dossier thématique
La prostate métastatique :
de la biologie à la clinique
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011
132
Le dénosumab : place dans le cancer
de la prostate résistant à la castration
Denosumab: role in castration-resistant prostate cancer
Y. Loriot*
* Département
de médecine oncologique,
institut de cancérologie
Gustave-Roussy, Villejuif.
Physiopathologie
des métastases osseuses : rappels
La genèse des métastases osseuses résulte de méca-
nismes nombreux et variés rendant leur physiopatho-
logie très complexe (1). De façon schématique, 4 acteurs
jouent un rôle prépondérant dans le développement
des métastases osseuses :
les cellules tumorales ;
les ostéoblastes ;
les ostéoclastes ;
la matrice osseuse.
Les cellules tumorales sécrètent des facteurs de crois-
sance, de prolifération et de diff érenciation pour les
ostéoblastes, qui sécrètent à leur tour des facteurs de
croissance qui sont captés par la matrice osseuse et le
microenvironnement tumoral (fi gure 1). Les métastases
osseuses du cancer de la prostate sont classiquement de
type ostéoblastique, mais elles se développent de façon
préférentielle sur des sites de résorption osseuse induite
par les ostéoclastes. En eff et, de nombreuses études
suggèrent que la résorption osseuse est nécessaire pour
la formation d’ostéoblastes. Les cellules métastatiques
des cancers de la prostate induisent une ostéoclastoge-
nèse et, in fi ne, une résorption osseuse. La voie RANK
(Receptor Activator of Nuclear factor-kappa B [NF-κB]),
RANK ligand (RANKL) et son inhibiteur physiologique
(l’ostéoprotégérine) jouent un rôle déterminant dans
cette physiopathologie. En eff et, RANK, stimulé par son
ligand, intervient dans la diff érenciation et la matura-
tion des ostéoclastes. Une fois activés, les ostéoclastes
induisent une résorption osseuse, ce qui entraîne un
relargage de nombreux facteurs de croissance dans leur
environnement immédiat, stimulant en retour la proli-
fération des cellules tumorales et l’activité des ostéo-
blastes. La diff érenciation des ostéoblastes est régulée
par de nombreux facteurs tels que les endothélines, le
Transforming Growth Factor-β (TGF-β), le Platelet-Derived
Growth Factor (PDGF), l’Insulin-Growth Factor (IGF), le
Fibroblast Growth Factor (FGF) ou encore les protéines
Points forts
highlights
»
L’axe RANK-RANKL est essentiel dans la physiopathologie
des métastases osseuses.
»Le dénosumab est un anticorps monoclonal ciblant RANKL.
»Une étude de phase III a montré la supériorité du dénosumab sur
l’acide zolédronique dans la prévention des événements osseux
graves chez les patients atteints d’un cancer de la prostate résistant
à la castration et avec métastases osseuses.
»
Lincidence des ostéonécroses de la mâchoire est similaire à celle
induite par l’acide zolédronique.
»Les résultats de létude AMG147 évaluant l’impact du dénosumab
dans la prévention de l’apparition des métastases osseuses sont
attendus pour fi n 2011.
Mots-clés : Cancer de la prostate – Résistance à la castration – Métastases
osseuses – Dénosumab – Acide zolédronique.
RANK-RANKL axis is a key pathway of bone metastases
physiopathology.
Denosumab is a monoclonal antibody targeting RANKL.
A phase III randomised study showed that denosumab
was better than zoledronic acid for prevention of skeletal-
related events in patients with castration-resistant prostate
cancer.
Denosumab and zoledronic acid result in similar incidence
of jaw osteonecrosis.
We should get by the end of 2011 the results of AMG147
assessing the role of denosumab in the prevention of bone
metastases occurrence in patients with CRPC.
Keywords: Prostate cancer – Castration resistance – Bone
metastases – Denosumab – Zoledronic acid.
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Figure1.
