Dissertation de Philosophie La Crise de la culture, Hannah Arendt, extrait Depuis Socrate, l’opinion est au centre de la réflexion des penseurs, De nombreux philosophes se sont questionnés sur le jugement que l’on peut faire sur l’opinion, et certains textes qui mêlent de nombreux concepts en dehors de celui de l’opinion sont restés importants. On peut évoquer un extrait bien particulier de La Crise de la culture (1972) rédigé par Hannah Arendt : une philosophe allemande partie aux Etats-Unis. Ce texte nous évoque la question de l’opinion de manière très méthodique. L’auteur explique que pour elle, l’opinion est une « conclusion(s) finale(s) ». Pour elle former une opinion se fait d’abord par le biais d’une réflexion : elle se positionne, étudie les différents points de vue et essaye de prendre en compte les avis non représentés. Au vue de ces explications, nous pouvons nous questionner sur la méthode de l’auteur et sa perception de l’opinion. Nous nous demanderons donc en quoi ce texte prend-il position en faveur de l’opinion. Dans son extrait, Hannah Arendt met en avant une première thèse explicitement indiquée dans la ligne 1 : « Je forme une opinion en considérant une question donnée à différents points de vue. » Cette thèse s’accompagne d’une explication : L’auteur évoque la formation de l’opinion. Elle enseigne la méthode de l’étude de la question « à différents points de vue », pour elle, tout est une question de position ; ceci nous est d’ailleurs rappelé tout au long de la première partie du texte (qui se finirait à peu près au milieu) avec le champ lexical du lieu. Pour elle, il faut étudier un problème, une question, à l’aide de différentes positions. Dans la suite de cette partie, elle évoque l’idée du « processus de représentation » qui doit selon elle, se faire dans le cerveau. De manière plus inductive : Un individu est capable de se représenter tous les points de vue adopté face à une problématique, selon Arendt. Avec cette idée qui est celle de la formation du point de vue, il y aussi la perspective différente : la philosophe indique qu’elle ne se mêle pas aux idées opposés, simplement à leur point de vue ; « il ne s’agit pas de sympathie » explique-t-elle ligne 4. Par exemple s’il y avait débat sur une question comme celle du mariage « Pour tous » évoquée dans l’actualité, elle essayerait de se mettre à la place des homosexuels, des représentants de l’Eglise et d’un français lambda pour essayer de comprendre les points de vue de chacun sans pour autant exprimer son avis vu qu’elle chercherait d’abord à s’attacher à celui des autres. Néanmoins, il ne faut pas chercher à étiqueter les points de vue en fonction du rôle de la personne dans la société : Son orientation sexuelle, son âge ou sa confession ne font pas ses idées ni sa position... Aussi, l’exemple précédemment développé n’est qu’une proposition, il semble intéressant de dire que l’idéologie d’Arendt s’étale sur de nombreux domaines, de nombreuses questions et qu’elle couvre de manière assez subtile l’ensemble des problématiques d’une société où les différentes opinions sont confrontées. Enfin, pour elle, adopter un point de vue ce n’est pas jouer la carte de la majorité en « compt[ant] les voix » de celle-ci et en s’y joignant mais bien d’étudier de manière construite et neutre. La question de la neutralité, ou plutôt de l’objectivité porte sur une partie de la thèse. En effet, si l’on peut faire une analyse des différents points de vue, alors on peut dire que l’on est doté d’objectivité dans la pure subjectivité. On peut expliquer le paradoxe de la manière suivante : Etant donné qu’elle porte un avis sur quelque chose, l’auteure est déjà dans une certaine subjectivité (le sujet forme l’avis) Si elle fait l’effort d’analyse cela va conduire à un effort d’objectivité : De l’objectivité dans l’analyse mais aussi dans l’effort de se retenir de critiquer ou de soutenir telle ou telle thèse en fonction du point de vue. C’est donc un travail du cerveau qui nécessite une profonde réflexion et un entrainement particulier pour calmer sa propre vision et pour privilégier celle des autres. Le mot « opinion » ne vient qu’à la ligne 10, il s’affiche pour la première fois et est le résultat d’une assez longue phrase où l’auteur met en avant une démonstration. Elle indique que si les positions et les points de vue d’un problème sont étudiés de manière plus importante, alors elle pourra mieux « s’imaginer » (ligne 8) car ses capacités de réflexions plus développées, et donc sa capacité de représentativité, ses