MISE AU POINT Douleurs chez un patient atteint de cancer et bon usage des opioïdes Opioids in cancer pain, state of art P. Poulain 1, C. Delorme 2, M. Filbet 3, P. Ginies 4, I. Krakowski 5, J.F. Morère 6, F. Scotté 7, A. Serrie 8 L a gestion des opioïdes chez les patients cancéreux douloureux est toujours un sujet d’actualité. La douleur est en effet un symptôme extrêmement fréquent chez les patients atteints de cancer, à tous les stades de la maladie, et en particulier dans les formes avancées. Elle peut survenir dans différents contextes : elle est associée à la tumeur cancéreuse et peut annoncer une récidive ou une progression de la maladie tumorale dans 85 à 92 % des cas ; elle est due aux traitements antitumoraux (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) dans 20 % des cas ; elle est indépendante de la maladie et de ses traitements dans 2 à 10 % des cas (1). Chez un patient douloureux atteint d’un cancer, une évaluation précise de la douleur (intensité, localisation, type de douleur, traitements suivis, etc.) et une bonne compréhension des mécanismes sous-jacents sont indispensables pour une prise en charge thérapeutique adaptée. Dans un grand nombre de cas, les douleurs associées à un cancer nécessitent l’utilisation de traitements antalgiques de palier 3 (échelle OMS), de type opioïdes forts. La prise en charge des pathologies cancéreuses évolue, nécessitant au fil du temps une adaptation des traitements de la douleur. Enfin, la mise à disposition de nouvelles formes galéniques d’opioïdes permet d’affiner considérablement le traitement chez les patients présentant des symptômes très différents dans des contextes somatiques et psychologiques extrêmement variés. Épidémiologie de la douleur cancéreuse La douleur touche environ 1 patient sur 2 atteint de cancer tous stades confondus, et 3 patients sur 4 en cas de cancer avancé (1-3). Malheureusement, il semble que la douleur chez les patients cancéreux reste encore un symptôme trop souvent sous-traité, voire parfois non traité : 56 % des patients restent douloureux, les traitements sont mal adaptés dans 39 à 49 % des cas selon les études, et une absence de traitement est rapportée dans 30 % des cas (1-5). Pour plus de 2 patients sur 3, ces douleurs souvent intenses interfèrent de façon importante avec les activités de la vie quotidienne (1, 2). Identifier le type de douleur pour proposer un traitement approprié En pratique clinique et dans un premier temps, la douleur doit être précisément analysée de façon à en identifier la cause, l’intensité et les mécanismes sous-jacents (tableau I). 1 Institut Claudius-Regaud, Toulouse ; polyclinique de l’Ormeau, Tarbes. Centre hospitalier, réseau régional douleur, Bayeux. 2 Centre de soins palliatifs, centre hospitalier Lyon-Sud, Pierre-Bénite. 3 La Buffette, Saint-Clément-LaRivière. 4 5 Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvrelès-Nancy. 6 Hôpital Avicenne, Bobigny. Hôpital européen Georges Pompidou, Paris. 7 8 Hôpital Lariboisière, Paris. Tableau I. Évaluation de la douleur. Évolution de la douleur dans le temps • Début soudain ou progressif • Douleur continue ou intermittente • Historique Localisation et irradiations Intensité • Échelles d’évaluation : EVA, EN, EVS Caractéristiques • Brûlures, décharges électriques, dysesthésie Facteurs soulageant ou aggravant la douleur • Mouvements, position, fin de dose, traitement, caractère prévisible… Impact de la douleur • Qualité de vie • Activités quotidiennes • Troubles du sommeil Facteurs psychosociaux • Anxiété, dépression, contexte de vie, entourage… La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 | 491 Résumé Mots-clés Douleur Cancer Accès douloureux paroxystiques Opioïdes Highlights Pain is frequent in patients with cancer, especially in advanced cancers. A specific evaluation of the pain is necessary to propose a personalized treatment. Very often, pain in cancer patients requires opioid analgesic drugs. Breakthrough pain is a common problem in patients with cancer, a transitory exacerbation of pain superimposed on a background controlled pain, and is frequently under recognized and under treated. New opioids galenic formulations produce quicker and greater analgesia than oral