Cellule cancéreuse
prostatique
ostéoPG
RANKL
RANK
IGF-I, TGF-β
BMPR ET-1 ZD4054
VEGF-Trap Samarium
Radium-223
BMP
ETA
Anti-intégrine
dénosumab
Figure2. (3).
HR : 0,82 (IC95 : 0,71-0,95 ; p=0,0002 pour la non-infériorité)
p = 0,008 pour la supériorité
1,00
0,75
0,50
0,25
0 3 6 9 12 15 18 21 24 27
0
Mois
Mois (médiane) [IC95] :
Dénosumab 20,7 (18,8-24,9)
Acide zolédronique 17,1 (15,0-19,4)
Patients à risque
Dénosumab
950 758 582 472 361 259 168 115 70 39
Acide zolédronique
951 733 544 407 299 207 140 93 64 47
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011
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Le dénosumab : place dans le cancer de la prostate résistant à la castration
osseuses morphogéniques (BMP). Au bout du compte,
l’hyperactivité des ostéoblastes dans le cancer de la
prostate conduit à un os composé de fi bres de collagène
orientées au hasard, faiblement compactées et de faible
résistance, sujet à diff érentes complications (fractures,
compression médullaire, etc.). Cibler la dérégulation
du remodelage osseux dans le cancer de la prostate a
ainsi conduit à diff érentes approches thérapeutiques.
Stratégies thérapeutiques médicales
ciblant les métastases osseuses
Plusieurs stratégies sont actuellement développées
pour cibler les mécanismes impliqués dans la physio-
pathologie des métastases osseuses du cancer de
la prostate : le ciblage des ostéoblastes par les anta-
gonistes du récepteur de lendothéline (développé
dans le prochain numéro), le ciblage des ostéoclastes
par l’acide zolédronique, le ciblage du microenviron-
nement tumoral par des agents antiangiogéniques
(VEGFR-Trap), la radiothérapie métabolique ou les
inhibiteurs des intégrines.
Le dénosumab est un anticorps monoclonal qui inhibe
le ligand du récepteur activateur de NF-κB (nuclear
factor-κB l), impliqué dans lactivation de la résorption
osseuse via la stimulation des ostéoclastes. Compte tenu
du rôle central de l’axe RANK-RANKL dans la formation
et la progression des métastases osseuses dorigine
prostatique, plusieurs approches sont actuellement
développées pour cibler spécifi quement cette voie.
Le dénosumab (AMG162) est un anticorps monoclonal
dirigé contre RANKL dont nous avons décrit leff et sur la
résorption osseuse. Cet anticorps agit en bloquant l’eff et
de RANKL mimant l’activité de l’ostéo protégérine. Une
étude de phase II randomisée a montré, au cours d’une
analyse intermédiaire, que le dénosumab entraînait
une réduction des marqueurs de remodelage osseux
dans une proportion au moins aussi fréquente que le
zolédronate (2). Pour confi rmer les résultats prometteurs
de cette étude de phase II, une étude de phase III a donc
été développée, incluant 1 904 patients atteints d’un
cancer de la prostate métastatique osseux et résistant
à la castration. Les auteurs ont comparé le dénosumab
(injecté à la dose de 120 mg par voie sous-cutanée
toutes les 4 semaines) à l’acide zolédronique (injecté
à la dose de 4 mg par voie intraveineuse toutes les
4 semaines) dans la prévention des événements osseux
graves, qui étaient défi nis essentiellement par la sur-
venue d’une fracture pathologique, d’une compres-
sion médullaire ou par la nécessité d’une radiothérapie
antalgique. Le critère principal de l’étude était le temps
jusqu’à la survenue de l’un de ces événements osseux
graves et il était évalué selon un plan statistique de
non-infériorité. Cependant, en cas de non-infériorité,
une analyse de supériorité était prévue en tant que
critère secondaire.
