Bactéries et cancer thématique Bactéries et cancer Jean-François Emile Chef du service de pathologie, responsable du Centre de ressources biologiques ; directeur de l'EA4340 “Épidémiologie et oncogenèse des tumeurs digestives”, hôpital universitaire Ambroise-Paré, AP-HP, et université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. L e corps d’un humain adulte en bonne santé est constitué de 10 fois plus de bactéries que de cellules humaines. La flore bactérienne étant ellemême très variée, la diversité du génome bactérien est plus de 100 fois plus élevée que celle de son hôte humain. De même que les maladies monogéniques ne constituent qu’une infime partie des maladies héréditaires, il est hautement probable que les bactéries non identifiées comme “pathogènes” influent de façon majeure sur le développement et la gravité de nombreuses maladies de leurs hôtes humains. C’est au contact de l’épithélium colique que les bactéries sont le plus abondantes, et il est depuis longtemps suspecté que cet environnement joue un rôle au moins aussi important que le patrimoine génétique dans la cancérogenèse. Les progrès techniques considérables avec, notamment, le développement du séquençage massif parallèle (dit aussi “de nouvelle génération”) ont permis d’apporter des arguments décisifs pour étayer ces hypothèses. Toutefois, certains germes (ou certaines associations de germes) impliqués dans l’initiation de la tumorigenèse pourraient ensuite être masqués par le développement d’autres germes dits “passagers”. Cela complique l’interprétation des analyses réalisées sur le microbiote colique humain. La carcinogenèse hépatique a également fait l’objet de travaux récents et novateurs, qui amorcent le décryptage des rapports entre obésité, inflammation et cancérogenèse. Ainsi, le développement de carcinomes hépatocellulaires chez des souris obèses s’est révélé très lié au contrôle par les bactéries de la concentration d’acide désoxycholique (1). Le microbiote intestinal pourrait aussi jouer un rôle à distance dans la cancérogenèse d’organes, par exemple en modulant le statut inflammatoire ou immunitaire de l’individu. Les effets à distance pourraient également s’expliquer par le métabolisme de xénotoxiques associé à certaines populations bactériennes. Ainsi, le microbiote pourrait moduler le métabolisme du soja et expliquer la différence d’incidence des carcinomes prostatiques en Asie et en Occident (2). Cette combinaison entre 2 facteurs environnementaux, alimentation et flore intestinale, agissant sur un organe situé à distance est un bon exemple de la complexité de ces études. Les perspectives d’applications thérapeutiques sont enthousiasmantes, non seulement dans le cancer, mais aussi dans des maladies inflammatoires (3). Outre son rôle, qui s’avère de plus en plus capital dans l’initiation et la croissance tumorale, le microbiote pourrait moduler la thérapeutique. Ainsi, la composition du microbiote intestinal peut, dans des modèles animaux, moduler les effets des chimiothérapies et la réponse inflammatoire antitumorale (4, 5). La flore bactérienne est particulièrement abondante dans le tube digestif, avec un gradient d’abondance croissant de la partie proximale à distale. Le dossier qui suit se concentre sur l’estomac, où le rôle du germe Helicobacter pylori est établi depuis de nombreuses années, et sur le côlon, où le microbiote est beaucoup plus complexe, mais s’avère également capital pour la carcinogenèse et probablement aussi pour la thérapeutique. ■ Références 1. Yoshimoto S1, Loo TM, Atarashi K et al. Obesity-induced gut microbial metabolite promotes liver cancer through senescence secretome. Nature 2013;499(7456):97-101. 2. Akaza H. Prostate cancer chemoprevention by soy isoflavones: role of intestinal bacteria as the “second human genome”. Cancer Sci 2012;103(6):969-75. 3. Kostic AD, Xavier RJ, Gevers D. The microbiome in inflammatory bowel disease: current status and the future ahead. Gastroenterology 2014;146(6):1489-99. 4. Viaud S, Saccheri F, Mignot G et al. The intestinal microbiota modulates the anticancer immune effects of cyclophosphamide. Science 2013;342(6161):971-6. 5. Lida N, Dzutsev A, Stewart CA et al. Commensal bacteria control cancer response to therapy by modulating the tumor microenvironment. Science 2013;342(6161):967-70. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 INTRODUCTION dossier L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 51