morphine and are useful to manage breakthrough pain. A follow-up of patients with pain is recommended to adapt analgesic treatment. Keywords Pain Cancer Breakthrough pain Opioids Attention à ne pas confondre les accès douloureux paroxystiques avec les douleurs de fin de dose : • dont la survenue est systématique entre 1 heure et 3 heures avant l’horaire prévu de prise d’une nouvelle dose d’antalgiques (opioïdes à libération immédiate ou prolongée) dans un contexte de douleurs chroniques ; • dont l’installation est plus progressive et la durée plus longue que dans les accès douloureux paroxystiques ; • qui nécessitent une adaptation du traitement de la douleur de fond : augmentation des doses et/ou dimi­nution de l’intervalle d’admi­nistration des opioïdes. Encadré. Accès douloureux paroxystiques et douleurs de fin de dose. La douleur est fréquente chez les patients atteints de cancer, en particulier en cas de formes avancées. Une évaluation précise de la douleur est indispensable pour permettre une prise en charge thérapeutique adaptée. Très souvent, les douleurs associées à un cancer nécessitent le recours à des antalgiques de palier 3, de type opioïdes forts. Des accès douloureux paroxystiques caractérisés par une augmentation transitoire de la douleur, survenant sur un fond de douleur stable, chez des patients recevant un traitement de fond par opioïdes, peuvent survenir, mais ils restent encore trop souvent sous-diagnostiqués et soustraités. Les nouvelles formes galéniques d’opioïdes agissent rapidement et efficacement sur ces accès douloureux paroxystiques. Un suivi régulier de l’évolution de la douleur est indispensable pour adapter le traitement au cours du temps. Douleur aiguë ou douleur chronique ? La douleur cancéreuse peut se manifester de différentes manières dans le temps, avec des douleurs continues (appelées aussi douleurs de fond) et la survenue d’accès douloureux paroxystiques (1). La douleur de fond est une douleur présente au moins 12 heures par jour ou nécessitant un traitement de fond par opiacés pendant au moins la moitié des jours de la semaine précédant l’évaluation. Elle est jugée contrôlée lorsqu’elle n’est plus perçue comme habituellement intense par le patient (6), c’est-à-dire, généralement, inférieure à 30 sur une EVA. Des accès douloureux paroxystiques peuvent survenir et se superposer à la douleur de fond : ils constituent une entité à part entière, définie comme une exacerbation transitoire et de courte durée de la douleur, d’intensité modérée à sévère, chez des patients présentant des douleurs persistantes habituellement maîtrisées par un traitement opioïde de fond (6, 7). Ces accès douloureux paroxystiques restent souvent sous-estimés en pratique quotidienne, malgré leur incidence élevée : ils sont rapportés chez près de 2 patients sur 3 dans l’étude de A. Caraceni et R.K. Portenoy (8) et chez plus de 8 patients sur 10 dans l’étude française de M. Di Palma et al. (9). Avec une fréquence estimée en moyenne à 4 épisodes par jour, les accès douloureux paroxystiques sont des douleurs intenses d’apparition rapide, d’une durée variable de moins de 15 minutes à plus d’une heure (6). Une fois l’accès douloureux paroxystique identifié (tableau II et encadré), un traitement spécifique, d’action rapide et de courte durée, peut être proposé dans le but d’améliorer la qualité de vie. Quels sont les mécanismes impliqués dans ces douleurs (tableau III) ? Les douleurs nociceptives sont les douleurs les plus souvent observées chez les patients atteints de cancer. Elles sont pures dans 35 % des cas : elles sont provoquées par la stimulation des fibres nerveuses au niveau des récepteurs périphériques sensibles à la Tableau II. Caractéristiques des accès douloureux paroxystiques (6). Rapidité d’apparition Survenue extrêmement rapide (quelques minutes) Durée brève Moins de 30 mn dans 72 % des cas Intensité d’emblée sévère, voire intolérable Quels que soient le profil des patients et la nature du traitement pris pour la douleur de fond Mode de déclenchement variable • Épisodes spontanés et imprévisibles (actions involontaires, comme la toux) • Épisodes prévisibles déclenchés par un mouvement (marche, activité, soins) ou par d’autres actions