DOSSIER THÉMATIQUE Effets indésirables vasculaires et métaboliques des antipsychotiques Antipsychotiques et effets métaboliques : données cliniques et pharmacoépidémiologiques Antipsychotics and metabolic disturbances: clinical and pharmacoepidemiological information M. Tournier1, 2, 3, B. Bégaud1, 2, 4, H. Verdoux1, 2, 3 M. Tournier 1 Université de Bordeaux, U657, Bordeaux. 2 Inserm, U657, Bordeaux. 3 Centre hospitalier Charles-Perrens, Bordeaux. 4 Centre hospitalier universitaire, Bordeaux. L a schizophrénie, principale indication des traitements antipsychotiques, est une maladie chronique, sévère, qui entraîne une détérioration du pronostic socioprofessionnel et vital des patients. Elle est notamment associée à un risque accru de mortalité précoce : l’espérance de vie d’un patient âgé de 20 ans souffrant de schizophrénie est ainsi réduite de plus de 20 ans par rapport à celle de la population générale. Les pathologies cardiovasculaires (CV) représentent 50 % de cet excès de mortalité (1), du fait d’une hygiène de vie médiocre, d’une négligence vis-à-vis des soins somatiques et, probablement, des traitements. Les antipsychotiques de seconde génération (AP2G) représentent une avancée dans le traitement de ce trouble, notamment en raison d’une réduction des effets extrapyramidaux et de l’amélioration de l’observance. Cependant, le débat sur le rapport bénéfice/ risque des AP2G, comparés aux antipsychotiques de première génération (AP1G), est toujours d’actualité ; les effets métaboliques des AP2G, particulièrement inquiétants, jouent un rôle crucial dans ce débat. Perturbations métaboliques dans la schizophrénie Selon les critères du National Cholesterol Education Program Adult Treatment Panel III, centrés sur le risque de pathologie CV, le syndrome métabolique est défini par la présence d’au moins 3 valeurs anormales pour les paramètres suivants : l’obésité 14 | La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 abdominale mesurée par le périmètre abdominal, les triglycérides, le cholestérol HDL, la tension artérielle et la glycémie à jeun (2, 3). Il n’existe pas de réel consensus sur l’utilité d’envisager ce syndrome comme une entité diagnostique, ni sur les normes utilisées dans cette définition. Ainsi la norme du périmètre abdominal chez les Occidentaux a-telle été revue à la baisse en 2005 par l’International Diabetes Federation (de 102 à 94 cm chez les hommes et de 88 à 80 cm chez les femmes), tout comme le niveau de glycémie à jeun (de 110 à 100 mg/dl) [4]. Cependant, ces différents paramètres doivent tous être considérés comme des facteurs de risque de pathologie CV et de diabète, et être traités individuellement. Dans l’étude CATIE (Clinical Antipsychotic Trials of Intervention Effectiveness), essai pragmatique qui a évalué l’efficacité réelle et la tolérance de certains antipsychotiques (olanzapine, quétiapine, rispéridone, ziprasidone et perphénazine) chez 1 460 patients souffrant de schizophrénie aux USA, la prévalence du syndrome métabolique à l’inclusion était de 42,7 %, soit plus d’un tiers des hommes et plus de la moitié des femmes (5). Si l'on compare cette population à un échantillon de la population générale, après appariement sur l'âge, le sexe et l'ethnie, on observe que le risque de présenter un syndrome métabolique était augmenté de 138 % chez les hommes et de 251 % chez les femmes. Le syndrome métabolique était associé au sexe féminin (OR = 1,9 ; IC95 : 1,3-2,8), très faiblement à l’âge (OR = 1,02 ; IC95 : 1,004-1,03), et au type Points forts Mots-clés » Les effets métaboliques des traitements antipsychotiques de seconde génération (AP2G) sont maintenant reconnus. Ils peuvent mettre en jeu le pronostic vital des patients et survenir même après une courte période d’exposition. » De ce point de vue, il existe des différences entre les divers AP2G et des variations individuelles marquées. Par exemple, l’olanzapine paraît associée à un risque plus élevé d’augmentation de l’ensemble des paramètres du syndrome métabolique. De même, la clozapine, l’olanzapine, le sertindole et la zotépine entraînent des prises de poids plus importantes que les autres AP2G. » La survenue de tels effets indésirables nécessitant une adaptation rapide du traitement, une surveillance très régulière des paramètres métaboliques est recommandée, mais elle est très rarement pratiquée. afro-américain (par rapport au type dit “blanc” ; OR = 0,5 ; IC 95 = 0,3-0,7). Lorsque l’on s’intéresse aux différents