Aimer, penser, danser, avec Hannah Arendt

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Le Soir Mardi 15 septembre 2015
38 LACULTURE
L’autre rentrée des livres piratés
LITTÉRATURE
Un fichier d’une quarantaine de titres vient de fuiter sur le net
Déjà début août,
le livre « 7 » de Tristan
Garcia avait fait
son apparition
avant sa sortie.
Les versions
numériques des romans
de Christine Angot et
d’Amélie Nothomb sont
disponibles illégalement.
Une problématique
récurrente
pour les éditeurs.
ÉTUDE
Une pratique
ordinaire
Selon le baromètre SOFIA/
SNE/SGDL sur les usages du
livre numérique en France,
sorti en mars 2015, 20 %
des lecteurs d’ebooks ont
déjà piraté des ouvrages.
C’est 7 % de plus par rapport à l’année précédente.
62 % téléchargent illégalement car l’offre légale est
jugée trop restreinte, 48 %
parce qu’elle est trop chère,
et 31 % parce qu’elle est
moins accessible.
F.G.
n fichier rassemblant 40
romans marquants sortis ces derniers jours et
nommé soigneusement « Rentrée littéraire 2015 » ? Le pirate a
bien fait ça. Le package dont rêve
chaque lecteur assidu : Un
amour impossible de Christine
Angot, Le crime du comte Neville
d’Amélie Nothomb, Boussole de
Mathias Enard, Les eaux
troubles du Mojito de Philippe
Delerm, Profession du père de
Sorj Chalandon, etc. Le document avec ces romans en format
ebook est accessible sur la plateforme illégale T411, normalement bloquée par la justice française. Le site spécialisé ActuaLitté est tombé sur le fichier interdit
via une simple recherche sur le
net.
La sélection a déjà été téléchargée plus de 4.200 fois depuis
son apparition. En août, l’attaque
avait commencé par le roman 7
de Tristan Garcia, mis en ligne
U
Parmi les titres de la rentrée à télécharger sur les plateformes illégales, les derniers livres de Sorj Chalandon et d’Amélie Nothomb. © D.R.
30 jours avant sa sortie ! Et si on
cherche par soi-même, il n’est
pas difficile de tomber sur le dernier tome de la saga Millénium,
La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra ou D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan.
Ce n’est peut-être pas grandchose sur les 589 ouvrages prévus pour cette rentrée, mais le
phénomène prend de l’ampleur.
Les éditions Grasset, Actes Sud,
Gallimard, Flammarion, Seuil ou
encore Lattès auraient pu prévoir
l’hécatombe. L’année dernière,
lors de la rentrée 2014, un pack
de 20 livres avait été téléchargé
plus de 5.000 fois sur l’espace de
stockage de Microsoft, Onedrive.
« En numérique,
les lecteurs sont
plus sensibles au prix »
THIBAULT LÉONARD, DISTRIBUTEUR EBOOK
L’écrivain belge Alain Berenboom se rappelle qu’un mois
après la sortie de son roman
Monsieur Optimiste (prix Rossel
2013), la version numérique illé-
gale circulait sur le net. « Plusieurs sites le proposaient, je
l’avais découvert grâce aux
alertes Google. »
Offrir un livre en téléchargement illégal est passible de sanctions pénales, poursuit l’avocat.
« C’est une contrefaçon, la sanction peut aller jusqu’à la prison,
même si c’est rarement le
cas. L’auteur et l’éditeur peuvent
aussi décider de demander des
dommages et intérêts. » Quand le
site se trouve à l’étranger, ce sont
bien souvent les intermédiaires
qui sont visés. Alain Berenboom
et son éditeur avaient demandé
aux sites belges qui relayaient le
fichier d’arrêter.
Si le piratage peut offrir une
bonne visibilité pour un nouveau
roman, il inquiète les éditeurs.
Le Syndicat national de l’édition
en France a mis en place un portail « Protection Livres », pour
que ses adhérents repèrent plus
facilement les contenus illicites
et puissent adresser en quelques
clics des notifications pour en demander le retrait.
Une fausse parade, d’après
Thibault Léonard, le directeur
du distributeur ebook Primento.