volontaires (soins, toilette, déglutition, miction, défécation) Mécanismes physiopathologiques variables • Nociceptifs • Neuropathiques • Mixtes Tableau III. Les différents types de douleur (1). Douleur nociceptive Douleur neuropathique Physiopathologie Stimulation des nocicepteurs Lésions nerveuses périphériques ou centrales Sémiologie Rythme mécanique ou inflammatoire Décharge, brûlures, fourmillements, élancements Topographie • Régionale Compatible avec une localisation nerveuse : tronc, plexus, • Envahissement tumoral ou récidive locorégionale racine, centrale Examen clinique Examen neurologique normal 492 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 • Hyposensibilité (hypoesthésie, anesthésie) • Hypersensibilité (allodynie, hyperpathie, hyperesthésie) MISE AU POINT douleur. Dans ce type de douleur, l’objectif du traitement est de diminuer ou de supprimer la transmission du message nociceptif des récepteurs vers les centres médullaires et supra-médullaires (1, 3). L’évaluation de l’intensité de la douleur nociceptive permet de choisir l’antalgique le mieux approprié, puis de suivre régulièrement l’efficacité du ­traitement. Les douleurs neuropathiques, conséquence d’une lésion ou d’une maladie affectant le système nerveux périphérique ou central, présentent des caractéristiques très particulières et peuvent être facilement identifiées en consultation à l’aide du questionnaire DN4 (1, 3). Douleurs chimio-induites ou liées à des compressions nerveuses, les douleurs neuropathiques sont présentes dans 20 % des cas. Les douleurs mixtes sont des douleurs associant les 2 mécanismes, nociceptif et neuropathique (35 % des cas). Principaux opioïdes forts Les principaux opioïdes forts utilisés dans le traitement des douleurs cancéreuses sont : la morphine, le fentanyl, l’oxycodone et l’hydromorphone (tableau IV). La morphine est le premier opioïde fort utilisé dans la douleur cancéreuse, avec différentes formes galéniques et plusieurs dosages disponibles (tableau V). La morphine est prescrite si possible par voie orale, soit sous forme de comprimés ou de gélules de sulfate de morphine à libération immédiate ou prolongée, soit sous forme de solution de chlorhydrate de morphine. Le fentanyl est un antalgique opioïde 80 à 100 fois plus puissant que la morphine. Il est disponible sous forme de dispositifs à longue durée d’action transdermiques autocollants et sous forme à action rapide (voie transmuqueuse). Sa lipophilie favorise Tableau IV. Principaux opioïdes forts actuellement disponibles (3). Spécialités Délai d’action Durée d’action Formes orales à libération prolongée (LP) • Sulfate de morphine : Moscontin® (comprimés 10, 30, 60, 100, 200 mg) et Skenan® (gélules 10, 30, 60, 100 et 200 mg) • Chlorhydrate d’oxycodone : Oxycontin® (comprimés 5, 10, 15, 20, 30, 40, 60, 80 et 120 mg) • Chlorhydrate d’hydromorphone : Sophidone® (gélules 4, 8, 16 et 24 mg) 2h 1h 2h 12 h 12 h 72 h I.v. : 10-15 mn S.c. : 20- 30 mn 4h 30-45 mn 4h 15 mn 15 mn estimée à 1-2 h 1-2 h Dispositifs transdermiques de fentanyl à libération prolongée (LP) • Durogésic® patch : 12, 25, 50, 75 et 100 μg/h • Fentanyl Ratiopharm® patch : 12, 25, 50, 75 et 100 μg/h • Matrifen® patch : 12, 25, 50, 75 et 100 μg/h Formes injectables à libération immédiate • Chlorhydrate et sulfate de morphine injectable (ampoules 10, 20, 50, 100, 200, 250, 400 et 500 mg) • Chlorhydrate d’oxycodone injectable (ampoules 10, 20, 50 et 200 mg) Formes orales à libération immédiate • Morphine solution buvable (ampoules 10 et 20 mg) • Sirop de morphine du codex (6 mg/ml) sans ordonnance sécurisée • Sulfate de morphine : Sévredol® en comprimé sécable 10 et 20 mg ; Actiskénan® en gélules 5, 10, 20 et 30 mg ; Oramorph® (soluté en récipients unidoses 10, 30 et 100 mg/5ml) et Oramorph® solution compte-goutte 20 mg/ml (4 gouttes = 5 mg) • Chlorhydrate d’oxycodone : OxyNormORO® (gélules 5, 10 et 20 mg), Oxynorm orodispersible® 5, 10 et 20 mg Formes orales à action rapide (absorption transmuqueuse) : fentanyl • Abstral® (comprimé sublingual 100, 200, 300, 400, 600 et 800 μg ) • Actiq® (comprimé avec applicateur buccal 200, 400, 600, 800, 1 200 et 1 600 μg) Tableau V. Modalités de prescription de la morphine orale. Forme prescrite Intérêt