paramètres, il est frappant de constater que 76,3 % des femmes remplissaient le critère d’augmentation du périmètre abdominal (versus 35,5 % des hommes). Elles présentaient également plus souvent que les hommes le critère de diminution du HDL cholestérol (63,3 % versus 48,9 %), mais moins fréquemment une hypertriglycéridémie (42,2 % versus 50,7 %) [5]. Il convient de noter que ces patients pouvaient être traités par un antipsychotique au moment de leur inclusion, ce qui peut avoir modifié la prévalence des perturbations métaboliques. L’étude EPIP (Early Psychosis Intervention Program) a comparé 160 patients âgés de 18 à 40 ans, qui présentaient un premier épisode psychotique et qui n'avaient jamais pris de traitement antipsychotique, à des sujets de la population générale. Elle montre que les premiers présentaient un risque accru de diabète (6). En revanche, ils avaient moins souvent une hypercholestérolémie ou un surpoids (indice de masse corporelle supérieur à 23). Le risque accru d’obésité et de dyslipidémie observé dans la schizophrénie paraît donc attribuable au traitement antipsychotique. Impact métabolique des médicaments antipsychotiques Médicaments antipsychotiques et syndrome métabolique Dans l’étude CATIE, 74 % des traitements initialement introduits ont dû être interrompus précocement. Au cours des 3 premiers mois de traitement, la prévalence du syndrome métabolique a augmenté de manière plus importante avec l’olanzapine (+ 9,1 %) qu’avec la ziprasidone (− 7,8 %) [7]. Les critères le plus fréquemment concernés sont le périmètre abdominal et la triglycéridémie. Il existe donc un impact des antipsychotiques sur le risque de syndrome métabolique, même après une courte période de traitement. Par rapport aux autres antipsychotiques et après un ajustement sur la durée d’exposition, l’olanzapine est associée à une plus grande augmentation de l’ensemble des paramètres cliniques et biologiques du syndrome métabolique (7, 8). À l’inverse, la ziprasidone est liée à une diminution de ces paramètres s’ils sont augmentés à l’inclusion, ou à une certaine stabilité. Les autres molécules se situent entre les 2. L’étude CAFE (Comparison of Atypicals for First Episode) a comparé l’impact de l’olanzapine, de la quétiapine et de la rispéridone chez 400 sujets jeunes (16 à 40 ans), qui présentaient un premier épisode psychotique (9). Dans cette étude, les sujets jeunes commençant une pathologie psychotique se montraient sensibles aux effets métaboliques des antipsychotiques, avec une augmentation de la prévalence du syndrome métabolique de 13,4 % au cours de la première année de traitement (9). Médicaments antipsychotiques et prise de poids Lors de l’étude CATIE, l’évolution du périmètre abdominal a été évaluée sur 18 mois, en distinguant les sujets qui se situaient au-dessous et au-dessus de la médiane (environ 99 cm) au début de l’étude (7). Lorsque le périmètre abdominal était inférieur à la médiane, il restait à peu près stable sous ziprasidone et s’accroissait rapidement sous olanzapine. Cette augmentation semblait constante sous olanzapine, sans stabilisation à l’issue de la période d’observation. Lorsque les patients se situaient à l’inclusion au niveau ou au-dessus de la médiane, l’olanzapine aggravait cette situation tandis que la perphénazine l’améliorait. L’obésité abdominale était stable avec les autres antipsychotiques. Dans l’étude CAFE, la prise de poids était importante à 12 et à 52 semaines (9). L’olanzapine entraînait ainsi une prise de poids moyenne d’environ 11 kg sur 1 an. Plus de la moitié de la prise de poids survenait dans les 12 premières semaines de traitement, et elle se prolongeait au-delà de cette période. Différentes méta-analyses ont porté sur l’influence des médicaments antipsychotiques sur le poids. La première a rassemblé 81 études publiées et non publiées (10) : les résultats montraient un risque de prise de poids à court terme par comparaison avec Antipsychotique Syndrome métabolique Obésité Dyslipidémie Diabète Highlights The metabolic disturbances of second-generation antipsychotics are wellknown. They may be lifethreatening and occur after a short period of exposition. However, there are differences across the secondgeneration antipsychotics and an individual variability. For example, olanzapine is associated with a higher risk of every metabolic disturbance than the others in most studies. In the same way, clozapine olanzapine, sertindole and zotepine are associated