conclusions et par conséquent son opinion seront meilleures. Cela conduit assez rapidement à l’expression « mentalité élargie » définie par la philosophe. On comprend par le biais de cette expression l’ensemble de sa réflexion : En fait, la mentalité élargie peut être considérée comme l’ouverture d’esprit dans le débat, elle est le fruit d’une prise de conscience des autres avis, de l’adoption de différents points de vues, ces points de vues permettent une certaine objectivité, un perfectionnement des capacités de l’esprit mais la mentalité élargie n’a pas vocation à soutenir, prendre parti pour les autres opinions : il ne s’agit pas d’appréciation mais de compréhension. Après cette première partie basée sur une définition de son processus de formation de l’idée, elle explique comment former une bonne opinion. Ligne 11, on évoque l’idée de « véritable processus». L’intérêt de l’emploi du mot « véritable » est qu’il insinue tout de suite qu’il y a un faux processus – sans doute pense-t-elle à l’éducation. Après tout, il est vrai que l’éducation nous transmet des idées, des valeurs, des préjugés, des opinions sans qu’elles soient vraiment forgées par nous. C’est donc pour elle deux choses différentes : l’éducation et la formation de l’opinion. Dans cette « quête de la bonne opinion », la première idée est d’exclure l’éducation. Arendt indique qu’il faut aussi « être désintéressé, libéré des intérêts privés » (ligne 12). Comme le dit le bon sens populaire, il ne faut « pas avoir d’idées derrière la tête » : la méthode de formation d’opinion doit se fonder sur une certaine neutralité de la personne. Pour faire simple : ceux qui ont des choses à gagner dans telle ou telle question, problème doivent se retenir d’y penser. On peut donc penser qu’il sera difficile de remplir ce critère parce qu’il y a de nombreuses oppositions d’opinions qui se soldent par un gain ou une perte, d’un côté ou de l’autre. Par exemple, concernant la guerre : Il y aura toujours les pacifistes face aux bellicistes. Il y aura toujours le lobby d’extension du territoire, de la réussite diplomatique d’un pays ou d’autres raisons (comme Buch qui évoquait « la civilisation en Irak ») face au lobby anti-morts, antivictimes or qui peut aujourd’hui dire qu’il soutient telle ou telle faction sans avoir lui-même une idée derrière la tête, comme la thèse qui expliquerait qu’une guerre gagnée peut rapporter de l’argent au pays et donc augmenter les revenus de la population. La dernière phrase du texte est assez longue, mais comprend une partie importante de la réflexion de l’auteur. Pour Arendt, l’idée est que l’opinion puisse se former de manière indépendante. Elle se positionne face à ceux qui établissent, comme Descartes l’idée que l’opinion se forme à cause de l’éducation et de l’entourage. Sa conclusion est que si elle est totalement « isolé[e] » (ligne 14) pendant qu’elle forme une opinion, ça ne reste qu’une solitude matérielle. Selon elle, l’individu reste dans « ce monde d’universelle interdépendance » ; cela signifie entre autre qu’elle reste dans un monde, carrefour de toutes les consciences et de toutes les réflexions. La notion d’interdépendance tend à se rapprocher de celle d’intersubjectivité tout simplement car ici : il y a dépendance entre les différentes consciences, les différents sujets même si le second terme se rapporte plus au questionnement sur la conscience, l’inconscient que sur celui de l’opinion. Finalement, on peut penser que ce texte traite de la question de l’opinion, déjà étudiée par de nombreux philosophes. On voit ici l’absence totale de remise en question de cette notion considérée comme déjà acquise dans la réflexion vu qu’à priori l’auteur enseigne une méthode, contrairement à la longue tradition de la critique de l’opinion. On peut se poser une question très importante : S’agit-il vraiment de l’opinion ? Après tout dans ce texte on se rend compte que c’est plutôt la méthode, l’objectivité et l’impartialité qui sont mises en avant. Il est important d’évoquer l’idée d’opinion mais pas pour les raisons que l’on pourrait croire : même si de grands philosophes comme Bachelard s’opposent à l’opinion en disant qu’ « il faut la détruire », qu’ « en droit, l’opinion a toujours tort » il semble important de chercher à comprendre où chacun veut en venir, faudrait-il étiqueter Arendt comme protectrice de la notion ? Dans le cas d’Arendt ce n’est pas une défense de cette notion, c’est une explication plus profonde : peut-on d’un point de vue purement intellectuel opposé deux textes qui n’ont