Utilisation Dose initiale Adaptation de la posologie Libération immédiate • Équilibration rapide • Gestion des douleurs de fin de dose • Risque moindre de surdosage • Titration • Douleurs très instables • Patient fragile • 10 mg/4 h • 5 mg/h (voir moins) si patient fragile • Toutes les 24 à 48 h • Utilisation d’interdoses de LI si besoin Libération prolongée • Commodité de prescription • 1 prise/24 h (LP12) • Patient bien équilibré par la forme LI • 30 mg/12 h • 10-20 mg/12 h si patient fragile • Toutes les 48 h • Avec interdoses de LI si besoin La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 | 493 MISE AU POINT Douleurs chez un patient atteint de cancer et bon usage des opioïdes son absorption par voie transmuqueuse et le passage rapide de la barrière hémato-encéphalique (BHE). Les patchs constituent une alternative intéressante en cas de douleurs stables (10). L’utilisation du fentanyl doit être privilégiée chez les insuffisants rénaux, dialysés ou non. Les constipations secondaires sont moins fréquentes avec le fentanyl qu’avec les autres opioïdes (11, 12). Le fentanyl en comprimés avec applicateur buccal ou en comprimé orodispersible permet une absorption transmuqueuse : en évitant l’effet de premier passage hépatique, la biodisponibilité de la molécule active augmente et le passage rapide de la BHE procure un effet antalgique précoce, dès 15 minutes. Des essais randomisés comparatifs menés avec une méthodologie rigoureuse ont validé l’effet antalgique du bâtonnet transmuqueux, avec des différences significatives versus placebo et versus morphine à libération immédiate. Le fentanyl transmuqueux est indiqué dans le traitement des accès douloureux paroxystiques chez les patients cancéreux recevant déjà un traitement de fond opioïde, quel qu’il soit : morphine, oxycodone, fentanyl LP ou hydromorphone (11, 12). La posologie doit être adaptée individuellement jusqu’à obtention d’un effet antalgique adéquat, et il est important de retenir l’absence de relation entre la dose de fentanyl transmuqueux efficace pour traiter un accès douloureux et la dose du traitement opioïde de fond quel qu’il soit (10). La forme galénique avec applicateur buccal présente certains avantages : l’application locale pourra être interrompue dès le soulagement de la douleur, avant même que la totalité de la dose soit délivrée ; la titration pourra être adaptée à l’intensité de la douleur du fait du caractère progressif de la dissolution du comprimé au contact de la muqueuse (11, 12). La recherche de la dose efficace doit être effectuée avec précaution chez les patients présentant des perturbations de la fonction hépatique et rénale. L’oxycodone est environ 10 fois plus puissante que la codéine et 2 fois plus que la morphine (11). Il ne semble pas exister de différence d’efficacité et de tolérance entre l’oxycodone, l’hydromorphone et la morphine orale utilisées à doses équiantalgiques (11). Elle peut être utilisée en première intention ou en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine chez les patients âgés de plus de 18 ans, mais aussi en cas d’efficacité insuffisante des traitements sur la douleur neuropathique (12). L’hydromorphone est un dérivé semi-synthétique de la morphine (agoniste opioïde pur actif sur les récepteurs μ et δ), avec une puissance de 5 à 8 fois celle de la morphine (11). Les 12 essais randomisés comparant cette molécule à la morphine indiquent 494 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 une efficacité et une tolérance comparables à celles des autres opioïdes à dose équiantalgique (11). L’hydromorphone est indiquée dans le traitement des douleurs intenses d’origine cancéreuse en cas d’intolérance ou de résistance à la morphine. Elle est métabolisée par le foie en métabolites peu actifs ; il existe peu de données chez les insuffisants rénaux et hépatiques ; son utilisation est cependant plus maniable chez l’insuffisant rénal. Le traitement de première intention des douleurs de fond cancéreuses intenses ou rebelles aux antalgiques de niveau plus faible fait appel en France à la morphine, à l’oxycodone et au fentanyl transdermique (la méthadone est en cours d’évaluation dans cette indication en 2e intention). Les formes orales