Les résultats montrent que non seulement le critère
principal a été atteint (non-infériorité), mais également
le critère secondaire : le dénosumab augmente le temps
jusqu’au premier événement osseux (20,7 mois versus
17,1 mois [hazard ratio = 0,82 ; IC95 : 0,71-0,95 ; p = 0,0002
pour la non-infériorité et p = 0,008 pour la supériorité])
[fi gure 2] et réduit également le risque de survenue
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dossier thématique
La prostate métastatique :
de la biologie à la clinique
Figure3. (3).
HR : 0,82 (IC95 : 0,71-0,94 ; p = 0,004 ; ajusté p = 0,008)
2,0
0 3 6 9 12 15 18 21 24 363027 33
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1,0
1,2
1,4
1,6
1,8
Mois
Événements
Dénosumab (n=950) 494
Acide zolédronique (n=951) 584
Nombre moyen dévénements osseux
par patient
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d’événements osseux graves ultérieurs (fi gure 3). La
survie globale et la survie sans progression sont simi-
laires dans les 2 groupes.
Concernant les eff ets indésirables, peu de diff érences ont
été observées entre les 2 groupes de patients. En parti-
culier, l’incidence d’une hypocalcémie est de 13 % dans
le groupe dénosumab versus 6 % dans le groupe acide
zolédronique (une prévention vitaminocalcique était
obligatoire dans cet essai). Lincidence de l’ostéonécrose
de la mâchoire, événement en général rare mais gravis-
sime, est de 2,3 % dans le groupe dénosumab versus
1,3 % dans le groupe acide zolédronique (p = 0,09). Les
avantages du dénosumab sur l’acide zolédronique, outre
sa plus grande effi cacité, consistent donc en son adminis-
tration sous-cutanée et en l’absence de néphrotoxicité,
ce qui rend non nécessaire une surveillance biologique.
Plusieurs questions restent cependant en suspens :
l’acide zolédronique et le dénosumab doivent-ils
être administrés l’un après l’autre selon un schéma
séquentiel, quelle est la durée d’action du dénosumab
et, surtout, sa fréquence d’administration optimale ?
Par ailleurs, les résultats préliminaires de l’étude de
phase III évaluant le dénosumab (versus placebo) en
prévention des métastases osseuses chez des patients
atteints d’un cancer de la prostate résistant à la castra-
tion mais non métastatique devraient être rapportés
dans les prochains mois.
Le dénosumab a obtenu l’Autorisation de mise sur le
marché par la Food and Drug Administration en 2010
pour la prévention des événements osseux graves
chez des patients atteints d’un cancer de la prostate
résistant à la castration et avec métastases osseuses.
LAutorisation de mise sur le marché est actuellement
en cours de négociation en France.
Conclusion
En pratique, le dénosumab diminue donc, de façon
plus effi cace que l’acide zolédronique, le risque d’évé-
nements osseux graves et celui d’événements osseux
graves ultérieurs après un premier événement osseux
chez les patients atteints d’un cancer de la prostate
avec métastases osseuses et résistant à la castra-
tion. Il s’administre par voie sous-cutanée toutes les
4 semaines, sans toxicité rénale. En revanche, un risque
d’ostéonécrose mandibulaire persiste, qui nécessite
une surveillance stomatologique stricte, telle quelle
est actuellement recommandée avec l’acide zolé-
dronique.
1.Kingsley LA, Fournier PG, Chirgwin JM et al. Molecular biology of bone metastasis. Mol
Cancer Ther 2007;6(10):2609-17.
2.Fizazi K, Lipton A, Mariette X et al. Randomized phase II trial of denozumab in
patients with bone metastases from prostate cancer, breast cancer, or other neo-
plasm after intravenous bisphosphonates. J Clin Oncol 2009;27(10):1564-71.
3.
Fizazi K, Carducci M, Smith M et al. Denosumab versus zoledronic acid for treatment of bone
metastases in men with castration-resistant prostate cancer: a randomised, double-blind study.
Lancet 2011;377(9768):813-22.
Références
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