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Vieillir ou mourir
To get old or to die
N. Ortonne (Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil)
Mots-clés : Mélanome • Naevus • Sénescence • Apoptose • BRAF
• IGFBP7.
Récepteur
tyrosine kinase
Keywords : Melanome • Naevus • Senescence • Apoptosis • BRAF
• IGFBP7.
N
on, “Vieillir ou mourir” n’est pas le titre du prochain
James Bond ni une lapalissade, mais une réflexion
que peut inspirer la récente publication dans Cell de
N. Wajapayee et al (1). Cet excellent article aborde la question des mécanismes moléculaires qui sont impliqués dans
l’oncogenèse de certains mélanomes, en l’occurrence ceux
comportant une mutation activatrice de BRAF (mutation V600E,
qui remplace une valine par l’acide glutamique en position 600
de la protéine). BRAF est l’un des maillons de la voie de signalisation des MAP (mitogen activated protein) kinases (figure 1),
qui, en réponse à une stimulation extracellulaire activant Ras,
permet d’activer d’autres partenaires, MEK (MAP kinase extracellular regulated kinase), puis ERK (Extracellular signal-regulated kinase). Ce dernier active notamment la prolifération
cellulaire. L’activation de la voie des MAP kinases semble être
un élément capital des mélanomes ayant une mutation activatrice de BRAF. L’ensemble de ces éléments montre que BRAF
se comporte comme un oncogène, mais, de façon surprenante,
des mutations activatrices de BRAF sont trouvées également
dans certains naevus, qui sont pourtant des tumeurs bénignes.
Cela indique que l’activation de BRAF n’est ni forcément nécessaire (il y a des mélanomes n’ayant pas de mutation activatrice
de BRAF), ni suffisante à l’oncogenèse des mélanomes. Les
naevus sont caractérisés par une phase de croissance, puis
un arrêt de prolifération avec mise en route d’un programme
cellulaire qui conduit à la “sénescence”. La sénescence est un
état particulier des cellules, caractérisé par l’absence de toute
capacité de prolifération et une sensibilité à la mort cellulaire
(apoptose), que l’on peut reconnaître selon certains critères
morphologiques et phénotypiques, comme l’expression de
l’enzyme β-galactosidase, de p16INK4a (capable de bloquer
le cycle de prolifération cellulaire), ou encore la déacétylation
de la lysine 9 de l’histone H3.
L’hypothèse sous-jacente à ce travail est que les mélanomes
sont, à la différence des naevus, leurs homologues bénins,
incapables de mettre en route ce programme de sénescence,
et que ce programme serait une réponse cellulaire protectrice
à la mutation activatrice de BRAF, empêchant la prolifération
SOS
2
P Grb
P
Ras-GDP
RAF
Ras-GTP
P
MEK
P
ERK P
P
Cytoplasme
Noyau
Figure 1. Voie de signalisation des MAP kinases. La voie de signalisation dépendante des MAP kinases est une des voies de signalisation dépendante de Ras, lequel est généralement sous le contrôle de
récepteurs tyrosine kinase, comme le récepteur c-Kit, exprimé par
les mélanocytes. L’activation de ces récepteurs, associée à la phosphorylation de résidus tyrosine de leur portion intracytoplasmique,
conduit à l’activation de Ras, sous la forme Ras-GTP, qui active les
molécules de la famille RAF, comme BRAF. Ce dernier active MEK,
par phosphorylation, lequel active les molécules ERK, également en
les phosphorylant. Les dimères de ERK1 et 2 phosphorylés gagnent
le noyau où ils vont interagir avec d’autres partenaires pour activer
la transcription des gènes cibles.
associée à l’activation de la voie des MAP kinases. En partant
de cette idée, les auteurs ont identifié une protéine, IGFBP7
(Insulin growth factor binding protein 7) dont l’absence entraîne
la prolifération de mélanocytes humains en culture primaire
exprimant (après transfection rétrovirale) la forme activatrice
mutée de BRAF (BRAFV600E). Ils ont pour cela utilisé une
large batterie d’inhibiteurs, reposant sur la technologie de
gene silencing (small hairpin RNA), qu’ils ont administrés aux
cultures primaires de mélanocytes BRAFV600E. Les inhibiteurs
empêchant les cellules d’entrer en sénescence permettaient
l’activation de la voie des MAP kinases et la prolifération cellulaire, se traduisant par la formation de colonies, les gènes
Images en Dermatologie • Vol. II • n° 1 • janvier-février-mars 2009
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de ces inhibiteurs étant retrouvés grâce au séquençage des
shRNA utilisés. IGFBP7 se révèle être une protéine sécrétée
très puissante, capable d’exercer une fonction autocrine ou
paracrine, puisque le surnageant de mélanocytes BRAFV600E
contenant IGFBP7 (ou une protéine IGFBP7 recombinante) est
capable de bloquer la prolifération de mélanocytes naïfs et de
provoquer leur mise en sénescence. De façon intéressante,
seuls les mélanomes ayant une mutation activatrice de BRAF,
que ce soient les lignées, comme SK-MEL-28, ou les tumeurs
analysées par immunohistochimie, ont perdu l’expression de
IGFBP7, alors qu’elle est retrouvée dans des mélanocytes
normaux, à taux faible, et fortement exprimée dans des naevus
BRAFV600E. Et lorsque ces lignées de mélanomes BRAFV600E
sont mises en présence de la protéine (surnageant de culture
ou protéine recombinante), celle-ci est capable de bloquer la
prolifération cellulaire, en induisant notamment une apoptose.