transmuqueuses à action rapide sont spécifiquement réservées au traitement des accès douloureux paroxystiques, en complément d’un traitement opioïde de fond (3). Traitements Les objectifs du traitement de la douleur chez un patient cancéreux sont l’action rapide, l’administration facile, une gestion simple pour le patient et pour son entourage, et l’adaptation à chaque situation (11). Les 3 paliers définis par l’OMS restent une référence pour le traitement de ces douleurs. Les traitements antalgiques, notamment les opioïdes, doivent être adaptés au profil de chaque patient, en particulier en cas d’insuffisance rénale ou hépatique. Traitement opioïde et douleurs nociceptives Les opioïdes sont le traitement de référence des douleurs nociceptives d’intensité modérée à sévère associées à un cancer. Ils doivent être prescrits selon les 5 principes rappelés par l’OMS en 2002 (10) : ➤➤ préférer un traitement par voie orale ; ➤➤ administrer les antalgiques à intervalles réguliers ; ➤➤ choisir l’antalgique en respectant l’échelle de l’OMS à 3 paliers ; ➤➤ proposer un traitement antalgique personnalisé ; ➤➤ prescrire le traitement avec un souci constant du détail. Instauration d’un traitement chez un patient naïf d’opioïdes Chez un patient non déjà traité par un opioïde, il est recommandé de commencer un traitement par MISE AU POINT la morphine orale ou l’oxycodone et d’adapter les posologies de façon progressive en fonction de l’efficacité sur la douleur et de la tolérance. Cela peut être réalisé : ➤➤ avec de la morphine ou de l’oxycodone à libération immédiate, par voie orale, de préférence jusqu’à ce que le patient soit soulagé (avec ensuite un relais par une forme à libération prolongée, si cela est plus pratique pour le patient) ; pour la morphine, la dose initiale recommandée pour commencer un traitement de fond est de 10 mg par prise toutes les 4 heures, soit 60 mg/j (posologie à adapter chez les patients fragiles par une réduction des doses ou un espacement des prises), plus des interdoses supplémentaires allant de 1/10 (de préférence) à 1/6 de la dose journalière, toutes les heures en fonction des besoins, sans dépasser 6 doses par 24 heures (10). Lorsque la douleur est contrôlée pendant 2 à 3 jours, il est possible de proposer un traitement par morphine à libération prolongée avec une prise toutes les 12 heures ou toutes les 24 heures (10) ; ➤➤ d’emblée avec de la morphine ou de l’oxycodone à libération prolongée associée à des interdoses de morphine ou d’oxycodone à libération immédiate allant de 1/10 (de préférence) à 1/6 de la dose journalière en cas d’accès douloureux (3, 10). Dans ce cas, il est recommandé de commencer par une dose de 30 mg matin et soir de morphine ou de 10 à 20 mg d’oxycodone. En cas de douleurs persistantes, le patient pourra prendre une interdose (de 5 à 10 mg de morphine à libération immédiate ou 5 mg d’oxycodone) toutes les heures, sans dépasser 6 prises par 24 heures, avec une dose adaptée en fonction de la dose journalière d’opioïdes. Si le patient présente aussi des accès aigus paroxystiques, un traitement spécifique associé au traitement de fond est recommandé (10). Les patients doivent être informés du risque de survenue de certains effets indésirables, en particulier la constipation, les nausées et la somnolence. La constipation peut être évitée avec un traitement laxatif systématique associé à des mesures hygiénodiététiques, et les nausées et vomissements par un traitement spécifique (après avoir éliminé les autres causes possibles). Patients recevant déjà un traitement par opioïdes Chez un patient déjà traité par opioïdes forts et toujours douloureux, et après vérification de l’observance et de l’adéquation de la posologie des inter- doses, une réévaluation clinique de la douleur doit être réalisée afin de rechercher d’autres causes éventuelles (en particulier une douleur neuropathique pouvant expliquer le manque partiel d’efficacité du traitement opioïde). Toute modification du caractère de la douleur (intensité, fréquence) doit amener à rechercher une évolution de la maladie cancéreuse, notamment métastatique, surtout devant une difficulté d’équilibration du traitement. En cas de résistance ou d’intolérance au traitement