pas une portée offensive ? Si Arendt avait voulu défendre l’opinion, elle l’aurait fait dans un manifeste, dans un pamphlet, en expliquant les vertus de l’opinion, pas en définissant une bonne opinion. Selon moi, il n’y a pas d’opposition dans ce sujet, simplement une définition variable en fonction des philosophes du mot opinion qui fait que certains seront contre, d’autres pour. Il semble remarquable que le conflit n’est pas le même. Il semble donc qu’il y ait deux problèmes : d’abord celui qui porte sur la définition de l’opinion, et ensuite celui de l’impartialité. La première question est celle de l’opinion. Qu’est-ce que n’est pas l’opinion ? L’opinion n’est pas un préjugé : une idée reçue qui ne requiert aucune participation du raisonnement ce que Kant définit comme étant une « tendance à la passivité », une opinion est un avis que l’on forme à partir du vécu, de l’expérience, de la mémoire. Toutes les opinions ne se valent pas, certaines sont moins réfléchies que d’autres alors que tous les préjugés sont au même niveau : le mot préjugé que l’on pourrait rapprocher de l’expression idée reçue a une connotation péjorative. L’opinion dans son sens le moins philosophique est un mot objectif. Ce qu’en ont fait les philosophes est le produit d’un mélange de différentes définitions basées sur les idées reçues, les préjugés, les jugements, l’opinion et les avis. Lorsque Bachelard dit que l’opinion a toujours tort, on peut penser qu’il a une volonté de contrer cette notion. Il est souvent préférable de citer les phrases périphériques à cette indication : La science […] s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En lisant cet extrait, l’individu a du mal à comprendre où se trouve l’opinion, si bien que l’on pourrait se questionner sur une remise en cause de la définition de l’opinion chez Bachelard. Plus encore, il indique qu’ « elle traduit des besoins en connaissances », or lorsque l’on exprime son opinion un sujet de société, estce un besoin de connaissances ? Si je m’exprime en faveur de l’avortement, ai-je besoin de connaissances ? Après tout : la médecine a dans cette discipline une avance remarquable, ce qui est problématique dans la question de l’avortement c’est : Que pense l’ensemble de la société ? En l’opposant à la science, il sous-entend qu’elle manque de rationnel : ne serait-ce pas la critique formulée à l’égard de la philosophie en général ? Est-ce pour autant une raison poussant à dire que la philosophie est dévaluée ? De plus, le texte de Bachelard est une critique de l’opinion moderne : celle qui consiste dans le fait d’émettre un avis non raisonné qui se solderait par de nombreuses questions car infondé. Il ne faut pas faire de faux procès : l’opinion au sens où elle est expliquée par Arendt relève d’une longue réflexion. Lorsque certains pensent qu’elle n’est qu’une ébauche d’idée, qu’une introduction, on peut dire, pour notre philosophe, que c’est la conclusion d’une longue étude basée sur de la stratégie, de l’imagination, de la réflexion… Pour Arendt, la question de l’opinion amène indubitablement à celle de l’objectivité : il s’agit de notre deuxième question. Il semble que ce point de vue soit discutable tout simplement parce que l’opinion est le plus souvent subjective. Certes, nous avons évoqué une « objectivité dans la subjectivité » plus tôt, mais on peut réfléchir quant à la visée de son texte. On remarque que l’auteur réfuté la subjectivité et l’infondé. Ces deux idées sont aussi repoussées par les autres philosophes – surtout pour ce qui est de l’infondé, d’ailleurs Arendt pense qu’aucune opinion ne va de soi même si la subjectivité est par définition liée à l’individu. On ne peut pas décréter une forme d’opinion allant à l’encontre de la nature humaine. Certes, un effort d’objectivité peut être fait mais de manière globale : l’opinion n’a pas la valeur d’une thèse. Ce texte met donc en valeur une définition de l’opinion : celle d’un avis basé sur une réflexion, l’adoption de différents points de vue, avec une volonté de neutralité et sans appréciation. Il met en avant l’idée d’impartialité dans le jugement et les avis réfléchis. Il va à l’encontre d’une grande tradition chez les philosophes qui consistait en la critique de la notion d’opinion (même si certains dérogent à la règle). Enfin, Hannah Arendt nous présente cette philosophie émancipée du conflit avec la science raconté par Bachelard tout en mettant en cause la question de l’objectivité et de l’impartialité : proposant sa méthode. Une méthode que l’on pourra mettre en cause,