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Le Soir Mardi 15 septembre 2015
38 LACULTURE
U
n fichier rassemblant 40
romans marquants sor-
tis ces derniers jours et
nommé soigneusement « Ren-
trée littéraire 2015 » ? Le pirate a
bien fait ça. Le package dont rêve
chaque lecteur assidu : Un
amour impossible de Christine
Angot, Le crime du comte Neville
d’Amélie Nothomb, Boussole de
Mathias Enard, Les eaux
troubles du Mojito de Philippe
Delerm, Profession du père de
Sorj Chalandon, etc. Le docu-
ment avec ces romans en format
ebook est accessible sur la plate-
forme illégale T411, normale-
ment bloquée par la justice fran-
çaise. Le site spécialisé ActuaLit-
té est tombé sur le fichier interdit
via une simple recherche sur le
net.
La sélection a déjà été télé-
chargée plus de 4.200 fois depuis
son apparition. En août, l’attaque
avait commencé par le roman 7
de Tristan Garcia, mis en ligne
30 jours avant sa sortie ! Et si on
cherche par soi-même, il n’est
pas difficile de tomber sur le der-
nier tome de la saga Millénium,
La dernière nuit du Raïs de Yas-
mina Khadra ou D’après une his-
toire vraie de Delphine de Vigan.
Ce n’est peut-être pas grand-
chose sur les 589 ouvrages pré-
vus pour cette rentrée, mais le
phénomène prend de l’ampleur.
Les éditions Grasset, Actes Sud,
Gallimard, Flammarion, Seuil ou
encore Lattès auraient pu prévoir
l’hécatombe. L’année dernière,
lors de la rentrée 2014, un pack
de 20 livres avait été téléchargé
plus de 5.000 fois sur l’espace de
stockage de Microsoft, Onedrive.
L’écrivain belge Alain Beren-
boom se rappelle qu’un mois
après la sortie de son roman
Monsieur Optimiste (prix Rossel
2013), la version numérique illé-
gale circulait sur le net. « Plu-
sieurs sites le proposaient, je
l’avais découvert grâce aux
alertes Google. »
Offrir un livre en télécharge-
ment illégal est passible de sanc-
tions pénales, poursuit l’avocat.
« C’est une contrefaçon, la sanc-
tion peut aller jusqu’à la prison,
même si c’est rarement le
cas. L’auteur et l’éditeur peuvent
aussi décider de demander des
dommages et intérêts. » Quand le
site se trouve à l’étranger, ce sont
bien souvent les intermédiaires
qui sont visés. Alain Berenboom
et son éditeur avaient demandé
aux sites belges qui relayaient le
fichier d’arrêter.
Si le piratage peut offrir une
bonne visibilité pour un nouveau
roman, il inquiète les éditeurs.
Le Syndicat national de l’édition
en France a mis en place un por-
tail « Protection Livres », pour
que ses adhérents repèrent plus
facilement les contenus illicites
et puissent adresser en quelques
clics des notifications pour en de-
mander le retrait.
Une fausse parade, d’après
Thibault Léonard, le directeur
du distributeur ebook Primento.
« L’éditeur a sa part de responsa-
bilité dans le piratage. En numé-
rique, les lecteurs sont plus sen-
sibles au prix. S’il existe une ver-
sion non payante et illégale d’un
livre, c’est que le lecteur estime
soit que le bouquin ne vaut pas le
coup d’être acheté, soit que le prix
est injustifié. »
L’éditeur prend l’exemple des
romans de la rentrée littéraire
dont la version numérique se
vend pour la plupart à plus de 10
euros. « Le quatrième tome de la
saga Millénium est à 17 euros, ce
n’est pas beaucoup moins que la
version papier. Les trois premiers
tomes sont à 9,99 euros et d’ici
quelques mois, le dernier passera
au même prix. C’est une stratégie
de l’éditeur et le lecteur l’a bien
compris. » Donc, il pirate.
■
FLAVIE GAUTHIER
L’autre rentrée des livres piratés
LITTÉRATURE Un fichier d’une quarantaine de titres vient de fuiter sur le net
Déjà début août,
le livre « 7 » de Tristan
Garcia avait fait
son apparition
avant sa sortie.
Les versions
numériques des romans
de Christine Angot et
d’Amélie Nothomb sont
disponibles illégalement.
Une problématique
récurrente
pour les éditeurs.
Parmi les titres de la rentrée à télécharger sur les plateformes illégales, les derniers livres de Sorj Chalandon et d’Amélie Nothomb. ©D.R.