with a higher risk of weight gain than the others. As the occurrence of metabolic disturbances involves a quick adaptation of treatment, a continuous monitoring and a regular assessment of biological metabolic parameters are recommended. However, they are rarely met. Keywords Antipsychotic Metabolic syndrome Obesity Dyslipemia Diabetes La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 | 15 DOSSIER THÉMATIQUE Effets indésirables vasculaires et métaboliques des antipsychotiques Antipsychotiques et effets métaboliques : données cliniques et pharmacoépidémiologiques le placebo, au cours de traitements d’une durée de 10 semaines à dose recommandée pour des AP1G (halopéridol, chlorpromazine, thioridazine, mesoridazine) et des AP2G (rispéridone, sertindole, olanzapine et clozapine). Une méta-analyse de 21 essais cliniques a évalué le risque à long terme (11). Pour un traitement de 1 an, la prise de poids (définie par un gain d’au moins 7 % du poids du corps) est similaire avec la ziprasidone et le placebo (17 % versus 13 %). L’olanzapine, la rispéridone et l’halopéridol entraînent un risque de prise de poids significativement supérieur au placebo (respectivement, 57, 39 et 41 %). La méta-analyse menée par l’équipe de S. Leucht, ayant rassemblé 150 essais cliniques (dont 121 duraient moins de 12 semaines) et 21 533 patients, a comparé la prise de poids sous AP2G (amisulpride, aripiprazole, clozapine, olanzapine, quétiapine, rispéridone, sertindole, ziprasidone, zotépine) et halopéridol (12). Par rapport à l’halopéridol, tous les AP2G, sauf la ziprasidone et l’aripiprazole, sont associés à une prise de poids significative. La clozapine, l’olanzapine, le sertindole et la zotépine entraînent des prises de poids importantes, la rispéridone, l’amisulpride et la quétiapine, des prises de poids modérées. Médicaments antipsychotiques et paramètres métaboliques biologiques Il est à noter que, dans l’étude CATIE, la rispéridone ne paraît pas induire de dyslipidémies (8). La triglycéridémie postprandiale a été explorée après 3 mois de traitement antipsychotique incident, c’est-à-dire que les patients qui ont poursuivi leur traitement antérieur lors de leur inclusion dans CATIE ont été exclus (13). La triglycéridémie postprandiale serait davantage associée au risque athéromateux que la triglycéridémie à jeun. Après ajustement sur la triglycéridémie postprandiale initiale, les taux augmentent sous olanzapine et quétiapine et diminuent sous ziprasidone, perphénazine et rispéridone. Bien que l’impact métabolique des AP2G soit maintenant un effet indésirable reconnu, les études qui ont comparé les effets métaboliques des AP2G et des AP1G à partir des bases de données de l'Assurance maladie ont retrouvé des résultats contradictoires. Ces divergences pourraient s’expliquer par des différences méthodologiques et, en particulier, par la mesure de l’exposition aux antipsychotiques. Une étude menée à partir de la base de données de l’Assurance maladie française pour les travailleurs indépendants (Régime social des indépendants [RSI]) 16 | La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 a ainsi retrouvé un impact métabolique des AP2G sur les dyslipidémies et sur le diabète lorsqu’il s’agissait d’une exposition récente (interrompue dans les 6 derniers mois), mais pas lorsque le traitement était en cours (14). Ces événements métaboliques étant de survenue relativement rapide, il est possible que le traitement soit interrompu précocement chez les sujets chez lesquels ils surviennent. Une étude incluant des traitements antipsychotiques prévalents surreprésente probablement les traitements au long cours s’étant révélés efficaces et bien tolérés (biais dit “de déplétion” des sujets à risque). L’évaluation des effets métaboliques des médicaments antipsychotiques en conditions réelles de prescription doit donc tenir compte des expositions médicamenteuses antérieures. Médicaments antipsychotiques et espérance de vie Les effets métaboliques induits par les antipsychotiques sont des facteurs de risque pour le syndrome métabolique, qui augmente lui-même le risque de diabète non insulinodépendant (DNID) et de pathologies CV, pathologies coronariennes et accident vasculaire cérébral (15). Cependant, selon une étude menée en Finlande, la forte augmentation de la prescription des AP2G depuis les années 1990 s’est accompagnée d’une réduction de la différence d’espérance de vie entre les patients atteints de schizophrénie et la