Paris le 29 février 2012 Cher Monsieur, Nous nous permettons de vous écrire, pour vous faire part de notre inquiétude concernant la diffusion du film "Édouard Drumont : histoire d'un antisémite français". Son producteur, Jacques Kirsner, nous a appris, en effet, votre projet de programmer celui-ci, en fin et non en début de soirée, comme cela était prévu initialement. Or, il nous paraît extrêmement dommage qu'un film qui s'efforce de faire la lumière sur toute une part oubliée, sinon déniée de notre histoire politique et, en particulier, sur la genèse d'une certaine forme de racisme et d'antisémitisme spécifiquement français, ne soit pas proposé à une audience la plus large possible, au moment même où la droite xénophobe qui en est l'héritière directe, risque de remporter, dans notre pays, un quart des suffrages à l'élection présidentielle. N'est-il pas du devoir de la télévision, en tant que moyen d’information de masse, et, plus encore, du service public, de contribuer activement à la lutte contre de telles idées, en décrivant les mécanismes par lesquels elles se développent et en en montrant les conséquences ? La France Juive d'Édouard Drumont n'était-il pas le livre de chevet de la plupart des défenseurs de la Révolution Nationale (parmi lesquels figurait Jean Drault, un des plus proches disciples de son auteur) ? Le régime vichyste n’a-t-il pas, pendant l’Occupation, rendu tous les honneurs au patron de la Libre Parole, à l’occasion, en particulier, du centenaire de sa naissance, célébré en grande pompe, en présence de sa veuve, de tous les grands collaborateurs et d’officiels nazis ? L’extrême droite française, enfin, qu’il s’agisse de l’OAS ou des mouvements Occident et Ordre Nouveau qui donneront naissance au Front National, ne s’est-elle pas toujours, officiellement ou officieusement, réclamée de lui ? Il nous semble important de défendre particulièrement ce film parce qu'il appartient à un genre nouveau de fiction documentaire et historique, qui se révèle fécond aussi bien pour les acteurs que pour les spectateurs que lasse un usage trop édulcoré, trop peu nourri et très imprécis de l'Histoire. Drumont est une figure à la fois refoulée et fondamentale du passé xénophobe de la France. Ne serait-il pas juste de lui donner une publicité forte, exacte et capable d'attirer une audience dépassant le cadre des connaisseurs, historiens et spécialistes de la question, que seuls mobiliserait une diffusion tardive? Nous aimons ce film, désirons ardemment le défendre, et souhaitons vivement qu'il puisse au moins ambitionner la reconnaissance qu'il mérite. Emmanuel Bourdieu, réalisateur du film. Denis Podalydès, interprète du rôle de Drumont. Recevez nos plus sincères et respectueuses salutations. Emmanuel Bourdieu et Denis Podalydès