« L’éditeur a sa part de responsabilité dans le piratage. En numérique, les lecteurs sont plus sensibles au prix. S’il existe une version non payante et illégale d’un
livre, c’est que le lecteur estime
soit que le bouquin ne vaut pas le
coup d’être acheté, soit que le prix
est injustifié. »
L’éditeur prend l’exemple des
romans de la rentrée littéraire
dont la version numérique se
vend pour la plupart à plus de 10
euros. « Le quatrième tome de la
saga Millénium est à 17 euros, ce
n’est pas beaucoup moins que la
version papier. Les trois premiers
tomes sont à 9,99 euros et d’ici
quelques mois, le dernier passera
au même prix. C’est une stratégie
de l’éditeur et le lecteur l’a bien
compris. » Donc, il pirate. ■
FLAVIE GAUTHIER
Aimer, penser, danser, avec Hannah Arendt
SCÈNES « Amor Mundi » de Myriam Saduis à l’Océan Nord
CRITIQUE
ne femme qui danse, terriblement libre. On ne la
voit que de dos, mais on devine
sa joie dans des déhanchés radieux. Dès ce tout premier tableau on devine qu’Amor Mundi
a beau s’inspirer d’Hannah
Arendt, grande théoricienne du
XXe siècle (Les Origines du Totalitarisme, Essai sur la révolution, Condition de l’homme moderne), il ne s’agira pas ici d’une
démonstration aride de philosophie, mais d’un portrait charnel
et tendre. A l’écriture, Myriam
Saduis et Valérie Battaglia n’ont
pas voulu sombrer dans le biopic, mais simplement convoquer
cette femme à un moment fantasmé de son existence : En 1951
à New York, Hannah Arendt et
U
Une fête entre amis, intellectuels et artistes, à New York, en 1951.
© SERGE GUTWIRTH.
son mari Heinrich Blücher
fêtent la parution des Origines
du Totalitarisme, en compagnie
de quelques amis, artistes et intellectuels.
« Il n’y a rien d’autre qu’aimer
et penser », lance l’un d’eux,
confirmant le ton épicurien de
cette pièce en forme de conversation chantante. Bien sûr, on
glane ici et là des éléments biographiques sur cette femme,
Juive allemande, disciple de
Heidegger, contrainte ensuite de
fuir la guerre et l’extermination
des Juifs pour se réfugier dans
l’exil. « La philosophie n’est pas
innocente dans ce qui nous est
arrivé », commente celui-ci,
s’appuyant sur les accointances
de Heidegger avec le parti nazi.
Refusant la posture du penseur
Au sommaire du MAD
ce mercredi 22 juillet
professionnel, Hannah et sa tribu se demandent si la pensée
peut encore sauver le monde.
On chante, on rit, on trinque et
on se charrie pour glisser, entre
les répliques pleines d’esprit,
une foule de questions sur ce
qu’est la pensée, cette chose qui
ne crée pas de valeur, ne
confirme rien, dissout tout. Au
pays de l’incertitude, ces philosophes se font volontiers bouffons pour narguer le fardeau du
passé et rester enragés, coûte
que coûte.
Ce déballage d’« héroïsme intellectuel » aurait pu être prétentieux s’il n’était porté par une
distribution
formidable,
joueuse, sexy. Mathilde Lefèvre
incarne Hannah Arendt avec
une force terrienne qui rappelle
son désir d’être tournée vers
l’amour du monde, vers ce
qu’elle appelait « la vita activa ». Autour d’elle, Jérôme De
Falloise, Soufian El Boubsi, Romain David, Aline Mahaux et
Ariane Rousseau papillonnent
eux aussi avec ce côté exalté,
passionné. Sobre, la scénographie habille le tout d’une couche
supplémentaire d’élégance. De
discrètes étoiles illuminent le
firmament de la scène, faisant
briller, mais sans ostentation,
cette balade poétique zigzaguant
entre Walter Benjamin, Kant,
Thucydide ou Shakespeare. ■
CATHERINE MAKEREEL
Jusqu’au 19 septembre au Théâtre
Océan Nord, 63/65 rue Vandeweyer,
1030 Bruxelles.
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MONS 2015:
NOTRE SUPPLÉMENT DE 12 PAGES
CINÉMA: «MARGUERITE», DE XAVIER GIANNOLI
GASTRONOMIE: LE DAM SUM À IXELLES
MUSIQUES: NOTRE RENCONTRE AVEC NICOLAS GODIN (AIR)
MARCHÉ DE L’ART: UN « PAVILLON » DE DAN GRAHAM
À BRUXELLES
B I E N S
D ’ E X C E P T I O N
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