rivalité concurrentielle. Les outils du marketing ont été conçus dans l'optique de piloter les échanges entre l'offre et la
demande, mais avec pour principes absolus, la présence d'une rivalité concurrentielle du côté de l'offre, et le libre-choix
du consommateur du côté de la demande. Ce libre-choix est essentiel, si on n'a pas le choix ou que le choix est
contraint, on sort de la sphère du marketing.
Le marketing est né et a développé ses pratiques dans la sphère marchande, avec les produits de grande
consommation. Au fur et à mesure de la marchandisation de la société, les outils ont été transférés vers d'autres
secteurs : les services marchands, puis les services non-marchands. Le marketing au service des associations, par
exemple, a fait ses preuves : certains outils leur permettent de développer leur activité, augmenter le nombre d'adhérents
ou les dons, etc. J'ai eu l'occasion, au démarrage de mon cabinet, de travailler pour le Denier de l'Eglise et de travailler
sur l'une de leurs campagnes. En appliquant des techniques très classiques, nous avons obtenu une hausse des dons
de 30% dès la première année : c’est une bonne illustration de l’efficacité du marketing…
Ce transfert d'outils développés dans et pour la sphère marchande vers des secteurs non-marchands ne
Si on considère que le marketing n’est, au fond, qu’un ensemble denécessite-t-il pas quelques ajustements ?
techniques, d'outils, il n'y a pas de problème particulier. Tout dépend bien sûr de l'usage que l'on fait de ces techniques,
mais « l'outil n'est pas responsable de la main qui en a l'usage ». Avec cette acception du marketing, la question ne se
pose pas : tout dépend de l'objectif poursuivi. Prenons un exemple : un outil très utilisé en marketing est la segmentation.
Cela signifie qu'on distingue les personnes selon leurs caractéristiques, leurs centres d'intérêts, etc. On segmente donc
le marché, puis on procède au ciblage de segments ayant un intérêt. Une banque désirant vendre des produits financiers
va se concentrer sur les personnes solvables, un centre municipal de loisirs sans hébergement va au contraire cibler les
familles n'ayant pas les moyens de payer des vacances à leurs enfants. En d'autres termes, les techniques sont les
mêmes, seuls les objectifs changent. Comme vous le voyez, le marketing a été mis au service d’une finalité
complètement marchande dans le premier cas, et d’une finalité tout à fait sociale dans le second, avec les mêmes outils.
C’est d’ailleurs pour cela que j’avais sous-titré mon premier ouvrage « Marketing pour associations », « l’efficacité au
service de vos valeurs ».
Mais cette vision me gêne car elle dispense les marketeurs de toute réflexion quant à leurs responsabilités, puisqu’ils ne
seraient que de simples techniciens. Or on sent bien qu’il existe une idéologie du marketing. La marchandisation
croissante de la société n’a pas que des avantages, loin s’en faut ! Pour faire court, je voudrais rappeler que les principes
fondamentaux du marketing dont je vous parlais tout à l’heure sont les mêmes que ceux de la micro-économie. Ils sont
basés sur une vision utilitariste des rapports humains. Rappelons-nous la phrase d’Adam Smith dans la Richesse des
Nations. C’est à peu de chose près : « ce n’est pas de la bienveillance du boucher ou du boulanger que nous attendons
notre diner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts… Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à
leur égoïsme ». Si le boulanger me vend du bon pain, c’est qu’il y a intérêt, sinon j’irais ailleurs. Et si ce boulanger est le
seul du village et que je ne peux pas aller ailleurs, alors il n’aura pas intérêt à faire du bon pain. Le moins qu’on puisse
dire, c’est que la société qui est décrite ici laisse peu de place à l’amour d’autrui ; l’autre n’est pas une fin en soi, il n’est
qu’un moyen au service de l’échange. C’est assez violent, non ? Et bien, c’est ça, l’idéologie du marketing.
Dans la sphère marchande, quel est le travail quotidien d’un marketeur ? C’est d’imaginer en permanence ce qui peut
intéresser le consommateur et le séduire. Le but, c’est de le faire consommer, en lançant sans arrêt des nouveaux
produits, en suscitant son désir. Bien sûr, certaines pratiques vont trop loin. C'est justement parce que je connais
l'efficacité redoutable de ces outils que j'essaie d'en éviter les dérives possibles et d'enseigner une attitude éthique à mes
étudiants.
Néanmoins, les consommateurs et usagers semblent de plus en plus avertis des rouages du marketing, des
techniques visant à les séduire et à les faire consommer toujours plus...
C’est vrai que l’on assiste à l’expression d’une résistance de certaines personnes, qui ne veulent pas être considérées
que comme des consommateurs et qui remettent en cause les modèles basés sur le développement purement
économique, le pillage des ressources, etc. Mais ces mouvements sont minoritaires. Je me demande parfois si ce n’est
pas l’arbre qui cache la forêt de la surconsommation. J'ai eu l'occasion de recueillir les réactions d'un groupe de
consommateurs vis-à-vis de crèmes amincissantes. Ils n'étaient pas dupes des promesses qui étaient faites par
l’entreprise, comme : « moins 6 centimètres de tour de hanche », mais ils disaient aussi « j'aimerais tellement y croire »,
« c'est trop beau pour être vrai, mais j'essaierai quand même », « il n'y a pas de mal à se faire du bien ». On voit bien ici
toute l’ambigüité du rapport offre-demande : le consommateur n’y croit pas vraiment, mais il achète quand même. Vous
comprenez que ce genre de discours fournit de solides arguments aux marketeurs qui ne veulent pas réfléchir à leur
pouvoir (je n’en suis pas, vous l’avez compris) : le consommateur est libre d’acheter ou non, on ne le force pas, et s’il a
envie d’essayer une crème amincissante, ne serait-ce que pour se remonter le moral, où est le mal ?
Il serait temps que marketeurs et consommateurs s’interrogent sur leurs responsabilités respectives. Taper en
permanence sur les marketeurs et poser les consommateurs en victimes revient à exonérer ces derniers de toute
responsabilité. Pour le dire brutalement, il faut être deux pour danser le tango : si le marketeur mène la danse, c’est bien
parce que le consommateur accepte d’entrer sur la piste pour ne pas faire tapisserie ! Plus conceptuellement, cela