opioïde, il y a plusieurs possibilités : ➤➤ adapter le traitement avec de la morphine ou de l’oxycodone à libération immédiate, plus simple et plus rapide que la morphine à libération prolongée ; ➤➤ remplacer l’opioïde par un autre (rotation des opioïdes), à dose équiantalgique (10). D’un point de vue pratique, compte tenu du recours possible aux interdoses, il est toujours conseillé de privilégier la sécurité à la rapidité d’action en prenant la valeur la plus faible des coefficients de conversion (10). Une rotation des opioïdes est aussi indiquée en cas d’effets indésirables incontrôlables associés au traitement opioïde fort. La tolérance croisée entre opioïdes étant partielle ou inexistante, remplacer un opioïde par un autre permet souvent un nouveau contrôle satisfaisant de la douleur, sans nécessairement augmenter la dose équiantalgique. Le schéma de rotation dépend de la pharmacologie et de la galénique des opioïdes prescrits, et le choix de l’opioïde de remplacement est laissé à la liberté du prescripteur. Traitement opioïde et accès douloureux paroxystique (3) Bien qu’il existe des traitements spécifiques à action rapide (citrate de fentanyl transmuqueux), dont l’avantage est d’avoir une cinétique adaptée au profil du pic douloureux, les accès douloureux paroxystiques sont encore insuffisamment diagnostiqués et insuffisamment traités. Devant un épisode douloureux, il convient, dans un premier temps, de rappeler l’importance de l’évaluation de la douleur pour personnaliser la prise en charge médicamenteuse. La seconde étape est l’instauration d’un traitement avec profil cinétique adapté aux caractéristiques temporelles des accès ­douloureux paroxystiques ; les nouvelles formes galéniques disponibles répondent à ces critères, permettant d’offrir aux patients une analgésie proche de celle procurée par la PCA (analgésie autocontrôlée par le patient) : administration autonome de doses supplémentaires, possibilité de prévention d’un épisode de douleur récurrent, Références bibliographiques 1. SOR 2003 (www.sor-cancer.fr). 2. www.painineurope.com 3. Béziaud N, Laval G, Rostaing S. Traitements de la douleur chez le patient adulte recevant des soins palliatifs. La revue du praticien 2009;59:799-808. 4. Larue F, Fontaine A, Brasseur L. Evolution of the French public’s knowledge and attitudes regarding postoperative pain, cancer pain, and their treatments: two national surveys over a six-year period. Anest Analg 1999;89: 659-64. 5. Larue F, Brasseur L, abstract EFIC 2006. 6. Scotte F. Accès douloureux paroxystiques chez des patients souffrant de douleurs d’origine cancéreuse. La lettre du Cancérologue 2008;XVII(8):407-10. 7. L a b rè ze L , D e l o r m e T, Poulain P. Douleurs chroniques, accès douloureux paroxystiques (ADP) : les challenges. Douleurs 2009;10:185-91. 8. Caraceni A, Portenoy RK. A working group of the IASP Task Force on Cancer Pain. Pain 1999; 82:263-74. 9. Di Palma M, Poulain P, Filbet M et al. Évaluation et caractéristiques des accès douloureux paroxystiques chez les patients souffrant de douleurs d’origine cancéreuse. Douleurs 2005; 6(2):75-80. 10. Standards, Options : Recommandations – SOR – 2002 (www. sor-cancer.fr). 11. Ripamonti C, Bandieri E. Pain therapy. Crit Rev Oncol Hematol 2009;70:145-59. 12. Béziaud N, Pellat JM, Villard ML et al. Opioïdes forts et douleurs liées au cancer : quelles galéniques et quelles équianalgésies ? Médecine palliative 2009;8:27-34. 13. Hagen NA, Fisher K, Victorino C et al. A titration strategy is needed to manage breakthrough cancer pain effectively: observations from data pooled from the clinical trials. J Palliat Med 2007;10(1):47-55. 14. Davies A, Dickman A, Reid C et al. The management of cancerrelated breakthrough pain: recommendations of a task group of the Science Committee of the Association for Palliative Medicine of Great Britain and Ireland. Eur J Pain 2009;13:331-8. