxième même s’ils sont de la même longueur. De même, dans le modèle de
Poincaré, plus un segment d’une longueur donnée s’éloigne du centre, plus il apparaît petit. On
perçoit bien cette mesure hyperbolique sur certains dessins de Maurits Cornelis Escher, entre
autres, «Limite circulaire I et Limite circulaire III».
http://www.mathacademy.com/pr/minitext/escher/circle_limit.gif
Sur la figure Cabri Psegcong.fig, nous pouvons visualiser plusieurs segments congrus. Dans la
figure Cabri Ptricong.fig, nous voyons des triangles congrus.
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Psegcong.fig
et
Ptricong.fig
La mesure dans le modèle de Beltrami-Klein se calcule à partir de la mesure dans le modèle de
Poincaré.
Définition :
Deux segments de Beltrami-Klein sont congrus si les segments de Poincaré
correspondants sont congrus.
Quadrilatères de Saccheri
Cette notion de longueur va nous permettre d’illustrer les quadrilatères de Saccheri. Saccheri a
étudié ces quadrilatères particuliers en espérant prouver l’existence de rectangles.
Un quadrilatère de Saccheri est un quadrilatère convexe ABCD admettant deux angles droits en A
et B et dont les côtés AD et BC sont congrus. Le côté AB d’un quadrilatère de Saccheri est appelé
la base du quadrilatère de Saccheri et le côté CD est appelé le sommet du quadrilatère. Saccheri
espérait prouver alors que ces quadrilatères n’avaient que des angles droits. D’après les résultats
antérieurs, on sait que cela ne peut être vrai en géométrie hyperbolique puisque la somme de la
mesure des angles doit être inférieure à 360°. Nous pouvons cependant prouver que les deux
derniers angles en C en et D sont congrus.
La figure Cabri Pquasac.fig illustre un quadrilatère hyperbolique de Saccheri dans le modèle de
Poincaré et une des ses propriétés qui nous permettra de mieux étudier les parallèles divergentes.
Pquadsac.fig
Dans tout quadrilatère de Saccheri, la droite passant par le point-milieu de sa base et le pointmilieu de son sommet est perpendiculaire aux deux droites porteuses de la base et du sommet.
Ces deux droites sont donc des droites parallèles divergentes. Sur le sommet, d’un côté du pointmilieu, traçons les segments qui mesurent la distance entre les points du sommet et la droite
porteuse de la base. Plus un point est éloigné du point-milieu du sommet, plus la distance par
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rapport à la base est grande. Par contre, deux points symétriques par rapport au point-milieu du
quadrilatère de Saccheri sont à une même distance de la base. Donc, deux droites parallèles
divergentes ont une distance minimale aux points d’intersection avec la perpendiculaire
commune et s’éloignent continuellement l’une de l’autre de façon symétrique par rapport aux
points de distance minimale. C’est pour cette raison qu’on peut les appeler des parallèles
divergentes. Cette propriété est illustrée dans le cercle de gauche de la figure Cabri suivante.
Ppadiasy.fig
Les parallèles euclidiennes sont équidistantes. Les parallèles hyperboliques divergentes ne le sont
pas. Qu’en est-il des parallèles hyperboliques asymptotiques ?
Supposons que nous avons deux parallèles asymptotiques C’D’ et A’B’ et que deux points C et D
de la parallèle C’D’ sont équidistants de la deuxième parallèle A’B’. On pourrait alors former un
quadrilatère de Saccheri ayant le segment CD comme sommet, les segments perpendiculaires
abaissés à partir des points C et D sur la deuxième droite A’B’ comme côtés et le segment
joignant les pieds A et B des perpendiculaires comme base. Les deux droites A’B’ et C’D’
porteuses du sommet et de la base du quadrilatère de Saccheri auraient alors une perpendiculaire
commune et donc seraient des parallèles divergentes, et non des parallèles asymptotiques. Nous
obtenons une contradiction et, par conséquent, l’hypothèse que nous avons faite est fausse.
Il est donc impossible que deux points de l’une des parallèles asymptotiques puissent être
équidistants de l’autre parallèle. Illustrons ceci dans le deuxième cercle de la figure Cabri
Ppadiasy.fig. À partir des points de l’une des parallèles asymptotiques, abaissons les segments
perpendiculaires à la deuxième droite qui mesurent la distance entre les points et la deuxième
droite. Toutes les distances sont distinctes. Plus on se rapproche du point idéal commun des
parallèles, plus la distance diminue et la distance tend vers zéro. De telles parallèles semblent se
comporter comme des asymptotes et c’est pour cette raison qu’on les appelle des parallèles
asymptotiques.
