Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014
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Carcinogenèse colorectale : impact des bactéries toxinogènes ou pro-infl ammatoires
cinomes coliques. Il vient récemment d’être montré que
ces bactéries stimulent la tumorigenèse dans le modèle
murin de CCR APC
Min/+
en favorisant l’infi ltration du tissu
tumoral par des cellules immunitaires (14). L’analyse de
tissus tumoraux colonisés par la bactérie, en modèle
murin et chez l’homme, a montré que ceux-ci présentent
une signature d’expression génique pro-infl ammatoire
et proliférative. Par ailleurs, F. nucleatum exprime une
adhésine, FadA, qui, en se fi xant sur l’E-cadhérine, active
la voie Wnt/β-caténine et la prolifération des cellules
épithéliales intestinales (14). Des expériences de xéno-
greff e ont montré que l’inhibition de FadA permettait de
bloquer la prolifération de la masse tumorale. Enfi n, ces
bactéries produisent la toxine FIP capable de bloquer le
cycle cellulaire en milieu de phase G1. Cependant, aucune
étude in vivo n’a encore été menée pour évaluer son rôle
éventuel dans la tumorigenèse colique.
Bacteroides fragilis est une bactérie pathogène oppor-
tuniste du microbiote intestinal. Des souches entéro-
toxiques, habituellement responsables de diarrhées
infl ammatoires aiguës chez l’enfant, sont retrouvées
chez près de 38 % des patients souff rant d’un CCR,
contre 12 % des sujets contrôles (15). Ces bactéries
sont capables d’induire une colite aiguë qui se trans-
forme en infl ammation chronique du côlon pouvant
perdurer plusieurs mois (15). Elles accélèrent la trans-
formation oncogénique dans un modèle murin de CCR
APCMin/+ (15). En clivant l’E-cadhérine, l’entérotoxine
de ces bactéries, appelée “Bacteroides fragilis toxin”
(BFT) ou fragilysine, active la voie WNT, qui joue un
rôle essentiel dans la prolifération cellulaire et la carci-
nogènese colique (15). La fragilysine induit également
une réponse immunitaire de type Th17 responsable
de l’apparition des tumeurs dans le modèle murin
APCMin (15). Ainsi, une colonisation prolongée par ces
bactéries pourrait entretenir une infl ammation colique
chronique favorisant la transformation de l’épithélium
tumoral.
Autres bactéries associées au CCR
Par ailleurs, une fréquence anormalement élevée du
portage digestif des bactériémies Streptococcus gal-
lolyticus gallolyticus (S. bovis biotype I) et Enterococcus
faecalis a été observée chez les patients atteints de
CCR. S. gallolyticus gallolyticus induit une infl ammation
ainsi que la surexpression de l’oncogène c-Myc et de la
protéine anti-apoptotique Bcl2. E. faecalis produit des
ions superoxydes génotoxiques et induit une instabilité
chromosomique in vivo. Ces bactéries pourraient donc
elles aussi contribuer au développement du CCR.
Conclusion
Pour confi rmer les données préliminaires suggérant
un lien entre certaines bactéries et la carcinogenèse
colorectale, des études doivent être menées sur de
larges cohortes prospectives capables d’explorer plus
avant l’évolution du microbiote intestinal au cours
de la maladie. Cependant, si appréhender la compo-
sition du microbiote intestinal et du métagénome
correspondant est important, les études fonctionnelles
semblent être indispensables pour comprendre les
impacts cliniques. ■
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Références
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de liens
d’intérêts.