Certains des mécanismes moléculaires de l’action d’IGFBP7
ont été dévoilés par l’analyse de la lignée SK-MEL-28. Dans
ce modèle, la restauration de la sensibilité à l’apoptose par
l’IGFBP7 est dépendante d’autres facteurs, notamment de
l’induction de l’expression de SMARCB1, qui à son tour induit
celle de BNIP3L. Outre sa capacité à induire un phénotype de
sénescence, avec sensibilité à l’apoptose, IGFBP7 est capable
dans cette même lignée d’interagir directement avec la voie des
MAP kinases, en induisant l’expression de RKIP (RAF kinase
inhibitory protein), qui bloque la phosphorylation activatrice de
MEK par BRAF. IGFBP7 serait donc le facteur clé de la “résistance” à l’oncogenèse dépendante de la mutation activatrice
de BRAF, capable à la fois d’induire la sénescence avec sensibilité à l’apoptose et de bloquer l’activation de la voie de MAP
kinases. La nature sécrétoire d’IGFBP7 lui conférerait de plus
un pouvoir supplémentaire, car il suffirait in vivo que seules
quelques cellules soient capables de produire cette molécule
pour contrôler leurs voisines, sur un mode paracrine (figure 2).
Enfin, à la question des mécanismes impliqués dans la perte
d’expression de IGFBP7 par les mélanomes BRAFV600E, les
auteurs apportent un élément de réponse, en montrant que
le promoteur du gène est affecté par méthylation. L’importance de cette molécule a été par la suite vérifiée in vivo, en
montrant dans un modèle murin de xénogreffe de mélanome,
que la croissance des tumeurs BRAFV600E est significativement inhibée par l’injection (intratumorale ou systémique) de
IGFBP7. Un tel résultat apporte, bien entendu, de nouveaux
espoirs pour le traitement des mélanomes avancés, en tout cas
ceux porteurs de mutations activatrices de BRAF, qui reposerait sur la restauration du phénotype de sénescence dans les
Naevus avec mutation
activatrice de BRAF
Mélanome avec mutation
activatrice de BRAF
V600E
V600E
BRAF
BRAF
MEK
MEK
ERK
ERK
Méthylation
du gène
IGFBP7
IGFBP7
Sénescence
IGFBP7
Prolifération
Figure 2. Induction de la sénescence dans les tumeurs mélanocytaires mutées pour BRAF.
Les résultats obtenus dans cette étude, pris collectivement, montrent
que les naevus induisent un phénotype de sénescence par l’expression de IGFBP7, en réponse à l’activation de la voie des MAP kinases
liée à la mutation activatrice de BRAF. Cette protéine sécrétée, qui
est capable d’agir de façon autocrine et paracrine, permet, d’une
part, d’activer la transcription de facteurs induisant la sénescence,
avec sensibilité à l’apoptose (SMARCB1 et BNIP3L), et, d’autre part,
de bloquer la voie des MAP kinases. Dans les mélanomes, l’impossibilité de produire IGFBP7, en rapport avec la méthylation de son
promoteur, laisse le champ libre à l’hyperactivation de la voie des
MAP kinases, ce qui se traduit par une stimulation de la prolifération cellulaire, favorisant le développement tumoral.
cellules tumorales. Il semble indiquer, de plus, que vieillir n’est
pas seulement une fatalité, mais peut-être un moyen pour les
tissus d’échapper au cancer, et ainsi de nous préserver d’une
mort précoce.
II
Référence bibliographique
1. Wajapeyee N, Serra RW, Zhu X et al. Oncogenic BRAF induces senescence
and apoptosis through pathways mediated by the secreted protein IGFBP7,
Cell 2008;132: 363-74.
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Images en Dermatologie • Vol. II • n° 1 • janvier-février-mars 2009
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