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Distance elliptique
Qu’en est-il de la mesure elliptique ? Les droites du modèle de Klein partagent les propriétés des
droites de la géométrie de la sphère et de celles de la géométrie de la demi-sphère. Tous les
grands cercles de la sphère ont une même longueur finie, toutes les droites du modèle elliptique
de Klein ont une même longueur finie. Deux points d’une droite de Klein déterminent toujours
deux segments tel qu’illustré dans la figure Cabri Edeuxseg.fig. Il ne faut pas oublier que dans ce
modèle, les points antipodaux du cercle horizon sont considérés comme un seul point du modèle
et, par conséquent, un segment peut passer par un tel point et se poursuivre de l’autre côté du
cercle. On définit la distance entre ces deux points comme étant le plus court chemin entre les
deux points, donc la longueur du plus petit des deux segments déterminés par les points. La
distance maximale entre deux points est alors la moitié de la longueur d’une droite de Klein.
Edeuxseg.fig
Dans la prochaine figure, on peut voir l’image C d’un point A par la symétrie centrale de centre
B. Les segments elliptiques AB et BC sont alors congrus.
Esymcent.fig
Aire des triangles hyperboliques et des triangles elliptiques.
Avant de terminer, notons deux autres propriétés étonnantes par rapport à l’aire des triangles de
la géométrie hyperbolique et de la géométrie elliptique. Dans la barre d’outils hyperboliques de
Cabri, on peut trouver le calcul de l’aire d’un triangle. Dans la figure Cabri Pairetri.fig suivante,
on se rend compte que l’aire d’un triangle hyperbolique est directement proportionnelle au défaut
du triangle. Dans ce cas-ci, non seulement l’aire est directement proportionnelle au défaut, mais
elle est égale au défaut si celui-ci est indiqué en radian (car dans ce logiciel, on a choisi
d’attribuer 1 comme aire à tout triangle qui a un défaut de 1 radian). Par conséquent, deux
triangles ayant même défaut ont même aire. Ceci est complètement faux en géométrie
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euclidienne puisque tous les triangles ont un défaut nul mais n’ont pas nécessairement la même
aire. De plus, comme le défaut d’un triangle est inférieur à 180°, les triangles hyperboliques ont
une aire maximale.
Pairetri.fig
En géométrie elliptique, on obtient des résultats similaires à ceux de la géométrie hyperbolique.
L’aire d’un triangle elliptique est directement proportionnelle à l’excès du triangle. L’excès d’un
triangle elliptique étant plus petit que 360°, chaque angle étant plus petit que 180°, les triangles
elliptiques ont aussi une aire maximale.
Conclusion et cercle de rayon infini
Nous voici à la fin de notre excursion en géométrie hyperbolique et en géométrie elliptique. Nous
avons exploré les géométries engendrées par certaines familles d’arcs de cercles ou de segments
de droites contenus dans un cercle de rayon fini appelé cercle horizon. Le modèle de Klein a
généré la géométrie elliptique et les modèles de Poincaré et de Beltrami-Klein, la géométrie
hyperbolique. En étudiant les propriétés de ces différentes géométries et en les comparant aux
propriétés euclidiennes, nous avons découvert en quoi elles se ressemblent et en quoi elles
diffèrent.
En terminant, reprenons une interrogation soulevée au début de cette présentation : « Ne
pourrions-nous envisager le plan euclidien comme un cercle de rayon infini ? » On peut aussi se
demander ce qui se passerait si le rayon du cercle horizon du modèle de Poincaré, ou du modèle
de Beltrami-Klein, était infini.
Hypeuc.fig
Les deux modèles se confondent alors et nous retrouvons le plan euclidien. La géométrie
hyperbolique dans un cercle de rayon infini devient la géométrie euclidienne.
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Références
Cederberg, Judith N. A Course in Modern Geometries, New York, Springer-Verlag, 1989.
Coxeter H. S. M. Non Euclidean Geometry, Toronto, University of Toronto Press, 1965.
Ernst, Bruno. Le miroir magique de M.C. Escher, Berlin, Taco, 1986.
Greenberg Marvin Jay. Euclidean and non Euclidean Geometries, New York, Freeman,1983.
Moise Edwin E. Elementary Geometry from an Advanced Standpoint, Reading, Addison-Wesley,
1990.
Sibley, Thomas Q. The geometry Viewpoint, Reading, Addison-Wesley, 1998.
Thibault, Marie-France et La Barre, R. Some Hyperbolic Geometry with Cabri-Géomètre, in
Intelligent Learnig Environments : The Case of Geometry, Edited by Jean-Marie Laborde, Berlin,
Springer-Verlag, 1996.
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Annexe I : Tableau des propriétés géométriques
Plan euclidien
Existence et nombre
de parallèles
Somme des angles
d’un triangle
Existence et nombre
de perpendiculaires
Existe-t-il des
rectangles?
Somme des angles
d’un quadrilatère
convexe
Angles d’un
quadrilatère de
Saccheri
Les parallèles sontelles équidistantes ?
Les triangles
semblables existentils?
L’aire d’un triangle
Longueur d’une
droite
Modèle de Poincaré
Modèle de Beltrami-Klein
Modèle de Klein
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