Les vitamines dossier thématique Lalutéineetlazéaxanthine: defuturesvitamines? Lutein and zeaxanthin: new vitamins? P. Borel* » La lutéine et la zéaxanthine, des micronutriments non synthétisés par l’homme, s’accumulent préférentiellement dans la région centrale de la rétine humaine, la macula lutea. » Ces micronutriments de la famille des caroténoïdes semblent avoir un rôle protecteur vis-à-vis du stress oxydatif généré par la lumière bleue au niveau des photorécepteurs. » La consommation et les teneurs sanguines en ces caroténoïdes sont associées à une diminution du risque de dégénérescence maculaire liée à l’âge et de cataracte. » Ces caroténoïdes semblent améliorer certains paramètres de la fonction visuelle. Mots-clés:Caroténoïdes–Œil–Vision–Dégénérescencemaculaire liéeàl’âge–Cataracte. Keywords: Carotenoids – Eye – Vision – Age-related macular degeneration – Cataract. ténoïdes. D’un point de vue finaliste, cette sélectivité laisse penser que ces caroténoïdes exercent dans l’œil une fonction biologique bien spécifique qui ne peut pas être exercée par les autres caroténoïdes. On retrouve ces 2 caroténoïdes aussi bien dans l’humeur aqueuse que dans la macula lutea (tache jaune au centre de la rétine, aussi appelée pigment oculaire) [7], où il y a aussi de la méso-zéaxanthine. La méso-zéaxanthine est issue du métabolisme de la lutéine (8). La présence de fortes concentrations de lutéine et de zéaxanthine dans la macula lutea a conduit à se demander quel(s) rôle(s) ces molécules pourraient y exercer. La focalisation des rayons lumineux au centre de l’œil, la nocivité de certains de ces rayonnements (notamment ceux compris entre 400 et 450 nm dans le bleu) vis-à-vis des photorécepteurs, la forte teneur de la rétine en acides gras polyinsaturés très oxydables, la capacité de ces pigments à absorber la lumière bleue, et les propriétés antioxydantes de ces caroténoïdes, Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 6 - juin 2011 * Inra, UMR1260 “nutriments lipidiques et prévention des maladies métaboliques” ; Inserm, ERL U1025 “biodisponibilité des micronutriments” ; université d’AixMarseille, Marseille. 201 P o i nt s f o rt s L a lutéine et la zéaxanthine sont deux pigments végétaux appartenant à la famille des caroténoïdes, plus particulièrement à la sous-famille des xanthophylles, qui sont les caroténoïdes possédant des groupements oxygénés (hydroxyle et cétone, notamment). Du fait de la présence de groupements hydroxyles sur les cycles β-ionone de ces 2 molécules, ces caroténoïdes n’ont pas d’activité provitaminique A, comme le bêtacarotène, l’alphacarotène, la β-cryptoxanthine ou d’autres caroténoïdes possédant au moins un groupement β-ionone non substitué. On a longtemps cru que l’intérêt nutritionnel des caroténoïdes se limitait à leur activité provitaminique A. Au moment où la théorie radicalaire du vieillissement a été proposée, la mise en évidence de leurs propriétés antioxydantes a soulevé un grand engouement. On supposait en effet qu’un excès non contrôlé de radicaux libres (stress oxydatif) était à l’origine de nombreuses pathologies (cancers, maladies cardio-vasculaires, etc.). Bien que le rôle de ces molécules tenues pour des antioxydants directs (c’est-à-dire pour des molécules ayant la capacité d’arrêter la propagation de la réaction radicalaire en réagissant avec les radicaux libres) soit maintenant remis en cause, notamment du fait de leurs très faibles concentrations sanguine et tissulaire relativement à celles d’autres molécules antioxydantes, il y a un intérêt renouvelé pour les caroténoïdes. Des travaux récents ont en effet montré qu’ils étaient, entre autres, capables de moduler l’expression génique (1) et l’expression d’adipokines pro-inflammatoires (2). L’intérêt pour la lutéine et la zéaxanthine vient notamment du fait que ce sont quasiment les seuls caroténoïdes d’origine alimentaire retrouvés au niveau de l’œil humain, les autres étant retrouvés à l’état de traces (3). Or, la plupart des autres tissus de l’organisme contiennent un profil de caroténoïdes proche de celui du sang (bêtacarotène, lycopène et lutéine majoritaires et autres caroténoïdes en proportions similaires à celles retrouvées dans l’alimentation). Cela montre que l’œil, par un mécanisme non encore totalement élucidé, mais impliquant