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 | 495 MISE AU POINT Douleurs chez un patient atteint de cancer et bon usage des opioïdes gestion des effets indésirables. Dans tous les cas, il n’existe pas de corrélation entre la dose du traitement de fond opioïde et la dose efficace de citrate de fentanyl prescrite pour les accès douloureux paroxystiques. De plus, l’intensité de ces derniers étant variable chez un même patient et d’un patient à l’autre, le choix de la forme galénique doit être fait en fonction du profil de chaque patient, et la dose efficace doit être déterminée individuellement en augmentant la posologie de façon progressive à partir des plus petits dosages disponibles (12, 13). Tandis que les recommandations françaises abordaient déjà la problématique dès 2002 (10), les recommandations du Royaume-Uni et d’Irlande (14) confirment cette nouvelle classe thérapeutique dans le traitement des accès douloureux paroxystiques. Néanmoins, les recommandations européennes de 2003 (European Association for Palliative Care [EAPC]) et les recommandations françaises (SOR) sur la prise en charge de la douleur cancéreuse méritent d’être réactualisées. Traitement des douleurs neuropathiques Les antidépresseurs (tricycliques et inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la Évaluation de la douleur cancéreuse Caractéristiques temporelles Début soudain ou progressif Continue ou intermittente Présence ou absence de paroxysmes Évolution ➤ Localisation et irradiations ➤ Intensité : évaluation quantitative (EVA, EN, EVS) ➤ Qualité : évaluation qualitative (DN4) ➤ Facteurs déclenchants, aggravants ou antalgiques ➤ Effets sur la qualité de vie et le sommeil ➤ Facteurs psychosociaux Autres techniques Coantalgiques ➤ Douleur nociceptive Douleur neuropathique Intensité modérée à sévère Douleur de fond : morphine LP, LI, oxycodone LP, fentanyl transdermique Douleurs de fin de dose : morphine LI, oxycodone LI Accès douloureux paroxystiques : fentanyl transmuqueux Antidépresseurs, anticonvulsivants Personne âgée : start low go slow Évaluation fonctions rénales et hépatiques Prévention des événements indésirables Préservation de l’autonomie : économie de morphine, traitement à la demande Suivi Évaluation de la douleur Événements indésirables Figure. Évaluation et prise en charge de la douleur cancéreuse (3). 496 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 noradrénaline) et les antiépileptiques constituent les traitements de référence des douleurs neuropathiques. En cas de résistance ou d’intolérance à un traitement associant un antiépileptique et un antidépresseur, le tramadol ou les opioïdes forts sont proposés en troisième intention. Cas particulier du traitement opioïde chez le sujet âgé La douleur cancéreuse du sujet âgé nécessite un abord de la maladie et du patient dans sa globalité. L’évaluation de la douleur doit être particulièrement soigneuse et fait appel à des échelles spécifiques, notamment comportementales. Les opioïdes d’emblée gardent toute leur place devant une douleur sévère, au terme d’une évaluation clinique rigoureuse de la douleur, de son retentissement sur la vie quotidienne, des traitements antérieurs, de la fonction rénale, des capacités du sujet à s’adapter à la galénique. La titration sera très progressive (start slow, go slow). L’oxycodone, l’hydromorphone et le fentanyl ne produisent pratiquement pas de métabolites actifs et constituent une alternative intéressante chez le sujet âgé. Ils ont les mêmes effets indésirables que la morphine mais exposent moins au risque de surdosage en cas d’insuffisance rénale. La constipation est moins importante avec le fentanyl. Les nouvelles formes galéniques utilisées de façon appropriée pour le traitement des accès douloureux paroxystiques permettent de réaliser une économie d’opioïdes qui réduit les effets secondaires. La prise en compte de tous ces éléments devrait permettre de mieux prendre en charge la douleur de la personne âgée, encore trop souvent sous-traitée. Conclusion L’ensemble des données publiées soulignent l’intérêt d’une analyse très précise des caractéristiques de la douleur et de sa réévaluation régulière, de façon à pouvoir proposer un traitement spécifique et adapté à chaque situation (figure). La multiplicité des opioïdes disponibles et la mise à disposition de nouveaux opioïdes d’action rapide, qui viennent compléter la voie ouverte par Actiq®, permettent aujourd’hui un traitement personnalisé et adapté au plus près des besoins des patients présentant des accès douloureux paroxystiques (7). ■