La prostate métastatique : de la biologie à la clinique dossier thématique Le dénosumab : place dans le cancer de la prostate résistant à la castration Denosumab: role in castration-resistant prostate cancer Y. Loriot* » L’axe RANK-RANKL est essentiel dans la physiopathologie RANK-RANKL axis is a key pathway of bone metastases physiopathology. » Le dénosumab est un anticorps monoclonal ciblant RANKL. » Une étude de phase III a montré la supériorité du dénosumab sur Denosumab is a monoclonal antibody targeting RANKL. l’acide zolédronique dans la prévention des événements osseux graves chez les patients atteints d’un cancer de la prostate résistant à la castration et avec métastases osseuses. » L’incidence des ostéonécroses de la mâchoire est similaire à celle induite par l’acide zolédronique. » Les résultats de l’étude AMG147 évaluant l’impact du dénosumab dans la prévention de l’apparition des métastases osseuses sont attendus pour fin 2011. highlights P o i nt s f o rt s des métastases osseuses. Mots-clés : Cancer de la prostate – Résistance à la castration – Métastases osseuses – Dénosumab – Acide zolédronique. Physiopathologie des métastases osseuses : rappels * Département de médecine oncologique, institut de cancérologie Gustave-Roussy, Villejuif. 132 COU-II-NN3-0911.indd 132 La genèse des métastases osseuses résulte de mécanismes nombreux et variés rendant leur physiopathologie très complexe (1). De façon schématique, 4 acteurs jouent un rôle prépondérant dans le développement des métastases osseuses : ✓ les cellules tumorales ; ✓ les ostéoblastes ; ✓ les ostéoclastes ; ✓ la matrice osseuse. Les cellules tumorales sécrètent des facteurs de croissance, de prolifération et de différenciation pour les ostéoblastes, qui sécrètent à leur tour des facteurs de croissance qui sont captés par la matrice osseuse et le microenvironnement tumoral (figure 1). Les métastases osseuses du cancer de la prostate sont classiquement de type ostéoblastique, mais elles se développent de façon préférentielle sur des sites de résorption osseuse induite A phase III randomised study showed that denosumab was better than zoledronic acid for prevention of skeletalrelated events in patients with castration-resistant prostate cancer. Denosumab and zoledronic acid result in similar incidence of jaw osteonecrosis. We should get by the end of 2011 the results of AMG147 assessing the role of denosumab in the prevention of bone metastases occurrence in patients with CRPC. Keywords: Prostate cancer – Castration resistance – Bone metastases – Denosumab – Zoledronic acid. par les ostéoclastes. En effet, de nombreuses études suggèrent que la résorption osseuse est nécessaire pour la formation d’ostéoblastes. Les cellules métastatiques des cancers de la prostate induisent une ostéoclastogenèse et, in fine, une résorption osseuse. La voie RANK (Receptor Activator of Nuclear factor-kappa B [NF-κB]), RANK ligand (RANKL) et son inhibiteur physiologique (l’ostéoprotégérine) jouent un rôle déterminant dans cette physiopathologie. En effet, RANK, stimulé par son ligand, intervient dans la différenciation et la maturation des ostéoclastes. Une fois activés, les ostéoclastes induisent une résorption osseuse, ce qui entraîne un relargage de nombreux facteurs de croissance dans leur environnement immédiat, stimulant en retour la prolifération des cellules tumorales et l’activité des ostéoblastes. La différenciation des ostéoblastes est régulée par de nombreux facteurs tels que les endothélines, le Transforming Growth Factor-β (TGF-β), le Platelet-Derived Growth Factor (PDGF), l’Insulin-Growth Factor (IGF), le Fibroblast Growth Factor (FGF) ou encore les protéines Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 28/09/11 15:36 Le dénosumab : place dans le cancer de la prostate résistant à la castration osseuses morphogéniques (BMP). Au bout du compte, l’hyperactivité des ostéoblastes dans le cancer de la prostate conduit à un os composé de fibres de collagène orientées au hasard, faiblement compactées et de faible résistance, sujet à différentes complications (fractures, compression médullaire, etc.). Cibler la dérégulation du remodelage osseux dans le cancer de la prostate a ainsi conduit à différentes approches thérapeutiques. ostéoPG Cellule cancéreuse prostatique BMPR ET-1 ZD4054 RANK ETA Samarium Radium-223 VEGF-Trap Figure 1. 1,00 Mois (médiane) [IC95] : Dénosumab 20,7 (18,8-24,9) Acide zolédronique 17,1 (15,0-19,4) 0,75 0,50 0,25 0 HR : 0,82 (IC95 : 0,71-0,95 ; p = 0,0002 pour la non-infériorité) p = 0,008 pour la supériorité 0 Patients à risque Dénosumab 950 Acide zolédronique 951 3 6 9 758 733 582 544 472 407 12 15 Mois 18 21 24 27 361 299 168 140 115 93 70 64 39 47 259 207 Figure 2. (3). jusqu’à la survenue de l’un de ces événements osseux graves et il était évalué selon un plan statistique de non-infériorité. Cependant, en cas de non-infériorité, une analyse de supériorité était prévue en tant que critère secondaire. Les résultats montrent que non seulement le critère principal a été atteint (non-infériorité), mais également le critère secondaire : le dénosumab augmente le temps jusqu’au premier événement osseux (20,7 mois versus 17,1 mois [hazard ratio = 0,82 ; IC95 : 0,71-0,95 ; p = 0,0002 pour la non-infériorité et p = 0,008 pour la supériorité]) [figure 2] et réduit également le risque de survenue Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 COU-II-NN3-0911.indd 133 dénosumab IGF-I, TGF-β Anti-intégrine Stratégies thérapeutiques médicales