apparemment les récepteurs membranaires SR-BI (4, 5) et ou CD36 (6), ne sélectionne que ces 2 caro- Les vitamines dossier thématique ont conduit à supposer qu’ils ont été sélectionnés par la nature pour protéger cette région de l’œil, ainsi que le cristallin, des dommages photo-oxydatifs. Cette hypothèse semble vérifiée par les études épidémiologiques, qui suggèrent que ces xanthophylles protégeraient des pathologies oculaires ayant pour origine des dommages photo-oxydatifs. Les dommages photo-oxydatifs seraient impliqués dans l’étiologie de 2 maladies oculaires liées à l’âge : la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et la cataracte (opacification du cristallin). Une réduction du risque de DMLA chez les individus ayant des concentrations sanguines élevées de lutéine et de zéaxanthine a été observée dans 5 études épidémiologiques (9-13). Ainsi, dans l’étude POLA (Pathologies oculaires liées à l’âge), le risque de DMLA était diminué de 79 % chez les sujets ayant des concentrations plasmatiques élevées de lutéine et de zéaxanthine (13). L’association était encore plus forte avec la seule zéaxanthine (diminution de 93 % du risque pour les concentrations élevées), ce que rapporte également une autre étude (12). Ces résultats suggèrent – mais cela reste à confirmer– que la zéaxanthine pourrait être plus importante que la lutéine dans la protection contre la DMLA. Pour ce qui est de la cataracte, plusieurs études indépendantes ont rapporté des résultats similaires, témoignant d’une réduction du risque de cataracte chez les sujets ayant un statut élevé (apports alimentaires, concentrations sanguines) en xanthophylles (13-23). Bien que les résultats des études épidémiologiques et des études sur les modèles cellulaires et animaux permettent d’échafauder une hypothèse plausible concernant le rôle protecteur de ces xanthophylles vis-à-vis de ces pathologies oculaires, seules des études d’intervention, randomisées, en double aveugle avec placebo, permettront de démontrer de manière définitive leur rôle dans la prévention de ces pathologies. S’il était prouvé que la lutéine et/ou la zéaxanthine sont absolument indispensables pour prévenir la survenue des pathologies oculaires précédemment décrites, on ne serait pas loin de leur attribuer la dénomination de “vitamines”. En effet une vitamine est, par définition, une molécule organique, apportée en faible quantité dans l’alimentation (< 1 g/j), non synthétisée par l’organisme (ou dont la synthèse endogène n’est pas suffisante pour subvenir aux besoins de l’organisme, comme c’est le cas pour la vitamine D) et indispensable à certaines fonctions biologiques. Aujourd’hui, la lutéine et la zéaxanthine satisfont à tous ces critères, à l’exception d’un seul : le dernier. Démontrer un rôle essentiel dans la fonction visuelle est difficile, car il n’est pas possible, pour des raisons d’éthique, de carencer des sujets en ces composés qui sont retrouvés de manière ubiquitaire dans les fruits et légumes. Peut-être que les futures études d’intervention nutritionnelles de supplémentation de xanthophylles versus placebo permettront non seulement de voir un effet bénéfique sur les pathologies oculaires, mais aussi de démontrer un rôle biologique, sur l’acuité visuelle par exemple, de ces composés. Si c’est le cas, on sera bien proche de les qualifier de “vitamines”. ■ Références 1. Bertram, JS. Induction of connexin 43 by carotenoids: func- 9. Mares-Perlman JA, Brady W, Klein R et al. Serum antioxydants 16. Dherani M, Murthy GV, Gupta SK et al. Blood levels of 2. Gouranton E, Thabuis C, Riollet C et al. Lycopene inhibits and age-related macular degeneration in a population-based case-control study. Arch Ophthalmol 1995;113:1518-23. vitamin C, carotenoids and retinol are inversely associated with cataract in a North Indian population. Invest Ophthalmol Vis Sci 2008;49:3328-35. 3. Landrum JT, Bone RA. Lutein, zeaxanthin, and the macular degeneration. Eye Disease Case-Control Study Group. Arch Ophthalmol 1993;111:104-9. tional consequences. Arch Biochem Biophys 2004;430:120-6. proinflammatory cytokine and chemokine expression in adipose tissue. J Nutr Biochem 2010; sous presse. pigment. Arch Biochem Biophys 2001;385:28-40. 4. Reboul E, Abou L, Mikail C et al. 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