population générale (1). L’usage à long terme des antipsychotiques réduirait notamment la mortalité par rapport à l’absence de traitement, sans augmenter la mortalité CV. Cette étude, menée en conditions réelles de prescription, favorise probablement les traitements bien tolérés et poursuivis au long cours. Elle montre cependant les bénéfices des AP2G en pratique réelle, les traitements qui entraînent des effets indésirables étant interrompus par le patient ou son médecin. Il est possible que les AP2G améliorent l’observance médicamenteuse, et donc l’hygiène de vie, ce qui contrebalancerait leurs effets métaboliques. Gestion des effets métaboliques des médicaments antipsychotiques La prise de poids et l’obésité sont souvent associées à des anomalies métaboliques biologiques. Cependant, les antipsychotiques pourraient avoir des effets DOSSIER THÉMATIQUE directs, indépendants de la prise de poids et de la pathologie psychiatrique, sur la tension artérielle, le DNID et les dyslipidémies (16). Il semble ainsi exister un effet direct sur le métabolisme du glucose, en particulier pour l’olanzapine et la clozapine, et sur les dyslipidémies, en particulier pour l’olanzapine, la clozapine et probablement pour la quétiapine et les antipsychotiques utilisés à visée sédative (cyamémazine, lévomépromazine). La simple surveillance du poids n'est donc pas suffisante. Il existe des variations individuelles vis-à-vis du risque de survenue des effets métaboliques des antipsychotiques. Le choix du traitement antipsychotique peut se révéler fondamental, notamment sur les plans métabolique et CV. La survenue de tels effets indésirables peut nécessiter un changement de traitement quelle que soit son efficacité antipsychotique. Ainsi les associations American Diabetes Association, American Association of Clinical Endocrinologists et North American Association for the Study of Obesity recommandent-elles une surveillance très régulière des paramètres métaboliques. L’Afssaps a publié en avril 2010 une mise au point sur le suivi cardiométabolique des patients traités par antipsychotiques (17) ; toute variation de ces paramètres peut justifier un changement de traitement. Cependant, en conditions réelles de prescription, les patients souffrant de schizophrénie risquent non seulement plus que la population générale de présenter des anomalies métaboliques, mais également d'être sous-traités pour les dyslipidémies, l’hypertension artérielle (HTA) et les dérégulations du métabolisme glucidique. Ainsi, dans l’étude CATIE, 45 % des DNID n’étaient pas traités, de même que 62 % des HTA et 89 % des dyslipidémies (3). Dans l’étude française menée à partir de la base de données du RSI entre 2004 et 2006, pratiquement aucun patient n’a bénéficié d’un bilan métabolique biologique à la fois à l’instauration et à 3 mois de traitement (18) ; seuls 11 % ont bénéficié d’une mesure de la glycémie et 2 % d’un bilan lipidique à l’instauration ou à 3 mois de traitement. Conclusion Les AP2G peuvent entraîner des effets métaboliques importants qui mettent en jeu la santé et le pronostic vital des patients. Il existe des différences significatives entre tous les AP2G et des variations individuelles en ce qui concerne les effets métaboliques. Les médecins doivent être avertis de ces distinctions, afin de prescrire des traitements adaptés à chaque patient et pour qu’ils soient convaincus de la nécessité d’exercer une surveillance rigoureuse des paramètres métaboliques permettant un ajustement rapide du traitement. ■ Conflit d’intérêts. L’auteur déclare avoir un conflit d’intérêts avec AstraZeneca, BMS, Janssen, Lilly. Références bibliographiques 1. Tiihonen J, Lönnqvist J, Wahlbeck K et al. 11-year follow-up of mortality in patients with schizophrenia: a populationbased cohort study (FIN11 study). Lancet 2009;374:620-7. 2. Third report of the National Cholesterol Education Program (NCEP) expert panel on detection, evaluation, and treatment of high blood cholesterol in adults (Adult Treatment Panel III) final report. Circulation 2002 17;106(25):3143-421. 3. Nasrallah HA. Metabolic findings from the CATIE trial and their relation to tolerability. CNS Spectr 2006;11(7 Suppl 7):32-9. 4. Alberti KG, Zimmet P, Shaw J. The metabolic syndrome-a new worldwide definition. Lancet 2005;366:1059-62. 5. McEvoy JP, Meyer JM, Goff DC et al. 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La Lettre du Pharmacologue ̐ Vol. 26 - n° 1 - janvier-février-mars 2012 | 17