ciblant les métastases osseuses Plusieurs stratégies sont actuellement développées pour cibler les mécanismes impliqués dans la physiopathologie des métastases osseuses du cancer de la prostate : le ciblage des ostéoblastes par les antagonistes du récepteur de l’endothéline (développé dans le prochain numéro), le ciblage des ostéoclastes par l’acide zolédronique, le ciblage du microenvironnement tumoral par des agents antiangiogéniques (VEGFR-Trap), la radiothérapie métabolique ou les inhibiteurs des intégrines. Le dénosumab est un anticorps monoclonal qui inhibe le ligand du récepteur activateur de NF-κB (nuclear factor-κB l), impliqué dans l’activation de la résorption osseuse via la stimulation des ostéoclastes. Compte tenu du rôle central de l’axe RANK-RANKL dans la formation et la progression des métastases osseuses d’origine prostatique, plusieurs approches sont actuellement développées pour cibler spécifiquement cette voie. Le dénosumab (AMG162) est un anticorps monoclonal dirigé contre RANKL dont nous avons décrit l’effet sur la résorption osseuse. Cet anticorps agit en bloquant l’effet de RANKL mimant l’activité de l’ostéoprotégérine. Une étude de phase II randomisée a montré, au cours d’une analyse intermédiaire, que le dénosumab entraînait une réduction des marqueurs de remodelage osseux dans une proportion au moins aussi fréquente que le zolédronate (2). Pour confirmer les résultats prometteurs de cette étude de phase II, une étude de phase III a donc été développée, incluant 1 904 patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique osseux et résistant à la castration. Les auteurs ont comparé le dénosumab (injecté à la dose de 120 mg par voie sous-cutanée toutes les 4 semaines) à l’acide zolédronique (injecté à la dose de 4 mg par voie intraveineuse toutes les 4 semaines) dans la prévention des événements osseux graves, qui étaient définis essentiellement par la survenue d’une fracture pathologique, d’une compression médullaire ou par la nécessité d’une radiothérapie antalgique. Le critère principal de l’étude était le temps RANKL BMP 133 28/09/11 15:36 La prostate métastatique : de la biologie à la clinique Nombre moyen d’événements osseux par patient dossier 2,0 1,8 1,6 1,4 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0 thématique Plusieurs questions restent cependant en suspens : l’acide zolédronique et le dénosumab doivent-ils être administrés l’un après l’autre selon un schéma séquentiel, quelle est la durée d’action du dénosumab et, surtout, sa fréquence d’administration optimale ? Par ailleurs, les résultats préliminaires de l’étude de phase III évaluant le dénosumab (versus placebo) en prévention des métastases osseuses chez des patients atteints d’un cancer de la prostate résistant à la castration mais non métastatique devraient être rapportés dans les prochains mois. Le dénosumab a obtenu l’Autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration en 2010 pour la prévention des événements osseux graves chez des patients atteints d’un cancer de la prostate résistant à la castration et avec métastases osseuses. L’Autorisation de mise sur le marché est actuellement en cours de négociation en France. Événements Dénosumab (n = 950) 494 Acide zolédronique (n = 951) 584 HR : 0,82 (IC95 : 0,71-0,94 ; p = 0,004 ; ajusté p = 0,008) 0 3 6 9 12 15 18 Mois 21 24 27 30 33 36 Figure 3. (3). d’événements osseux graves ultérieurs (figure 3). La survie globale et la survie sans progression sont similaires dans les 2 groupes. Concernant les effets indésirables, peu de différences ont été observées entre les 2 groupes de patients. En particulier, l’incidence d’une hypocalcémie est de 13 % dans le groupe dénosumab versus 6 % dans le groupe acide zolédronique (une prévention vitaminocalcique était obligatoire dans cet essai). L’incidence de l’ostéonécrose de la mâchoire, événement en général rare mais gravissime, est de 2,3 % dans le groupe dénosumab versus 1,3 % dans le groupe acide zolédronique (p = 0,09). Les avantages du dénosumab sur l’acide zolédronique, outre sa plus grande efficacité, consistent donc en son administration sous-cutanée et en l’absence de néphrotoxicité, ce qui rend non nécessaire une surveillance biologique. Conclusion En pratique, le dénosumab diminue donc, de façon plus efficace que l’acide zolédronique, le risque d’événements osseux graves et celui d’événements osseux graves ultérieurs après un premier événement osseux chez les patients atteints d’un cancer de la prostate avec métastases osseuses et résistant à la castration. Il s’administre par voie sous-cutanée toutes les 4 semaines, sans toxicité rénale. En revanche, un risque d’ostéonécrose mandibulaire persiste, qui nécessite une surveillance stomatologique stricte, telle qu’elle est actuellement recommandée avec l’acide zolédronique. ■ Références 1. Kingsley LA, Fournier PG, Chirgwin JM et al. Molecular biology of bone metastasis. Mol Cancer Ther 2007;6(10):2609-17. 2. Fizazi K, Lipton A, Mariette X et al. Randomized phase II trial of denozumab in patients with bone metastases from prostate cancer, breast cancer, or other neo- 134 COU-II-NN3-0911.indd 134 plasm after intravenous bisphosphonates. J Clin Oncol 2009;27(10):1564-71. 3. Fizazi K, Carducci M, Smith M et al. Denosumab versus zoledronic acid for treatment of bone metastases in men with castration-resistant prostate cancer: a randomised, double-blind study. Lancet 2011;377(9768):813-22. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 28/09/11 15:36