CRITIQUE
U
ne femme qui danse, terri-
blement libre. On ne la
voit que de dos, mais on devine
sa joie dans des déhanchés ra-
dieux. Dès ce tout premier ta-
bleau on devine qu’Amor Mundi
a beau s’inspirer d’Hannah
Arendt, grande théoricienne du
XXesiècle (Les Origines du To-
talitarisme, Essai sur la révolu-
tion, Condition de l’homme mo-
derne), il ne s’agira pas ici d’une
démonstration aride de philoso-
phie, mais d’un portrait charnel
et tendre. A l’écriture, Myriam
Saduis et Valérie Battaglia n’ont
pas voulu sombrer dans le bio-
pic, mais simplement convoquer
cette femme à un moment fan-
tasmé de son existence : En 1951
à New York, Hannah Arendt et
son mari Heinrich Blücher
fêtent la parution des Origines
du Totalitarisme, en compagnie
de quelques amis, artistes et in-
tellectuels.
« Il n’y a rien d’autre qu’aimer
et penser », lance l’un d’eux,
confirmant le ton épicurien de
cette pièce en forme de conver-
sation chantante. Bien sûr, on
glane ici et là des éléments bio-
graphiques sur cette femme,
Juive allemande, disciple de
Heidegger, contrainte ensuite de
fuir la guerre et l’extermination
des Juifs pour se réfugier dans
l’exil. « La philosophie n’est pas
innocente dans ce qui nous est
arrivé », commente celui-ci,
s’appuyant sur les accointances
de Heidegger avec le parti nazi.
Refusant la posture du penseur
professionnel, Hannah et sa tri-
bu se demandent si la pensée
peut encore sauver le monde.
On chante, on rit, on trinque et
on se charrie pour glisser, entre
les répliques pleines d’esprit,
une foule de questions sur ce
qu’est la pensée, cette chose qui
ne crée pas de valeur, ne
confirme rien, dissout tout. Au
pays de l’incertitude, ces philo-
sophes se font volontiers bouf-
fons pour narguer le fardeau du
passé et rester enragés, coûte
que coûte.
Ce déballage d’« héroïsme in-
tellectuel » aurait pu être pré-
tentieux s’il n’était porté par une
distribution formidable,
joueuse, sexy. Mathilde Lefèvre
incarne Hannah Arendt avec
une force terrienne qui rappelle
son désir d’être tournée vers
l’amour du monde, vers ce
qu’elle appelait « la vita acti-
va ». Autour d’elle, Jérôme De
Falloise, Soufian El Boubsi, Ro-
main David, Aline Mahaux et
Ariane Rousseau papillonnent
eux aussi avec ce côté exalté,
passionné. Sobre, la scénogra-
phie habille le tout d’une couche
supplémentaire d’élégance. De
discrètes étoiles illuminent le
firmament de la scène, faisant
briller, mais sans ostentation,
cette balade poétique zigzaguant
entre Walter Benjamin, Kant,
Thucydide ou Shakespeare.
■
CATHERINE MAKEREEL
Jusqu’au 19 septembre au Théâtre
Océan Nord, 63/65 rue Vandeweyer,
1030 Bruxelles.
Aimer, penser, danser, avec Hannah Arendt
SCÈNES « Amor Mundi » de Myriam Saduis à l’Océan Nord
Une fête entre amis, intellectuels et artistes, à New York, en 1951.
©SERGE GUTWIRTH.
« En numérique,
les lecteurs sont
plus sensibles au prix »
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Au sommaire du MAD
ce mercredi 22 juillet
MONS 2015:
NOTRE SUPPLÉMENT DE 12 PAGES
CINÉMA: «MARGUERITE», DE XAVIER GIANNOLI
GASTRONOMIE: LE DAM SUM À IXELLES
MUSIQUES: NOTRE RENCONTRE AVEC NICOLAS GODIN (AIR)
MARCHÉ DE L’ART: UN « PAVILLON » DE DAN GRAHAM
À BRUXELLES
Une pratique
ordinaire
Selon le baromètre SOFIA/
SNE/SGDL sur les usages du
livre numérique en France,
sorti en mars 2015, 20 %
des lecteurs d’ebooks ont
déjà piraté des ouvrages.
C’est 7 % de plus par rap-
port à l’année précédente.
62 % téléchargent illégale-
ment car l’offre légale est
jugée trop restreinte, 48 %
parce qu’elle est trop chère,
et 31 % parce qu’elle est
moins accessible.
F.G.
ÉTUDE